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Travail
À propos de ce livre
Les Quatre Évangiles est le dernier cycle romanesque conçu par Émile Zola de 1898 à sa mort en 1902. Il est inachevé puisque seuls les trois premiers romans de la série, Fécondité, Travail et Vérité ont été publiés. Justice, le dernier projet du romancier, n'a été qu'ébauché.
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Informations
V. 2
Des complications se produisirent, Luc faillit être emporté. Pendant deux jours, on le crut mort. Josine et Sœurette ne quittaient pas son chevet, Jordan était venu s’asseoir près du lit douloureux, délaissant son laboratoire, ce qu’il n’avait pas fait depuis la maladie de sa mère. Et quel désespoir parmi ces cœurs tendres, qui, d’heure en heure, s’attendaient à recevoir le dernier soupir de l’être aimé !
Le coup de couteau dont Ragu venait de frapper Luc, avait bouleversé la Crêcherie. Dans les ateliers en deuil, le travail continuait ; mais, à chaque instant, on voulait des nouvelles, tous les ouvriers s’étaient sentis solidaires, éprouvant pour la victime la même affection inquiète. Ce meurtre imbécile, le sang qui avait coulé, resserrait le lien fraternel, plus que des années d’expérience humanitaire. Et, jusque dans Beauclair, la sympathie s’était fait sentir, beaucoup de gens revenaient à ce garçon si jeune encore, si beau, si actif, dont le seul crime, en dehors de son œuvre de justice, était d’avoir aimé une adorable femme que son mari accablait d’outrages et de coups. En somme, personne ne se scandalisait de voir Josine, dont la grossesse était très avancée, s’installer auprès de Luc agonisant. On trouvait cela très naturel : n’était-il pas le père de l’enfant ? n’avaient-ils pas acheté tous les deux, au prix de leurs larmes le droit de vivre ensemble ? D’autre part, les gendarmes lancés à la poursuite de Ragu n’avaient retrouvé aucune trace, toutes les recherches depuis quinze jours étaient restées vaines et ce qui semblait devoir dénouer le drame, c’était qu’on avait découvert, au fond d’un ravin des monts Bleuses, le cadavre d’un homme, à moitié mangé par les loups, dans lequel on prétendait reconnaître les restes affreux de Ragu. L’acte de décès ne put être dressé, mais la légende s’établit que Ragu était mort, soit d’un accident, soit d’un suicide, dans la folie furieuse de son crime. Alors, si Josine était veuve, pourquoi n’aurait-elle pas vécu avec Luc, pourquoi les Jordan n’auraient-ils pas accepté chez eux le ménage ? Et leur union était si naturelle, si forte, si indissoluble désormais, que, plus tard même, l’idée qu’ils n’étaient point mariés légalement ne vint à personne.
Enfin, par un beau matin de février, au clair soleil, le docteur Novarre crut pouvoir répondre de Luc ; et, quelques jours plus tard, en effet, il se trouvait en pleine convalescence. Jordan, ravi, était retourné à son laboratoire. Il n’y avait plus là que Sœurette et Josine, bien lasses des nuits passées, mais si heureuses ! Rosine surtout, qui n’avait point voulu se ménager, malgré son état, souffrait beaucoup, sans le dire. Et ce fut un matin encore, par un soleil de printemps hâtif, que les douleurs, dont elle dissimulait les crises depuis son lever, lui arrachèrent un faible cri, comme elle assistait au premier déjeuner de Luc, le premier œuf permis par le docteur.
« Qu’as-tu donc, ma Josine ? »
Elle continuait de lutter, mais elle dut se rendre, prise tout entière.
« Oh ! Luc, je crois bien que le moment est venu. »
Il comprit, il eut une joie vive, mêlée à l’inquiétude de la voir pâlir et chanceler.
« Josine, Josine, c’est donc à toi de souffrir maintenant, mais pour une œuvre si certaine, pour un bonheur si grand ! »
Sœurette, qui s’occupait dans le petit salon voisin, était accourue ; et, tout de suite, elle parla de faire transporter Josine ailleurs, car il n’y avait pas d’autre chambre à coucher, il semblait impossible que les couches pussent se faire là. Mais Luc se mit à la supplier.
« Mon amie, oh ! non, n’emmenez pas Josine. Je vais être dans un souci affreux. Et puis, elle est ici chez elle, il n’y a pas de lien qui nous unira davantage... On va s’arranger, on dressera un lit dans le salon. »
Tombée dans un fauteuil, Josine, secouée de grandes ondes douloureuses, avait parlé, elle aussi, de s’en aller. Elle sourit divinement. Il avait raison, pouvait-elle le quitter maintenant, est-ce que le cher enfant n’allait pas achever l’union indissoluble ? Et Sœurette elle-même comprenait, acceptait, de son air de sainte affection, lorsque le docteur Novarre entra, pour sa visite de chaque matin.
« Alors, j’arrive bien, dit-il gaiement. Voilà que j’ai deux malades ! Mais, si le papa ne m’inquiète plus, la maman ne m’inquiète guère. Vous allez voir ça. »
En quelques minutes, tout fut organisé. Il y avait dans le salon un grand divan, qu’on poussa au milieu de la pièce. Un matelas fut apporté, un lit dressé. Et il n’était que temps, l’accouchement eut lieu tout de suite, avec une promptitude, un bonheur extraordinaire. Le docteur continuait à rire, plaisantant, regrettant de n’être pas resté chez lui, puisque ça marchait si bien. Luc l’ayant exigé, on avait laissé la porte grande ouverte, entre la chambre et le salon ; et, cloué encore dans son lit, assis sur son séant, il écoutait anxieux, impatient d’entendre, de comprendre. À chaque minute il lançait des questions, il brûlait de savoir. Les moindres plaintes de la chère femme qui souffrait là, si près de lui, sans qu’il pût la voir, lui retournaient le cœur. Il aurait tant désiré qu’elle répondît elle-même, un simple mot, pour le rassurer, et elle en trouvait le courage, elle jetait elle aussi des mots entrecoupés, de faibles réponses où elle s’efforçait d’être gaie, de cacher le tremblement de sa voix.
« Mais tenez-vous donc tranquille, laissez-nous la paix ! finit par gronder le docteur. Quand on vous dit que c’est une merveille, jamais un petit homme n’est venu si bellement ! Car, vous savez ce sera un petit homme, pour sûr ! »
Tout à coup, il y eut un léger cri, le cri de vie, une voix nouvelle qui montait dans la lumière. Et Luc, penché, tendu de tout son être vers l’événement qui s’accomplissait, l’entendit, en reçut au cœur la secousse heureuse.
« Un fils, un fils ? demanda-t-il, éperdu.
– Attendez donc ! répondit Novarre en riant. Vous êtes bien pressé. Il faut voir. »
Puis, presque aussitôt :
« Mais certainement, c’est un fils, c’est un petit homme, je l’avais bien dit ! »
Luc, alors, déborda de joie, battit des mains comme un enfant, cria plus fort, à toute volée :
« Merci, merci, Josine ! merci du beau cadeau ! Je t’aime et je te dis merci, Josine ! »
Elle ne put répondre tout de suite, si endolorie, si épuisée, qu’elle restait un instant sans voix. Il s’inquiétait déjà, il répéta :
« Je t’aime et je te dis merci, merci, Josine ! »
Et, l’oreille tendue, tournée vers la porte de la pièce voisine, il finit par entendre une voix très légère, à peine un souffle ravi et délicieux, qui lui arrivait, en disant :
« Je t’aime et c’est moi qui te dis merci, merci, Luc ! »
Quelques minutes plus tard, Sœurette apporta l’enfant au père, pour qu’il le baisât. Elle avait au cœur un tel amour épure, qu’elle était radieuse elle-même de ces belles couches, de ce gros garçon, goûtant une joie sublime à partager le bonheur de Luc. Et, comme après avoir embrassé le petit, il lui disait tendrement, dans son allégresse :
« Sœurette, mon amie, il faut aussi que je vous embrasse, vous l’avez bien mérité, et je suis trop content ! »
Elle répondit, du même ton tendre et joyeux :
« C’est ça, mon bon Luc, embrassez-moi, nous sommes tous si heureux ! »
Puis, pendant les semaines qui suivirent, il y eut les bonheurs de la double convalescence. Dès que le docteur permit à Luc de se lever, celui-ci voisina, passa une heure dans un fauteuil, près du lit de Josine, couchée encore. Un printemps précoce emplissait la pièce de soleil, il y avait toujours sur la table une gerbe de roses admirables que le docteur apportait chaque jour de son jardin, comme une ordonnance de jeunesse, de santé et de beauté, disait-il. Et, entre eux, se trouvait le berceau du petit Hilaire, qu’elle nourrissait elle-même. C’était surtout l’enfant qui, maintenant, fleurissait leur existence de plus de force et d’espoir. Ainsi que le répétait Luc, dans les continuels projets d’avenir qu’il faisait, en attendant de pouvoir se remettre à l’œuvre, il était désormais bien tranquille, certain de fonder la Cité de justice et de paix, depuis qu’il avait l’amour, l’amour fécond, Josine et le petit Hilaire. On ne fonde rien sans l’enfant, il est l’œuvre vivante, élargissant et propageant la vie, continuant aujourd’hui par demain. C’est le couple qui seul enfante, qui seul sauvera les pauvres hommes de l’iniquité et de la misère.
La première fois que Josine, enfin debout, put commencer sa nouvelle existence, au côté de Luc, celui-ci la serra dans ses bras, en s’écriant :
« Ah ! tu n’es qu’à moi, tu n’as jamais été qu’à moi, puisque ton enfant est de moi ! Et nous voilà complets, nous ne craignons plus rien du sort ! »
Dès que Luc put reprendre la direction de l’usine, la sympathie qui venait à lui de toutes parts fit merveille. D’ailleurs, ce ne fut pas seulement le sang versé dont le baptême détermina la réussite de la Crêcherie, désormais grandissante, d’une marche continue, invincible. Il y eut aussi une heureuse rencontre, la mine redevint une source d’énorme richesse, car on avait fini par retomber sur des filons considérables d’excellent minerai, ce qui donnait raison à Morfain. On produisit dès lors des fers et des aciers, si bon compte et d’une qualité si belle, que l’Abîme fut menacé même dans sa fabrication des objets fins, de prix élevé. Toute concurrence devenait impossible. Puis, il y eut encore la grande poussée démocratique qui partout multipliait les voies de communication l’extension sans fin des chemins de fer, la construction décuplée de ponts, de bâtiments, de villes entières où les fers et les aciers étaient employés en une proportion prodigieuse, sans cesse croissante. Depuis les premiers Vulcains qui avaient fondu le fer dans un trou, pour en forger des armes, et se défendre, et conquérir la royauté des êtres et des choses, l’emploi du fer n’avait fait que s’élargir, le fer finirait par être demain la source de la justice et de la paix, lorsque la science l’aurait définitivement conquis, en le produisant presque pour rien, en le pliant à tous les usages. Mais surtout ce qui détermina la prospérité, le triomphe de la Crêcherie, ce furent les raisons naturelles, une administration meilleure, plus de vérité, plus d’équité, plus de solidarité. Elle portait en elle son succès, du premier jour où elle avait été créée sur le système transitoire d’une sage association entre le capital, le travail et l’intelligence ; et les jours difficiles qu’elle venait de traverser, les obstacles de toutes sortes, les crises qu’on avait crues mortelles, étaient simplement les cahots inévitables de la route, les premiers jours de marche, si durs, où il s’agit de ne point succomber, si l’on veut arriver au but. Et cela, aujourd’hui, apparaissait, qu’elle avait toujours été vivace, toute gonflée et travaillée de sève, pour les moissons de l’avenir.
C’était, dès maintenant, une leçon de choses, une expérience décisive, qui peu à peu allait convaincre tout le monde. Comment nier la force de cette association du capital, du travail et de l’intelligence, lorsque les bénéfices devenaient plus considérables d’année en année et que les ouvriers de la Crêcherie gagnaient déjà le double de leurs camarades des autres usines ? Comment ne pas reconnaître que le travail de huit heures, de six heures, de trois heures, le travail devenu attrayant, par la diversité même des tâches, dans des ateliers clairs et joyeux, avec des machines que des enfants auraient conduites, était le fondement même de la société future, lorsqu’on voyait les misérables salariés d’hier renaître, redevenir des hommes sains, intelligents, allègres et doux, dans cet acheminement à la liberté, à la justice totales ? Comment ne pas conclure à la nécessité de la coopération, qui supprimerait les intermédiaires parasites, le commerce où tant de richesse et de force se perdent, lorsque les magasins généraux fonctionnaient sans heurt, décuplant le bien-être des affamés d’hier, les comblant de toutes les jouissances réservées jusque-là aux seuls riches ? Comment ne pas croire aux prodiges de la solidarité qui doit rendre la vie aisée, en faire une continuelle fête, pour tous les vivants, lorsqu’on assistait aux réunions heureuses de la maison commune, destinée à devenir un jour le royal palais du peuple, avec ses bibliothèques, ses musées, ses salles de spectacle, ses jardins, ses jeux et ses divertissements ? Comment enfin ne pas renouveler l’instruction et l’éducation, ne plus les baser sur la paresse de l’homme, mais sur son inextinguible besoin de savoir, et rendre l’étude agréable, et laisser à chacun son énergie individuelle, et réunir dès l’enfance les deux sexes qui doivent vivre côte à côte, lorsque les écoles étaient là si prospères, débarrassées du trop de livres, mêlant les leçons aux récréations, aux premières notions des apprentissages professionnels, aidant chaque génération nouvelle à se rapprocher de l’idéale Cité, vers laquelle l’humanité est en marche depuis tant de siècles ?
Aussi l’exemple extraordinaire que la Crêcherie donnait quotidiennement sous le grand soleil, devenait-il contagieux. Il ne s’agissait plus de théories, il s’agissait d’un fait qui se passait là aux yeux de tous, d’une floraison superbe, dont l’épanouissement s’élargissait sans arrêt. Et, naturellement, l’association gagnait de proche en proche les hommes et les terrains d’alentour, des ouvriers nouveaux se présentaient en foule, attirés par les bénéfices, par le bien-être, des constructions nouvelles poussaient de partout, s’ajoutaient continuellement aux premières bâties. En trois ans la population de la Crêcherie doubla ; et la progression s’accélérait avec une incroyable rapidité. C’était la Cité rêvée, du travail réorganisé, rendu à sa noblesse, la Cité future du bonheur enfin conquis, qui sortait naturellement de terre autour de l’usine élargie elle-même, en train de devenir la métropole, le cœur central, source de vie, dispensateur et régulateur de l’existence sociale. Les ateliers, les grandes halles de fabrication s’agrandissaient, couvraient des hectares ; tandis que les petites maisons claires et gaies, au milieu des verdures de leurs jardins, se multipliaient, à mesure que le personnel, le nombre des travailleurs, des employés de toutes sortes, augmentait. Et ce flot peu à peu débordant, les constructions nouvelles, s’avançait vers l’Abîme menaçait de le conquérir, de le submerger. D’abord, il y avait eu de vastes espaces nus entre les deux usines, ces terrains incultes que Jordan possédait en bas de la rampe des monts Bleuses. Puis aux quelques maisons bâties près de la Crêcherie, d’autres maisons s’étaient jointes, toujours d’autres, une ligne de maisons qui envahissait tout comme une marée montante, qui n’était plus qu’à deux ou trois cents mètres de l’Abîme. Bientôt, quand le flot viendrait battre contre lui, ne le couvrirait-il pas, ne l’emporterait-il pas, pour le remplacer de sa triomphante floraison de santé et de joie ? Et le vieux Beauclair lui aussi était menacé, car toute une pointe de la Cité naissante marchait contre lui, près de balayer cette noire et puante bourgade ouvrière, nid de douleur et de peste, où le salariat agonisait sous les plafonds croulants.
Parfois, Luc, le bâtisseur, le fondateur de ville, la regardait croître, sa Cité naissante, qu’il avait vue en rêve, le soir où il avait décidé son œuvre ; et elle se réalisait, et elle partait à la conquête du passé, faisant sortir du sol le Beauclair de demain, l’heureuse demeure d’une humanité heureuse. Tout Beauclair serait conquis entre les deux promontoires des monts Bleuses, tout l’estuaire des gorges de Brias se couvrirait de maisons claires, parmi des verdures, jusqu’aux immenses champs fertiles de la Roumagne. Et, s’il fallait des années et des années encore, il l’apercevait déjà de ses yeux de voyant, cette Cité du bonheur qu’il avait voulue, et qui était en marche.
Un soir, Bonnaire lui amena Babette, la femme à Bourron, et elle lui dit, de son air de perpétuelle belle humeur :
« Voici, monsieur Luc, c’est mon homme qui voudrait bien rentrer comme ouvrier à la Crêcherie. Seulement, il n’a point osé venir lui-même, car il se souvient de vous avoir quitté d’une façon bien vilaine.. Alors, je suis venue. »
Bonnaire ajouta :
« Il faut pardonner à Bourron, que ce malheureux Ragu dominait... Il n’est point méchant, Bourron, il n’est que faible, et sans doute pourrons-nous encore le sauver.
– Mais ramenez Bourron ! cria Luc gaiement. Je ne veux pas la mort du pécheur, au contraire ! Combien ne s’abandonnent que débauchés par des camarades, sans résistance contre les noceurs et les fainéants ! Bonne recrue, nous en ferons un exemple. » Jamais il ne s’était senti si heureux, ce retour de Bourron lui parut décisif, bien que l’ouvrier fût devenu médiocre. Le racheter, le sauver, comme disait Bonnaire, n’était-ce pas une victoire sur le salariat ? Et puis, cela faisait à sa ville une maison de plus, un petit flot ajouté aux autres flots, gonflant la marée qui devait emporter le vieux monde.
Un autre soir, Bonnaire vint encore le prier d’admettre un ouvrier de l’Abîme. Mais, cette fois, la recrue était si pitoyable, qu’il n’insista point.
« C’est ce pauvre Fauchard, il se décide, dit-il. Vous vous souvenez,...
Table des matières
- Travail
- Livre I
- I
- II
- III
- IV
- V
- Livre II
- I. 2
- II. 2
- III. 2
- IV. 2
- V. 2
- Livre III
- I. 3
- II. 3
- III. 3
- IV. 3
- V. 3
- Page de copyright
