1.1 La place de la communication dans lâentreprise
La fonction de communication relĂšve du plus haut dirigeant dâune organisation et participe Ă la prise de dĂ©cisions au mĂȘme titre que les autres fonctions telles que les finances, les ressources humaines et le marketing. Le gestionnaire siĂšge Ă titre de conseiller stratĂ©gique et dâexpert dans le domaine des relations avec les divers publics de lâentreprise. Son Ă©quipe est formĂ©e de spĂ©cialistes de la planification, de la rĂ©daction, du design, des relations avec les mĂ©dias et du Web 2.0. Cette fonction sert de levier pour promouvoir les valeurs de lâentreprise en vue dâatteindre des objectifs directoriaux.
Ce que lâon observe aujourdâhui, Prost y apportait un Ă©clairage en 1967, en affirmant que la valeur dâune organisation tient Ă lâensemble de ses activitĂ©s, câest-Ă -dire Ă la valeur des rapports qui rĂšglent celle-ci : rapports avec les employĂ©s, les actionnaires, les fournisseurs et tout autre groupe touchĂ© par ses activitĂ©s. Depuis, cependant, la recherche a clairement dĂ©montrĂ© que « tout autre groupe », comme le consommateur ou le client, est devenu le principal auditoire visĂ© par la communication dâentreprise.
Deux phĂ©nomĂšnes marquants ont contribuĂ© au positionnement de cette fonction au cours des derniĂšres dĂ©cennies, soit lâaccĂ©lĂ©ration du rythme de production du savoir et la dĂ©mocratisation de celui-ci, et surtout, lâessor des rĂ©seaux sociaux, nouvel outil de production et de diffusion dâinformations qui ne cesse dâaccĂ©lĂ©rer lâaccessibilitĂ© aux donnĂ©es et de susciter lâengagement citoyen. Ces deux facteurs ont modifiĂ© fondamentalement les rapports de la personne avec elle-mĂȘme ainsi quâavec les gouvernements et les organismes.
Maintenant, la gestion de crise se vit au rythme du Web 2.0. Il nây a plus de crises locales, elles sont mondiales. Les activistes occupent le Net et y sont trĂšs actifs. Les frontiĂšres entre la communication interne et externe de lâentreprise sont de plus en plus tĂ©nues. La transparence est devenue subordonnĂ©e Ă la dĂ©mocratie. Dans lâespace numĂ©rique, on nâoublie rien, la mĂ©moire est vive.
Ce constat nâest pas sans rappeler la transformation qui traverse la notion de sphĂšre publique. Il est bon de se remĂ©morer quâĂ lâĂ©poque oĂč Habermas prĂ©cisait le concept de « sphĂšre publique » comme le lieu mĂȘme de formation et dâexpression de lâopinion publique (Habermas, 2015, p. 15), les mĂ©dias Ă©taient mobilisĂ©s seulement lorsquâon souhaitait donner une plus grande amplitude Ă son expression. Les mĂ©dias nâĂ©taient quâun simple outil de la sphĂšre publique. Aujourdâhui, lâoutil est devenu la sphĂšre publique en soi. Nous assistons Ă lâinversion du rapport entre les mĂ©dias et la sphĂšre publique. De nouveaux enjeux se profilent sur le plan de la gestion habile des phĂ©nomĂšnes que provoque cette inversion. Cette mutation requiert de nouvelles structures mentales, une mobilisation de la crĂ©ativitĂ© ainsi quâun nouveau mode dâaction. Elle interpelle lâintellectuel engagĂ©, un rĂŽle de plus en plus exercĂ© par le relationniste.
Ce dernier se retrouve Ă gĂ©rer la complexitĂ© des Ă©vĂ©nements au quotidien et Ă innover quant aux stratĂ©gies que doit adopter et maintenir lâentreprise. Les enjeux Ă©conomiques, sociaux, culturels et politiques sont omniprĂ©sents et stimulent la crĂ©ativitĂ© des employĂ©s vers des savoir-faire qui assurent productivitĂ©, rentabilitĂ© et constance dans la rĂ©putation de la marque, avec ou sans crise. La qualitĂ© de surveillance et dâĂ©coute de lâenvironnement assure une gestion Ă©thique des enjeux soulevĂ©s lorsquâils se prĂ©sentent. Câest dans ce contexte, et soucieux de faire preuve de transparence envers le public tout en demeurant fidĂšle Ă son entreprise, que le relationniste se voit investi dâun rĂŽle « dâintellectuel engagĂ© ». Câest-Ă -dire quâil a le pouvoir et le devoir de conseiller ses patrons sur les pratiques exemplaires de communication en assumant son rĂŽle de mĂ©diateur et dâanalyste minutieux, dans le plus grand intĂ©rĂȘt du public et de lâorganisation.
1.2 Les catégories de cas
Tous les cas retenus ont une portĂ©e internationale, nationale, rĂ©gionale ou locale. Ils ont Ă©tĂ© choisis parce quâils reprĂ©sentent la tendance postmoderne qui promeut la reconnaissance des unicitĂ©s, des groupes souvent marginalisĂ©s, des injustices Ă©conomiques ou sociales, des abus de pouvoir, de la dĂ©sinformation. Leur pertinence contemporaine ne peut ĂȘtre passĂ©e sous silence et fait partie du devoir de lâintellectuel engagĂ© dans les fonctions quotidiennes reconnues au relationniste.
Ces cas font ressortir les diffĂ©rents domaines de la vie organisĂ©e en sociĂ©tĂ©. Ainsi, la politique, la dĂ©mocratie, le droit, lâĂ©dition, le journalisme, les modes dâorganisation, la gestion, la production, la richesse, la pauvretĂ©, lâinjustice et les inĂ©galitĂ©s sociales sont au rendez-vous. On peut les regrouper dans les catĂ©gories suivantes : enjeux contemporains et sociĂ©tĂ©, Ă©nergie, transport, environnement, santĂ© et recherche, sport, mĆurs et morale, politique et entreprise.
1.3 Le choix de la stratégie
Les sujets complexes Ă©numĂ©rĂ©s prĂ©cĂ©demment mobilisent le savoir et le savoir-faire adaptĂ©s aux dimensions perceptibles et implicites de leurs retombĂ©es sociales. LâĂ©crit, la dĂ©nonciation, lâaveu et la manifestation sont autant de formes lĂ©gitimĂ©es pour conscientiser et promouvoir le changement nĂ©cessaire. Ce dernier peut toucher lâensemble dâune population ou encore des segments de population, mais il peut aussi toucher la population mondiale tout comme il peut ĂȘtre contenu Ă lâintĂ©rieur dâune entreprise.
Tout problĂšme portĂ© dans la sphĂšre publique force lâorganisme concernĂ© Ă agir rapidement et Ă faire un choix appropriĂ©. Le choix initial est habituellement garant de la durĂ©e et de lâespace qui y seront consacrĂ©s par les intervenants externes et les mĂ©dias. Dans la plupart des cas, câest un tiers public qui provoque la rĂ©action de lâacteur principal. Ce dernier a peu de temps pour rĂ©agir. Il doit choisir lâoption qui, normalement, attĂ©nuera le plus possible les consĂ©quences sur ses publics.
La nature de la stratĂ©gie retenue vise toujours le meilleur moyen pour garder contact avec ses publics, quâils soient internes ou externes. Ceci dans une approche proactive pour Ă©viter des malentendus, des frustrations, voire des dommages.
Voici la nature des réactions possibles :
â Le dĂ©ni. Dire que tout est faux. Lâentreprise se place sur la dĂ©fensive. Elle doit rĂ©torquer avec des donnĂ©es prĂ©cises pour Ă©teindre le feu.
â Lâintimidation. Lâinsulte. La confrontation. Lâentreprise sâen prend Ă ceux qui lâaccusent pour tenter de les faire taire ou de nuire Ă leur crĂ©dibilitĂ©.
â La menace. Cette stratĂ©gie conduit rapidement aux recours judiciaires, forçant ainsi la partie adverse Ă divulguer tous les faits ou Ă se rĂ©tracter.
â Lâinsinuation. Sous le voile dâune probabilitĂ©, lâaccusateur laisse entendre quâune situation pourrait sâĂȘtre produite, mettant ainsi la partie adverse dans une position de dĂ©fense. On accuse par association.
â Lâaccusation. Pour se dĂ©fendre, la partie accusĂ©e blĂąme lâautre pour ses dĂ©boires.
â La dĂ©fense. Elle prend les grands moyens pour dĂ©montrer que les accusations sont fausses.
â La revendication. Il peut sâagir de droits, dâusages, dâexceptions, de conditions exceptionnelles.
â La vengeance. Lâentreprise prend des moyens physiques ou psychologiques pour nuire Ă celui qui lâaccuse.
â La nuance. Tout nâest pas blanc ou noir. Il y a du gris. Alors, on invoque des circonstances plausibles qui auraient menĂ© au litige.
â Lâattente. Lâignorance. Lâentreprise ne fait rien, en espĂ©rant que le temps arrangera les choses, que les mĂ©dias et le public oublieront vite. Elle se cache en attendant que la tempĂȘte passe.
â La reconnaissance. La stratĂ©gie consiste Ă admettre son erreur, tout simplement. Lâentreprise fait son mea culpa dans lâespoir dâattĂ©nuer les risques et de mettre fin Ă lâhistoire rapidement afin de regagner la confiance de ses publics.
â Lâaveu. Lâexcuse. Lâentreprise admet ses dĂ©boires, en accepte lâentiĂšre responsabilitĂ© et va plus loin en exprimant ses regrets et en annonçant des mesures de redressement.
Chacun de ces choix ou toute suite de choix aura des consĂ©quences dâabord sur la rĂ©putation de lâentreprise, puis sur ses produits et services, et enfin, sur la confiance quâelle a bĂątie avec ses publics. Le temps quâelle prendra et la façon dont elle rĂ©agira auront Ă©galement des rĂ©percussions sur lâimage de lâentreprise et sur ses dirigeants. Elle ne peut pas se permettre un faux pas. La direction devra Ă©valuer soigneusement les conseils de son relationniste, qui sera responsable de la suite des choses.
1.4 Les concepts utiles dans la gestion de ces cas
La controverse interpelle des concepts et des principes issus des valeurs dâune sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique dans laquelle lâentreprise exerce son mandat. Ă cet Ă©gard, lâentreprise est assujettie Ă des principes de gouvernance, elle sâinscrit dans son environnement social, culturel et professionnel. Elle projette ainsi une image de respect et dâĂ©quitĂ© envers ses employĂ©s, en plus de dĂ©montrer sa capacitĂ© Ă ĂȘtre compĂ©titive en ce qui a trait Ă ses produits et services.
Dans ses agissements, la direction doit tenir compte de concepts et de principes qui gouvernent tout organisme, tant sur la scÚne locale que planétaire.
1.4.1 Le contrat social (lâacceptabilitĂ© sociale)
Jean-Jacques Rousseau Ă©voquait la notion de souverainetĂ© populaire comme modĂšle de dĂ©mocratie. Tout projet de sociĂ©tĂ© devrait, dans un monde idĂ©al, obtenir lâappui des citoyens. Aussi, les Ă©lus et les dirigeants dâentreprise devraient tenir compte des prĂ©occupations des citoyens en les consultant. Le citoyen se prĂ©occupe des impacts sociaux dâun projet proposĂ© dans son voisinage, dans sa ville, sa rĂ©gion, sa province et son pays. Ses prĂ©occupations sâexpriment parfois par une lettre Ă la rĂ©daction du journal local, un sondage dâopinion, une pĂ©tition, une manifestation, un rĂ©fĂ©rendum, une vidĂ©o publiĂ©e sur YouTube, une discussion sur un blogue ou par le lancement dâun mouvement de protestation sur Twitter. Souvent, lâaccord des citoyens Ă un projet dâentreprise ou gouvernemental sâexprime tacitement. Si les gens ne sâopposent pas publiquement, on prĂ©sumera que le projet relĂšve du bon sens. Les Ă©lus et les chefs dâentreprise veulent Ă tout prix Ă©viter la grogne pour ne pas nuire Ă leur popularitĂ© ou Ă leur chiffre dâaffaires. On a vu des projets avortĂ©s en raison de lâeffet de surprise produit dans lâopinion publique, par des citoyens qui manifestaient avec vĂ©hĂ©mence leur dĂ©saccord ; ils nâavaient pas Ă©tĂ© consultĂ©s.
Ce concept se résume en un « assentiment de la population à un projet ou à une décision résultant du jugement collectif que ce projet ou cette décision est supérieur aux alternatives connues, incluant le statu quo » (Gendron, 2015, p. 119).
Donc, cette notion de contrat social, ou dâacceptabilitĂ© sociale, renvoie Ă lâethos, câest-Ă -dire Ă cet ensemble moral qui commande le respect de la volontĂ© du public sur tout projet et toute dĂ©cision qui lui semblent contraire Ă ses valeurs, Ă ses prĂ©occupations et Ă ses besoins. Les exemples sont nombreux : le projet Ă©nergĂ©tique du SuroĂźt et celui des gaz de schiste, les accommodements dits « raisonnables », le registre des armes Ă feu, les dĂ©penses excessives des gouvernements, le contrĂŽle hydroĂ©lectrique du Nouveau-Brunswick par Hydro-QuĂ©bec, le Plan Nord et les Innus de la CĂŽte-Nord, le projet dâolĂ©oduc entre lâAlberta et Kitimat en Colombie-Britannique, et la centralisation dâun marchĂ© canadien des valeurs mobiliĂšres.
1.4.2 Le contrat moral
Cet Ă©noncĂ©, au contraire de la dimension lĂ©gale, fait Ă©cho Ă lâĂ©thique, câest-Ă -dire aux normes de comportement. Dans lâappareil gouvernemental, Ă tous les Ă©chelons, ce concept prend toute son importance. Les rĂšgles dâĂ©thique et de communication entre le siĂšge du gouvernement, les ministres et les fonctionnaires ne sont pas les mĂȘmes. Un gouvernement centralisateur sur le plan des communications, comme celui de lâancien premier ministre Harper, enfreint les limites qui assurent lâindĂ©pendance de la fonction publique. Celle-ci doit garder sa neutralitĂ© et ne pas glisser dans la propagande de lâidĂ©ologie politique du gouvernement au pouvoir.
La communication responsable est plutĂŽt rattachĂ©e Ă la communication institutionnelle et doit toucher la conscience civile de lâindividu : « La communication de marque doit la complĂ©ter en instaurant un vĂ©ritable âcontrat moralâ avec le consommateur. Lâentreprise se retrouve donc dans une situation dĂ©licate oĂč sa communication et ses actions doivent ĂȘtre responsables tout en intĂ©grant ses impĂ©ratifs de compĂ©...