La valeur des informations
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La valeur des informations

Ressorts et contraintes du marché des idées

  1. 386 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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La valeur des informations

Ressorts et contraintes du marché des idées

À propos de ce livre

Pourquoiles messages qui nous plaisent nous plaisent-ils? Derrière cette questionsimple se cache l'un des plus vieux problèmes théoriques de la communication, mais aussi l'un des plus importants dans le bouillonnement contemporain descontenus culturels, politiques, médiatiques et distractifs.

Cetterecherche s'attaque à ce défi sous un angle nouveau, au moyen d'une approcheinterdisciplinaire et expose de façon très stimulante les ressorts cognitifs etsociaux qui expliquent les logiques de production et de réception des multiplesmessages – triviaux ou érudits – en concurrence pour l'attention du public.

Laclarté de sa construction permettra à chacun de suivre pas à pas les étapesd'une quête captivante menée pendant plus de vingt ans sur des contextesdiscursifs aussi variés que le journalisme, la littérature ou la communicationscientifique et médicale.

Aufil d'un cheminement méthodique dont la rigueur n'exclut pas l'humour, ondécouvre comment des facteurs psychologiques et normatifs similaires, connus delongue date mais rarement rapprochés jusqu'à maintenant, s'exercentconjointement et comment ils contribuent globalement à façonner, pour lemeilleur ou le pire, la société ultracommunicante dans laquelle nous vivons.

Publié en français.

Foire aux questions

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Informations

PREMIÈRE PARTIE

POURQUOI LES CONTENUS
QUI NOUS PLAISENT
NOUS PLAISENT-ILS ?

CHAPITRE 1

De quelques convulsions
du marché discursif

Nos inventions sont d’ordinaire de jolis jouets qui nous distraient des choses sérieuses. Ce ne sont que des moyens améliorés en vue d’une finalité déficiente […] Nous construisons en toute hâte un télégraphe magnétique du Maine au Texas ; mais il se pourrait que le Maine et le Texas n’aient rien d’important à se dire.
Henry Thoreau (1854, p. 571)
Les étudiants, en général, n’aiment guère les cours de méthodo­logie documentaire et de techniques d’expression qui leur sont imposés, exigences pédagogiques souvent fastidieuses qui les séparent des « vraies choses » – l’art de l’ingénieur, du juriste, de l’urbaniste ou de l’enseignant – qu’ils sont venus acquérir. Qui songerait à leur dire que les « vraies choses » ne sont peut-être pas ce qu’ils croient ? Au-delà des raffinements disciplinaires et de quelques voies particulières, l’enseignement supérieur n’apprend essentiellement qu’un seul métier, celui d’opérateur sur le marché discursif : l’art de recueillir, traiter et restituer de l’information en lui conférant si possible une quelconque valeur ajoutée2. Mais comme tous les emprunts au vocabulaire économique, des termes comme marché et valeur présentent – outre leur déplaisant effluve financiariste – une plasticité qui les rend ambigus.
Même s’il génère des centaines de milliards de dollars de revenus directs, et sous-tend plus généralement la totalité de l’activité humaine, le marché auquel on s’intéresse ici n’implique pas nécessairement de transaction marchande ni de coordination structurée. Ce terme commode désigne simplement ici, de la façon la plus large possible, l’ensemble des informations qui s’offrent à être vues, entendues ou perçues d’une façon ou d’une autre, et qui sont à ce titre susceptibles d’être retenues ou rejetées. Si certaines d’entre elles, par exemple le bruit de la pluie qui tombe, ne cherchent pas à avoir du sens, les plus notables sont évidemment celles qui ont été produites ou transformées dans le but de signifier quelque chose : les discours (soit dit, bien sûr, sans la connotation déclamatoire qui déprécie ce terme dans l’usage commun).
La masse bourdonnante formée par ces derniers a été approchée sous de multiples dénominations et perspectives scientifiques (la « noosphère », l’« espace public », l’« univers discursif », le « marché cognitif3 », le « discours social »…), mais une conception qui l’est moins, celle de la « société de l’information » exige que l’on s’y arrête brièvement, non seulement parce qu’elle a aisément éclipsé les autres dans l’imaginaire collectif, mais aussi parce qu’elle est seule à annoncer une transformation soudaine et radicale du marché discursif. Celui-ci évolue, bien sûr. Il a toujours évolué. Mais dans quelle mesure et pourquoi ? On se gardera bien de plonger une nouvelle fois4 dans les débats nourris qui ont opposé sur ce thème les prophètes des temps nouveaux et leurs contradicteurs, sinon pour soulever un point curieux : la rupture brutale que l’on associe aux nouvelles techno­logies de l’information s’estompe dès qu’on ne les regarde plus. À la place de l’an zéro d’une nouvelle société n’apparaît qu’une profonde et régulière évolution, dont les conséquences sont tout aussi spectaculaires, mais dont le mouvement est assez différent.
Il faut pour cela s’intéresser à l’offre discursive en faisant un peu abstraction des techniques qui la soutiennent, et même en la considérant sous son aspect le plus trivial : sa quantité. Celle-ci est évidemment difficile à évaluer, aucun indice ne pouvant à lui seul en rendre compte. Ce qui est révélateur en revanche, c’est que tous les indices imaginables racontent la même histoire, celle d’un gonflement continu et de plus en plus rapide de la masse des informations disponibles. Ce n’est pas une surprise : on sait que chaque innovation technique s’est non seulement accompagnée5 d’une sorte de « rupture » qualitative de l’information offerte, mais aussi d’une inflation quantitative de celle-ci. Ainsi l’imprimerie à caractères mobiles a-t-elle favorisé l’essor de pratiques plus ou moins nouvelles6 (dont l’édition de livres profanes, la lecture de divertissement et, plus tard, l’actualité périodique), mais elle a aussi relayé et accéléré une croissance exponentielle déjà amorcée auparavant : la production de livres en Europe serait certes passée de 12 millions d’exemplaires imprimés au cours de la seconde moitié du XVe siècle à 628 millions au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, mais avant même l’imprimerie, elle avait déjà bondi de quelque 10 000 manuscrits pendant le VIIe siècle à près de 5 millions au XVe siècle (Buringh et Van Zanden, 2009). De même, la mise au point de la presse métallique, puis à vapeur, puis rotative, et celle de la linotype ont autant accompagné l’accélération et la diversification de la production discursive (populaire, spécialisée…) que la progression spectaculaire de sa diffusion. En 1813, les huit quotidiens français d’information générale totalisaient un tirage de 36 000 exemplaires. Un siècle plus tard, ils étaient 242 et leur tirage atteignait 9 500 000 exemplaires (Albert, 1998).
Depuis Platon dénonçant les conséquences apocalyptiques de l’invention de l’écriture (qui « ne peut produire dans les âmes […] que l’oubli de ce qu’elles savent7 ») jusqu’à Zola s’inquiétant de celles du « flot déchaîné de l’information à outrance » et de « l’état de surexcitation nerveuse » qui en résulterait (1888, p. 1), chacune des nombreuses évolutions qui ont jalonné l’histoire de la communication est apparue à bon droit comme une nette rupture avec le passé. Ainsi que le note James Carey :
Toutes les valeurs prêtées à l’électricité et à la communication électrique, jusqu’à l’ordinateur, le câble et la télévision par satellite, le furent d’abord au télégraphe avec un identique mélange de fantaisie, de propagande et de vérité. (1998, p. 119)
À quand, dans ce cas, faire remonter cette « entrée dans la société de l’information » que célébraient tant les pouvoirs publics dans les années 2000 ? Si l’on entend par là une configuration économique succédant au modèle agricole, puis industriel, alors le tournant paraît bien antérieur à Internet (le Japon, aiguillonné par Yoneji Masuda, disposait déjà d’un Plan for the information society il y a près d’un demi-siècle). Une recherche publiée par le ministère états-unien du commerce a ainsi estimé que la part des emplois du secteur industriel, qui avait dépassé celle des emplois agricoles en 1906, avait à son tour été dépassée par celle des emplois du secteur de l’information… dès 19558, c’est-à-dire à une époque où les très rares ordinateurs existants nécessitaient encore des tubes à vide et des cartes perforées. Ces calculatrices géantes n’étaient manifestement pas pour grand-chose dans l’emballement de la production et de la diffusion des informations. Évidemment, ce que l’on définit comme un emploi du « secteur de l’information » pourrait ou non conduire à déplacer cette date de quelques années, mais ce point a peu d’intérêt. Ce qui importe, c’est la tendance générale que montrait cette étude sur une longue période (1860 à 1980). C’est aussi le fait que les indicateurs quantitatifs les plus hétéroclites témoignent du même phénomène.
La consommation de papier d’impression aux États-Unis serait ainsi passée de moins de 2 milliards de tonnes en 1910 à quelque 25 milliards de tonnes en 1990 (Wernick, Herman, et al., 1996). Le nombre de programmes de télévision proposés, une poignée dans les années 1960, se montait à plus d’une centaine trente ans plus tard. Pour leur part, les informations administratives et commerciales (y compris les lois et règlements9) sont peut-être celles dont le volume a connu la plus forte croissance. Leur progression aurait même été plus rapide au début du XXe siècle qu’après la Seconde Guerre mondiale (Schement, 1990) sans pour autant perdre sa vigueur depuis. Anecdotique mais fascinante, l’une des plus remarquables contributions à cette inflation documentaire est le rapport que le bureau de contrôle financier du gouvernement états-unien a consacré, impavide, aux études supplémentaires qui lui sembleraient nécessaires pour « évaluer l’impact des efforts visant à estimer le coût des rapports et études » (U.S. Government Accountability Office, 2012). Quant au livre imprimé, symbole altier des « vieilles » technologies, il n’en a pas moins poursuivi son expansion, Internet ou pas : la production de nouveautés et de nouvelles éditions a pratiquement triplé en France entre 1970 et 2007 (Gaymard, 2009). Plus de 68 000 nouveaux titres y étaient lancés en 2017, portant le choix offert aux lecteurs à plus de 775 000 références (ministère de la Culture, 2018). Au Canada, le nombre de nouveaux titres mis annuellement sur le marché (plus de 12 000 en 201610) a fléchi depuis quelques années, mais reste supérieur à ce qu’il était vingt ans plus tôt.
Une accélération tout aussi ancienne, mais plus prononcée encore, a touché la production même des connaissances humaines. Dès les années 1950, un jeune physicien, Derek de Solla Price, s’était avisé que les résultats de recherche publiés dans les revues scientifiques manifestaient « une croissance exponentielle, à un rythme extra­ordinairement rapide, […] apparemment universelle et remarquablement persistante » (1986 p. xix). Ses investigations ultérieures confirmèrent cette impression : le nombre des revues savantes semblait doubler tous les dix ans, passant d’une quinzaine vers 1750 à près de 50 000 vers 1950, et près de 90 % de la totalité des travaux scientifiques de toute l’histoire de l’humanité étaient le produit de la dernière génération de chercheurs. Conscient des quelques limites de son approche, de Solla Price estimait en tout état de cause peu plausible qu’un tel taux de croissance de la production se maintienne à la fin du siècle. Contre toute attente, c’est pourtant ce que paraît confirmer une recherche récente (Olesen et Von Ins, 2010).
Une conséquence pittoresque de cette prolifération des discours scientifiques est ce que l’on a appelé l’« effet Barnaby Rich », dûment analysé – non sans accroître du même coup la masse des publications savantes – comme la tendance des chercheurs à maintenir « une production élevée d’écrits scientifiques, accompagnée de protestations contre la productivité excessive des autres auteurs » (Tibor et Zsindely, 1985, p. 529). La désignation est judicieuse, Barnaby Rich étant un érudit de la fin du XVIe siècle à qui l’imprimerie avait permis de publier 28 ouvrages, mais qui est surtout resté célèbre pour un commentaire désabusé :
Un des fléaux de cette époque est la multiplicité des livres ; ils surchargent tant le public qu’il ne peut absorber l’abondance de sujets insignifiants qui sont produits et diffusés chaque jour11.
Fallait-il pour autant s’arrêter en si bon chemin ? Quitte à souligner la constance historique du boursouflement du marché discursif, l’effet aurait pu être nommé en l’honneur de Sénèque, lequel déplorait quinze siècles plus tôt que « l’abondance de livres dissipe l’esprit12 ».
Quoi qu’il en soit, la première chose que l’on peut dire du marché discursif, c’est qu’il gonfle. Il gonfle depuis toujours. Mais il gonfle toujours plus vite.
Comme il se doit, cette hypertrophie s’accompagne de transformations substantielles, invariablement saluées par un brouhaha d’acclamations et de cris d’alarme.
L’un des plus évidents d’entre eux vise l’accélération du rythme des échanges, dénoncée, par exemple, par Paul Virilo (2009) :
Twitter n’échappe pas à cette règle. Plus on entre dans l’accélération des phénomènes, plus on brouille les repères. On n’a plus d’affrontement entre la vérité et le mensonge, mais une succession toujours plus rapide d’instants irréfutables : des émotions globales, synchrones, instantanées, à l’échelle du monde entier. […] On croit qu’on défend la démocratie, en réalité, elle est minée. La démocratie s’adresse à un corps social réfléchi, pas à un agrégat d’individus rois faussement unis dans une émotion collective.
La crainte est peut-être fondée, mais elle n’est, en tout cas, pas bien originale. Un péril similaire avait – notamment13 – été souligné 120 ans plus tôt :
Dans notre société inquiète et pressée qui n’a plus le temps de lire parce qu’elle a perdu peut-être l’habitude de penser, on ne peut s’astreindre à quelques minutes d’attention. Le livre a été délaissé pour l’article de revue, le périodique a subi la concurrence de la feuille quotidienne, et le journal lui-même, atteint par les dépêches, cherche à attirer l’attention distraite du lecteur en imitant la brièveté du style télégraphique […] En introduisant dans notre vie deux éléments nouveaux, la hâte et la vitesse, notre pensée n’a-t-elle pas acquis une instabilité qui l’a privée de sa force ? (Picot, 1889, p. 189)
Le phénomène est souvent associé au traitement de l’actualité, mais il ne s’y limite pas : la durée de vie des nouveaux livres, en tout cas si on l’exprime par le délai pendant lequel ils sont offerts en librairie, se raccourcit tr...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Demi-page de titre
  3. Page titre
  4. Page de droits d’auteur
  5. Préface : Pour comprendre (enfin ?) les médias
  6. Introduction : À l’abordage d’un « grand mystère »
  7. (Précisions)
  8. Première partie – Pourquoi les contenus qui nous plaisent nous plaisent-ils ?
  9. Seconde Partie – Occurrences
  10. Terminaison
  11. Références
  12. Table des matières
  13. Couverture arrière