ACTE 1
SCÈNE 1
Liu
Le policier
1979 : bureau d’un commissariat de police à Pékin. Atmosphère vétuste. Tout est miteux dans le bureau, y compris les tenues vestimentaires. Un fonctionnaire d’une bonne quarantaine d’années, allure massive, tape un rapport sur une machine à écrire d’un modèle des années 1950. Liu, d’apparence jeune, fragile, à la fois timide et déterminé, allure intellectuelle, lunettes, entre dans le bureau avec hésitation.
Le policier continue à taper à la machine. Il lève les yeux, aperçoit Liu et désigne de l’index la porte de sortie.
Le policier
Je t’ai dit dégage, compris ?
Liu
Vous plaisantez ou quoi ? Ça fait plus d’une heure que je poirote dans le couloir !
(Le policier prend un air exaspéré. Il se remet à son travail, ignorant ostensiblement Liu. Liu s’approche assez près du bureau sur lequel travaille le policier)
Le policier
Dégage, merde !
Liu
(Silence)
Une question et puis je m’en vais. À quel titre les flics sont-ils intervenus pour me tabasser… et confisquer mes brochures? (Nouveau silence)
(Le policier interrompt son travail et, cette fois-ci, fixe Liu droit dans les yeux. Il le dévisage, comme s’il le reconnaissait. Puis, il tend un paquet de cigarettes ouvert, excédé par l’insistance de Liu)
Le policier
Cigarette ?
Liu
Pas maintenant. Je veux d’abord une réponse.
Le policier
Un conseil… fous le camp. On ne s’est jamais vus ici. On ne se connaît pas.
(Le policier se lève et tend la main à Liu de façon distante, polie, légèrement autoritaire, puis il lui montre du doigt la porte de sortie.
Liu fait demi-tour, entame quelques pas vers la sortie. Puis, sur le seuil de la porte, s’immobilise un temps. Il revient sur ses pas)
Liu
(Très poliment)
Ma mère m’a toujours dit qu’en cas de pépin je pouvais compter sur vous. Nous avons grandi dans le même village. Nous sommes comme frères.
Cet après-midi, des flics ont fait irruption avec des matraques devant le Mur de la Démocratie à Xidan… Ils ont même arrêté des gens…
Vous devez les relâcher et restituer mes brochures… (Il lui tend la main)
Le policier
(Conciliant)
Je suis en plein travail. Reviens me voir plus tard. Nous fêterons nos retrouvailles. C’est vrai, depuis le temps !
(Liu de nouveau esquisse quelques pas vers la sortie)
(Liu revient avec hésitation sur ses pas)
Liu
Votre manière d’agir est illégale… Nous avons une Constitution maintenant… Elle protège tous les citoyens. Vous devez la respecter.
Le policier
La Constitution… tout le monde s’en moque ici, et moi aussi je m’en tape. Dehors !
Liu
(Il s’assoit sur la chaise avec une certaine désinvolture)
Alors, je porte plainte.
Le policier
(Levant les yeux au ciel)
Mais enfin, pour qui tu te prends ?
Liu
Pour un citoyen chinois. J’ai des droits. J’entends les faire respecter.
Le policier
(Il glisse une feuille de papier dans la machine à écrire)
Tu veux jouer au con, c’est ça ? Réfléchis bien ! Tu risques de terribles emmerdes à persister dans tes récriminations.
Liu
C’est tout réfléchi, je porte plainte.
Le policier
Alors, respectons les formes… Nom, prénom… J’attends la réponse… Forcément, une plainte officielle…
(Le policier tape à la machine les indications que lui livre Liu)
Liu
(Avec un rire de dépit)
Depuis le temps que vous me connaissez ! Je m’appelle Liu.
Le policier
Unité ?
Liu
Troisième unité, ministère de la Recherche spatiale.
Le policier
Cadre ? Ouvrier ?
Liu
Cadre… Vous le savez parfaitement !
(Le policier dévisage de nouveau Liu. Puis, il se lève, prend un dossier dans un tiroir et le consulte attentivement)
Le policier
(D’un ton détendu)
Tu mens.
Liu
Jamais de la vie.
Le policier
Tu te fous de ma gueule ? Ton nom, c’est Jian Weï. (Il lui montre la fiche)
Liu
Ah, d’accord. C’est vrai… Liu, c’est mon nom de plume. Mais tout le monde me connaît aujourd’hui sous ce nom.
Le policier
Parce que Monsieur joue les écrivains ? Ton adresse ?
Liu
Toujours à Dang Chang. Même rue. Même maison.
Le policier
(Il feuillette le dossier)
Dang Chang… Dang Chang… Ça remonte à dix ans maintenant.
Tu as fait un sacré chemin depuis, petit con. (Il tape à la machine)
Dang Chang… Ce ne sont que des souvenirs.
(Il lui tend la main)
Un conseil d’ami. Fous le camp pendant qu’il est encore temps…
Sinon, tu ne ressortiras jamais vivant d’ici.
(Liu et le policier se serrent la main. Le policier change de ton)
Liu
Ma mère m’a pourtant affirmé que je pouvais compter sur vous en cas de pépin.
Le policier
Cigarette ?
(Le policier tend de nouveau un paquet de cigarettes ouvert. Liu prend une cigarette. Le policier l’allume avec son briquet et se met à fumer également)
Liu
Je suis mandaté par plus d’une centaine de camarades pour obtenir des explications officielles de la police. La police, c’est vous. Je vous écoute.
Le policier
(Il actionne le rouleau de la machine à écrire)
Bien sûr, bien sûr…
Mais revenons à toi un instant, si tu le veux bien.
Tes fonctions exactes au sein de ton unité ? Ton titre ?
Liu
Je ne vois pas le rapport.
Le policier
J’enregistre une déposition officielle. Ici, c’est la règle. Il me faut donc tes coordonnées.
Liu
Ingénieur diplômé de l’Institut d’astrophysique de Nankin. J’occupe le poste de directeur de recherche au centre spatial de Gu...