L'Utopie
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L'Utopie

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L'Utopie

À propos de ce livre

« Utopia » (le titre complet en latin est « De optimo rei publicae statu, deque nova insula Utopia, ou par extense, Libellus vere aureus, nec minus salutaris quam festivus de optimo rei publicae statu, deque nova insula Utopia ») est un ouvrage de Thomas More paru en 1516. Il s'agit d'un livre fondateur de la pensĂ©e utopiste, le mot « utopie » Ă©tant lui-mĂȘme dĂ©rivĂ© de son titre. L'ouvrage a connu un succĂšs particulier en France au XVIIe siĂšcle et au XVIIIe siĂšcle.Le titre est construit d'aprĂšs une racine grecque signifiant « lieu qui n'est nulle part », « ?? ????? (ou topos) » en grec.Bien que Thomas More ne fĂ»t pas Ă©conomiste, mais juriste, historien, thĂ©ologien et homme politique, Utopia, qui n'Ă©tait pas un traitĂ© d'Ă©conomie, mais plutĂŽt une satire de la sociĂ©tĂ© de son temps, fut repris au XIXe siĂšcle, sans doute par un effet de biais, pour construire des thĂ©ories Ă©conomiques.

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Informations

Livre deuxiĂšme

« L’üle d’Utopie a deux cent mille pas dans sa plus grande largeur, situĂ©e Ă  la partie moyenne. Cette largeur se rĂ©trĂ©cit graduellement et symĂ©triquement du centre aux deux extrĂ©mitĂ©s, en sorte que l’üle entiĂšre s’arrondit en un demi-cercle de cinq cents milles de tour, et prĂ©sente la forme d’un croissant, dont les cornes sont Ă©loignĂ©es de onze mille pas environ.
« La mer comble cet immense bassin ; les terres adjacentes qui se dĂ©veloppent en amphithéùtre y brisent la fureur des vents, y maintiennent le flot calme et paisible et donnent Ă  cette grande masse d’eau l’apparence d’un lac tranquille. Cette partie concave de l’üle est comme un seul et vaste port accessible aux navires sur tous les points.
« L’entrĂ©e du golfe est dangereuse, Ă  cause des bancs de sable d’un cĂŽtĂ©, et des Ă©cueils de l’autre. Au milieu s’élĂšve un rocher visible de trĂšs loin, et qui pour cela n’offre aucun danger. Les Utopiens y ont bĂąti un fort, dĂ©fendu par une bonne garnison. D’autres rochers, cachĂ©s sous l’eau, tendent des piĂšges inĂ©vitables aux navigateurs. Les habitants seuls connaissent les passages navigables, et c’est avec raison qu’on ne peut pĂ©nĂ©trer dans ce dĂ©troit, sans avoir un pilote utopien Ă  son bord. Encore cette prĂ©caution serait-elle insuffisante, si des phares Ă©chelonnĂ©s sur la cĂŽte n’indiquaient la route Ă  suivre. La simple transposition de ces phares suffirait pour dĂ©truire la flotte la plus nombreuse, en lui donnant une fausse direction.
« À la partie opposĂ©e de l’üle on trouve des ports frĂ©quents, et l’art et la nature ont tellement fortifiĂ© les cĂŽtes, qu’une poignĂ©e d’hommes pourrait empĂȘcher le dĂ©barquement d’une grande armĂ©e.
« S’il faut en croire des traditions, pleinement confirmĂ©es, du reste, par la configuration du pays, cette terre ne fut pas toujours une Ăźle. Elle s’appelait autrefois Abraxa, et tenait au continent ; Utopus s’en empara et lui donna son nom.
« Ce conquĂ©rant eut assez de gĂ©nie pour humaniser une population grossiĂšre et sauvage, et pour en former un peuple qui surpasse aujourd’hui tous les autres en civilisation. DĂšs que la victoire l’eut rendu maĂźtre de ce pays, il fit couper un isthme de quinze mille pas, qui le joignait au continent ; et la terre d’Abraxa devint ainsi l’üle d’Utopie. Utopus employa Ă  l’achĂšvement de cette Ɠuvre gigantesque les soldats de son armĂ©e aussi bien que les indigĂšnes, afin que ceux-ci ne regardassent pas le travail imposĂ© par le vainqueur comme une humiliation et un outrage. Des milliers de bras furent donc mis en mouvement, et le succĂšs couronna bientĂŽt l’entreprise. Les peuples voisins en furent frappĂ©s d’étonnement et de terreur, eux qui au commencement avaient traitĂ© cet ouvrage de vanitĂ© et de folie.
« L’üle d’Utopie contient cinquante-quatre villes spacieuses et magnifiques. Le langage, les mƓurs, les institutions, les lois y sont parfaitement identiques. Les cinquante-quatre villes sont bĂąties sur le mĂȘme plan, et possĂšdent les mĂȘmes Ă©tablissements, les mĂȘmes Ă©difices publics, modifiĂ©s suivant les exigences des localitĂ©s. La plus courte distance entre ces villes est de vingt-quatre milles, la plus longue est une journĂ©e de marche Ă  pied.
« Tous les ans, trois vieillards expĂ©rimentĂ©s et capables sont nommĂ©s dĂ©putĂ©s par chaque ville, et se rassemblent Ă  Amaurote, afin d’y traiter les affaires du pays. Amaurote est la capitale de l’üle ; sa position centrale en fait le point de rĂ©union le plus convenable pour tous les dĂ©putĂ©s.
« Un minimum de vingt mille pas de terrain est assignĂ© Ă  chaque ville pour la consommation et la culture. En gĂ©nĂ©ral, l’étendue du territoire est proportionnelle Ă  l’éloignement des villes. Ces heureuses citĂ©s ne cherchent pas Ă  reculer les limites fixĂ©es par la loi. Les habitants se regardent comme les fermiers, plutĂŽt que comme les propriĂ©taires du sol.
« Il y a, au milieu des champs, des maisons commodĂ©ment construites, garnies de toute espĂšce d’instruments d’agriculture, et qui servent d’habitations aux armĂ©es de travailleurs que la ville envoie pĂ©riodiquement Ă  la campagne.
« La famille agricole se compose au moins de quarante individus, hommes et femmes, et de deux esclaves. Elle est sous la direction d’un pĂšre et d’une mĂšre de famille, gens graves et prudents.
« Trente familles sont dirigées par un philarque.
« Chaque annĂ©e, vingt cultivateurs de chaque famille retournent Ă  la ville ; ce sont ceux qui ont fini leurs deux ans de service agricole. Ils sont remplacĂ©s par vingt individus qui n’ont pas encore servi. Les nouveaux venus reçoivent l’instruction de ceux qui ont dĂ©jĂ  travaillĂ© un an Ă  la campagne, et l’annĂ©e suivante, ils deviennent instructeurs Ă  leur tour. Ainsi, les cultivateurs ne sont jamais tout Ă  la fois ignorants et novices, et la subsistance publique n’a rien Ă  craindre de l’impĂ©ritie des citoyens chargĂ©s de l’entretenir.
« Ce renouvellement annuel a encore un autre but, c’est de ne pas user trop longtemps la vie des citoyens dans des travaux matĂ©riels et pĂ©nibles. Cependant, quelques-uns prennent naturellement goĂ»t Ă  l’agriculture, et obtiennent l’autorisation de passer plusieurs annĂ©es Ă  la campagne.
« Les agriculteurs cultivent la terre, Ă©lĂšvent les bestiaux, amassent des bois, et transportent les approvisionnements Ă  la ville voisine, par eau ou par terre. Ils ont un procĂ©dĂ© extrĂȘmement ingĂ©nieux pour se procurer une grande quantitĂ© de poulets : ils ne livrent pas aux poules le soin de couver leurs Ɠufs ; mais ils les font Ă©clore au moyen d’une chaleur artificielle convenablement tempĂ©rĂ©e. Et, quand le poulet a percĂ© sa coque, c’est l’homme qui lui sert de mĂšre, le conduit et sait le reconnaĂźtre. Ils Ă©lĂšvent peu de chevaux, et encore ce sont des chevaux ardents, destinĂ©s Ă  la course, et qui n’ont d’autre usage que d’exercer la jeunesse Ă  l’équitation.
« Les bƓufs sont employĂ©s exclusivement Ă  la culture et au transport. Le bƓuf, disent les Utopiens, n’a pas la vivacitĂ© du cheval ; mais il le surpasse en patience et en force ; il est sujet Ă  moins de maladies, il coĂ»te moins Ă  nourrir, et quand il ne vaut plus rien au travail, il sert encore pour la table.
« Les Utopiens convertissent en pain les cĂ©rĂ©ales ; ils boivent le suc du raisin, de la pomme, de la poire ; ils boivent aussi l’eau pure ou bouillie avec le miel et la rĂ©glisse qu’ils ont en abondance.
« La quantitĂ© de vivres nĂ©cessaire Ă  la consommation de chaque ville et de son territoire est dĂ©terminĂ©e de la maniĂšre la plus prĂ©cise. NĂ©anmoins, les habitants ne laissent pas de semer du grain et d’élever du bĂ©tail, beaucoup au-delĂ  de cette consommation. L’excĂ©dent est mis en rĂ©serve pour les pays voisins.
« Quant aux meubles, ustensiles de mĂ©nage, et autres objets qu’on ne peut se procurer Ă  la campagne, les agriculteurs vont les chercher Ă  la ville. Ils s’adressent aux magistrats urbains, qui les leur font dĂ©livrer sans Ă©change ni retard. Tous les mois ils se rĂ©unissent pour cĂ©lĂ©brer une fĂȘte.
« Lorsque vient le temps de la moisson, les philarques des familles agricoles font savoir aux magistrats des villes combien de bras auxiliaires il faut leur envoyer ; des nuées de moissonneurs arrivent, au moment convenu, et, si le ciel est serein, la récolte est enlevée presque en un seul jour.

Des villes d’Utopie et particuliùrement de la ville d’Amaurote

« Qui connaĂźt cette ville les connaĂźt toutes, car toutes sont exactement semblables, autant que la nature du lieu le permet. Je pourrais donc vous dĂ©crire indiffĂ©remment la premiĂšre venue ; mais je choisirai de prĂ©fĂ©rence la ville d’Amaurote, parce qu’elle est le siĂšge du gouvernement et du sĂ©nat, ce qui lui donne la prééminence sur toutes les autres. En outre, c’est la ville que je connais le mieux, puisque je l’ai habitĂ©e cinq annĂ©es entiĂšres.
« Amaurote se dĂ©roule en pente douce sur le versant d’une colline. Sa forme est presque un carrĂ©. Sa largeur commence un peu au-dessous du sommet de la colline, se prolonge deux mille pas environ sur les bords du fleuve Anydre et augmente Ă  mesure que l’on cĂŽtoie ce fleuve.
« La source de l’Anydre est peu abondante ; elle est situĂ©e Ă  quatre-vingts milles au-dessus d’Amaurote. Ce faible courant se grossit, dans sa marche, de la rencontre de plusieurs riviĂšres, parmi lesquelles on en distingue deux de moyenne grandeur. ArrivĂ© devant Amaurote, l’Anydre a cinq cents pas de large. À partir de lĂ , il va toujours en s’élargissant et se jette Ă  la mer, aprĂšs avoir parcouru une longueur de soixante milles.
« Dans tout l’espace compris entre la ville et la mer, et quelques milles au-dessus de la ville, le flux et le reflux, qui durent six heures par jour, modifient singuliĂšrement le cours du fleuve. À la marĂ©e montante, l’OcĂ©an remplit de ses flots le lit de l’Anydre sur une longueur de trente milles, et le refoule vers sa source. Alors, le flot salĂ© communique son amertume au fleuve ; mais celui-ci se purifie peu Ă  peu, apporte Ă  la ville une eau douce et potable, et la ramĂšne sans altĂ©ration jusque prĂšs de son embouchure, quand la marĂ©e descend. Les deux rives de l’Anydre sont mises en rapport au moyen d’un pont de pierre, construit en arcades merveilleusement voĂ»tĂ©es. Ce pont se trouve Ă  l’extrĂ©mitĂ© de la ville la plus Ă©loignĂ©e de la mer, afin que les navires puissent aborder Ă  tous les points de la rade.
« Une autre riviĂšre, petite, il est vrai, mais belle et tranquille, coule aussi dans l’enceinte d’Amaurote. Cette riviĂšre jaillit Ă  peu de distance de la ville, sur la montagne oĂč celle-ci est placĂ©e, et, aprĂšs l’avoir traversĂ©e par le milieu, elle vient marier ses eaux Ă  celles de l’Anydre. Les Amaurotains en ont entourĂ© la source de fortifications qui la joignent aux faubourgs. Ainsi, en cas de siĂšge, l’ennemi ne pourrait ni empoisonner la riviĂšre, ni en arrĂȘter ou dĂ©tourner le cours. Du point le plus Ă©levĂ©, se ramifient en tous sens des tuyaux de briques, qui conduisent l’eau dans les bas quartiers de la ville. LĂ  oĂč ce moyen est impraticable, de vastes citernes recueillent les eaux pluviales, pour les divers usages des habitants.
« Une ceinture de murailles hautes et larges enferme la ville, et, Ă  des distances trĂšs rapprochĂ©es, s’élĂšvent des tours et des forts. Les remparts, sur trois cĂŽtĂ©s, sont entourĂ©s de fossĂ©s toujours Ă  sec, mais larges et profonds, embarrassĂ©s de haies et de buissons. Le quatriĂšme cĂŽtĂ© a pour fossĂ© le fleuve lui-mĂȘme.
« Les rues et les places sont convenablement disposĂ©es, soit pour le transport, soit pour abriter contre le vent. Les Ă©difices sont bĂątis confortablement ; ils brillent d’élĂ©gance et de propretĂ©, et forment deux rangs continus, suivant toute la longueur des rues, dont la largeur est de vingt pieds.
« DerriĂšre et entre les maisons se trouvent de vastes jardins. Chaque maison a une porte sur la rue et une porte sur le jardin. Ces deux portes s’ouvrent aisĂ©ment d’un lĂ©ger coup de main, et laissent entrer le premier venu.
« Les Utopiens appliquent en ceci le principe de la possession commune. Pour anĂ©antir jusqu’à l’idĂ©e de la propriĂ©tĂ© individuelle et absolue, ils changent de maison tous les dix ans, et tirent au sort celle qui doit leur tomber en partage.
« Les habitants des villes soignent leurs jardins avec passion ; ils y cultivent la vigne, les fruits, les fleurs et toutes sortes de plantes. Ils mettent Ă  cette culture tant de science et de goĂ»t, que je n’ai jamais vu ailleurs plus de fertilitĂ© et d’abondance rĂ©unies Ă  un coup d’Ɠil plus gracieux. Le plaisir n’est pas le seul mobile qui les excite au jardinage ; il y a Ă©mulation entre les diffĂ©rents quartiers de la ville, qui luttent Ă  l’envi Ă  qui aura le jardin le mieux cultivĂ©. Vraiment, l’on ne peut rien concevoir de plus agrĂ©able ni de plus utile aux citoyens que cette occupation. Le fondateur de l’empire l’avait bien compris, car il appliqua tous ses efforts Ă  tourner les esprits vers cette direction.
« Les Utopiens attribuent Ă  Utopus le plan gĂ©nĂ©ral de leurs citĂ©s. Ce grand lĂ©gislateur n’eut pas le temps d’achever les constructions et les embellissements qu’il avait projetĂ©s ; il fallait pour cela plusieurs gĂ©nĂ©rations. Aussi lĂ©gua-t-il Ă  la postĂ©ritĂ© le soin de continuer et de perfectionner son Ɠuvre.
« On lit dans les annales utopiennes, conservĂ©es religieusement depuis la conquĂȘte de l’üle, et qui embrassent l’histoire de dix-sept cent soixante annĂ©es, on y lit qu’au commencement, les maisons, fort basses, n’étaient que des cabanes, des chaumiĂšres en bois, avec des murailles de boue et des toits de paille terminĂ©s en pointe. Les maisons aujourd’hui sont d’élĂ©gants Ă©difices Ă  trois Ă©tages, avec des murs extĂ©rieurs en pierre ou en brique, et des murs intĂ©rieurs en plĂątras. Les toits sont plats, recouverts d’une matiĂšre broyĂ©e et incombustible, qui ne coĂ»te rien et prĂ©serve mieux que le plomb des injures du temps. Des fenĂȘtres vitrĂ©es (on fait dans l’üle un grand usage du verre) abritent contre le vent. Quelquefois on remplace le verre par un tissu d’une tĂ©nuitĂ© extrĂȘme, enduit d’ambre ou d’huile transparente, ce qui offre aussi l’avantage de laisser passer la lumiĂšre et d’arrĂȘter le vent.

Des magistrats

« Trente familles font, tous les ans, Ă©lection d’un magistrat, appelĂ© syphogrante dans le vieux langage du pays, et philarque dans le moderne.
« Dix syphograntes et leurs trois cents familles obéissent à un protophilarque, anciennement nommé tranibore.
« Enfin, les syphograntes, au nombre de douze cents, aprĂšs avoir fait serment de donner leurs voix au citoyen le plus moral et le plus capable, choisissent au scrutin secret, et proclament prince, l’un des quatre citoyens proposĂ© par le peuple ; car, la ville Ă©tant partagĂ©e en quatre sections, chaque quartier prĂ©sente son Ă©lu au sĂ©nat.
« La principautĂ© est Ă  vie, Ă  moins que le prince ne soit soupçonnĂ© d’aspirer Ă  la tyrannie. Les tranibores sont nommĂ©s tous les ans, mais on ne les change pas sans de graves motifs. Les autres magistrats sont annuellement renouvelĂ©s.
« Tous les trois jours, plus souvent si le cas l’exige, les tranibores tiennent conseil avec le prince, pour dĂ©libĂ©rer sur les affaires du pays, et terminer au plus vite les procĂšs qui s’élĂšvent entre particuliers, procĂšs du reste excessivement rares. Deux syphograntes assistent Ă  chacune des sĂ©ances du sĂ©nat, et ces deux magistrats populaires changent Ă  chaque sĂ©ance.
« La loi veut que les motions d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral soient discutĂ©es dans le sĂ©nat trois jours avant d’aller aux voix et de convertir la proposition en dĂ©cret.
« Se réunir hors le sénat et les assemblées du peuple pour délibérer sur les affaires publiques est un crime puni de mort.
« Ces institutions ont pour but d’empĂȘcher le prince et les tranibores de conspirer ensemble contre la libertĂ©, d’opprimer le peuple par des lois tyranniques, et de changer la forme du gouvernement. La constitution est tellement vigilante Ă  cet Ă©gard que les questions de haute importance sont dĂ©fĂ©rĂ©es aux comices des syphograntes, qui en donnent communication Ă  leurs familles. La chose est alors examinĂ©e en assemblĂ©e du peuple ; puis, les syphograntes, aprĂšs en avoir dĂ©libĂ©rĂ©, transmettent au sĂ©nat leur avis et la volontĂ© du peuple. Quelquefois mĂȘme l’opinion de l’üle entiĂšre est consultĂ©e.
« Parmi les rĂšglements du sĂ©nat, le suivant mĂ©rite d’ĂȘtre signalĂ©. Quand une proposition est faite, il est dĂ©fendu de la discuter le mĂȘme jour ; la discussion est renvoyĂ©e Ă  la prochaine sĂ©ance.
« De cette maniĂšre, personne n’est exposĂ© Ă  dĂ©biter Ă©tourdiment les premiĂšres choses qui lui viennent Ă  l’esprit, et Ă  dĂ©fendre ensuite son opinion plutĂŽt que le bien gĂ©nĂ©ral ; car n’arrive-t-il pas souvent qu’on recule devant lĂ  honte d’une rĂ©tractation et l’aveu d’une erreur irrĂ©flĂ©chie ? Alors, on sacrifie le salut public pour sauver sa rĂ©putation. Ce danger funeste de la prĂ©cipitation a Ă©tĂ© prĂ©venu et les sĂ©nateurs ont suffisamment le temps de rĂ©flĂ©chir.

Des arts et métiers

« Il est un art commun Ă  tous les Utopiens, hommes et femmes, et dont personne n’a le droit de s’exempter, c’est l’agriculture. Les enfants l’apprennent en thĂ©orie dans les Ă©coles, en pratique dans les campagnes voisines de la ville, oĂč ils sont conduits en promenades rĂ©crĂ©atives. LĂ , ils voient travailler, ils travaillent eux-mĂȘmes, et cet exercice a de plus l’avantage de dĂ©velopper leurs forces physiques.
« Outre l’agriculture, qui, je le rĂ©pĂšte, est un devoir imposĂ© Ă  tous, on enseigne Ă  chacun une industrie particuliĂšre. Les uns tissent la laine ou le lin ; les autres sont maçons ou potiers ; d’autres travaillent le bois ou les mĂ©taux. VoilĂ  les principaux mĂ©tiers Ă  mentionner.
« Les vĂȘtements ont la mĂȘme forme pour tous les habitants de l’üle ; cette forme est invariable, elle distingue seulement l’homme de la femme, le cĂ©libat du mariage....

Table des matiĂšres

  1. Introduction
  2. Notice bibliographique
  3. Livre premier
  4. Livre deuxiĂšme
  5. Épitre d’Érasme à Jean Froben
  6. Page de copyright