L'Europe de demain
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L'Europe de demain

Un essai méconnu de prospective politique signé par H.G. Wells durant la PremiÚre Guerre mondiale

  1. 176 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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L'Europe de demain

Un essai méconnu de prospective politique signé par H.G. Wells durant la PremiÚre Guerre mondiale

À propos de ce livre

RÉSUMÉ : "L'Europe de demain" est un essai de prospective politique Ă©crit par Herbert George Wells durant la PremiĂšre Guerre mondiale. Dans cet ouvrage, Wells s'aventure au-delĂ  des conflits immĂ©diats pour envisager un futur oĂč l'Europe pourrait se reconstruire sur des bases plus solides et pacifiques. Il propose une analyse des structures politiques et sociales de son temps, tout en esquissant des solutions pour Ă©viter les erreurs du passĂ©. Wells explore des concepts tels que la coopĂ©ration internationale, la nĂ©cessitĂ© d'une gouvernance supranationale et l'importance de l'Ă©ducation pour instaurer une paix durable. Son approche visionnaire anticipe des questions qui demeurent pertinentes aujourd'hui, telles que l'unitĂ© europĂ©enne et les dĂ©fis de la mondialisation. En s'appuyant sur des arguments logiques et une prose engageante, Wells incite ses contemporains Ă  rĂ©flĂ©chir sur les choix politiques et sociaux qui pourraient façonner un avenir meilleur pour l'Europe. Cet essai, bien que mĂ©connu, rĂ©vĂšle une facette moins connue de l'auteur, celle d'un penseur engagĂ© dans la recherche de solutions pour un monde en crise. À travers une analyse lucide et une Ă©criture captivante, "L'Europe de demain" demeure une lecture essentielle pour quiconque s'intĂ©resse Ă  l'histoire politique et aux enjeux europĂ©ens. L'AUTEUR : Herbert George Wells, nĂ© le 21 septembre 1866 Ă  Bromley, en Angleterre, est l'un des Ă©crivains les plus influents de la littĂ©rature de science-fiction et de la pensĂ©e politique du XXe siĂšcle. Il est connu pour ses romans emblĂ©matiques tels que "La Guerre des mondes", "La Machine Ă  explorer le temps" et "L'Homme invisible". Au-delĂ  de ses oeuvres de fiction, Wells Ă©tait Ă©galement un penseur social engagĂ©. Il a Ă©tudiĂ© la biologie sous la tutelle de Thomas Henry Huxley, ce qui a influencĂ© sa vision scientifique et sociale du monde. Son intĂ©rĂȘt pour les rĂ©formes sociales et politiques se manifeste dans plusieurs de ses essais et articles, oĂč il aborde des thĂšmes comme l'Ă©ducation, la politique et la sociĂ©tĂ©. En tant que membre de la Fabian Society, Wells a militĂ© pour des changements progressistes dans la sociĂ©tĂ© britannique. Sa capacitĂ© Ă  combiner science-fiction et rĂ©flexion sociale a fait de lui une figure incontournable de la littĂ©rature et de la pensĂ©e critique. DĂ©cĂ©dĂ© le 13 aoĂ»t 1946 Ă  Londres, H.G. Wells laisse un hĂ©ritage riche et variĂ© qui continue d'inspirer chercheurs et Ă©crivains.

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Informations

Éditeur
Books on Demand
Année
2019
Imprimer l'ISBN
9782322017898
ISBN de l'eBook
9782322130191
Édition
1

Chapitre 1

LA PRÉVISION DE L’AVENIR

1 La prophĂ©tie peut ĂȘtre soit un simple jeu intellectuel, soit une occupation sĂ©rieuse ; sĂ©rieuse non seulement dans ses intentions, mais dans ses consĂ©quences : car c’est le sort des prophĂštes, qui effraient ou dĂ©sappointent leur monde, que d’ĂȘtre lapidĂ©s. Mais pour quelques-uns d’entre nous autres modernes, dont s’est emparĂ© l’esprit de la science, prophĂ©tiser est presque une habitude d’esprit.
La science est, pour une grande part, de l’analyse dirigĂ©e vers la prĂ©vision. La pierre de touche de toute loi scientifique est la vĂ©rification que nous pouvons faire de ses anticipations. La discipline scientifique dĂ©veloppe l’idĂ©e que tout ce qui va arriver est, en fait, dĂ©jĂ  lĂ , si seulement on pouvait le voir. Et quand on est pris par surprise, la tendance n’est pas de dire, avec ceux qui n’ont pas reçu cette discipline : « Eh bien ! qui est-ce qui aurait cru ça ? », mais : « Voyons, qu’est-ce donc qui nous avait Ă©chappĂ© ? ».
Tout ce qui a jamais existĂ©, tout ce qui existera jamais est lĂ  Ă  l’heure actuelle, pour quiconque a des yeux pour voir. Mais certaines d’entre ces choses exigent pour les dĂ©couvrir des yeux d’une pĂ©nĂ©tration plus qu’humaine. D’autres sont Ă©videntes ; nous sommes presque aussi sĂ»rs de la venue de la NoĂ«l prochaine, des marĂ©es de l’annĂ©e 1960, et de la mort avant l’an de grĂące 3000 de tous les gens vivants Ă  l’heure actuelle, que si tout cela s’était dĂ©jĂ  produit. À un niveau infĂ©rieur, mais encore trĂšs Ă©levĂ©, de certitude, se trouvent des choses comme celles-ci : qu’on fera sans doute en 1950 des aĂ©roplanes d’un modĂšle perfectionnĂ©, ou que Bombay sera reliĂ© par train direct Ă  Constantinople et Ă  Bakou avant un demi-siĂšcle. Et, partant de degrĂ©s de certitude comme ceux-ci, on peut descendre l’échelle jusqu’à ce qu’on atteigne le mystĂšre le plus obscur de tous, le mystĂšre de l’individu humain. L’Angleterre va-t-elle bientĂŽt produire un grand gĂ©nie militaire ? Que diront M. Belloc ou Lord Northcliffe aprĂšs-demain ?
 Le champ de recherches le plus accessible pour le prophĂšte est le firmament ; le plus inaccessible, c’est le secret des imprĂ©visibles caprices de la cervelle humaine. Quelle sera la conduite d’Un Tel et qu’en pensera la Nation ? C’est pour des questions de ce genre que nos conjectures doivent se faire le plus subtiles.
Cependant, mĂȘme Ă  de telles questions, l’homme d’esprit vif et observateur peut s’aventurer Ă  rĂ©pondre, avec un peu plus d’une chance sur deux de tomber juste.
L’auteur qui vous parle est un prophĂšte de vieille expĂ©rience. Demain l’intĂ©resse plus qu’aujourd’hui, et le passĂ© n’est pour lui qu’un instrument de conjectures sur l’avenir. « Songez aux hommes qui ont passĂ© lĂ  ! » disait un touriste dans le ColisĂ©e de Rome. Ce fut un esprit futuriste qui rĂ©pondit : « Songez Ă  ceux qui y passeront ! » À coup sĂ»r, le fait que demain tel homme, fondateur de la RĂ©publique mondiale, tel autre, adversaire obstinĂ© du militarisme ou du respect des lois, ou tel qui mettra le premier en libertĂ© l’énergie atomique pour l’usage des humains, se promĂšneront le long de la Via Sacra, offre autant d’intĂ©rĂȘt que le fait que CicĂ©ron, Giordano Bruno ou Shelley s’y sont promenĂ©s jadis. Pour un esprit prophĂ©tique, toute l’histoire est et continuera d’ĂȘtre un prĂ©lude. Le type d’esprit prophĂ©tique se refuse obstinĂ©ment Ă  considĂ©rer le monde comme un musĂ©e ; il soutient que c’est une scĂšne disposĂ©e pour un drame qui commence perpĂ©tuellement.
Or, cette tendance Ă  la prĂ©diction a conduit l’auteur non seulement Ă  publier un livre de prophĂ©ties mĂ»rement rĂ©flĂ©chies, appelĂ© Anticipations, mais aussi Ă  rĂ©pandre — presque sans prĂ©mĂ©ditation — un certain nombre de prophĂ©ties plus ou moins Ă©videntes dans ses autres ouvrages. Cela fait maintenant vingt ans en tout qu’il Ă©crit, si bien qu’il est possible de contrĂŽler une certaine proportion de ses anticipations d’aprĂšs les faits accomplis. Il a quelquefois visĂ© juste, et mis remarquablement prĂšs de ce centre de cible qu’est la rĂ©alitĂ© ; il a souvent mis dans le cercle noir, souvent dans le cercle extĂ©rieur ; et quelquefois il a fait chou blanc. Maintes choses dont il avait parlĂ© par anticipation sont maintenant des lieux communs solidement Ă©tablis. Il y avait encore en 1894 quantitĂ© de sceptiques au sujet de la possibilitĂ© pratique des automobiles ou des aĂ©roplanes ; ce n’est qu’en 1898 que M. S. P. Langley (du Smithsonian Institute) put envoyer Ă  l’auteur une photographie d’un « plus lourd que l’air » tenant l’air pour de bon. Il y avait des articles dans les pĂ©riodiques de l’époque prouvant que l’aviation Ă©tait impossible.
Une des rĂ©ussites les mieux venues de l’auteur fut une description (dans ses Anticipations, en 1900) de la guerre de tranchĂ©es, et d’une stagnation correspondant presque exactement Ă  la situation aprĂšs la bataille de la Marne. Et il eut la main heureuse (dans le mĂȘme ouvrage) en traçant les limites du rĂŽle des sous-marins. Il devança d’un an Sir Percy Scott dans ses doutes au sujet de la valeur dĂ©cisive des grands navires de guerre (voir An Englishman looks at the World) ; et c’était une solide opinion que la sienne lorsqu’il niait la dĂ©cadence de la France ; lorsqu’il mettait en doute (avant le conflit russo-japonais) la grandeur de la puissance russe, qui Ă©tait encore en ce temps-lĂ  le loup-garou des Anglais ; lorsqu’il faisait de la Belgique le champ de bataille d’une lutte prochaine entre les Puissances de l’Europe centrale et le reste de l’Europe ; et aussi (Ă  ce qu’il croit) lorsqu’il prĂ©disait une Pologne renaissante. Bien avant que l’Europe fĂ»t familiarisĂ©e avec la sĂ©duisante personnalitĂ© du Kronprinz, il reprĂ©sentait de grands dirigeables survolant l’Angleterre (laquelle avait trop manquĂ© d’initiative pour en construire aucun) sous le commandement d’un certain prince Karl, Ă©trangement prophĂ©tique ; et dans The World Set Free, le dernier trouble-paix est un certain « Renard balkanique ».
Mais lorsqu’il dĂ©clarait çà et lĂ  qu’« avant telle annĂ©e telle chose arriverait », ou que « telle chose ne se produirait pas avant vingt ans », il avait gĂ©nĂ©ralement tort ; la plupart de ses Ă©valuations de temps sont fausses. Par exemple, il prĂ©disait l’existence avant 1910 d’une route spĂ©ciale pour autos, distincte de la grand-route, entre Londres et Brighton, et la chose est encore Ă  l’état de rĂȘve ; mais, par ailleurs, il doutait que l’aviation militaire efficace et les combats aĂ©riens fussent possibles avant 1950, ce qui est une erreur dans l’autre sens. Il jettera modestement un voile sur certaines erreurs encore plus grandes que les oisifs pourront trouver pour leur propre plaisir dans ses livres ; il prĂ©fĂšre compter les rĂ©ussites et laisser la supputation des coups manquĂ©s Ă  ceux que cela peut amuser.
Bien entendu, ces prophĂ©ties de l’auteur furent Ă©tablies sur une base de connaissances trĂšs gĂ©nĂ©rales. Ce qu’on peut obtenir par l’investigation vraiment soutenue d’une question spĂ©ciale — surtout si c’est une question d’ordre essentiellement mĂ©canique — on le voit dans l’ouvrage d’un Français trop nĂ©gligĂ© par la trompette de la RenommĂ©e, ClĂ©ment Ader. M. Ader fut probablement le premier Ă  lancer un appareil qui fĂźt dans l’air autre chose qu’un simple bond. Son Éole, comme le certifie le gĂ©nĂ©ral Mensier, parcourut 50 mĂštres aprĂšs le premier bond dĂšs 1890. En 1897, son Avion volait bel et bien (c’était un an avant la date de la premiĂšre photographie que je possĂšde, de l’aĂ©ropile de S. P. Langley en Ă©quilibre dans l’air). Mais ceci ne nous concerne pas pour le moment. Ce qui est intĂ©ressant ici, c’est qu’en 1908, alors que l’aviation Ă©tait encore chose presque incroyable, M. Ader publia son Aviation militaire. Eh bien ! il y a de cela huit ans, voilĂ  maintenant un an qu’on se bat dans les airs, et rien n’a encore Ă©tĂ© fait que M. Ader n’ait prĂ©vu, — rien Ă  quoi nous n’eussions pu ĂȘtre prĂ©parĂ©s si nous avions eu la sagesse de l’écouter. Maintes choses prĂ©dites par lui attendent encore leur inĂ©vitable rĂ©alisation. Tant est grande la clartĂ© avec laquelle les hommes de savoir adĂ©quat et de raisonnement solide pĂ©nĂštrent les annĂ©es Ă  venir en ce qui concerne toutes ces questions de dĂ©veloppement matĂ©riel.
Mais ce n’est pas du dĂ©veloppement des inventions mĂ©caniques que l’auteur se propose de traiter pour le moment. Dans ce livre, il a l’intention de risquer certaines prĂ©dictions sur la marche des Ă©vĂ©nements dans les quelque dix annĂ©es qui vont suivre. Les nouveautĂ©s d’ordre mĂ©canique joueront probablement un trĂšs petit rĂŽle dans cette histoire de demain. Cette guerre mondiale implique un arrĂȘt gĂ©nĂ©ral d’invention et d’initiative sauf pour ce qui est de la science de la guerre. Toutes les capacitĂ©s sont concentrĂ©es sur ce point, et les types de capacitĂ©s qui ne sont pas applicables Ă  la guerre sont nĂ©gligĂ©s ; le capital est dĂ©truit sur une vaste Ă©chelle, et l’épargne est gaspillĂ©e qui serait nĂ©cessaire pour subventionner les tentatives nouvelles. De plus, nous sommes en train d’anĂ©antir la plupart de nos jeunes hommes les plus brillants.
On peut admettre en toute sĂ©curitĂ© qu’il y aura trĂšs peu de matĂ©riel nouveau sur la scĂšne du monde pendant un temps considĂ©rable ; que, si les routes, les chemins de fer et la navigation subissent de grands changements, ce sera pour le pire ; que l’architecture, les commoditĂ©s domestiques et le reste auront de la chance s’ils en sont en 1924 au mĂȘme point qu’au printemps de 1914. Dans les tranchĂ©es de France et des Flandres, et sur les champs de bataille de Russie, les Allemands ont dĂ©pensĂ© et ont fait dĂ©penser au monde le prix du confort, du luxe et du progrĂšs de vingt-cinq annĂ©es Ă  venir. C’est leur goĂ»t, et les goĂ»ts ne s’expliquent pas. Mais le rĂ©sultat est que, alors qu’en 1900 l’auteur pouvait Ă©crire ses Anticipations de la rĂ©action du progrĂšs du machinisme sur la vie et la pensĂ©e humaines, en 1916 ses anticipations devront appartenir Ă  un tout autre systĂšme de dĂ©ductions.
Les lignes gĂ©nĂ©rales des faits matĂ©riels que nous avons sous les yeux sont nettes. Ce sont les faits d’ordre mental que nous avons Ă  dĂ©mĂȘler. La question n’est plus : « Quelle chose concrĂšte, quelle facilitĂ© nouvelle, quel accroissement de pouvoir, vont se prĂ©senter, et comment affecteront-ils notre façon de vivre ? » La question est : « Comment les gens vont-ils prendre toutes ces choses trop Ă©videntes : le gaspillage des ressources du monde, l’arrĂȘt du progrĂšs matĂ©riel, l’hĂ©catombe d’une grande partie des individus mĂąles de presque toutes les contrĂ©es europĂ©ennes, et les deuils et le malheur universels ? » Ici nous allons avoir affaire Ă  des rĂ©alitĂ©s Ă  la fois plus intimes et moins accessibles que les effets du machinisme.
À titre de reconnaissance prĂ©alable, pour ainsi dire, de cette rĂ©gion de problĂšmes que nous avons Ă  attaquer, examinons les difficultĂ©s d’une question unique, qui est aussi une question vitale et centrale dans cette prĂ©vision. Nous n’essayerons pas de donner une solution complĂšte dans ce chapitre, parce qu’il devra laisser de cĂŽtĂ© un trop grand nombre de facteurs ; plus tard, peut-ĂȘtre serons-nous mieux placĂ©s pour ce faire. Cette question est celle des chances d’établissement d’une paix mondiale durable.
Au dĂ©but de la guerre il y eut parmi les intellectuels du monde entier un immense espoir que cette guerre pourrait rĂ©soudre la plupart des problĂšmes internationaux en suspens, et se trouverait ĂȘtre la derniĂšre guerre. L’auteur, jetant un regard par-dessus l’abĂźme d’expĂ©rience qui nous sĂ©pare de 1914, se souvient de deux pamphlets dont les titres mĂȘmes proclament ce sentiment : La guerre qui mettra fin aux guerres et : La paix du monde. — Est-ce que l’espoir formulĂ© en ces mots Ă©tait un rĂȘve ? Est-ce qu’il est dĂ©jĂ  dĂ©montrĂ© que ce n’était qu’un rĂȘve ? Ou bien pouvons-nous lire entre les lignes des communiquĂ©s, des arguties diplomatiques, des menaces et des accusations, des querelles politiques et des rĂ©cits de souffrance et de cruautĂ© qui remplissent actuellement nos journaux — pouvons-nous lire de quoi justifier encore l’espoir que ces tragiques annĂ©es de douleur universelle ne sont que l’ombre qui prĂ©cĂšde l’aube d’un jour meilleur pour l’humanitĂ© ? Manions un peu ce problĂšme Ă  titre d’examen prĂ©liminaire.
En rĂ©alitĂ©, ce que nous examinons ici c’est le pouvoir de la raison humaine de l’emporter sur les passions, et certaines autres forces restrictives et mitigeantes. Il n’y a guĂšre de doute que si l’on pouvait recueillir les votes de l’humanitĂ© entiĂšre sur la question de savoir s’il ne vaudrait pas mieux ne plus jamais avoir de guerre, une majoritĂ© Ă©crasante se prononcerait pour la paix universelle. S’il Ă©tait bien entendu qu’il s’agit de guerre du type moderne et mĂ©canique, avec raids aĂ©riens, explosifs Ă  haute puissance, gaz asphyxiants et sous-marins, la rĂ©ponse ne fait aucun doute. « Que la paix soit avec nous, Seigneur ! », telle est plus que jamais la priĂšre commune Ă  toute la chrĂ©tientĂ© ; et les artisans de guerre eux-mĂȘmes prĂ©tendent ĂȘtre des artisans de paix ; l’empereur d’Allemagne n’a jamais flanchĂ© dans son assertion qu’il a encouragĂ© l’Autriche Ă  envoyer Ă  la Serbie un inacceptable ultimatum, et qu’il a envahi la Belgique, parce que l’Allemagne Ă©tait attaquĂ©e. L’Empire Krupp-Kaiser, nous assure-t-il, n’est pas un aigle mais un agneau Ă  deux tĂȘtes, qui se rebiffe contre les tondeurs et les Ă©gorgeurs. Les apologistes de la guerre sont une minoritĂ© qui ne leur laisse pas d’espoir ; un certain nombre d’Allemands-Prussiens, qui trouvent la guerre excellente pour l’ñme, et les bonnes dames du Morning Post de Londres, qui trouvent la guerre excellente pour les maniĂšres des classes ouvriĂšres, sont de rares voix discordantes dans le chƓur gĂ©nĂ©ral contre la guerre. Si le simple dĂ©sir de paix, sans base solide et sans coordination, suffisait Ă  se rĂ©aliser lui-mĂȘme, ce serait la paix, et une paix durable, dĂšs demain. Mais, en fait, la paix n’est pas encore lĂ , et il n’y a pas encore de perspective bien nette d’une paix universelle durable Ă  la fin de cette guerre.
Quels sont donc les obstacles, et quels sont les antagonismes qui s’opposent Ă  la mise en Ɠuvre de ce dĂ©goĂ»t universel de la guerre et de cet universel dĂ©sir de paix, pour l’établissement d’une paix mondiale ?
Prenons-les en ordre, et il nous sera trĂšs vite Ă©vident que nous avons affaire ici Ă  un dĂ©licat problĂšme quantitatif de psychologie, Ă  une constante pesĂ©e de forces contradictoires pour voir laquelle l’emporte. Nous avons affaire Ă  des influences si subtiles que les hasards de quelque Ă©vĂ©nement frappant et dramatique, par exemple, peuvent les orienter dans un sens ou dans l’autre. Nous avons affaire Ă  la volontĂ© humaine, et lĂ  est le piĂšge qui menace les pas du prophĂšte dĂ©sireux d’impartialitĂ©. Il est difficile pour un prophĂšte de ne pas Ă©clater en exhortations selon le mode des prophĂštes d’IsraĂ«l.
La premiĂšre difficultĂ© qui entrave l’établissement d’une paix mondiale est celle-ci : que ce n’est l’affaire de personne en particulier. Presque tous, nous voulons une paix mondiale, en « amateurs ». Mais il n’y a ni une ni des personnes spĂ©cifiquement dĂ©signĂ©es pour prendre les initiatives. Le monde est une solution sursaturĂ©e de dĂ©sir de paix, et il n’y a rien autour de quoi la solution puisse se cristalliser. Il n’y a personne dans le monde entier Ă  qui incombe la tĂąche de comprendre et de vaincre les difficultĂ©s soulevĂ©es. Il y a bien plus de gens, et bien plus d’intelligence, appliques Ă  la fabrication des cigarettes ou des Ă©pingles Ă  cheveux, qu’il n’y en a d’appliquĂ©s Ă  l’établissement d’une paix mondiale permanente. Il y a quelques secrĂ©taires extraordinaires aux gages d’AmĂ©ricains philanthropes, et c’est Ă  peu prĂšs tout. On n’a mĂȘme rien mis de cĂŽtĂ© en vue des Ă©moluments de ces honorables messieurs quand la paix universelle serait atteinte. Il est Ă  prĂ©voir qu’ils perdraient leur place.
Presque tout le monde veut la paix ; presque tout le monde serait heureux d’agiter dĂšs maintenant un drapeau blanc avec une colombe dessus — Ă  condition que l’ennemi ne fasse de cette dĂ©monstration aucun usage malhonnĂȘte — mais il n’y a, en fait, personne qui rĂ©flĂ©chisse aux arrangements nĂ©cessaires, personne qui fasse, Ă  beaucoup prĂšs, autant de propagande pour apprendre au monde ce qu’il faut qu’il sache, qu’on en fait pour vendre telle ou telle marque fameuse d’automobiles. Nous avons tous Ă  nous occuper de nos affaires personnelles. Et on n’obtient pas les choses simplement en les dĂ©sirant ; on les obtient en tĂąchant de les obtenir, et en Ă©cartant tout ce qui empĂȘche de les obtenir.
Telle est la premiÚre grande difficulté : le prétendu mouvement pacifiste est tout à fait vague et superficiel.
Il l’est tellement que la masse des gens ne conçoivent pas mĂȘme la toute premiĂšre condition de la paix mondiale. Le mouvement en question n’a pas rĂ©ussi Ă  leur en faire prendre une conscience nette. S’il doit y avoir une paix mondiale permanente, il est clair qu’il faut qu’il y ait quelque moyen permanent de rĂ©gler les diffĂ©rends entre puissances et nations qui, sans cela, seraient en guerre. C’est-Ă -dire qu’il faut qu’il y ait quelque pouvoir supĂ©rieur, quelque centre d’arbitrage, une cour suprĂȘme d’un genre quelconque, un pouvoir exĂ©cutif universellement reconnu en sus et au-dessus des gouvernements sĂ©parĂ©s qui existent dans le monde Ă  l’heure actuelle. Cela ne veut pas dire que ces gouvernements aient Ă  disparaĂźtre, ni qu’il faille renoncer Ă  l’idĂ©e de « nationalitĂ© », ni rien d’aussi radical. Mais cela veut dire que tous ces gouvernements auront Ă  abandonner presque autant de leur autonomie que les États autonomes qui constituent les États-Unis d’AmĂ©rique en ont abandonnĂ© au Gouvernement fĂ©dĂ©ral ; si leur unification doit ĂȘtre autre chose qu’un vain mot, ils auront Ă  dĂ©lĂ©guer Ă  qui de droit le contrĂŽle de leurs relations internationales, dans des proportions que peu d’esprits sont prĂ©parĂ©s Ă  concevoir Ă  l’heure actuelle.
Il est vraiment tout Ă  fait vain de rĂȘver d’un monde sans guerre, composĂ© d’États restĂ©s parfaitement libres de se taquiner l’un l’autre en Ă©tablissant des douanes, en bloquant et en Ă©tranglant les artĂšres commerciales, et en malmenant les immigrants et les voyageurs Ă©trangers ; d’États entre lesquels il n’y aurait nul moyen de rĂ©gler les querelles de frontiĂšre. Et puis, comparĂ© Ă  la situation des États-Unis d’AmĂ©rique, le cas Ă©ventuel des « États-Unis du monde « prĂ©sente une complication de plus : presque tous les grands États d’Europe sont en possession, premiĂšrement, de territoires de race et de langue Ă©trangĂšres, ayant une certaine complexitĂ© organique, tels que l’Égypte ; et, deuxiĂšmement, de territoires barbares et moins dĂ©veloppĂ©s, tel que la Nigeria ou Madagascar. Il n’y aura rien de stable dans une organisation mondiale qui ne dĂ©truira pas dans ces « possessions » les privilĂšges accordĂ©s aux nationaux des mĂ©tropoles, et qui ne prendra pas ses mesures en vue de l’accession immĂ©diate ou Ă©ventuelle de ces peuples sujets au rang d’États. Mais des milliers de gens intelligents dans ceux des grands pays europĂ©ens qui se croient ardemment dĂ©sireux de paix mondiale, seront effarĂ©s par toute proposition de placer quelque partie que ce soit de « notre Empire » sous une direction mondiale, r en tant que territoire des États-Unis d’Europe. Tant qu’ils ne cesseront pas d’ĂȘtre effarĂ©s par ce genre de choses, leurs aspirations vers une paix permanente resteront sĂ©parĂ©es du courant gĂ©nĂ©ral de leur vie. Et ce courant coulera, soit lentement, soit rapidement, vers la guerre. Car ces « possessions » sont essentiellement, comme les douanes, l’occupation stratĂ©gique des pays neutres ou les traitĂ©s secrets, des formes du conflit qui existe entre les nations dans le but de s’évincer et de se dominer l’une l’autre. Laisser subsister ce genre de choses en mĂȘme temps qu’on fait des vƓux contre la guerre, ce n’est pas vraiment essayer de conjurer le conflit ; c’est essayer de le maintenir en limitant son ...

Table des matiĂšres

  1. Sommaire
  2. 1. La prĂ©vision de l’avenir
  3. 2. La fin de la guerre
  4. 3. Braintree, Bocking et l’avenir du monde
  5. 4. Jusqu’oĂč l’Europe ira-t-elle dans la voie du socialisme ?
  6. 5. La presse et l’homme de loi
  7. 6. L’éducation nouvelle
  8. 7. Ce que la guerre aura fait pour les femmes
  9. 8. La nouvelle carte d’Europe
  10. 9. Les États-Unis, la France, l’Angleterre et la Russie
  11. 10. La tñche de l’homme blanc
  12. 11. L’avenir des Allemands
  13. Notes
  14. Page de copyright