DIEUXIÈME PARTIE
Reconquérir notre dignité et nos terres
Les Congolais(es) ne sont pas sorti(e)s indemnes de 130 ans de vol, de violence et d’impunité institutionnalisés. Plusieurs cœurs et esprits congolais ont fini par s’y conformer en optant pour la haine de soi, le sadomasochisme, le larbinisme, etc. Plusieurs autres ont accepté de lutter au prix de leur vie pour une émancipation politique congolaise et panafricaine. Plusieurs autres encore, après avoir pris part à cette lutte, se sont fatigués et ont choisi de jouer le rôle de «sous-traitants». Balayer 130 ans de vol, de violence et d’impunité institutionnalisés et «sous-traités» en un clin d’oeil est une illusion. Cela prend du temps. Beaucoup de temps. Il s’agit de guérir les cœurs et les esprits et d’humaniser les institutions pouvant porter leurs efforts d’émancipation politique. Aussi, l’ennemi est là. Il veille. Il ne comprend pas. Il ne se convertit jamais, comme dirait Frantz Fanon.
‘‘Depuis 130 ans, rien ou presque rien ne se fait au Congo-Kinshasa sans que « les décideurs internationaux » ne soient de près ou de loin (dans l’ombre) impliqués. Ils sont les acteurs majeurs de la traite négrière, de la colonisation, de la néocolonisation et du mondialisme. La traite négrière, la colonisation, la néocolonisation et le mondialisme ont servi, comme idéologies de néantisation, d’indignité et d’entretien du racisme anti-noir, le système capitalisme cher aux « décideurs internationaux ». ’’
PROPOSITION 8
Guérir les coeurs et les esprits
Depuis le 20 octobre 2016, Une nouvelle étude «Un Etat criminel : comprendre et lutter contre la corruption institutionnalisée et la violence en République démocratique du Congo» est mise à la disposition du public via internet. Ce texte de 121 pages (en anglais) donne l’impression d’être très bien documenté. Il a une bibliographie très riche. Un petit résumé en est donné en français. Il est suivi de quelques recommandations. Ce texte nous intéresse dans la mesure où il pose une question importante à nos yeux : la pérennité d’un Etat criminel au cœur de l’Afrique depuis le règne de Léopold II jusqu’à ce jour.
Ce régime est fondé sur l’évidement de l’Etat de toute sa substance pour créer des espaces de vol, de violence et d’impunité. « Fondée sur des recherches historiques et de terrain, cette étude soutient que le président Kabila et ses proches collaborateurs s’appuient dans une large mesure sur le vol, la violence et l’impunité pour rester au pouvoir, au détriment du développement du pays. Depuis le règne du roi Léopold, les hauts fonctionnaires congolais et leurs associés ont créé sept piliers qui sous-tendent cette kléptocratie. »
Dans une certaine mesure, cette étude tombe à point nommé. Elle est menée au moment où «la kabilie» a eu recours à une clientèle composée de 300 congolais(es) pour décider du futur proche du pays, en marge des délais convenus par un texte considéré par une bonne partie de la population congolaise comme étant «la loi fondamentale». En lisant les sept piliers de la kléptocratie organisée par «la kabilie» depuis la guerre de l’AFDL, il ressort que ce choix est fait consciencieusement. Il est lié à la peur de tout perdre.
Le deuxième pilier est le suivant : « Rester au pouvoir ou prendre le risque de tout perdre. Si elles quittent le pouvoir, les élites et associées au régime courent le risque de perdre leurs biens mal acquis et l’immunité qui les place à l’abri de poursuites judiciaires. Les mouvements prodémocratiques sont dès lors réprimés, souvent par la violence, car ils représentent une menace pour le système corrompu. »
«Le dialogue» et «l’accord» qui en est issu se comprennent mieux à partir de ce pilier et d’un troisième qui soutient ceci : «S’assurer que les élites associées au régime aient peu, voire pas, de comptes à rendre. L’impunité est le ciment qui assure la cohésion du système. Les institutions judiciaires ciblent les opposants au régime ou les personnalités peu influentes, et non les auteurs de délits graves en matière de corruption ou de violations des droits de l’homme.»
Les piliers de la kleptocratie
Cette étude balaie d’un revers de la main l’argument de manque de moyens que «la kabilie» et sa clientèle ont souvent utilisé pour justifier le report des élections. Elle note ceci : « Au cours du mandat de Kabila, jusqu’à 4 milliards de dollars par an se sont volatilisés ou ont été volés du fait de manipulations des contrats miniers, des budgets et des actifs de l’État… »
Si je prends en compte le fait que Monsieur Joseph Kabila joue son rôle de mercenaire au Congo-Kinshasa depuis 2001 et que nous multiplions ses quinze ans de pouvoir usurpé par 4, nous obtenons une somme de 60 milliards de dollars dont l’immense majorité de Congolais(es) n’a pas pu profiter. Donc, de l’argent volé des caisses de «l’Etat raté» congolais.
Selon cette étude, ce vol, et la corruption qu’il entraîne, est entretenu, non seulement par les élites ou autres hauts fonctionnaires congolais. Ils ont des alliés. A ce propos, elle note ceci : « Ces régimes se sont alliés à des acteurs commerciaux pour dépouiller le peuple congolais de ressources naturelles précieuses qui lui revenaient de droit. Les partenaires internationaux de ces élites politiques en ont aussi largement profité, certains d’entre eux par le versement d’importants pots-de-vin.
Ainsi, dans un récent accord sur le plaidoyer du département de la Justice des États-Unis, le hedge fund américain Och-Ziff a affirmé que certains de ses partenaires commerciaux, parmi lesquels l’homme d’affaires israélien Dan Gertler, selon des sources proches du dossier, avaient versé plus de 100 millions de dollars de pots-de-vin à des fonctionnaires congolais en échange de l’obtention de concessions minières d’une valeur de plusieurs milliards de dollars à des prix très bas. »
Les pays voisins, le Rwanda et l’Ouganda, sont aussi nommément cités. Ils ont participé activement à la guerre ayant produit des millions des morts au Congo-Kinshasa et au pillage des ressources naturelles de ce pays.
En lisant calmement cette étude, il y a lieu de dire qu’elle est «un rapport» comme plusieurs autres l’ayant précédé. La nature kléptocrate du régime de Joseph Kabila (et de son prédécesseur) apparaît déjà dans les premiers rapports des experts de l’ONU. En 2002, le rapport Kassem traitait déjà du «réseau d’élite de prédation» auquel plusieurs membres actuels de «la kabilie» participait. En 2006, une étude intitulée «L’Etat contre le peuple»23 dénonçait les crimes économiques commis par ce «réseau» et ses clients. Les commissions Lutundulu et Bakandeja, en leur temps, ont fait le même travail documenté. Le rapport Mapping de 2010 a été beaucoup plus documenté que les autres. Il a réussi à enrichir la nature des crimes commis au Congo-Kinshasa de 1993 à 2003. Tout ça pour quel résultat ? Les crimes économiques, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre commis par les membres de ce «réseau d’élite et leurs alliés» sont restés impunis. Pourquoi ?
Avant de répondre à cette question, voyons ce que l’étude d’Enough Project propose. Pour ses initiateurs, «si les décideurs internationaux veulent réellement peser sur le cours des choses et aider les réformateurs congolais à amender le système, il est impératif qu’ils changent de regard. Ils doivent voir la situation actuelle au Congo comme la dernière itération d’un modèle de violence et de corruption établi de longue date, et réagir en conséquence. Les politiques menées doivent se focaliser sur la mise en place d’un cadre plus coercitif pour les principaux instigateurs de la violence et de la corruption, qui sapent la démocratie. Il est possible d’y parvenir en instaurant de nouveaux leviers grâce à des outils de pression financière normalement réservés à la lutte contre la prolifération nucléaire et le terrorisme. Il s’agit d’isoler certains dirigeants du système financier international et d’accroître le soutien apporté aux journalistes et aux organisations issues de la société civile congolaise afin de contraindre le gouvernement à rendre compte de ses actes.»
L’étude détaille cette proposition en mentionnant les USA, l’Union Européenne, le conseil de sécurité de l’ONU, la communauté de développement de l’Afrique australe, le FMI, etc. parmi les décideurs pouvant, en appliquant des sanctions, des pressions financières et d’autres méthodes coercitives, aider le Congo-Kinshasa à instaurer un Etat fonctionnel, capable de satisfaire aux besoins des citoyens. La CPI n’est pas en reste. «La Cour pénale internationale (CPI), les États-Unis, les nations d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Ouest, et les États européens devraient recourir à des instruments judiciaires afin de cibler les auteurs d’actes violents, d’engager des poursuites en cas de crimes liés à la corruption et de soutenir les stratégies visant les affaires de crimes d’atrocité, et plus particulièrement les biens volés par les responsables de crimes graves, afin d’imposer un véritable mécanisme de responsabilité.» Toutes ces recommandations sont trop belles pour être vraies et applicables.
Cette étude a l’avantage de revenir sur certains lieux communs tels que l’engagement pour la lutte contre l’impunité, l’appel à l’avènement d’un Etat responsable capable des redditions de compte, etc. Néanmoins, elle demeure une étude de l’histoire officielle conduisant à des recommandations trop belles pour être justement applicables et passant à côté des pans entiers de la mémoire collective congolaise. Je rappelle l’un des éléments de cette mémoire. En 1885, Berlin n’associe pas les Congolais(es) à la partition de l’Afrique et à la création de leur pays comme «réserve des matières premières des grandes puissances», comme «terra nullius».
Depuis cette année, plusieurs planificateurs du pillage du Congo-Kinshasa jouissent d’une grave impunité. Plusieurs de leurs sous-fifres aussi. Cela rend difficile la réforme en profondeur du système judiciaire congolais. Leur transnationalité exigerait une justice internationale impartiale. Or, il est de plus en plus établi que «les crimes organisés» au Congo-Kinshasa sont le fruit de «des guerres secrètes de la politique et de la justice internationales»24. Donc, cela rend la mise en place d’un système judiciaire congolais efficace très difficile.
La poursuite de la guerre par morceaux
Depuis 130 ans (et voire plus), rien ou presque rien ne se fait au Congo-Kinshasa sans que «les décideurs internationaux» ne soient de près ou de loin (dans l’ombre) impliqués. Ils sont les acteurs majeurs de la traite négrière, de la colonisation, de la néocolonisation et du mondialisme. Ils ont, au cours de l’histoire, associé (ou coopéré avec ?) des acteurs mineurs et/ou apparents comme «vassaux», «nègres de service» ou «élites compradores». La traite négrière, la colonisation, la néocolonisation et le mondialisme ont servi, comme idéologies de néantisation, d’indignité et d’entretien du racisme anti-noir, du capitaliste ensauvagé cher aux «décideurs internationaux».
Ce système fondé sur le mépris de l’humanité de l’autre, sur la cupidité et sur la volonté hégémonique occidentale doit sa vie et sa survie au vol, à la violence et à la corruption institutionnalisées. Dans cet ordre d’idées, appliquer les recommandations d’Enough Project aux élites, aux hauts fonctionnaires et aux autres criminels congolais impliquerait, de près ou de loin, la fin du mondialisme, la reconnaissance du Congo-Kinshasa comme pays souverain et la mise au banc des accusés des «petites mains» du «turbo-capitalisme» et la promotion d’un monde multipolaire. La dimension transnationale du vol, de la violence et de la corruption institutionnalisées au Congo-Kinshasa devrait être prise en compte par ces recommandations.
Depuis plus de 130 ans, de Léopold II à Paul Kagame, comme dirait Boniface Musavuli, il se commet des «crimes organisés», des «génocides» au cours des «guerres secrètes des grandes puissances en Afrique» ; lesquelles sont aussi «les guerres secrètes de la politique et de la justice internationale». Un procès juste mené contre «les vassaux», «les nègres de service» et «les élites compradores» au Congo-Kinshasa devrait, en principe, avoir des incidences chez ces puissances du Nord. Voilà pourquoi il n’aura jamais lieu tant que le Congo-Kinshasa sera encore entre les mains des proxys des «décideurs internationaux». Que pourrait poursuivre Enough Project en publiant son texte sur l’Etat criminel congolais ?
Cette ONG s’adonne à une lecture officielle de l’histoire du Congo-Kinshasa tout en restant dans le schéma de la soumission du marché congolais aux décideurs internationaux. Sur ce marché, certains journalistes et autres défenseurs des droits de l’homme pourraient, au nom de la démocratie, dénoncer le vol, la violence et la corruption institutionnalisées afin de permettre aux «décideurs internationaux» de faire, seuls, main basse sur les terres, les forêts, les eaux et les airs du Congo-Kinshasa.
Enough Project pourrait chercher la réalisation effective du «Congo Act de 2006» où «il est écrit que le gouvernement américain doit interven...