II.
Instruments et stratégies de l’offensive de CIMAF au Cameroun
Le comportement d’un acteur ne peut se concevoir en dehors du contexte d’où il tire sa rationalité. Le contexte est avant tout des relations qui, dans la perspective interactionniste sont des relations de pouvoir12. En effet, un acteur – CIMAF – à la recherche des biens – gains économiques –, se retrouve sur un terrain de chasse occupé par un autre acteur – les Cimenteries du Cameroun (CIMENCAM). Ils sont suivis par une vague d’autres acteurs comme Dangote Cement, Medcem Cameroun, Afko Cement Production Company, G Power Cement, Boem Steel Industry etc13. Dans cette configuration du « jeu », les joueurs ne jouent pas encore ensemble. Ils jouent séparément contre chacun d’entre eux. La concurrence s’accroit donc entre ces acteurs qui se gênent et s’opposent en tant que rivaux en compétition pour l’acquisition des biens recherchés (enjeux). Il s’agit ici, comme dans toute relation de quelque durée, d’un processus d’interpénétration et/ou d’interaction14. Les acteurs dépendent l’un de l’autre comme dans un jeu d’échecs. Ce « Sprint des cimentiers » amène CIMAF à déployer divers instruments et stratégies ayant tous une même finalité : intégrer le Cameroun dans son jeu.
La mise en place d’un dispositif offensif et défensif de conquête
« La guerre défensive n’exclut pas l’attaque, de même que la guerre offensive n’exclut pas la défense, quoique son but soit de forcer la frontière et d’envahir le pays ennemi »15. Il en va de même de la conquête d’un marché qui est, à la fois offensive et défensive. Cette combinaison de procédés d’attaque et de défense se retrouve dans les instruments mis en œuvre par CIMAF au Cameroun.
Les instruments offensifs
Les externalités positives
Les marchés extérieurs ne se gagnent pas par la seule dextérité des firmes multinationales. Certains facteurs exogènes, agissant suivant le mode des produits d’appel précèdent et facilitent le déploiement de leur artillerie à l’étranger. Ce constat est particulièrement bien identifié dans les proximités qui unissent le Maroc au Cameroun et sont exploitées comme autant d’adjuvants au renforcement des interdépendances économiques entre ces deux pays. Depuis son accession au trône, le roi Mohammed VI n’a cessé de réaffirmer l’identité africaine du Maroc et sa vocation naturelle à être présent dans son continent d’appartenance. Cette vocation naturelle qui permet de revendiquer une position privilégiée auprès du Cameroun s’appuie sur des proximités historique, culturelle et religieuse.
Proximité historique d’abord : elle est liée à l’absence de passé colonial. À la différence de l’Allemagne, la France et la Grande Bretagne, le Maroc n’a jamais été une puissance coloniale et/ou impériale en Afrique. Il dispose à cet effet d’un préjugé favorable de la part du Cameroun qui ne le perçoit pas comme une puissance prédatrice et agressive. Cette image positive facilite la structuration d’une relation de confiance dans laquelle les fiertés marocaine et camerounaise ne se sentent aucunement menacées, et, préserve les parties de tout complexe d’infériorité et/ou de supériorité dans leur relation d’échange.
Proximité religieuse et culturelle ensuite : des pays partageant des valeurs, des normes, développent une attirance naturelle et sont plus enclins à collaborer. Le Maroc et le Cameroun ont en commun des liens religieux – à travers l’islam – et culturels – à travers la langue française et l’appartenance à la francophonie – qui assurent des fonctions intégratrices et discriminantes (sentiment d’appartenir à une communauté, une famille élargie, de partager un destin commun).
Allant dans le même sens, les accords de coopération établis entre le Maroc et Le Cameroun préparent le terrain aux multinationales par la définition de règles du jeu favorables aux intérêts marocains. Ces régimes internationaux balisent le cadre juridique et réglementaire régissant les relations commerciales et économiques entre le Maroc et le Cameroun. Ils rendent plus prévisibles et donc plus stables les comportements et les intentions des acteurs. Ainsi, au terme des travaux de la deuxième session de la Commission mixte Cameroun – Maroc relative entre autres à l’examen des questions de coopération économique et commerciale, cinq accords de coopération ont été signé dans les domaines de la formation et de l'enseignement, des sports, du développement de l'artisanat, du commerce et des petites et moyennes entreprises (PME), etc. Ce rapprochement a été suivi par la ratification en décembre 2014 par le président Paul Biya d’une convention fiscale tendant à éviter la double imposition et à prévenir l'évasion fiscale entre les deux pays. Relevons in fine l’enclenchement et la poursuite des négociations relatives à la mise en place progressive d’une zone de libre-échange entre le Maroc et la CEMAC (Communauté Économique et Monétaire de l'Afrique Centrale).
Toutes ces ressources (proximités et accords de coopération) offrent aux opérateurs économiques marocains – publics et privés – un billet d’entrée dans l’économie camerounaise. Ceux-ci sont déjà présents dans des secteurs variés : mines et énergie, banque, assurance, BTP et immobilier etc. Parmi les exemples les plus visibles on peut pointer : Attijariwafa Bank, l’Office National de l’Eau et de l’Electricité (ONEE), la holding Saham, le Groupe Addoha etc.
D’un autre côté, le Cameroun est engagé dans un processus de structuration de la « compétitivité attractiviste »16 de son territoire. Définie par le Dictionnaire d’économie et de sciences sociales comme l’ « aptitude d’un territoire économique, national ou régional, à attirer et à retenir les activités économiques et les facteurs de production (capital et travail) de plus en plus mobile internationalement »17, l’attractivité territoriale est l’une des dimensions de l’affrontement généralisé des États. En marge de l’ancienne confrontation axée sur la vente de produits, les nations sont engagées dans une nouvelle bataille centrée sur la localisation géographique des entreprises et de leurs capitaux. Elles recherchent concurremment un même but : être le meilleur dans le marché de la localisation. Qui va attirer le plus grand nombre d’IDE (Investissements Directs Étrangers) ? Qui va avoir le privilège de comptabiliser le plus grand nombre d’implantation d’entreprises sur son territoire ? Qui va conserver sa base productive en amenuisant au maximum la menace de délocalisation ?
Dorénavant, le rôle de l’État est de rendre son territoire « réceptif » aux facteurs de production qu’il doit capter au détriment de ses concurrents. Il doit construire et entretenir son influence en vue de doper ses capacités d’action (pouvoir) dans l’arène de la production des biens et services. Car, l’impact et/ou la portée du soft power de la puissance économique d‘un territoire (compétitivité attractiviste)18 est largement tributaire de la position (rank) qu’il occupe dans la géographie de la localisation du stock d’IDE (centre ou périphérie). On comprend pourquoi les autorités dirigeantes du Cameroun sont entrées dans cette course mondiale à la « suprématie attractiviste » en développant des stratégies de « marketing territorial », dont la plus significative à ce jour est la conférence économique internationale de Yaoundé du 17 et 18 mai 2016 baptisée : « investir au Cameroun terre d’attractivités ». Grand évènement destiné à construire la marque-pays (comprendre comment le Cameroun est perçu et trouver comment influencer cette perception dans le sens recherché par les autorités dirigeantes)19, l’image-pays ( mise en vitrine l’attractivité du Cameroun) et le soft power du territoire Cameroun, cette offensive de charme était surtout une tribune offerte à la classe politique dirigeante pour (dé)montrer aux investisseurs (nationaux et internationaux) son adhésion à la « gouvernance compétitive »20.
Dans cette perspective, la conformation du « territoire Cameroun » aux attentes des marchés et des entreprises21 suit trois grands types de mesures identifiées par Gilles Ardinat22.
Tout d’abord, il y a la compétitivité-cout qui sert de prétexte à une politique économique avantageuse pour les entreprises (les réformes fiscales et l’adaptation du droit social sont au cœur de ce premier type). Afin de réduire les contraintes qui pèsent sur les investisseurs privés, l’État du Cameroun a opté pour une politique de compétitivité fiscale. Ainsi, la loi 2013/004 du 18 avril 2013 fixant les incitations à l’investissement privé en République du Cameroun accorde à l’investisseur des incitations d’ordres fiscales et douanières pendant les phases d’installation et d’exploitation. Ces incitations fiscales sont complétées par un coût du travail attractif (offre d’une base concurrentielle pour produire). Car, par rapport aux pays asiatiques, les pays d’Afrique disposent d’un avantage significatif en termes de niveau de rémunération de leur main d’œuvre23.
Ensuite, les pouvoirs publics s’efforcent d’apporter des services publics utiles au processus de production (les infrastructures et la formation sont les piliers de ce second type). Le Cameroun met à la disposition de l’entreprise un réseau infrastructurel en développement dans le domaine des télécommunications (réseau de fibre optique), du transport (routes, ports, aéroports, réseau ferroviaire) et de l’énergie (grands projets en cours de réalisation en vue de résorber le déficit énergétique). Aussi bien, il regorge des compétences humaines – main d’œuv...