Laquelle est la vraie ?
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Laquelle est la vraie ?

  1. 292 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Laquelle est la vraie ?

À propos de ce livre

A partir de différentes images d'un même visage féminin, l'auteur nous donne à la fois un recueil de méditations et de rêveries, une enquête sur le fonctionnement du langage, un manuel de photographie, un traité d'esthétique, et un petit roman policier de l'identité.Les Notes finales initient à l'intertextualité du discours, et les Clés répondent aux questions de stylistique, d'esthétique et d'anthropologie qu'on pourra ici se poser.

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Informations

Année
2018
Imprimer l'ISBN
9782322119943
ISBN de l'eBook
9782322088591
Édition
1
Sujet
Art

1.
À deux visages

Multiples, tous les êtres le sont pour nous. Mais moi-même je ne pense pas l’être. Aussi la plupart du temps je peux croire à l’unicité de mon regard et de mon discours, ce qui évidemment est faux. Des êtres je vois toujours plusieurs aspects, passant très vite de l’un à l’autre. Et des choses je pense toujours et me dis intérieurement plusieurs choses, se succédant très vite elles aussi.
Je viens d’écrire : « Multiples, tous les êtres le sont pour nous. Mais moi-même je ne le suis pas... ». Je viens de changer de pronom. Constamment, sans la plupart du temps m’en rendre compte, je change les perspectives ou les modes de mon discours, quand bien même je n’y ferais pas attention. Voyez encore ce que je viens d’écrire à l’instant : « Je change les perspectives ou les modes de mon discours, quand bien même je n’y ferais pas attention... » Spontanément je suis passé du présent de l’indicatif au conditionnel.
Ces altérations plus ou moins légères, dans le discours, s’appellent des énallages. On change les pronoms, les temps, les modes, etc. – toutes les modalités ou les perspectives de l’énonciation, qui sont aussi toutes les visions intérieures de celui qui parle.
La conscience en effet est mobile, non unifiée. Le discours parlé est plein d’énallages, et le discours écrit aussi, quand il est vivant et non ordonné ou hiérarchisé par la logique. À cela servent ce qu’on appelle les transgressions ou les écarts du style : à retrouver la vie, l’état vivant du langage. Ce qu’on appelle style n’est pas fleurs ou enjolivements, ornements, surajoutés ou superposés à la pensée postérieurement à son déploiement, mais retours à la vie même, immédiatement sentie, à son surgissement, par-delà l’unification logique. La logique elle-même n’est qu’un massacre d’expressions.
Pourquoi n’en serait-il pas de même dans tous nos regards, toutes nos visions ? Ma photo mêle deux visions distinctes du même visage. Mais à quoi bon ne retenir ou ne figurer d’un être qu’une seule de ses images, vue d’une seule façon ? Ce n’est pas comme cela en effet que nous fonctionnons au fond de nous-mêmes. Le souvenir d’un être (non pas intellectuel et contraint, volontaire, mais affectif et rêveur, surpris soudain et comme envahi à l’improviste), est flou, non pas net. Il mêle des visions, ne s’arrête à aucune précisément. Éparpillée, la conscience suit ses impressions bien plus qu’elle ne les domine. Tout s’échange, s’interpénètre. Rien n’est discriminé, situé à part, distingué clairement et séparé du reste. Le résultat est synthétique et totalisant, et non pas fixé et séparant, analytique et discriminant – comme dans cette photo, qui synthétise deux images ordinairement séparées...
Pareillement dans mon langage. J’échange très souvent les réalités quand je parle. Me souvenant d’un être, je peux dire de ce souvenir lui-même, comme je viens de le faire, qu’il est « surpris soudain et comme envahi à l’improviste... ». Mais c’est ce souvenir qui en vérité, logiquement, m’envahit et me surprend : il n’est pas lui-même envahi et surpris. Spontanément et sans m’en rendre compte je fais une hypallage ou inversion perceptive, un échange de repères. Comme l’énallage, l’hypallage est échange (allagè, en grec) au bénéfice de la vie immédiate. Peut-être est-ce une absurdité rationnelle. Mais qu’est-ce qui est le plus important : moi-même, qui prétends active-ment et librement me souvenir, ou l’invasion soudaine en moi du Souvenir, occupant et occupé à la fois ?
Il est sûrement absurde, en les décrétant irrationnelles, de corriger ces inversions. Qui le ferait ou voudrait le faire serait cancérisé par la logique. Beaucoup d’êtres (et aussi de manuels et de professeurs de littérature !), sont dans ce cas. Sont-ils vivants ? Dans ces opérations de correction (on veut corriger pour rendre correct), l’holisme initial (la fusion de celui qui perçoit et de ce qui est perçu), et en général toute poésie, seraient irrémédiablement perdus.
Diabolique est la distinction, la séparation (Diable, Diabolos : celui qui sépare). Diaboli-ques, la fixation, l’analyse, l’assignation à chaque réalité d’une place immuable et déterminée. Chi-mérique, l’unification du moi. Mais vivantes, la synthèse et l’unité globale, l’union mêlée des impressions, des sensations et des visions.
Quand je suis rêveur, c’est-à-dire en marge, non ordonné à la rationalité, à l’unification, au masque aussi et à la persona, au fonctionnement social, qui condamne l’éparpillement au nom de la concentration utilitaire, quand mon comportement se définalise au profit de l’évasion intérieure (la phantasia, l’imaginaire), me voici assiégé par des fantômes, vagabonds, errants. Savoir si je vis pour moi revient à savoir qui je hante.*1 Et qui me hante, qui vit en moi. Citadelle détrônée...
Habitant de mes pensées, elles sont des catins que je suis, et non un objet précis que je fixe.* Je les suis, même, au double sens des deux verbes homonymes. Alors moi-même je suis, nous-mêmes ne sommes pas fixés, immobiles, mais rendus à une ambulation intérieure. Tout bouge et vit.
Il est évident que pour percevoir une telle photo, qui mélange deux photos prises à des distances différentes, une à distance moyenne, l’autre beaucoup plus rapprochée, je dois intérieurement, mentalement, me déplacer. Cette photo est bien plus vivante que la vue unique, parce que je dois bouger à chaque fois à l’intérieur de moi-même pour la voir. Dans la vue unique, je suis immobile, ligoté. Fixe et fixé, mon regard est paralysé. Multiple, il est libre. Meurt ici le spectateur unique et comme ligoté de l’image, celui de la Renaissance Italienne par exemple. Le regard y est intrusif et voyeur, prédateur aussi et violeur : fixé sur sa proie par la perspective attentive (perspicere), découvrant indiscrètement une scène à laquelle il n’a pas été invité. Mais ici divers êtres en moi regardent, en divers lieux ou de divers lieux. Je n’inspecte pas, j’erre à l’aventure, toujours surpris par de nouveaux objets.
Et comme il y a plusieurs spectateurs en moi, mon discours intérieur varie. Je peux si je veux me parler à moi-même différemment. Je regarde, tu vois, il considère, etc. À chaque fois je ne suis pas le même, mon moi se démultiplie.*
Et aussi, le visage que je vois, n’étant pas à distance égale, je lui parle différemment. Assez lointain de moi, en français au moins, je peux lui dire vous. Mais plus proche, je lui dis tu. Un être que pour la première fois je tutoie, quel changement, et combien émouvant ! Quel dommage de se priver de ce magique instant, en tutoyant comme aujourd’hui tout le monde d’emblée... Que nos cœurs sont rudimentaires ! On ne sait pas ce dont on se prive, en supprimant ce passage décisif, en bradant ou ignorant superbement les possibilités de la langue. L’obligation de proximité annule les possibilités de changement. Fascisme du langage à la mode. Systématique et imposée, l’intimité n’a plus de valeur. L’être se perd alors, se rétrécit, se mutile. Nous devenons unidimensionnels.
Quand on voit quelqu’un pour la première fois, on ne le voit jamais de près, mais de loin. Visage lointain. Vous. L’amour peut naître (et peut-être aussi grâce à cette distance, celle de la plupart des portraits). Puis ce même visage, on le voit, aussi pour la première fois, de près. Il y a ainsi une magie irremplaçable du premier baiser. On la perd en s’embrassant à tout bout de champ, comme aujourd’hui. Mais dans le premier baiser on voit de limpides yeux démesurément agrandis, proches des nôtres. Deuxième image de la photo, deuxième négatif en sandwich sous l’agrandisseur, deuxième élément surimprimé. Tu.
Tu, toi, celle que j’aime. Celle à qui j’ai commencé par dire vous. Tu t’es rapprochée – mais comme vous étiez loin, comme j’ai pu rêver de vous... Maintenant tout cela se mêle, l’émotion ne peut plus distinguer entre les visions. Les instants de l’amour ne sont pas ceux de l’observation froide et mesurante, ils mêlent proche et lointain, les parties du corps se superposent, dans l’égare-ment, dans l’ivresse. Émotionnellement, le mélange des visions est plus juste, rend plus compte du chavirement de tels moments. Jamais on n’y est lucide. L’espace de l’émotion est fragmenté, juxtaposé, ou totalisant, mais jamais unifié.
Mais aussi, comme il était beau ce passage du vous au tu, où un nous s’est construit ! Le tu seul pourra s’enliser dans l’habitude, la routine. Nostalgie alors du vous, qui était promesse.* Le vous initial est la restauration authentique, archétypale de l’amour dans la vie quotidienne. Il faut pouvoir y revenir – et pour cela évidemment l’avoir quitté – pour restaurer l’essence, menacée par le refroidissement et l’entropie, la chute inhérente à tout accomplissement, meurtrier de la promesse.
La rhétorique de l’énallage est comparable au cubisme de la figuration plastique. Mais au fond cela ne fait que masquer, pesamment et pédantesquement comme toujours, un secret de la vie. La psyché est double, à deux faces, comme Janus (bifrons). Ces deux visages (et laquelle est la vraie ?), je leur parle différemment, et ils me parlent différemment. L’un dit : « Je t’aime », et l’autre : « Je vous crois ».*

1 L’astérisque (*) indique la présence d’une citation ou d’une allusion, le texte renvoyant alors à d’autres textes (intertextualité). La référence se trouve dans la partie Notes, à la fin du livre.

2.
Ailleurs

Rêver est être absent. Occupé ailleurs. Ne plus être là. Être là et ailleurs en même temps. L’âme absente occupée aux enfers...* Ce visage est ailleurs, comme moi-même le regardant je suis ailleurs, au pays de mes rêves. Visage prétexte, objet de mes projections, nourriture de mes fantasmes. Femme alibi (alibi : ailleurs).
Pourquoi est-elle ailleurs ? Parce qu’elle regarde ailleurs.
Une figure peut être présentée frontalement, me fixant et me sondant, m’hypnotisant ou s’em-parant de mon regard, figure présente comme maintes figures sacrées, me renvoyant à moi-même et au secret centre de mon cœur, regard fixe de serpent sur sa proie. C’est le regard des icônes, comme aussi des photos d’identité...
Au contraire comme ici la figure peut être présentée de biais, ou de 2/3 face, ou de 3/4 face, semi-profil, etc. Elle ne me regarde pas...

Table des matières

  1. Sommaire
  2. Avant-propos
  3. Laquelle est la vraie ?
  4. 1. À deux visages
  5. 2. Ailleurs
  6. 3. Ici
  7. 4. Sous le plancher
  8. 5. Sans regard
  9. 6. Vues
  10. 7. Deux vies
  11. 8. Maya
  12. 9. Abîmes
  13. 10. Ce qui se perd dans l’ombre
  14. 11. À l’œil nu
  15. 12. Main mise
  16. 13. Dans les nuages
  17. 14. Les Feux de la rampe
  18. 15. Dans l’attente du jour
  19. 16. Lumière de la nuit
  20. 17. Étouffée sous les fleurs
  21. 18. Pourquoi si lointaine ?
  22. 19. Infinis fugitifs
  23. 20. Cinémas
  24. 21. Larmes
  25. 22. Faux jour
  26. 23. Décalages
  27. 24. Suppositions
  28. 25. Rideau
  29. Notes
  30. Clés
  31. Index
  32. Pour approfondir...
  33. Page de copyright