ANNEXES
Mieux dépenser
pour la santé de tous ?
Semaines sociales de France
Octobre 2013
Introduction
A la demande du Conseil des Semaines Sociales de France (SSF), un groupe pluridisciplinaire de travail a été constitué à l’occasion des débats autour de la révision des Lois de Bioéthique. En s’interrogeant sur l’anonymat des donneurs de gamètes, il a montré que cette question avait de multiples arrières plans, industriels et financiers. Le groupe, agrandi en 2009, a alors décidé de concentrer sa réflexion sur les questions concernant les aspects économiques de la santé.
Ce document rassemble et prolonge le travail fourni par ce groupe sur l’usage d’un bien commun : le système de santé français et certains aspects de son fonctionnement. Quelques pistes sont offertes au débat pour dépenser mieux, voire moins, sans mettre pour autant en péril le bénéfice collectif des améliorations de l’état de santé constatées ces dernières années en France. Ces pistes ont en commun d’appeler à une solidarité responsable dans l’usage d’un bien commun :
– en intégrant, dans une vision élargie du système de santé, les secteurs sanitaire, médico-social et social, à l’exemple d’autres pays occidentaux ;
– en privilégiant des actions collectives propres à préserver la santé des individus, selon une culture de promotion de la santé ;
– en observant aussi les fondements individuels de l’usage du système de santé pour en proposer certaines évolutions.
Ces propositions ont pour objectif de favoriser le renouvellement de la politique de santé nationale, et d’inviter à une refondation des principes éthiques sous-tendant cette politique.
Ce volet « mieux dépenser », est indissociable de la réflexion poursuivie par ailleurs, et non mentionnée ici, sur les « recettes » et sur une éventuelle augmentation de la part de la richesse nationale consacrée au système de santé, avec le souci de préserver l’équilibre économique et celui des charges portées par les différentes générations.
Lutter contre les maladies, améliorer notre état de santé, dans le cadre de soins accessibles à tous et financés essentiellement par la Sécurité sociale : nos concitoyens y sont particulièrement attachés. 83% des personnes interrogées dans un récent sondage71 estiment que les remboursements de l’Assurance Maladie ne doivent pas être réduits, les mesures éventuelles d’économie devant être faites ailleurs (minimas sociaux, allocations familiales ou pour le logement, assurance chômage …). Cependant dans cette enquête, 97% des mêmes personnes estiment qu’il faut réduire les dépenses publiques pour équilibrer le budget de l’Etat (mesure éventuellement associée à une hausse des impôts pour 23%). Tenir en un seul programme les deux positions relève à première vue de l’impossible.
Pourtant certains constats devraient interpeller le secteur de la santé et chacun de ses acteurs, même si l’accroissement des dépenses de santé est partagé par tous les pays développés, du fait notamment de l’allongement de la durée de vie, des soins liés aux maladies chroniques et des évolutions technologiques.
– Les dépenses sont supérieures aux ressources : Depuis plusieurs années, l’objectif national d’augmentation des dépenses de l’Assurance Maladie (ONDAM), voté par le Parlement, a été régulièrement supérieur à l’augmentation du PIB. De plus, ce n’est qu’au cours des trois dernières années que cet objectif a été respecté.
– 11% du PIB est consacré aux « dépenses courantes de santé » (contre 5% en 1970) : ce taux est le troisième après les USA (15%) et la Suisse, la moyenne des pays de l’OCDE étant de 9%, lequel est identique ou proche de ceux mesurés dans des pays à espérance de vie quasiment identique à celle constatée en France (Espagne, Italie : moins de 9%, Norvège, Suède, Pays Bas 9 à 9,5%)72.
Malgré le montant des dépenses de notre système, fondé sur la solidarité nationale et sur son caractère largement redistributif, d’importantes inégalités sociales et territoriales de santé demeurent :
- La différence d’espérance de vie à 35 ans, chez les hommes, entre un ouvrier et un cadre demeure de 7 ans, sans changement depuis 40 ans. Cet écart s’explique davantage par des différences concernant l’environnement, le logement, l’éducation, les conditions de vie et de travail plutôt que par l’accès aux soins. Les écarts régionaux des taux standardisés de mortalité prématurée, avant 65 ans, varient de -15 % (Rhône Alpes) à +38 % (Nord)73. Alors que la CMU leur permet normalement l’accès gratuit aux soins, le taux de mortalité des personnes en bénéficiant est le double du reste de la population à âge et sexe comparables, avec une prévalence accrue de pratiquement toutes les pathologies74.
- Il y a un « amont social» à l’accès aux soins : si le renoncement à certains soins (soins dentaires, lunettes, consultations…) touche particulièrement les personnes les moins riches (près de 25% pour le premier quintile de revenu)75, il est aussi fonction d’autres facteurs notamment socio culturels, qui peuvent entraîner jusqu’à 50 % de renoncement dans certaines populations amenées à hiérarchiser les priorités en fonction des ressources disponibles. La réalité d’un projet collectif, porté par l’Assurance Maladie, d’égal accès aux soins est donc interpellée.
Ces variables socio-économiques et socio-culturelles sont à l’origine des inégalités sociales de santé. Dès lors, ne conviendrait-il pas d’élargir le champ traditionnel de la santé, au-delà du cadre des maladies et de leur traitement, alors que les cloisonnements actuels entre secteurs sanitaire et social retentissent sur l’accès aux soins comme sur leur cohérence, notamment pour les personnes les plus démunies. Il est paradoxal que la solidarité nationale conduise à une telle situation et c’est dans une torpeur collective que se développe cette dégradation de la solidarité.
Mais d’autres composants du système de santé doivent être revisités pour disposer d’un système de santé non seulement plus efficace mais aussi plus efficient : la place accordée au patient dans un parcours de santé, les cloisonnements rencontrés dans un parcours de soins ayant trop souvent perdu sa cohérence, les qualités, répartition et rémunération des professionnels de santé en fonction de besoins variant d’un territoire à l’autre, la déconcentration des institutions nationales de régulation et de financement…. Face à des dysfonctionnements remettant en cause la solidarité, induisant des charges retentissant sur l’ensemble de l’économie nationale, ce sont les responsabilités tant individuelles que collectives et politiques qui sont engagées.
Les propositions qui suivent sont fondées sur des principes actualisés de solidarité et s’efforçant d’être générateurs de cohérence. Elles sont faites pour susciter les débats, ou contribuer à ceux annoncés, débats nécessaires avant des choix indispensables pour conserver la place du système de santé parmi nos facteurs de lien social. Que sommes-nous prêts à payer, et pour quoi ?
1- Comment dépense-t-on ? Quelques bizarreries du système de santé
1.1 Les inégalités géographiques de répartition des professionnels de santé
Médias, élus ou assemblée parlementaire76 mettent régulièrement l’éclairage sur les « déserts médicaux », sans craindre d’être mis devant leurs contradictions77, alors que les professionnels de santé n’ont jamais été aussi nombreux, quel que soit leur métier. Cependant leur répartition territoriale est très inégale, particulièrement pour les médecins. Si la moyenne nationale de médecins généralistes libéraux est de 108 pour 100 000 habitants, cette densité peut varier entre régions mais surtout entre territoires d’une même région, de un à trois pour les généralistes et de un à 2,5 pour les spécialistes, voire davantage selon les spécialités. Ceci a notamment pour conséquences :
– Le renoncement à la consultation : la difficulté géographique d’accès est invoquée dans 15 % des renoncements de consultation auprès d’un généraliste et deux fois plus souvent (28 %) dans le cas des spécialistes78. A cela s’ajoutent les difficultés d’obtention de rendez-vous (en cause une fois sur trois dans les consultations auprès de généralistes et plus d’une fois sur deux pour celles auprès de spécialistes).
– Le recours inapproprié à l’hôpital public et à son service d’urgence d’autant plus recherché qu’est réalisé là un « service complet » (examens complémentaires, petits soins éventuels, service social…) et ce en tiers payant intégral. Or une telle consultation en « Urgences Hospitalières » sera payée, forfaitairement par l’Assurance Maladie, 250 euros, largement plus qu’en secteur libéral. On pourrait craindre que cette recette tempère la volonté de réguler les recours non adaptés aux urgences, malgré la désorganisation provoquée.
– Un état de burn-out pour certains professionnels, exerçant en zone de très faible densité médicale, à l’origine d’une spirale délétère qui fait fuir les éventuels candidats à une installation.
– Les variations entre territoires de la fréquence de certains actes médicaux ou paramédicaux constatées par l’Assurance Maladie (césariennes, actes de kinésithérapie et durée de la rééducation, injections sous cutanées par des IDE versus auto injection, transports sanitaires…), doivent ainsi être examinées avec l’éclairage des effets possibles des inégalités de densité des professionnels de santé. Cela a été notamment illustré récemment par une étude de l’IRDES, sur la disparité interdépartementale de fréquence et la durée des arrêts maladie79, montrant que celle-ci était d’autant plus longue que la densité médicale était élevée, et le contrôle des arrêts par la Sécurité Sociale moins fréquents
– Pour les établissements de santé, installés en zone déficitaire, assurer les recrutements des personnels « rares » est difficile, à moins d’apporter des compléments divers de rémunération, en dehors de toute réglementation, notamment via des primes et tableaux de garde dont la justification sanitaire n’existe pas. Le fonctionnement de nombre d’hôpitaux généraux ne peut être assuré que par le recours à certains médecins spécialistes « mercenaires » itinérants ou à des médecins d’origine étrangère, dont les qualifications sont bien souvent moins adaptées que celles de leurs confrères formés en France, en situation administrative précaire et sous-payés. Plus largement, on relève une déconnexion entre les besoins sanitaires constatés sur le terrain et l’offre de soins. Un exemple, faisant aussi douter de la volonté politique de réguler, en a été apporté par la Cour des Comptes à propos des équipements et des actes d’imagerie soumis à autorisation80.
Ces situations géographiques contrastées contribuent au blocage de négociations nationales avec les organisations professionnelles, quand elles doivent aboutir à des mesures uniformes. Ainsi, les évolutions souhaitées dans certaines régions, particulièrement celles où la densité médicale est insuffisante, comme les délégations contractuelles de tâches entre professionnels de qualification différente, sont refusées dans des zones de surdensité.
1-2 La complexité du parcours de santé
1-2-1 Santé publique, éducation à la santé, prévention
Si la France s’est dotée en 1920 d’un Ministère de la Santé publique et a voulu, alors, créer une médecine de Santé publique, il a fallu attendre 2004 pour voir arriver la deuxième loi de Santé publique.
La prévention est en France le parent pauvre de la santé81 alors qu’on observe, dans nombre de pays de l’OCDE, particulièrement les pays scandinaves82, un rapport entre l’importance de l’effort pour la prévention et la « modération » du taux de PIB des dépenses santé. Elle est encadrée dans notre pays par un dispositif complexe, lequel, avec le manque de culture de santé publique, la faiblesse de la volonté politique la rend peu lisible et limite son efficacité.
La prévention, à base de prescriptions ...