Catholicisme
L’extase sanctifiée
Introduction
L’Eglise catholique reconnaît l’extase ; elle en donne la définition suivante : « Du latin exstare : se tenir hors de soi. Etat où l’esprit est plongé dans des visions extraordinaires sous l’influence de la présence de Dieu. L’extase est reçue comme une communication sensible avec Dieu. Très différente des accidents pathologiques, elle peut être accompagnée d’autres phénomènes physiques comme la lévitation ou les stigmates. » 23
Au rejet scientiste de l’extase, l’Eglise répond par une volonté de réconciliation entre la foi et la raison illustrée par l’encyclique Fides et ratio, publiée le 14 septembre 1998, par le pape Jean-Paul II. Cette encyclique met l'accent sur l'importance des philosophies présentant une ouverture métaphysique pour assurer une fonction de médiation dans l'intelligence de la « révélation » « La foi et la raison sont comme deux ailes qui permettent à l'esprit humain de s'élever vers la contemplation de la vérité. » Le Pape y affirme la pertinence de la contemplation : « Je désire seulement déclarer que la réalité et la vérité transcendent le factuel et l'empirique, et je souhaite affirmer la capacité que possède l'homme de connaître cette dimension transcendante et métaphysique d'une manière véridique et certaine, même si elle est imparfaite et analogique. » 24
L’extase, l’union divine, atteinte par d’extraordinaires macérations des Pères d’Egypte, les mystiques de l’Eglise catholique l’ont atteinte par l’oraison et la contemplation. De l’immense littérature spirituelle, nous tenterons de tracer quelques lignes de lecture en nous attachant à deux icônes du mysticisme catholique : Thérèse d’Avila et Jean de la Croix.
Comme l’écrivent les mystiques, la capacité d’union extatique est, certes le résultat d’oraison et/ou de contemplation mais elle n’est pas donnée à tous. En cela, elle est un don, un charisme particulier. « La contemplation est un don de Dieu. » reconnaît ainsi Sainte Thérèse d’Avila. 25
Le mysticisme chrétien orthodoxe et protestant sont présentés dans des entrées spécifiques.
Bibliographie générale
Deux ouvrages récents, très érudits, outre leur riche contenu présentent une large bibliographie d’auteurs anciens et modernes :
- Sous la direction de Patrick Sbalchiero - Dictionnaire des miracles et de l'extraordinaire chrétiens – Ed. Fayard 2002
- Michel de Certeau- La fable mystique de– Ed. Gallimard t 1 1982 -t 2 2013 (établi et présenté par Luce Giard)
Expression de l’extase
La littérature extatique catholique est prolixe. Les mystiques sont sur actifs – pensons à l’extraordinaire activité missionnaire de création et d’administration de couvents par sainte Thérèse d’Avila avec l’aide de Jean de la Croix – mais également graphomanes – les œuvres complètes de sainte Thérèse d’Avila représentent plus de 3700 pages. Les mystiques racontent leurs unions divines, non pour eux mais à des fins d’édification, de prosélytisme. Si chaque expérience extatique est unique, individuelle, personnelle, on peut dégager néanmoins des thématiques communes dans son expression, dans ses symptômes et ses stigmates, dans les exercices spirituels propices à son atteinte ainsi que dans les sentiments ressentis au sortir de l’extase.
Indicibilité
Il est une contradiction logique à vouloir exprimer l’ineffable. L’expression même du nom de Dieu dans l’Ancien testament est révérencieuse, craintive, souvent contournée. Le nom de Yahvé est l’indicible ; il est interdit de prononcer le tétragramme YHWH ; « Tu n’invoqueras pas le Nom de YHWH ton Dieu en vain » (Exode 20 :7) d’où sa désignation allusive par Adonaï ou Elohim. La traduction œcuménique de la Bible traduit le tétragramme sacré par « le Seigneur ».
Saint Jean de Patmos parle d’une pierre blanche qui sera donnée à celui qui vaincra, et « sur cette pierre est écrit un nom que personne ne connaît si ce n'est celui qui le reçoit. » (Apocalypse., 11, 17)
Le mystique rompt avec cette interdiction, ce tabou, cette extrême révérence avec le nom de Dieu. La fable mystique, selon l’expression de Michel de Certeau, est prolixe, passionnée, poétique, parfois amphigourique. Il s’adresse directement à Dieu, sans pudeur, dans un dialogue singulier, Dieu s’adresse à lui. Cette audace, cette proximité, cette désintermédiation du rapport entre l’homme et Dieu suscite un sentiment mêlé de l’Eglise. L’Eglise se méfie de ses mystiques, elle tente parfois de les faire taire, elle les revendique aussi à des fins prosélytes, souvent post mortem. La sanctification de certains mystiques vient ainsi effacer la négligence voire l’hostilité d’une Eglise soucieuse de garder son emprise sur les âmes par l’intermédiation obligée du prêtre.
Sainte Angèle de Foligno déclare l’extase indicible bien qu’elle en ait donné force description : « Chaque extase est une extase nouvelle et toutes les extases sont une seule chose inénarrable. Les révélations et les visions se succèdent sans se ressembler. Délectation., plaisir, joie, tout se succède sans se ressembler. Oh ! Ne me faites pas parler, je ne parle pas, je blasphème et, si j'ouvre la bouche au lieu de manifester Dieu, je vais le trahir » 26
L’extase, union divine
Jean de la Croix décrit « l’union de l’âme avec Dieu par amour » comme un mariage spirituel (mystique) entre l’âme (L’Epouse) et l’Epoux (le Christ, fils de Dieu), mariage obtenu après un cheminement qu’il explique dans La montée du Carmel et dont il exprime l’ineffabilité de manière poétique dans La vive flamme et le Cantique spirituel. L’âme détachée des attachements terrestres s’est purifiée et libérée. « Mon âme s’emploie tout entière, /Avec mon fonds, à son service / Je ne garde plus de troupeau / Je n’ai plus aucun autre office / Car l’amour désormais est mon seul exercice. » (Cantique A § XX) « L’âme s’est donnée à l’Époux tout entière et sans rien se réserver. ... Désormais son corps, son âme, ses puissances, toutes ses facultés ne s’occupent plus que de ce qui regarde le service de son Époux ; » « L’Époux, Fils de Dieu, met l’âme épouse en possession de la paix et de la tranquillité parfaite, en harmonisant sa partie inférieure et sa partie supérieure. Il purifie cette âme de toutes ses imperfections, il met l’ordre dans ses puissances et dans ses facultés naturelles, il apaise tous ses appétits. » (Commentaire du § du cantique par Jean de la Croix) 27,28
Préparation et soudaineté de l’extase
L’extase, si elle frappe parfois à l’improviste, est le plus souvent le résultat d’exercices spirituels, l’atteinte d’une longue quête. L’extrême piété des mystiques, l’ascèse, la macération même, précède, prépare, provoque l’extase.
Impromptu extatique
Il est des exemples d’union soudaines avec Dieu qui se révèles sans avoir été anticipée ; inattendues, elles frappent à l’improviste, provoquent la conversion, permettent d’échapper à la déréliction, d’atteindre à l’extase. Nous en donnerons quatre illustrations : un Apôtre, une sainte mystique, une simple croyante et une philosophe moderne.
Paul, lui qui avait persécuté les chrétiens se convertit suite à une illumination : « Comme il était en route et approchait de Damas, une lumière venant du ciel l'enveloppa soudain de sa clarté. Il tomba par terre, et il entendit une voix qui lui disait : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter ? ». Il répondit : « Qui es-tu, Seigneur ? — Je suis Jésus, celui que tu persécutes (Actes des Apôtres - 9).
La foi de Sainte Thérèse dAvila après son entrée au couvent fléchit au point de lui faire abandonner la prière (1541) mais la vision d’une image du Christ raffermit sa foi ébranlée : « C’était une représentation si vive de ce que Notre-Seigneur en...