II - Portraits de Francs-Maçons engagés dans la Résistance : quelques aspects de leur action au sein des mouvements et réseaux dans le Midi toulousain.
En réponse aux sinistres listes publiées par le Journal Officiel pendant les années noires de l’Occupation, la deuxième partie de cet ouvrage va s’intéresser à des biographies de Francs-Maçons engagés dans la Résistance en Midi-Pyrénées. Bien entendu, ce travail ne prétend pas à l’exhaustivité, et nous souhaitons que d’autres recherches le complètent dans les prochaines années. Précisons encore que nous avons essentiellement travaillé à partir de sources imprimées, et que nous avons également recueilli de nouveaux témoignages, enregistrés en vidéo sur DVD dans le cadre des activités du Groupe F ∴M∴RESIST. Tous les francs-maçons n’ont pas résisté, tant s’en faut, ne serait-ce que parce qu’ils ont d’emblée été persécutés par le régime de Vichy ; mais leur participation aux principaux courants de la Résistance est indéniable, ils ont payé un lourd tribut, leurs motivations et actions sont tout à fait respectables et méritent ce travail de mémoire : rappelons qu’il y avait 28 800 francs-Maçons au Grand Orient de France en 1939, et 8 000 en 1945 ; 451 loges en 1939, 207 au Convent de 1945.
Loges du Grand Orient de France
La Française des Arts, Orient de Toulouse
Historique de Libérer et Fédérer, un mouvement de résistance d’inspiration maçonnique.
Avant d’aborder stricto sensu les biographies de Frères de la Respectable Loge La Française des Arts engagées dans la Résistance, nous évoquerons le contexte de l’époque par un historique du mouvement Libérer et Fédérer.
De 1920 à 1945, la Franc-Maçonnerie subit en Europe l’épreuve la plus terrible de son histoire, du fait des totalitarismes qui fleurissent de l’Union soviétique à l’Espagne franquiste. Elle est incapable de s’organiser face à ce fléau instrumentalisé par le clergé et les mouvements nationalistes. En l’occurrence, de la crise de 1929 à l’avènement du Front Populaire, l’anticommunisme, l’anti-maçonnisme et la judéophobie sont progressivement mis en exergue de la façon la plus abjecte par des militants de l’Action Française et divers groupes extrémistes français, ce glissement pouvant être observé à l’échelle européenne.
La situation internationale très tendue, se concrétise à partir de 1924-1925 par une arrivée massive d’exilés italiens, en particulier dans le Sud-Ouest de la France et plus précisément dans le Midi toulousain. Parmi ces militants, un certain nombre d’antifascistes notoires sont traqués par la police secrète de Mussolini, l’OVRA, dont les Frères Silvio Trentin et Francesco Nitti (Loge "Italia Nuova" de la Grande Loge de France). Beaucoup avaient combattu en Espagne dans les Brigades Internationales et furent à l’origine d’un grand nombre de réseaux et mouvements de résistance dans la région R4, renforcés par des réfugiés espagnols arrivés en 1939, lors de la « Retirada », et qui seront les fleurons de la Résistance française d’inspiration internationaliste et humaniste.
Longtemps, l’image de la Résistance a été représentée par les légendaires Communistes et Gaullistes, occultant une diversité résistante beaucoup plus large et multiforme. Aucune organisation, aucune structure politique n’a appelé à résister en 1940. La Résistance ne fut le fait que d’individus qui ont trouvé, sur la voie du refus, la force de dire « Non », rompre avec le plus grand nombre des attentistes et remettre en cause les valeurs dominantes d’une société sous la coupe du régime autoritaire du Maréchal Pétain : la Révolution Nationale. Les militants des mouvements de résistance faisaient de la politique mais leur engagement était inspiré par d’autres valeurs. Au-delà de la défense des libertés, ils voulaient faire de la politique autrement, casser le régime des partis et renouveler les élites. Pour ce qui sera par la suite le réseau « Libérer et Fédérer », ils préconisaient un socialisme fondé sur le respect de la liberté individuelle et de la personne humaine en passant par une révolution sans guerre civile, excluant les hommes et les anciens partis ayant marqué la vie de la Troisième République.
Il est bien évident que les Frères résistants ne sont pas que Francs-Maçons, ils sont également patriotes, anciens responsables politiques, syndicalistes, juifs, chrétiens, mais dans la plupart des cas la motivation maçonnique, par ce qu’elle représente comme force spirituelle, est prépondérante. Selon les statistiques, il y eut environ de 1 à 1,5 % de Français qui auraient été impliqués dans la Résistance. Dans la Franc-Maçonnerie, où ils furent proportionnellement mieux représentés, il y en eut 6 % à 7 %. Le Frère Jean Cassou de la Loge " Le Portique ", de la Grande Loge de France, dans La mémoire courte, déclare « Que fut la Résistance à son origine, c’est-à-dire un moment ou une chose marque sa nature, commence d’être, sinon un refus absurde ? Absurde comme tous les actes dont se rient et les faits et les sages qui reconnaissent les faits. » Et Michel Raynaud, dans sa préface de Les Espagnols Républicains dans le camp de Mauthausen : « Un peuple de combattants qui refusent comme une réaction innée la domination de l’homme par l’homme, la servitude, le fascisme et la violence de toute dictature. » Des principes qui font l’idéal de la Franc-Maçonnerie.
Si quelques groupes de Français, en dehors de ceux qui prirent part aux combats dans les Brigades Internationales, s’étaient efforcés d’apporter une aide aux Républicains en dépit de la politique officielle de non-intervention, cette aide lorsqu’elle eut lieu était bien infime, dérisoire, au regard de celle qui fût accordée à Franco par l’Italie fasciste et les Nazis. En 1939, ce fut la défaite des Républicains, suivie de la « Retirada » A Toulouse quelques personnes s’efforcèrent de soulager cette misère, d’arracher des camps et soulager quelques-uns de ces malheureux. Des socialistes des intellectuels, parmi eux beaucoup de Franc-Maçonnerie, autour du professeur Camille Soula participèrent à celle noble tâche. On retrouvera les mêmes parmi ceux qui, plus tard, seront les premiers à organiser la Résistance.
Pourtant, ces événements ne furent pas une surprise, les travaux des loges en cette année 1939 sont axés sur les questions militaires de la paix et du racisme. Pierre Bloch du « Mont Sinaï » présente le statut des étrangers en France. Pierre Brossolette à « Émile Zola » traite de la politique générale et la situation extérieure. Marceau Pivert, de « La Philosophie positive » (représentant la gauche révolutionnaire dont s’inspirèrent les Jeunesses Socialistes qui créèrent le mouvement de Résistance spécifique à la région toulousaine « Libérer et Fédérer »), avait un programme de gouvernement généreux et humaniste, nous ne pouvons que regretter qu’il n’ait jamais été appliqué (voir libération Haute-Garonne 50e). Le mouvement « Libérer et Fédérer » va alors lutter à la fois contre le fascisme et contre la guerre. Le Frère Silvio Trentin, de la Loge « Italia Nuova » et nouvellement affilié à « La Parfaite Harmonie », fait une planche sur les conditions de la montée du fascisme et dès le 10 décembre 1937 dans un meeting organisé à Toulouse par la S.F.I.O et les Jeunesses Socialistes, à la Halle aux Grains, il annonçait « C’est en France que se jouera la suprême bataille entre le fascisme et la démocratie. »
Le 19 août 1940 les loges maçonniques sont dissoutes, les fonctionnaires connus pour y occuper des postes importants sont révoqués et, dès le 21 septembre, les écoles normales d’instituteurs sont fermées. L’Armistice laisse la région toulousaine en zone non occupée, mais oblige une grande partie de l’armée à se rendre sans condition. Le Parti Communiste entrait parallèlement dans la clandestinité. Au Parti socialiste, les éléments les plus dynamiques étaient encore aux armées. Quant aux édiles, ils soutenaient massivement le gouvernement Daladier. La mise en sommeil de la Troisième République et la privation de bon nombre de libertés ne soulevèrent aucune opposition et, dans l’immédiat, seuls 80 parlementaires s’y opposèrent avec courage. Parmi eux, un seul représentant de la Haute-Garonne, Vincent Auriol. Après la débâcle, les réfugiés cherchèrent à contacter des proches qui, avaient les mêmes idées et militaient dans les mêmes organisations, cela autant dans un but d’entraide que d’échange d’opinions.
La vie sociale se trouve alors bouleversée, la propagande officielle se voulant à la fois rassurante et culpabilisante, si bien que l’appel du 18 juin est passé presque inaperçu… Les démobilisés cherchaient également à contacter leurs anciens camarades. Pour ces premiers contacts, les lieux de rencontre privilégiés furent, à Toulouse, les cafés de la place du Capitole (Laguerre), la bourse du travail et la librairie de Silvio Trentin. Dans les premiers temps, il ne s’agissait que de discussions ayant pour but d’analyser la situation. Mais la véritable nature du nouveau régime ne tarda pas à apparaître à ces militants déjà expérimentés, d’où la prise de conscience de la nécessité de la lutte clandestine. C’est au tout début de l’année 1941 que l’un des visiteurs assidus de la librairie Silvio Trentin, Léo Hamon, amena un représentant d’une des toutes premières organisations de résistance de la zone occupée, le groupe du Musée de l’Homme : il s’agissait de Boris Vildé.
Ainsi, se constitua à Toulouse ce que l’on peut considérer comme ayant été le tout premier mouvement de résistance français. On y trouvait des intellectuels réfugiés, comme Jean Cassou et Georges Friedman, mais aussi des jeunes socialistes toulousains, très liés à Silvio Trentin, comme Achille Auban (qui sera initié après la guerre) et Paul Descours.
À la même époque Pierre Bertaux, futur Commissaire de la République, est de retour à Toulouse. Il croisera chez Silvio Trentin des gens qui partagent ses opinions et fondera avec eux ce qui deviendra le réseau éponyme « Bertaux ». Ce réseau ne comptera jamais plus d’une quinzaine de membres parmi lesquels on retrouvera Achille Auban, mais aussi Clément Laurent de « La Française des Arts ». C’est autour des Réseaux « Bertaux » et « Brutus » que vont s’édifier la plupart des organisations de résistance. Dans la ville rose, la maçonnerie est traditionnellement bien installée, c’est la raison pour laquelle on retrouvera des maçons, en particulier le Colonel Cahuzac de la loge parisienne « Aristide Briand » dans un petit mouvement de résistance local, qui a déjà diffusé des tracts et s’appellera Liberté Égalité Fraternité. C’est à partir d’éléments appartenant à ce mouvement que se créera à Toulouse l...