Les quatre chevaux du Messie

Apocalypse 5-6: un conte initiatique

Bernard Gineste

• Éditeur: Books on Demand
• Année: 2019
• Imprimer l'ISBN: 9782322158799
• ISBN de l'eBook: 9782322175727
• Édition: 1
• Sujet: History
• Sujet: World History

SommaireTout le monde a entendu parler des "Quatre cavaliers de l'Apocalypse". Le récit de cette vision de Jean a une structure très simple, du type des contes de fées. Mais c'est aussi une méditation des Écritures centrée sur le chapitre 53 du Livre du prophète Isaïe. Un personnage trop négligé, "l'un des vingt-quatre Anciens", guide céleste de Jean, s'avère être Isaïe lui-même. Comme la fée marraine de Cendrillon, Isaïe apparaît à son successeur Jean pour l'assister, et, comme elle, il préside à d'étranges métamorphoses qui préparent un mariage. Le Messie, d'abord à la fois Lion et Racine, se transforme en un Agneau égorgé, puis en un Cavalier qui monte tour à tour quatre chevaux respectivement blanc, rouge, noir puis verdâtre. Le code très précis de ces couleurs successives est tiré du Lévitique (manuel des prêtres pour l'identification des lépreux) et du chapitre 5 du Cantique des cantiques (portrait de l'Époux par sa Bien-Aimée). Ces quatre chevauchées représentent donc la carrière terrestre du Messie de l'an 29 à l'an 33, car, selon Isaïe 53, 4, il devait être considéré comme un lépreux et rejeté par les autorités religieuses établies, avant d'être reconnu comme le Messie par son épouse l'Église chrétienne.SummaryIn what context do the so-called Four Horsemen of the Apocalypse arise? First a basic narrative scheme as in the fairy tale genre, then a meditation centered on Isaiah 53. An under-studied character, "one of the twenty-four elders", John's heavenly guide, turns out to be Isaiah himself. Like Cinderella's Fairy Godmother, he presides over metamorphoses: The Messiah becomes both a Lion and a Root, then a Lamb, then a Horseman riding four horses one after the other. The code of their successive colors, white-red-black-greenish, is taken from Leviticus 13 (the priests' handbook for the identification of lepers) and from Song 5, 10-12 (portrait of the Husband by his Beloved). So they are the four years of the earthly career of the Messiah, who according to Isaiah 53, 4 was to be considered a leper and rejected by established religious authorities, before being acknowledged as the Messiah by the Church.

Qui est le premier guide céleste de Jean?

Revenons donc au personnage qui s’adresse à Jean pour le consoler et le guider (5, 5), « un » d’entre les anciens

ἐκ τῶν πρεσβυτέρων). Notre hypothèse de travail nous invite à comprendre qu’il s’agit ici du « premier des vingt-quatre anciens ». Nous ne sommes pas les premiers à le supposer et à chercher à l’identifier sur cette base²¹. Mais nous y ajoutons qu’il s’agit plus précisément, en l’occurrence du « premier d’entre les prophètes ». Qu’est-ce à dire?

La première des Vies des Prophètes est celle d’Isaïe. C’est le Livre d’Isaïe qui commence la série des quatre grands prophètes et des douze petits prophètes dans les canons juifs et chrétiens, et c’est aussi de loin le plus volumineux de tous. Isaïe est encore le premier prophète cité formellement, explicitement et nominativement par chacun des Évangiles²². Selon celui de Luc, le premier acte public de Jésus est de dérouler dans la synagogue de Nazareth un rouleau du Livre d’Isaïe, pour en lire un passage dont il proclame qu’il est en train de se réaliser²³. Ajoutons qu’un ouvrage apocryphe, qu’on pourrait qualifier de roman apocalyptique, et qui date selon toute apparence du début du second siècle, l’Ascension d’Isaïe²⁴, atteste la popularité de ce personnage au moins dans certains cercles paléochrétiens qui le considéraient visiblement comme une sorte de saint patron des prophètes chrétiens.

Voyons maintenant le rôle que joue l’Ancien que nous soupçonnons d’être Isaïe et personne d’autre, et les propos qui lui sont prêtés pour consoler le voyant.

Plusieurs auteurs en effet, spécialement parmi les médiévaux, ont déjà soupçonné que la consolation qu’il apporte à Jean est d’ordre scripturaire, en raison surtout du contexte tissé de réminiscences bibliques où intervient cet interlocuteur mystérieux²⁵. Il s’agirait donc, pour le plus grand nombre, d’une figure indéterminée représentant le chœur des prophètes qui ont annoncé la venue du Messie²⁶.

Parmi les auteurs modernes relativement rares qui ont pensé pouvoir l’identifier, les uns ont proposé le dernier d’entre eux, Jean le Baptiste²⁷, qui déjà de son vivant avait annoncé et montré l’Agneau, de la main et de la voix²⁸ ; les autres, spécialement parmi les premiers protestants, ont fait remarquer que l’Ancien commence par désigner le Messie sous le titre de Lion de Juda (Apoc. 5, 5a) : on serait donc en présence de Jacob, père des douze patriarches, auteur de la prophétie selon laquelle son fils Juda est un lion (Gen. 49, 9)²⁹. En 1602, Balthasar Richter, qui n’y croit guère, fait remarquer, qu’à ce titre, on pourrait aussi bien songer au prophète Isaïe, puisqu’aussi bien notre Ancien qualifie aussi le Messie de rejeton de David (Apoc. 5. 5b), allusion non moins évidente à Isaïe 11, 1³⁰. Or cette dernière hypothèse, qu’il suggère en passant sans y croire lui-même, et qui avait déjà été aventurée en 1563, sans plus de conviction, par Petrus Becker, dit Artopeus³¹, nous paraît beaucoup plus solide que toute autre, en raison notamment du contexte que nous allons maintenant examiner plus précisément, du point de vue de la suite des idées et des réminiscences textuelles qui la structurent.

1° L’Ancien console d’abord Jean en lui disant (5, 5) : Ne pleure pas (Μὴ κλαῖε). Or Isaïe (25, 8) est bien le seul des prophètes de l’Écriture à annoncer la fin des pleurs : Et le seigneur Dieu enlèvera (Septante : ἀφεῖλεν) toute larme (δάκρυον) de tout visage. Remarquons au passage que la réminiscence est plus sensible si on remonte à l’hébreu, où « larme » se dit

dimah, et « pleurer » ,

dama, tandis que dans le grec des Septante, comme en français, les mots « pleurer » et « larme » ne sont pas construits sur la même racine. Précisément, et cela peut difficilement être une coïncidence, l’Apocalypse cite ensuite deux fois ce même verset d’Isaïe directement d’après l’hébreu, de mémoire, et sans passer par la version grecque traditionnelle dite des Septante. Jean écrit d’abord, à l’occasion de l’ouverture du sixième sceau (7, 17) : Et Dieu effacera (ἐξαλείψει) toute larme de leurs yeux. Vers la fin de son ouvrage (21, 4) il reprend cette citation en la développant davantage et en interprétant son texte d’une façon exactement contraire à celle des Septante : Et Dieu effacera (ἐξαλείψει) toute larme de leurs yeux, et la mort n’existera plus³².

2° L’Ancien annonce ensuite à Jean quel héros va pouvoir dénouer la crise, et, pour ce faire, le renvoie simultanément à deux passages de l’Écriture associés, comme presque toujours dans l’Apocalypse, le premier tiré de la Torah (parasha), et le second des Prophètes (haftara)³³. Les deux textes en question sont d’une part Genèse 49, 9-10 (prophétie de Jacob sur son fils Juda), et d’autre part Isaïe 11, 1-10 (prophétie d’Isaïe sur le rejeton de Jessé, ce dernier père de David). Le lien entre ces deux prophéties messianiques peut être considéré comme targumique : c’est en effet l’interprétation usuelle du texte, déjà attestée à Qumrân sous la même forme imbriquée³⁴. Ces deux sections de l’écriture ont de fait quatre points communs : le thème du lion (Gen. 49, 9 ; Is. 11, 6-7), celui du rameau (Gen. 49, 10a ; Is. 11, 6-7), celui de la soumission des peuples (Gen. 49, 10b ; Is. 11, 10), et bien sûr une application traditionnelle au Messie attendu par le judaïsme. Par là, cet Ancien indique au voyant que la clé de ce qu’il va voir se trouve dans le livre de la Genèse, pour autant qu’on le lise à la lumière de celui d’Isaïe.

3° L’Ancien précise ensuite à Jean implicitement que s’il doit cesser de pleurer, c’est parce que le livre scellé va enfin être ouvert. Nous avons dit que ce livre my...

Table des matières

• Indication
• SOMMAIRE / SUMMARY
• Sommaire
• Un schéma narratif traditionnel
• Points acquis, point obscurs
• Qui sont les vingt-quatre anciens?
• Le tour récurrent εἷς ἐκ τῶν… « l’un d’entre les »?
• Qui est le premier guide céleste de Jean?
• Origine et traitement de la série des quatre chevauchées
• La série chromatique blanc, rouge, noir, verdâtre
• « Et nous, nous le considérions comme un lépreux »
• Le thème narratif de la mauvaise interprétation
• Le thème narratif de l’interprète secourable
• Le thème narratif de la métamorphose
• Caractère homogène de la série des quatre chevaux
• Quatre chevauchées d’un même cavalier
• Les quatre années de la carrière publique du Messie?
• Le cheval blanc
• Le cheval rouge
• Le cheval noir
• Remarque sur ces trois premières chevauchées
• Le cheval vert
• Cadre narratif de cette quadruple chevauchée
• D’où viennent les quatre montures du Messie?
• ÉLÉMENTS D’ICONOGRAPHIE
• Origines chrétiennes
• Page de copyright