
- 212 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
La Grande Ombre
Ă propos de ce livre
La peur rĂšgne en Europe: une menace pĂšse sur la paix des peuples, et cette " grande ombre " n'est autre que celle de NapolĂ©on. Un jeune Anglais plonge alors dans un tourbillon des guerres entre puissants aux mains desquels les peuples ne sont que les instruments de leur quĂȘte de pouvoir et de gloire. Au-delĂ d'une apparente revendication nationaliste, et Ă travers le destin de ce modeste adolescent britannique Ă l'Ăąme simple, Conan Doyle se montre ici digne des grands Stevenson, Fielding ou Dickens. Et c'est par ce vĂ©ritable roman de formation qu'in nous livre un facette, inĂ©dite en France, de ses talents de romancier.
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Informations
XII : LâOMBRE SUR LA TERRE
Il faisait encore une pluie fine le matin ; des nuages bruns se mouvaient sous un vent humide et glacial. JâĂ©prouvai une impression Ă©trange en ouvrant les yeux, quand je songeai que je prendrais part, ce jourÂlĂ , Ă une bataille, bien quâaucun de nous ne sâattendit Ă une bataille telle que celle qui se livra. Toutefois, nous Ă©tions debout, et tout prĂȘts dĂšs la premiĂšre clartĂ©, et quand nous ouvrĂźmes les portes de notre grange, nous entendĂźmes la plus divine musique que jâaie jamais Ă©coutĂ©e, et qui jouait quelque part, dans le lointain.
Nous nous Ă©tions formĂ©s en petits groupes pour y prĂȘter lâoreille. Comme, câĂ©tait doux, innocent, mĂ©lancolique. Mais notre sergent Ă©clata de rire en voyant combien nous Ă©tions charmĂ©s.
â Ce sont les musiques françaises, ditÂil, et si vous montez jusque par ici, vous verrez ce que bon nombre dâentre vous pourront bien ne plus revoir.
Nous montĂąmes. La belle musique arrivait encore Ă nos oreilles. Nous nous arrĂȘtĂąmes sur une hauteur qui se trouvait Ă quelques pas de la grange. LĂ Âbas, au pied de la pente, Ă une demiÂportĂ©e de fusil de nous, sâĂ©levait une coquette maison de ferme couverte de tuiles, entourĂ©e dâune haie avec un bout de verger. Tout autour Ă©taient rangĂ©s en ligne des hommes en habits rouges et hauts bonnets de fourrure, qui travaillaient avec une activitĂ© dâabeilles, Ă percer des trous dans les murailles et Ă barrer les portes.
â CeuxÂlĂ , ce sont les compagnies lĂ©gĂšres de la Garde, dit le sergent. Ils tiendront bon dans cette ferme, tant quâun seul sera capable de remuer le doigt. Mais regardez parÂdessus. Vous verrez les feux de bivouac des Français.
Nous regardĂąmes de lâautre cĂŽtĂ© de la vallĂ©e, vers la crĂȘte basse, et nous vĂźmes un millier de petites pointes jaunes de flamme, surmontĂ©es dâun panache de fumĂ©e noire qui montait lentement dans lâair alourdi. Il y avait une autre ferme sur la pente opposĂ©e de la vallĂ©e, et pendant que nous regardions, apparut soudain sur un tertre voisin, un petit groupe de cavaliers qui nous examinĂšrent attentivement. Il y avait, en arriĂšre, une douzaine de hussards, et en avant, cinq hommes, dont trois coiffĂ©s de casques, un autre avec un long plumet rouge et droit Ă son chapeau. Le dernier avait une coiffure basse.
â Par Dieu ! sâĂ©cria le sergent. Câest lui, câest Boney, celui qui monte le cheval gris. Oui, jâen parierais un mois de solde.
JâĂ©carquillai les yeux pour le voir, cet homme qui avait Ă©tendu au dessus de toute lâEurope cette grande ombre, qui avait plongĂ© les Nations dans les tĂ©nĂšbres pendant vingtÂcinq ans, cette ombre qui Ă©tait mĂȘme allĂ©e sâĂ©tendre jusquâauÂdessus de notre ferme lointaine, et nous avait violemment arrachĂ©s, moi, Edie et Jim, Ă lâexistence que nos familles avaient menĂ©es avant nous.
Autant que je pus en juger Ă cette distante, câĂ©tait un homme trapu, aux Ă©paules carrĂ©es. Il tenait appliquĂ©e Ă ses yeux sa lorgnette, en Ă©cartant fortement les coudes de chaque cĂŽtĂ©. JâĂ©tais encore occupĂ© Ă le regarder, quand jâentendis Ă cĂŽtĂ© de moi un fort souffle de respiration.
CâĂ©tait Jim, dont les yeux luisaient comme des charbons ardents.
Il avançait la figure jusque sur mon épaule.
â Câest lui, Jock, ditÂil Ă voix basse.
â Oui, câest Boney, rĂ©pondisÂje.
â Non, non, câest lui ; câest de Lapp, ou de Lissac, Ă moins que ce dĂ©mon nâait encore quelque autre nom. Câest lui.
Alors je le reconnus immĂ©diatement. CâĂ©tait le cavalier dont le chapeau Ă©tait ornĂ© dâun grand plumet rouge. MĂȘme Ă cette distance, jâaurais jurĂ© que câĂ©tait lui, en voyant ses Ă©paules tombantes, et sa façon de porter la tĂȘte.
Je fermai les mains sur le bras de Jim, car je voyais bien quâil avait le sang en Ă©bullition Ă la vue de cet homme, et quâil Ă©tait capable de nâimporte quelle folie. Mais Ă ce moment il sembla que Bonaparte se penchait et disait Ă de Lissac quelques mots. Le groupe fit demiÂtour et disparut pendant que rĂ©sonnait un coup de canon, et que dâune batterie placĂ©e sur la crĂȘte partait un nuage de fumĂ©e blanche.
Au mĂȘme instant, on sonna, dans notre village, au rassemblement. Nous courĂ»mes Ă nos armes et on se forma. Il y eut une sĂ©rie de coups de feu tirĂ©s tout le long de la ligne, et nous crĂ»mes que la bataille avait commencĂ©, mais en rĂ©alitĂ© cela venait de ce que nos canonniers nettoyaient leurs piĂšces. Il Ă©tait en effet Ă craindre que les amorces nâaient Ă©tĂ© mouillĂ©es par lâhumiditĂ© de la nuit. De lâendroit oĂč nous Ă©tions, nous avions sous les yeux un spectacle qui mĂ©ritait quâon passĂąt la mer pour le voir. Sur notre crĂȘte sâĂ©tendaient les carrĂ©s, alternativement rouges et bleus, qui allaient jusquâĂ un village, situĂ© Ă plus de deux miles de nous.
On se disait nĂ©anmoins tout bas, de rang en rang, quâil y avait trop de bleu et pas assez de rouge, car les Belges avaient montrĂ© la veille quâils nâavaient pas le cĆur assez ferme pour la besogne, et nous avions vingt mille de des hommesÂlĂ comme camarades. En outre, nos troupes anglaises ellesÂmĂȘmes Ă©taient composĂ©es de miliciens et de recrues, car lâĂ©lite de nos vieux rĂ©giments de la PĂ©ninsule Ă©taient encore sur des transports, en train de passer lâOcĂ©an, au retour de quelque stupide querelle avec nos parents dâAmĂ©rique.
Nous avions toutefois, avec nous, les peaux dâours de la Garde, formant deux fortes brigades, les bonnets des Highlanders, les bleus de la LĂ©gion allemande, les lignes rouges de la brigade Pack, de la brigade de Kempt, le petit pointillĂ© vert des carabiniers, disposĂ©s Ă lâavant. Nous savions que, quoiquâil arrivĂąt, câĂ©taient des gens Ă tenir bon partout oĂč on les placerait, et quâils avaient Ă leur tĂȘte un homme capable de les placer dans les postes oĂč ils pourraient tenir bon.
Du cĂŽtĂ© des Français, nous nâapercevions guĂšre que le clignotement de leurs feux de bivouac, et quelques cavaliers dispersĂ©s sur les courbes de la crĂȘte. Mais comme nous Ă©tions lĂ Ă attendre, tout Ă coup retentit la bruyante fanfare de leurs musiques. Leur armĂ©e entiĂšre monta et dĂ©borda, parÂdessus la faible hauteur qui les avait cachĂ©s ; les brigades succĂ©dant aux brigades, les divisions aux divisions, jusquâĂ ce quâenfin toute la pente, jusquâen bas, eĂ»t pris la couleur bleue de leurs uniformes, et scintilla de lâĂ©clat de leurs armes.
On eĂ»t dit quâils nâen finiraient pas, car il en venait, il en venait, sans interruption, pendant que nos hommes, appuyĂ©s sur leurs fusils, fumant leur pipe, regardaient lĂ Âbas ce vaste rassemblement, et Ă©coutaient ce que savaient les vieux soldats qui avaient dĂ©jĂ combattu contre les Français. Puis, lorsque lâinfanterie se fut formĂ©e en masses longues et profondes, leurs canons arrivĂšrent en bondissant et tournant le long de la pente. Rien de plus joli Ă voir que la prestesse avec laquelle ils les mirent en batterie, tout prĂȘts Ă entrer en action.
Ensuite, à un trot imposant, se présenta la cavalerie, trente régiments au moins, avec la cuirasse, le plumet au casque, armés du sabre étincelant ou de la lance à pennon. Ils se formÚrent sur les flancs et en arriÚre en longues lignes mobiles et brillantes.
â VoilĂ nos gaillards, sâĂ©cria notre vieux sergent. Ce sont des goinfres Ă la bataille. Oh pour cela ! oui. Et vous voyez ces rĂ©giments au milieu, ceux qui ont de grands shakos, un peu en arriĂšre de la ferme. Câest la Garde. Ils sont vingt mille, mes enfants, tous des hommes dâĂ©lite, des diables Ă tĂȘte grise, qui nâont fait autre chose que de se battre depuis le temps oĂč ils nâĂ©taient pas plus haut que mes guĂȘtres. Ils sont trois contre deux, ils ont deux canons contre un, et par Dieu ! vous autres recrues, ils vous feront dĂ©sirer dâĂȘtre revenus Ă Argyle street, avant dâen avoir fini avec vous.
Il nâĂ©tait guĂšre encourageant, notre sergent, mais il faut dire quâil avait Ă©tĂ© Ă toutes les batailles depuis la Corogne, et quâil avait sur la poitrine une mĂ©daille avec sept barrettes, de sorte quâil avait le droit de parler comme il lui plaisait.
Quand les Français se furent rangĂ©s entiĂšrement, un peu hors de la portĂ©e des canons, nous vĂźmes un petit groupe de cavaliers tout chamarrĂ©s dâargent, dâĂ©carlate et dâor, circuler rapidement entre les divisions, et sur leur passage Ă©clatĂšrent, des deux cĂŽtĂ©s, des cris dâenthousiasme, et nous pĂ»mes voir des bras sâallonger, des mains sâagiter vers eux. Un instant aprĂšs, le bruit cassa. Les deux armĂ©es restĂšrent face Ă face dans un silence absolu, terrible.
Câest un spectacle qui revient souvent dans mes rĂȘves. Puis, tout Ă coup, il se produisit un mouvement dĂ©sordonnĂ© parmi les hommes qui se trouvaient juste devant nous. Une mince colonne se dĂ©tacha de la grosse masse bleue, et sâavança dâun pas vif vers la ferme situĂ©e en bas de notre position. Elle nâavait pas fait cinquante pas quâun coup de canon partit dâune batterie anglaise Ă notre gauche.
La batailla de Waterloo venait de commencer.
Il ne mâappartient pas de chercher Ă vous raconter lâhistoire de cette bataille, et dâailleurs je nâaurais pas demandĂ© mieux que de me tenir en dehors dâun pareil Ă©vĂ©nement, sâil nâĂ©tait pas arrivĂ© que notre destin, celui de trois modestes ĂȘtres qui Ă©taient venus lĂ de la frontiĂšre, avait Ă©tĂ© de nous y mĂȘler au mĂȘme point que sâil sâĂ©tait agi de nâimporte lequel de tous les rois ou empereurs. Ă dire honnĂȘtement la vĂ©ritĂ©, jâen ai appris sur cette bataille, plus par ce que jâai lu que par ce que jâai vu.
En effet, quâestÂce que je pouvais voir, avec un camarade de chaque cĂŽtĂ©, et une grosse masse de fumĂ©e blanche au bout de mon fusil. Ce fut par les lĂšvres et par les conversations dâautres personnes que jâappris comment la grosse cavalerie avait fait des charges, comment elle avait enfoncĂ© les fameux cuirassiers, comment elle fut hachĂ©e en morceaux avant dâavoir pu revenir. Câest aussi par lĂ que jâappris tout ce qui concerne les attaques successives, la fuite des Belges, la fermetĂ© quâavaient montrĂ©e Pack et Kempt.
Mais je puis, dâaprĂšs ce que je sais par moiÂmĂȘme, parler de ce que nous vĂźmes nousÂmĂȘmes par les intervalles de la fumĂ©e et les moments dâaccalmie de la fusillade, et câest prĂ©cisĂ©ment cela que je vous raconterai. Nous Ă©tions Ă la gauche de la ligne, et en rĂ©serve, car le duc craignait que Boney ne cherchĂąt Ă nous tourner de ce cĂŽtĂ©, pour nous prendre parÂderriĂšre, de sorte que nos trois rĂ©giments, ainsi quâune autre brigade anglaise et les Hanovriens, avaient Ă©tĂ© postĂ©s lĂ pour ĂȘtre prĂȘts Ă tout hasard.
Il y avait aussi deux brigades de cavalerie lĂ©gĂšre, mais lâattaque des Français se faisait entiĂšrement de front, si bien que la journĂ©e Ă©tait dĂ©jĂ assez avancĂ©e avant quâon eĂ»t rĂ©ellement besoin de nous. La batterie anglaise, qui avait tirĂ© le premier coup de canon, continuait Ă faire feu bien loin vers notre gauche. Une batterie allemande travaillait ferme Ă notre droite. Aussi Ă©tionsÂnous complĂštement enveloppĂ©s de fumĂ©e, mais nous nâĂ©tions pas cachĂ©s au point de rester invisibles pour une ligne dâartillerie française, postĂ©e en face de nous, car une vingtaine de boulets traversĂšrent lâair avec un sifflement aigu, et vinrent sâabattre juste au milieu de nous.
Comme jâentendis le bruit de lâun dâeux qui passa prĂšs de mon oreille, je baissai la tĂȘte comme un homme qui va plonger, mais notre sergent me donna une bourrade dans les cĂŽtes avec le bout de sa hallebarde.
â Ne vous montrez pas si poli que ça, ditÂil. Ce sera assez tĂŽt pour le faire une fois pour toutes quand vous serez touchĂ©.
Il y eut un de ces boulets qui rĂ©duisit en une bouillie sanglante cinq hommes Ă la fois, et je vis ce boulet immobile par terre. On eĂ»t dit un ballon rouge de football. Un autre traversa le cheval de lâadjudant avec un bruit sourd comme celui dâune pierre lancĂ©e dans de la boue. Il lui brisa les reins et le laissa lĂ gisant, comme une groseille Ă©clatĂ©e. Trois autres boulets tombĂšrent plus loin vers la droite. Les mouvements dĂ©sordonnĂ©s et les cris nous apprirent quâils avaient portĂ©.
â Ah ! James, vous avez perdu une bonne monture, dit le major Reed, qui se trouvait juste devant moi, en regardant lâadjudant dont les bottes et les culottes ruisselaient de sang.
â Je lâavais payĂ© cinquante belles livres Ă Glasgow, dit lâautre. NâĂȘtesÂvous pas dâavis, major, que les hommes feraient mieux de se tenir couchĂ©s, maintenant que les canons ont prĂ©cisĂ© leur tir sur nous ?
â Pfut ! dit lâautre, ils sont jaunes, James. Cela leur fera du bien.
â Ils en apprendront assez, avant que la journĂ©e soit finie, rĂ©pondit lâadjudant.
Mais Ă ce moment, le colonel Reynell vit que les carabiniers et le 52Ăšme Ă©taient couchĂ©s Ă droite et Ă gauche de nous, de sorte quâil nous commanda de nous Ă©tendre aussi Ă terre. Nous fĂ»mes rudement contents, lorsque nous pĂ»mes entendre les projectiles passer, en hurlant comme des chiens affamĂ©s, parÂdessus notre dos Ă quelques pieds de hauteur. MĂȘme alors un bruit sourd, un Ă©claboussement presque Ă chaque minute, puis un cri de douleur, un trĂ©pignement de bottes sur le sol, nous apprenaient que nous subissions de grosses pertes.
Il tombait une pluie fine.
Lâair humide maintenait la fumĂ©e prĂšs de terre : aussi nous ne pouvions voir que par intervalles ce qui se passait juste devant nous, bien que le grondement des canons nous montra que la bataille Ă©tait engagĂ©e sur toute la ligne. Quatre cents piĂšces tournaient alors ensemble, et faisaient assez de bruit pour nous briser le tympan. En effet, il nây eut pas un de nous Ă qui il ne resta un sifflement dans la tĂȘte pendant bien des jours qui suivirent. Juste en face de nous, sur la pente de la hauteur, il y avait un canon français et nous distinguions parfaitement les servants de cette piĂšce.
CâĂ©tait de petits hommes agiles, avec des culottes trĂšs collantes, de grands chapeaux, avec de grands plumets raides et droits, mais ils travaillaient comme des tondeurs de moutons, ne faisant que bourrer, passer lâĂ©couvillon, et tirer. Ils Ă©taient quatorze quand je les vis pour la premiĂšre fois. La derniĂšre, ils nâĂ©taient plus que quatre, mais ils travaillaient plus activement que jamais. La ferme quâon appelle Hougoumont Ă©tait en bas, en face de nous. Pendant toute la matinĂ©e, nous pĂ»mes voir quâil sây livrait une lutte terrible, car les murs, les fenĂȘtres, les haies du verger nâĂ©taient que flammes et fumĂ©e et il en sortait des cris et des hurlements tels que je nâavais jamais rien entendu de pareil jusquâalors.
Elle Ă©tait Ă moitiĂ© brĂ»lĂ©e, tout Ă©ventrĂ©e par les boulets. Dix mille hommes martelaient ses portes, mais quatre cents soldats de la garde sây maintinrent pendant la matinĂ©e, deux cents pendant la soirĂ©e, et pas un Français nâen dĂ©passa le seuil. Mais comme ils se battaient, ces Français ! Ils ne faisaient pas plus de cas de leur vie que de la boue dans laquelle ils marchaient. Un dâeux â je crois le voir encore â un homme au teint hĂąlĂ©, assez repus, et qui marchait avec une canne, sâavança en boitant, tout seul, pendant une accalmie de la fusillade, vers la porte latĂ©rale de Hougoumont, oĂč il se mit Ă frapper, en criant Ă ses hommes de les suivre.
Il resta lĂ cinq minutes, allant et venant devant les canons de fusil qui lâĂ©pargnaient, jusquâĂ ce quâenfin un tirailleur de Brunswick, postĂ© dans le verger, lui cassa la tĂȘte dâun coup de feu. Et il y en eut bien dâautres comme lui, car pendant toute la journĂ©e, quand ils nâarrivaient pas en masses, ils venaient par deux, par trois, lâair aussi rĂ©solu que sâils avaient toute lâarmĂ©e sur leurs talons. Nous restĂąmes ainsi tout le matin, Ă contempler la bataille qui se livrait lĂ Âbas Ă Hougoumont ; mais bientĂŽt le Duc reconnut quâil nâavait rien Ă craindre sur sa droite, et il se mit Ă nous employer dâune autre maniĂšre. Les français avaient poussĂ© leurs tirailleurs jusquâauÂdelĂ de la ferme.
Ils Ă©taient couchĂ©s dans le blĂ© encore vert en face de nous. De lĂ , ils visaient les canonniers, si bien que sur notre gauche trois piĂšces sur six Ă©taient muettes, avec leurs servants Ă©pars sur le sol autour dâelles. Mais le Duc avait lâĆil Ă tout. Ă ce moment, il arriva au galop. CâĂ©tait un homme maigre, brun, tout en nerfs, avec un regard trĂšs vif, un nez crochu, et une grande cocarde Ă son chapeau. Il avait derriĂšre lui une douzaine dâofficiers, aussi fringants que sâils participaient Ă une chasse au renard, mais de cette douzaine il nâen restait pas un seul le soir.
â Chaude affaire, Adams ! ditÂil en passant.
â TrĂšs chaude, votre GrĂące, dit notre gĂ©nĂ©ral.
â Mais nous pouvons les arrĂȘter, je crois. Tut ! Tut ! nous ne saurions permettre Ă des tirailleurs de rĂ©duire une batterie au silence. Allez me dĂ©busquer ces gensÂlĂ , Adams.
Alors jâĂ©prouvai pour la premiĂšre fois ce frisson diabolique qui vous court dans le corps, quand on vous donne votre rĂŽle Ă remplir dans le combat. JusquâĂ prĂ©sent, nous nâavions pas fait autre chose que de rester couchĂ©s et dâĂȘtre tuĂ©s, ce qui est la chose la plus maussade du monde.
Ă prĂ©sent notre tour Ă©tait venu, et sur ma parole, nous Ă©tions prĂȘts. Nous nous levĂąmes, toute la brigade, en formant une ligne d...
Table des matiĂšres
- La Grande Ombre
- Préface
- I : LA NUIT DES SIGNAUX
- II : LA COUSINE EDIE DâEYEMOUTH
- III : LâOMBRE SUR LES EAUX
- IV : LE CHOIX DE JIM
- V : LâHOMME DâOUTREÂMER
- VI : UN AIGLE SANS ASILE
- VII : LA TOUR DE GARDE DE CORRIEMUIR
- VIII : LâARRIVĂE DU CUTTER
- IX : CE QUI SE FIT Ă WEST INCH
- X : LE RETOUR DE LâOMBRE
- XI : LE RASSEMBLEMENT DES NATIONS
- XII : LâOMBRE SUR LA TERRE
- XIII : LA FIN DE LA TEMPĂTE
- XIV : LE RĂGLEMENT DE COMPTE DE LA MORT
- XV : COMMENT TOUT CELA FINIT
- Page de copyright