Les aventures D'arthur Gordon Pym de Nantucket
eBook - ePub

Les aventures D'arthur Gordon Pym de Nantucket

  1. 303 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub

Les aventures D'arthur Gordon Pym de Nantucket

À propos de ce livre

Les Aventures d'Arthur Gordon Pym de Nantucket est l'unique roman achevé par Edgar Allan Poe. Il est publié en 1838 aux États-Unis et en Angleterre. Charles Baudelaire en donne une première traduction française en 1858.

Foire aux questions

Oui, vous pouvez résilier à tout moment à partir de l'onglet Abonnement dans les paramètres de votre compte sur le site Web de Perlego. Votre abonnement restera actif jusqu'à la fin de votre période de facturation actuelle. Découvrez comment résilier votre abonnement.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptés aux mobiles peuvent être téléchargés via l'application. La plupart de nos PDF sont également disponibles en téléchargement et les autres seront téléchargeables très prochainement. Découvrez-en plus ici.
Perlego propose deux forfaits: Essentiel et Intégral
  • Essentiel est idéal pour les apprenants et professionnels qui aiment explorer un large éventail de sujets. Accédez à la Bibliothèque Essentielle avec plus de 800 000 titres fiables et best-sellers en business, développement personnel et sciences humaines. Comprend un temps de lecture illimité et une voix standard pour la fonction Écouter.
  • Intégral: Parfait pour les apprenants avancés et les chercheurs qui ont besoin d’un accès complet et sans restriction. Débloquez plus de 1,4 million de livres dans des centaines de sujets, y compris des titres académiques et spécialisés. Le forfait Intégral inclut également des fonctionnalités avancées comme la fonctionnalité Écouter Premium et Research Assistant.
Les deux forfaits sont disponibles avec des cycles de facturation mensuelle, de 4 mois ou annuelle.
Nous sommes un service d'abonnement à des ouvrages universitaires en ligne, où vous pouvez accéder à toute une bibliothèque pour un prix inférieur à celui d'un seul livre par mois. Avec plus d'un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu'il vous faut ! Découvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l'écouter. L'outil Écouter lit le texte à haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l'accélérer ou le ralentir. Découvrez-en plus ici.
Oui ! Vous pouvez utiliser l’application Perlego sur appareils iOS et Android pour lire à tout moment, n’importe où — même hors ligne. Parfait pour les trajets ou quand vous êtes en déplacement.
Veuillez noter que nous ne pouvons pas prendre en charge les appareils fonctionnant sous iOS 13 ou Android 7 ou versions antérieures. En savoir plus sur l’utilisation de l’application.
Oui, vous pouvez accéder à Les aventures D'arthur Gordon Pym de Nantucket par Edgar Allan Poe en format PDF et/ou ePUB ainsi qu'à d'autres livres populaires dans Littérature et Fiction historique. Nous disposons de plus d'un million d'ouvrages à découvrir dans notre catalogue.

Informations

Année
2020
ISBN de l'eBook
9782322085620

II. La cachette.

En toute histoire de simple dommage ou danger, nous ne pouvons tirer de conclusions certaines, pour ou contre, même des données les plus simples. On supposera peut-être qu’une catastrophe comme celle que je viens de raconter devait refroidir efficacement ma passion naissante pour la mer. Tout au contraire, je n’éprouvai jamais un si ardent désir de connaître les étranges aventures qui accidentent la vie d’un navigateur qu’une semaine après notre miraculeuse délivrance. Ce court espace de temps suffit amplement pour effacer de ma mémoire les parties ténébreuses, et pour amener en pleine lumière toutes les touches de couleur délicieusement excitantes, tout le côté pittoresque de notre périlleux accident. Mes conversations avec Auguste devenaient de jour en jour plus fréquentes et d’un intérêt toujours croissant. Il avait une manière de raconter ses histoires de mer (je soupçonne maintenant que c’étaient, pour la moitié au moins, de pures imaginations) bien faite pour agir sur un tempérament enthousiaste comme le mien, sur une imagination quelque peu sombre, mais toujours ardente. Ce qui n’est pas moins étrange, c’est que c’était surtout en me peignant les plus terribles moments de souffrance et de désespoir de la vie du marin, qu’il réussissait à enrôler toutes mes facultés et tous mes sentiments au service de cette romanesque profession. Pour le côté brillant de la peinture, je n’avais qu’une sympathie fort limitée. Toutes mes visions étaient de naufrage et de famine, de mort ou de captivité parmi des tribus barbares, d’une existence de douleurs et de larmes, traînée sur quelque rocher grisâtre et désolé, dans un océan inaccessible et inconnu. De telles rêveries, de tels désirs, car cela montait jusqu’au désir, sont fort communs, on me l’a affirmé depuis, parmi la très nombreuse classe des hommes mélancoliques ; mais, à l’époque dont je parle, je les regardais comme des échappées prophétiques d’une destinée à laquelle je me sentais, pour ainsi dire, voué. Auguste entrait parfaitement dans la situation de mon esprit. Véritablement il est probable que notre intimité avait eu pour résultat un échange d’une partie de nos caractères.
Huit mois environ après le désastre de l’Ariel, la maison Lloyd et Vredenburg (maison liée jusqu’à un certain point avec celle de MM. Enderby, de Liverpool, je crois) imagina de réparer et d’équiper le brick le Grampus pour une pêche à la baleine. C’était une vieille carcasse à peine en état de tenir la mer, même après qu’on eût tout fait pour la réparer. Pourquoi fut-il choisi de préférence à d’autres bons navires appartenant aux mêmes propriétaires, je ne sais trop – mais enfin cela fut ainsi. M. Barnard fut chargé du commandement, et Auguste devait partir avec lui. Pendant qu’on équipait le brick, il me pressait souvent avec instance de profiter de l’excellente occasion qui s’offrait pour satisfaire mon désir de voyager. Il me trouvait certes fort disposé à l’écouter ; mais la chose n’était pas si facile à arranger. Mon père ne s’y opposait pas directement, mais ma mère tombait dans des attaques de nerfs sitôt qu’il était question du projet ; et, pire que tout, mon grand-père, de qui j’attendais beaucoup, jura qu’il ne me laisserait pas un shilling si j’osais désormais entamer ce sujet avec lui. Mais ces difficultés, loin d’abattre mon désir, furent comme de l’huile sur le feu. Je résolus de partir à tout hasard ; et, quand j’eus fait part de mon intention à Auguste, nous nous ingéniâmes à trouver un plan pour la mettre à exécution. Cependant, je me gardai bien de souffler désormais un mot du voyage à aucun de mes parents ; et, comme je m’occupais ostensiblement de mes études ordinaires, on supposa que j’avais abandonné le projet. Souvent, depuis lors, j’ai examiné ma conduite dans cette occasion avec autant de surprise que de déplaisir. Cette profonde hypocrisie dont j’usai pour l’accomplissement de mon projet, hypocrisie dont, pendant un si long espace de temps, furent pénétrées toutes mes paroles et mes actions, je n’avais pu me la rendre supportable à moi-même que grâce à l’ardente et étrange espérance avec laquelle je contemplais la réalisation de mes rêves de voyage si longuement caressés.
Pour l’accomplissement de mon stratagème, j’étais nécessairement obligé d’abandonner beaucoup de choses à Auguste, employé la plus grande partie de la journée à bord du Grampus et s’occupant de divers arrangements pour son père dans la cabine et dans la cale ; mais le soir nous étions sûrs de nous retrouver, et nous causions de nos espérances. Après un mois environ passé de cette façon, sans avoir pu rencontrer un plan d’une réussite vraisemblable, il me dit enfin qu’il avait pourvu à tout.
J’avais un parent qui vivait à New Bedford, un M. Ross, chez qui j’avais l’habitude de passer quelquefois deux ou trois semaines. Le brick devait mettre à la voile vers le milieu de juin (juin 1827), et il fut convenu qu’un jour ou deux avant qu’il prît la mer, mon père recevrait, comme d’habitude, un billet de M. Ross, le priant de m’envoyer vers lui pour passer une quinzaine avec Robert et Emmet, ses fils. Auguste se chargea de rédiger ce billet et de le faire parvenir. Ayant donc feint de partir pour New Bedford, je devais rejoindre mon camarade, qui me préparerait une cachette à bord du Grampus. Cette cachette, m’assura-t-il, serait installée d’une manière assez confortable pour y pouvoir rester quelques jours, durant lesquels je devais ne pas me montrer. Quand le brick aurait fait suffisamment de route pour qu’il ne pût pas être question de retour, alors, dit-il, je serais formellement installé dans toutes les jouissances de la cabine ; et quant à son père, il rirait de bon cœur de ce joli tour. Nous rencontrerions bien assez de navires par lesquels je pourrais faire parvenir une lettre à mes parents pour leur expliquer l’aventure.
Enfin, la mi-juin arriva, et tout était suffisamment mûri. Le billet fut écrit et envoyé, et un lundi au matin je quittai la maison feignant de me rendre au paquebot de New Bedford. Cependant, j’allai tout droit à Auguste, qui m’attendait au coin d’une rue. Il entrait dans notre plan primitif que je me tiendrais caché jusqu’à la brune, et qu’alors je me glisserais à bord du brick ; mais, comme nous avions en notre faveur un brouillard épais, il fut convenu que je ne perdrais pas de temps à me cacher. Auguste prit le chemin de l’embarcadère, et je le suivis à quelque distance, enveloppé dans un gros caban de matelot qu’il avait apporté avec lui, pour rendre ma personne difficilement reconnaissable. Juste comme nous tournions au second coin, après avoir passé le puits de M. Edmund, qui apparut, se tenant droit devant moi et me regardant en plein visage ? mon grand-père lui-même, le vieux M. Peterson !
– Eh bien ! eh bien ! dit-il, après une longue pause, Gordon ! Dieu me pardonne ! À qui ce paletot crasseux que vous avez sur le dos ?
– Monsieur ! répliquai-je, prenant, aussi bien que je le pouvais, pour les besoins de la circonstance, un air de surprise offensée, et parlant sur le ton le plus rude qu’on puisse imaginer, monsieur ! vous faites erreur, que je crois ; mon nom, avant tout, n’a rien de commun avec Goddin, et je désire pour vous que vous y voyiez un peu plus clair et que vous ne traitiez pas mon caban neuf de paletot crasseux, drôle !
Je ne sais comment je me retins d’éclater de rire en voyant la manière bizarre dont le vieux gentleman reçut cette belle rebuffade. Il sauta en arrière de deux ou trois pas, devint d’abord très pâle, et puis excessivement rouge, releva ses lunettes, puis, les rabaissant, fondit sur moi à toute bride, en levant son parapluie. Cependant, il s’arrêta tout court dans sa carrière, comme frappé soudainement d’un souvenir ; et alors il se détourna et s’en alla clopinant tout le long de la rue, frémissant toujours de rage et marmottant entre ses dents :
– Ça ne va pas ! des lunettes neuves ! j’aurais juré que c’était Gordon ; maudit propre à rien de matelot du diable !
Après l’avoir échappé belle, nous continuâmes notre route avec plus de prudence, et nous arrivâmes heureusement à notre destination. Il n’y avait qu’un ou deux hommes à bord, et ils étaient occupés à je ne sais quoi sur le gaillard d’avant. Le capitaine Barnard, nous le savions, avait affaire chez Lloyd et Vredenburg, et il y devait rester fort avant dans la soirée ; nous n’avions donc pas grand-chose à craindre de son côté. Auguste monta le premier à bord du navire, et je l’y suivis bien vite, sans avoir été remarqué par les hommes qui travaillaient. Nous entrâmes tout de suite dans la chambre, et nous n’y trouvâmes personne. Elle était installée de la manière la plus confortable, chose assez insolite à bord d’un baleinier. Il y avait quatre excellentes cabines d’officier avec des cadres larges et commodes. Je remarquai aussi un vaste poêle et un tapis très beau et très épais qui recouvrait le plancher de la chambre et des cabines d’officier. Le plafond était bien à une hauteur de sept pieds, et tout était d’une apparence plus vaste et plus agréable que je ne l’avais espéré. Auguste, toutefois, n’accorda que peu de temps à ma curiosité et insista sur la nécessité de me cacher le plus promptement possible. Il me conduisit dans sa propre cabine, qui était à tribord et tout près de la cloison étanche. En entrant, il tira la porte et la ferma au verrou. Il me sembla que je n’avais jamais vu une plus jolie petite chambre que celle où je me trouvais alors. Elle était longue de dix pieds environ, et n’avait qu’un seul cadre, qui, comme je l’ai déjà dit, était large et commode. Dans la partie de la cabine contiguë à la cloison étanche, il y avait un espace de quatre pieds carrés, contenant une table, une chaise et une rangée de rayons chargés de livres, principalement de livres de voyages et de navigation. Je vis dans cette chambre une foule d’autres petites commodités, parmi lesquelles je ne dois pas oublier une espèce de garde-manger ou d’armoire aux rafraîchissements, dans laquelle Auguste me montra une collection choisie de friandises et de liqueurs.
Il pressa avec ses doigts sur un certain endroit du tapis, dans un coin de l’espace dont j’ai parlé, en faisant voir qu’une portion du parquet, de seize pouces carrés environ, avait été soigneusement détachée et rajustée. Sous la pression, cette partie s’éleva suffisamment d’un côté pour livrer en dessous passage à son doigt. De cette manière il agrandit l’ouverture de la trappe (à laquelle le tapis restait fixé par des pointes), et je vis qu’elle conduisait dans la cale d’arrière. Il alluma immédiatement une petite bougie à l’aide d’une allumette phosphorique, et, plaçant la lumière dans une lanterne sourde, il descendit à travers l’ouverture, me priant de le suivre. Je fis comme il disait, et alors il ramena la porte sur le trou au moyen d’un clou planté sur la face inférieure ; le tapis reprenait ainsi sa position primitive sur le plancher de la cabine, et toutes les traces de l’ouverture se trouvaient dissimulées.
La bougie jetait un rayon si faible que ce n’était qu’à grand-peine que je pouvais trouver ma route à travers l’amas confus d’objets dont j’étais entouré. Cependant, mes yeux s’accoutumèrent par degrés à l’obscurité, et je m’avançai avec moins d’embarras, me tenant accroché aux basques de l’habit de mon camarade. Il me conduisit enfin, après avoir rampé et tourné à travers d’innombrables et étroits passages, à une caisse cerclée de fer semblable à celle dont on se sert quelquefois pour emballer la faïence de prix. Elle était haute d’environ quatre pieds et longue de six bons pieds, mais excessivement étroite. Deux vastes barriques d’huile vides étaient posées au-dessus, et par-dessus celles-ci une énorme quantité de paillassons empilés jusqu’au plafond. Tout autour et dans tous les sens, était arrimé, aussi serré que possible et jusqu’au plafond, un véritable chaos de provisions de bord, avec un mélange hétérogène de cages, de paniers, de barils et de balles, au point que c’était pour moi comme un miracle que nous eussions pu nous frayer un chemin jusqu’à la caisse en question. J’appris ensuite qu’Auguste avait disposé à dessein tout l’arrimage dans la cale, dans le but de me préparer une excellente cachette, sans avoir eu d’autre aide dans ce travail qu’un seul homme qui ne partait pas avec le brick.
Mon camarade me montra alors que l’une des parois de la caisse pouvait s’enlever à volonté. Il la fit glisser de côté et me montra l’intérieur, dont je me divertis beaucoup. Un matelas enlevé à l’un des cadres de la chambre recouvrait tout le fond, et elle contenait tous les genres de confort qui avaient pu être accumulés dans un si petit espace, me laissant toutefois une place suffisante pour me tenir à ma guise, soit sur mon séant, soit couché tout de mon long. Il y avait, entre autres choses, quelques livres, des plumes, de l’encre et du papier, trois couvertures, une grosse cruche pleine d’eau, un petit baril de biscuits, trois ou quatre énormes saucissons de Bologne, un vaste jambon, une cuisse froide de mouton rôti, et une demi-douzaine de cordiaux et de liqueurs. Je pris tout de suite possession de mon petit appartement avec un sentiment de satisfaction plus vaste, j’en suis certain, que jamais monarque n’en éprouva en entrant dans un nouveau palais. Auguste m’indiqua alors le moyen de fixer le côté mobile de la caisse ; puis, rapprochant la bougie tout contre le pont, il me montra un bout de corde noire qui y était attaché. Cette corde, me dit-il, partait de ma cachette, serpentait à travers tout l’arrimage, et aboutissait à un clou fixé dans le pont, juste au-dessous de la trappe qui conduisait dans sa cabine. Au moyen de cette corde, je pouvais facilement retrouver mon chemin sans qu’il me servît de guide, au cas où quelque accident imprévu rendrait ce voyage nécessaire. Il prit alors congé de moi, me laissant la lanterne, avec une bonne provision de bougies et de phosphore, et me promettant de me rendre visite aussi souvent qu’il le pourrait faire sans attirer l’attention. Nous étions alors au 17 juin.
Je restai dans ma cachette trois jours et trois nuits (autant, du moins, que je pus le deviner) sans en sortir, excepté deux fois, pour étirer mes membres à mon aise en me tenant debout entre deux cages, juste en face de l’ouverture. Durant tout ce temps, je n’eus aucune nouvelle d’Auguste ; mais cela ne me causa pas grande inquiétude, car je savais que le brick allait prendre la mer d’un moment à l’autre, et, dans toute cette agitation, mon ami ne devait pas trouver facilement l’occasion de descendre me voir. Enfin j’entendis la trappe s’ouvrir et se fermer, et il m’appela alors d’une voix sourde, me demandant si tout allait bien pour moi, et si j’avais besoin de quelque chose.
– De rien, répondis-je ; je suis aussi bien que je puis être. Quand le brick met-il à la voile ?
– Il lèvera l’ancre dans moins d’une demi-heure, me répondit-il ; j’étais venu pour vous le faire savoir, et je craignais que vous ne fussiez inquiet de mon absence. Je n’aurai pas la chance de redescendre avant quelque temps, peut-être bien avant trois ou quatre bons jours. Tout va bien là-haut. Après que je serai remonté et que j’aurai fermé la trappe, glissez-vous en suivant le filin jusqu’à l’endroit du clou. Vous y trouverez ma montre ; elle peut vous être utile, car vous n’avez pas la lumière du jour pour apprécier le temps. Je parie que vous ne pourriez pas dire depuis combien de temps vous êtes enterré ici : il n’y a que trois jours ; nous sommes aujourd’hui le 20 du mois. Je porterais bien la montre jusqu’à votre caisse ; mais je crains qu’on n’ait besoin de moi.
Et puis il remonta.
Une heure environ après son départ, je sentis distinctement le brick se mettre en marche, et je me félicitai de commencer un voyage pour de bon. Tout plein de cette idée, je résolus de me tenir en joie et d’attendre tranquillement la suite des événements, jusqu’à ce qu’il me fût permis d’échanger mon étroite caisse pour les commodités plus vastes, mais à peine plus recherchées, de la cabine. Mon premier soin fut d’aller chercher la montre. Je laissai la bougie allumée, et je m’avançai à tâtons dans les ténèbres, tout en suivant la corde à travers ses détours, tellement compliqués que je m’apercevais quelquefois que, malgré tout mon travail et tout le chemin parcouru, j’étais ramené à un ou deux pieds d’une position précédente. À la longue cependant, j’atteignis le clou, et, m’assurant l’objet d’un si long voyage, je m’en revins heureusement. J’examinai alors les livres dont Auguste m’avait pourvu avec une si charmante sollicitude, et je choisis l’Expédition de Lewis et Clarke à l’embouchure de la Columbia. Je m’en amusai pendant quelque temps, et puis, sentant mes yeux s’assoupir, j’éteignis soigneusement la bougie, et je tombai bientôt dans un profond sommeil.
En m’éveillant, je me sentis l’esprit singulièrement brouillé, et il s’écoula quelque temps avant que je pusse me rappeler les diverses circonstances de ma situation. Peu à peu, toutefois, je me souvins de tout. Je fis de la lumière et je regardai la montre ; mais elle s’était arrêtée ; je n’avais donc aucun moyen d’apprécier combien de temps avait duré mon sommeil. Mes membres étaient brisés par des crampes, et je fus obligé, pour les soulager, de me tenir debout entre les cages. Comme je me sentis alors pris d’une faim presque dévorante, je pensai au mouton froid dont j’avais mangé un morceau avant de m’endormir et que j’avais trouvé excellent. Mais quel fut mon étonnement en découvrant qu’il était dans un état de complète putréfaction ! Cette circonstance me causa une grande inquiétude ; car, rapprochant ceci du désordre d’esprit que j’avais senti en m’éveillant, je commençai à croire que j’avais dû dormir pendant une période de temps tout à fait insolite. L’atmosphère épaisse de la cale y était peut-être bien pour quelque chose, et pouvait, à la longue, amener les plus déplorables résultats. Ma tête me faisait excessivement souffrir ; il me semblait que je ne pouvais tirer ma respiration qu’avec difficulté, et enfin j’étais comme oppressé par une foule de sensations mélancoliques. Cependant je n’osais pas me hasarder à ouvrir la trappe ou à tenter quelque autre moyen qui aurait pu causer du trouble, et, ayant simplement remonté la montre, je fis mon possible pour me résigner.
Pendant le long espace de vingt-quatre insupportables heures, personne ne vint à mon secours, et je ne pouvais m’empêcher d’accuser Auguste de la plus grossière indifférence. Ce qui m’alarmait principalement, c’était que l’eau de ma cruche était réduite à presque une demi-pinte, et que je souffrais beaucoup de la soif, ayant copieusement mangé du saucisson de Bologne après la perte de mon mouton. Je devins excessivement inquiet, et je ne pris plus aucun intérêt à mes livres. J’étais dominé aussi par un désir étonnant de sommeil, et je tremblais à l’idée de m’y abandonner, de peur qu’il n’existât dans l’air renfermé de la cale quelque influence pernicieuse, comme celle du charbon en ignition. Cependant, le roulis du brick me prouvait que nous étions en plein océan, et un bruit sourd, un ronflement, qui arrivait à mes oreilles comme d’une immense distance, me convainquait que la brise qui soufflait n’était pas une brise ordinaire. Je ne pouvais imaginer aucune raison pour expliquer l’absence d’Auguste. Nous étions certainement assez avancés dans la route pour me permettre de monter sur le pont. Il pouvait lui être arrivé quelque accident ; mais je n’en conjecturai aucun qui m’expliquât comment il me laissait si longtemps prisonnier, sauf qu’il fût mort subitement ou qu’il fût tombé par-dessus bord ; et m’appesantir sur une pareille idée, quelques secondes seulement, était pour moi chose insupportable. Il était encore possible que nous eussions été battus par les vents debout, et que nous fussions encore à proximité de Nantucket. Mais je fus bientôt obligé de renoncer à cette idée ; car, si tel eût été le cas, le brick aurait souvent viré de bord, et j’étais parfaitement convaincu, d’après son inclinaison continuelle sur bâbord, qu’il avait fait route tout le temps avec une brise faite à tribord. D’ailleurs, en accordant que nous fussions t...

Table des matières

  1. LES AVENTURES D’ARTHUR GORDON PYM DE NANTUCKET
  2. Préface
  3. I. Aventuriers précoces.
  4. II. La cachette.
  5. III. Tigre enragé.
  6. IV. Révolte et massacre.
  7. V. La lettre de sang.
  8. VI. Lueur d’espoir.
  9. VII. Plan de délivrance.
  10. VIII. Le revenant.
  11. IX. La pêche aux vivres.
  12. X. Le brick mystérieux.
  13. XI. La bouteille de porto.
  14. XII. La courte paille.
  15. XIII. Enfin !
  16. XIV. Albatros et pingouins.
  17. XV. Les îles introuvables.
  18. XVI. Explorations vers le pôle.
  19. XVII. Terre !
  20. XVIII. Hommes nouveaux.
  21. XIX. Klock-Klock.
  22. XX. Enterrés vivants !
  23. XXI. Cataclysme artificiel.
  24. XXII. Tekeli-li !
  25. XXIII. Le labyrinthe.
  26. XXIV. L’évasion.
  27. XXV. Le géant blanc.
  28. XXVI. Conjectures.
  29. Page de copyright