
- 130 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
Candide ou l'Optimiste
À propos de ce livre
Candide est un fils naturel car son père ne pouvait prouver soixante et onze quartiers de noblesse. Surpris avec Cunégonde sa cousine, il est chassé du château de son oncle « à coups de pied dans le cul ». Enrôlé dans les armées bulgares, il fuit la guerre et apprend que Cunégonde et sa famille ont été massacrées par les Bulgares. Il échouera, avec Pangloss son ancien mentor devenu gueux à Lisbonne au moment du tremblement de terre. Victime, mais survivant de l'autodafé expiatoire qui suit cette catastrophe, il découvre que Cunégonde est vivante et n'aura de cesse de la retrouver, du Pérou à l'Eldorado, puis de Paris à Constantinople. Mais finalement, conclut Candide, ne vaut-il pas mieux cultiver son jardin?
Foire aux questions
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Informations
Titre
CHAPITRE SECOND
Ce que devint Candide parmi les Bulgares.
Ce que devint Candide parmi les Bulgares.
Candide, chassé du paradis terrestre, marcha longtemps sans savoir
où, pleurant, levant les yeux au ciel, les tournant souvent vers le
plus beau des châteaux qui renfermait la plus belle des
baronnettes ; il se coucha sans souper au milieu des champs
entre deux sillons ; la neige tombait à gros flocons. Candide,
tout transi, se traîna le lendemain vers la ville voisine, qui
s’appelle Valdberghoff-trarbk-dikdorff, n’ayant point
d’argent, mourant de faim et de lassitude. Il s’arrêta tristement à
la porte d’un cabaret. Deux hommes habillés de bleu le
remarquèrent : « Camarade, dit l’un, voilà un jeune homme
très bien fait, et qui a la taille requise. » Ils s’avancèrent
vers Candide et le prièrent à dîner très civilement.
« Messieurs, leur dit Candide avec une modestie charmante,
vous me faites beaucoup d’honneur, mais je n’ai pas de quoi payer
mon écot. — Ah ! monsieur, lui dit un des bleus, les
personnes de votre figure et de votre mérite ne payent jamais
rien : n’avez-vous pas cinq pieds cinq pouces de haut ?
— Oui, messieurs, c’est ma taille, dit-il en faisant la
révérence. — Ah ! monsieur, mettez-vous à table ;
non seulement nous vous défrayerons, mais nous ne souffrirons
jamais qu’un homme comme vous manque d’argent ; les hommes ne
sont faits que pour se secourir les uns les autres. — Vous
avez raison, dit Candide : c’est ce que M. Pangloss m’a
toujours dit, et je vois bien que tout est au mieux. » On le
prie d’accepter quelques écus, il les prend et veut faire son
billet ; on n’en veut point, on se met à table :
« N’aimez-vous pas tendrement ?… — Oh ! oui,
répondit-il, j’aime tendrement mademoiselle Cunégonde. — Non,
dit l’un de ces messieurs, nous vous demandons si vous n’aimez pas
tendrement le roi des Bulgares. — Point du tout, dit-il, car
je ne l’ai jamais vu. — Comment ! c’est le plus charmant
des rois, et il faut boire à sa santé. — Oh ! très
volontiers, messieurs » ; et il boit. « C’en est
assez, lui dit-on, vous voilà l’appui, le soutien, le défenseur, le
héros des Bulgares ; votre fortune est faite, et votre gloire
est assurée. » On lui met sur-le-champ les fers aux pieds, et
on le mène au régiment. On le fait tourner à droite, à gauche,
hausser la baguette, remettre la baguette, coucher en joue, tirer,
doubler le pas, et on lui donne trente coups de bâton ; le
lendemain il fait l’exercice un peu moins mal, et il ne reçoit que
vingt coups ; le surlendemain on ne lui en donne que dix, et
il est regardé par ses camarades comme un prodige.
Candide, tout stupéfait, ne démêlait pas encore trop bien comment
il était un héros. Il s’avisa un beau jour de printemps de s’aller
promener, marchant tout droit devant lui, croyant que c’était un
privilège de l’espèce humaine, comme de l’espèce animale, de se
servir de ses jambes à son plaisir. Il n’eut pas fait deux lieues
que voilà quatre autres héros de six pieds qui l’atteignent, qui le
lient, qui le mènent dans un cachot. On lui demanda juridiquement
ce qu’il aimait le mieux d’être fustigé trente-six fois par tout le
régiment, ou de recevoir à la fois douze balles de plomb dans la
cervelle. Il eut beau dire que les volontés sont libres ; et
qu’il ne voulait ni l’un ni l’autre, il fallut faire un
choix ; il se détermina, en vertu du don de Dieu qu’on nomme
liberté, à passer trente-six fois par les baguettes ;
il essuya deux promenades. Le régiment était composé de deux mille
hommes ; cela lui composa quatre mille coups de baguette, qui,
depuis la nuque du cou jusqu’au cul, lui découvrirent les muscles
et les nerfs. Comme on allait procéder à la troisième course,
Candide, n’en pouvant plus, demanda en grâce qu’on voulût bien
avoir la bonté de lui casser la tête ; il obtint cette
faveur ; on lui bande les yeux, on le fait mettre à genoux. Le
roi des Bulgares passe dans ce moment, s’informe du crime du
patient ; et comme ce roi avait un grand génie, il comprit,
par tout ce qu’il apprit de Candide, que c’était un jeune
métaphysicien, fort ignorant des choses de ce monde, et il lui
accorda sa grâce avec une clémence qui sera louée dans tous les
journaux et dans tous les siècles. Un brave chirurgien guérit
Candide en trois semaines avec les émollients enseignés par
Discordes. Il avait déjà un peu de peau et pouvait marcher, quand
le roi des Bulgares livra bataille au roi des Abares.
Titre
CHAPITRE TROISIÈME
Comment Candide se sauva d’entre les Bulgares, et ce qu’il devint.
Comment Candide se sauva d’entre les Bulgares, et ce qu’il devint.
Rien n’était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que
les deux armées. Les trompettes, les fifres, les hautbois, les
tambours, les canons, formaient une harmonie telle qu’il n’y en eut
jamais en enfer. Les canons renversèrent d’abord à peu près six
mille hommes de chaque côté ; ensuite la mousqueterie ôta du
meilleur des mondes environ neuf à dix mille coquins qui en
infectaient la surface. La baïonnette fut aussi la raison
suffisante de la mort de quelques milliers d’hommes. Le tout
pouvait bien se monter à une trentaine de mille âmes. Candide, qui
tremblait comme un philosophe, se cacha du mieux qu’il put pendant
cette boucherie héroïque.
Enfin, tandis que les deux rois faisaient chanter des Te
Deum chacun dans son camp, il prit le parti d’aller raisonner
ailleurs des effets et des causes. Il passa par-dessus des tas de
morts et de mourants, et gagna d’abord un village voisin ; il
était en cendres : c’était un village abare que les Bulgares
avaient brûlé, selon les lois du droit public. Ici des vieillards
criblés de coups regardaient mourir leurs femmes égorgées, qui
tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes ; là des
filles éventrées après avoir assouvi les besoins naturels de
quelques héros rendaient les derniers soupirs ; d’autres, à
demi brûlées, criaient qu’on achevât de leur donner la mort. Des
cervelles étaient répandues sur la terre à côté de bras et de
jambes coupés.
Candide s’enfuit au plus vite dans un autre village : il
appartenait à des Bulgares, et des héros abares l’avaient traité de
même. Candide, toujours marchant sur des membres palpitants ou à
travers des ruines, arriva enfin hors du théâtre de la guerre,
portant quelques petites provisions dans son bissac, et n’oubliant
jamais mademoiselle Cunégonde. Ses provisions lui manquèrent quand
il fut en Hollande ; mais ayant entendu dire que tout le monde
était riche dans ce pays-là, et qu’on y était chrétien, il ne douta
pas qu’on ne le traitât aussi bien qu’il l’avait été dans le
château de M. le baron avant qu’il en eût été chassé pour les
beaux yeux de mademoiselle Cunégonde.
Il demanda l’aumône à plusieurs graves personnages, qui lui
répondirent tous que, s’il continuait à faire ce métier, on
l’enfermerait dans une maison de correction pour lui apprendre à
vivre.
Il s’adressa ensuite à un homme qui venait de parler tout seul une
heure de suite sur la charité dans une grande assemblée. Cet
orateur, le regardant de travers, lui dit : « Que
venez-vous faire ici ? y êtes-vous pour la bonne cause ?
— Il n’y a point d’effet sans cause, répondit modestement
Candide, tout est enchaîné nécessairement et arrangé pour le mieux.
Il a fallu que je fusse chassé d’auprès de mademoiselle Cunégonde,
que j’aie passé par les baguettes, et il faut que je demande mon
pain jusqu’à ce que je puisse en gagner ; tout cela ne pouvait
être autrement. — Mon ami, lui dit l’orateur, croyez-vous que
le pape soit l’Antéchrist ? — Je ne l’avais pas encore
entendu dire, répondit Candide ; mais qu’il le soit ou qu’il
ne le soit pas, je manque de pain. — Tu ne mérites pas d’en
manger, dit l’autre ; va, coquin, va, misérable, ne m’approche
de ta vie. » La femme de l’orateur, ayant mis la tête à la
fenêtre et avisant un homme qui doutait que le pape fût antéchrist,
lui répandit sur le chef un plein… Ô ciel ! à quel excès se
porte le zèle de la religion dans les dames !
Un homme qui n’avait point été baptisé, un bon anabaptiste, nommé
Jacques, vit la manière cruelle et ignominieuse dont on traitait
ainsi un de ses frères, un être à deux pieds sans plumes, qui avait
une âme ; il l’amena chez lui, le nettoya, lui donna du pain
et de la bière, lui fit présent de deux florins, et voulut même lui
apprendre à travailler dans ses manufactures aux étoffes de Perse
qu’on fabrique en Hollande. Candide, se prosternant presque devant
lui, s’écriait : « Maître Pangloss me l’avait bien dit
que tout est au mieux dans ce monde, car je suis infiniment plus
touché de votre extrême générosité que de la dureté de ce monsieur
à manteau noir et de madame son épouse. »
Le lendemain, en se promenant, il rencontra un gueux tout couvert
de pustules, les yeux morts, le bout du nez rongé, la bouche de
travers, les dents noires, et parlant de la gorge, tourmenté d’une
toux violente et crachant une dent à chaque effort.
Titre
CHAPITRE QUATRIÈME
Comment Candide rencontra son ancien maître de philosophie, le docteur Pangloss, et ce qui en advint.
Comment Candide rencontra son ancien maître de philosophie, le docteur Pangloss, et ce qui en advint.
Candide, plus ému encore de compassion que d’horreur, donna à cet
épouvantable gueux les deux florins qu’il avait reçus de son
honnête anabaptiste Jacques. Le fantôme le regarda fixement, versa
des larmes, et sauta à son cou. Candide, effrayé, recule.
« Hélas ! dit le misérable à l’autre misérable, ne
reconnaissez-vous plus votre cher Pangloss ?
— Qu’entends-je ? Vous, mon cher maître ! vous, dans
cet état horrible ! Quel malheur vous est-il donc
arrivé ? Pourquoi n’êtes-vous plus dans le plus beau des
châteaux ? Qu’est devenue mademoiselle Cunégonde, la perle des
filles, le chef d’œuvre de la nature ? — Je n’en peux
plus », dit Pangloss. Aussitôt Candide le mena dans l’étable
de l’anabaptiste, où il lui fit manger un peu de pain ; et
quand Pangloss fut refait : « Eh bien ! lui dit-il,
Cunégonde ? — Elle est morte », reprit l’autre.
Candide s’évanouit à ce mot ; son ami rappela ses sens avec un
peu de mauvais vinaigre qui se trouva par hasard dans l’étable.
Candide rouvre les yeux. « Cunégonde est morte !
Ah ! meilleur des mondes, où êtes-vous ? Mais de quelle
maladie est-elle morte ? ne serait-ce point de m’avoir vu
chasser du beau château de M. son père à grands coups de
pied ? — Non, dit Pangloss ; elle a été éventrée par
des soldats Bulgares, après avoir été violée autant qu’on peut
l’être ; ils ont cassé la tête à M. le baron qui voulait
la défendre ; madame la baronne a été coupée en
morceaux ; mon pauvre pupille, traité précisément comme sa
sœur ; et quant au château, il n’est pas resté pierre sur
pierre, pas une grange, pas un mouton, pas un canard, pas un
arbre ; mais nous avons été bien vengés, car les Abares en ont
fait autant dans une baronnie voisine qui appartenait à un seigneur
Bulgare. »
À ce discours, Candide s’évanouit encore ; mais revenu à soi,
et ayant dit tout ce qu’il devait dire, il s’enquit de la cause et
de l’effet, et de la raison suffisante qui avait mis Pangloss dans
un si piteux état. « Hélas ! dit l’autre, c’est
l’amour ; l’amour, le consolateur du genre humain, le
conservateur de l’univers, l’âme de tous les êtres sensibles, le
tendre amour. — Hélas ! dit Candide, je l’ai connu, cet
amour, ce souverain des cœurs, cette âme de notre âme ; il ne
m’a jamais valu qu’un baiser et vingt coups de pied au cul. Comment
cette belle cause a-t-elle pu produire en vous un effet si
abominable ? »
Pangloss répondit en ces termes : « Ô mon cher
Candide ! vous avez connu Paquette, cette jolie suivante de
notre auguste baronne ; j’ai goûté dans ses bras les délices
du paradis, qui ont produit ces tourments d’enfer dont vous me
voyez dévoré ; elle en était infectée, elle en est peut-être
morte. Paquette tenait ce présent d’un cordelier très savant, qui
avait remonté à la source ; car il l’avait eue d’une vieille
comtesse, qui l’avait reçue d’un capitaine de cavalerie, qui la
devait à une marquise, qui la tenait d’un page, qui l’avait reçue
d’un jésuite, qui, étant novice, l’avait eue en droite ligne d’un
des compagnons de Christophe Colomb. Pour moi, je ne la donnerai à
personne, car je me meurs.
— Ô Pangloss ! s’écria Candide, voilà une étrange
généalogie ! n’est-ce pas le diable qui en fut la
souche ? — Point du tout, répliqua ce grand homme ;
c’était une chose indispensable dans le meilleur des mondes, un
ingrédient nécessaire ; car si Colomb n’avait pas attrapé,
dans une île de l’Amérique, cette maladie qui empoisonne la source
de la génération, qui souvent même empêche la génération, et qui
est évidemment l’opposé du grand but de la nature, nous n’aurions
ni le chocolat ni la cochenille ; il faut encore observer que
jusqu’aujourd’hui, dans notre continent, cette maladie nous est
particulière, comme la controverse. Les Turcs, les Indiens, les
Persans, les Chinois, les Siamois, les Japonais, ne la connaissent
pas encore ; mais il y a une raison suffisante pour qu’ils la
connaissent à leur tour dans quelques siècles. En attendant, elle a
fait un merveilleux progrès parmi nous, et surtout dans ces grandes
armées composées d’honnêtes stipendiaires, bien élevés, qui
décident du destin des États ; on peut assurer que, quand
trente mille hommes combattent en bataille rangée contre des
troupes égales en nombre, il y a environ vingt mille vérolés de
chaque côté.
— Voilà qui est admirable, dit Candide, mais il faut vous
faire guérir. — Et comment le puis-je ? dit
Pangloss ; je n’ai pas le sou, mon ami ; et dans toute
l’étendue de ce globe, on ne peut ni se faire saigner ni prendre un
lavement sans payer, ou sans qu’il y ait quelqu’un qui paye pour
nous. »
Ce dernier discours détermina Candide ; il alla se jeter aux
pieds de son charitable anabaptiste Jacques, et lui fit une
peinture si touchante de l’état où son ami était réduit que le
bonhomme n’hésita pas à recueillir le docteur Pangloss ; il le
fit guérir à ses dépens. Pangloss, dans la cure, ne perdit qu’un
œil et une oreille. Il écrivait bien et savait parfaitement
l’arithmétique. L’anabaptiste Jacques en fit son teneur de livres.
Au bout de deux mois, étant obligé d’aller à Lisbonne pour les
affaires de son commerce, il mena dans son vaisseau ses deux
philosophes. Pangloss lui expliqua comment tout était on ne peut
mieux. Jacques n’était pas de cet avis. « Il faut bien,
disait-il, que les hommes aient un peu corrompu la nature, car ils
ne sont point nés loups, et ils sont devenus loups. Dieu ne leur a
donné ni canon de vingt-quatre ni baïonnettes, et ils se sont fait
des baïonnettes et des canons pour se détruire. Je pourrais mettre
en ligne de compte les banqueroutes, et la justice qui s’empare des
biens des banqueroutiers pour en frustrer les créanciers.
— Tout cela était indispensable, répliquait le docteur borgne,
et les malheurs particuliers font le bien général, de sorte que
plus il y a de malheurs particuliers, et plus tout est bien. »
Tandis qu’il raisonnait, l’air s’obscurcit, les vents soufflèrent
des quatre coins du monde et le vaisseau fut assailli de la plus
horrible tempête à la vue du port de Lisbonne.
Titre
CHAPITRE CINQUIÈME
Tempête, naufrage, tremblement de terre, et ce qui advint du Docteur Pangloss, de Candide et de l’Anabaptiste Jacques.
Tempête, naufrage, tremblement de terre, et ce qui advint du Docteur Pangloss, de Candide et de l’Anabaptiste Jacques.
La moitié des passagers, affaiblis, expirants de ces angoisses inconcevables que le roulis d’un vaisseau porte dans les nerfs et dans toutes les humeurs du corps agitées en sens contraire, n’avait pas même la force de s’inquiéter du danger. L’autre moitié jetait des cris et faisait des prières ; les voiles étaient déchirées, les mâts brisés, le vaisseau entrouvert. Travaillait qui pouvait, personne ne s’entendait, personne ne commandait. L’anabaptiste aidait un peu à la manœuvre ; il était sur le tillac ; un matelot furieux le frappe rudement et l’étend sur les planches ; mais du coup qu’il lui donna il eut lui-même une si violente secousse qu’il tomba hors du vaisseau la tête la première. Il restait suspendu et accroché à une partie de mât rompue. Le bon Jacques court à son secours, l’aide à remonter, et de l’effort qu’il fit il est précipité dans la mer à la vue du matelot, qui le laissa périr, sans daigner seulement le regarder. Candide approche, voit son bienfaiteur qui reparaît un moment et qui est englouti pour jamais. Il veut se jeter après lui dans la mer ; le philosophe Pangloss l’en empêche, en lui prouvant que la rade de Lisbonne avait été formée exprès pour que cet anabaptiste s’y noyât. Tandis qu’il le prouvait à priori, le vaisseau s’entrouvre, tout périt à la réserve de Pangloss, de Candide, et de ce brutal de matelot qui avait noyé le vertueux anabaptiste ; le coquin nagea heureusement jusqu’au rivage où Pangloss et Candide furent portés sur une planche.
Quand ils furent revenus un peu à eux, ils marchèrent vers Lisbonne ; il leur restait quelque argent, avec lequel ils espéraient se sauver de la faim après avoir échappé à la tempête.
À peine ont-ils mis le pied dans la ville en pleurant la mort de leur bienfaiteur, qu’ils sentent la terre trembler sous leurs pas ; la mer s’élève en bouillonnant dans le port, et brise les vaisseaux qui sont à l’ancre. Des tourbillons de flammes et de cendres couvrent les rues et les places publiques ; les maisons s’écroulent, les toits sont renversés sur les fondements, et les fondements se dispersent ; trente mille habitants de tout âge et de tout sexe sont écrasés sous des ruines. Le matelot disait en sifflant et en jurant : « Il y aura quelque chose à gagner ici. — Quelle peut être la raison suffisante de ce phénomène ? disait Pangloss. — Voici le dernier jour du monde ! » s’écriait Candide. Le matelot court incontinent au milieu des débris, affronte la mort pour trouver de l’argent, en trouve, s’en empare, s’enivre, et, ayant cuvé son vin, achète les faveurs de la première fille de bonne volonté qu’il rencontre sur les ruines des maisons détruites et au milieu des mourants et des morts. Pangloss le tirait cependant par la manche. « Mon ami, lui disait-il, cela n’est pas bien, vous manquez à la raison universelle, vous prenez mal votre temps. — Tête et sang ! répondit l’autre, je suis matelot et né à Batavia ; j’ai marché quatre fois sur le crucifix dans quatre voyages au Japon ; tu as bien trouvé ton homme avec ta raison universelle ! »
Quelques éclats de pierre avaient blessé Candide ; il était étendu dans la rue et couvert de débris. Il disait à Pangloss : « Hélas ! procure-moi un peu de vin et d’huile ; je me meurs. — Ce tremblement de terre n’est pas une chose nouvelle, répondit Pangloss ; la ville de Lima éprouva les mêmes secousses en Amériqu...
Table des matières
- Pages de titre
- Titre
- Titre - 1
- Titre - 2
- Titre - 3
- Titre - 4
- Titre - 5
- Titre - 6
- Titre - 7
- Titre - 8
- Titre - 9
- Titre - 10
- Titre - 11
- Titre - 12
- Titre - 13
- Titre - 14
- Titre - 15
- Titre - 16
- Titre - 17
- Titre - 18
- Titre - 19
- Titre - 20
- Titre - 21
- Titre - 22
- Titre - 23
- Titre - 24
- Titre - 25
- Titre - 26
- Titre - 27
- Titre - 28
- Titre - 29
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