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CLXXX
Le 21 janvier
M. Edgeworth de Firmont était le confesseur de Madame Élisabeth : il y avait déjà près de six semaines que le roi, prévoyant la condamnation dont il venait d’être frappé, avait demandé à sa sœur des conseils sur le choix du prêtre qui devait l’accompagner à ses derniers moments, et Madame Élisabeth avait, en pleurant, conseillé à son frère de s’arrêter à l’abbé de Firmont.
Ce digne ecclésiastique, Anglais d’origine, avait échappé aux massacres de septembre et s’était retiré à Choisy-le-Roi sous le nom d’Essex ; Madame Élisabeth connaissait sa double adresse et, l’ayant fait prévenir à Choisy, elle espérait qu’au moment de la condamnation, il se trouverait à Paris.
Elle ne se trompait pas.
L’abbé Edgeworth avait, comme nous l’avons dit, accepté la mission avec une joie résignée.
Aussi, le 21 décembre 1792, écrivait-il à un de ses amis d’Angleterre :
Mon malheureux maître a jeté les yeux sur moi pour le disposer à la mort, si l’iniquité de son peuple va jusqu’à commettre ce parricide. Je me prépare moi-même à mourir, car je suis convaincu que la fureur populaire ne me laissera pas survivre une heure à cette horrible scène ; mais je suis résigné : ma vie n’est rien ; si, en la perdant, je pouvais sauver celui que Dieu a placé pour la ruine et la résurrection de plusieurs, j’en ferais volontiers le sacrifice, et ne serais pas mort en vain.
Tel était l’homme qui ne devait plus quitter Louis XVI qu’au moment où celui-ci quitterait la terre pour le ciel.
Le roi le fit entrer dans son cabinet, et s’y enferma avec lui.
À huit heures du soir, il sortit de son cabinet, et, s’adressant aux commissaires :
– Messieurs, dit-il, ayez la bonté de me conduire à ma famille.
– Cela ne se peut pas, répondit un des commissaires ; mais on va la faire descendre, si vous le désirez.
– Soit, reprit le roi, pourvu que je puisse la voir dans ma chambre, librement et sans témoins.
– Pas dans votre chambre, observa le même municipal, mais dans la salle à manger ; nous venons d’arrêter cela avec le ministre de la Justice.
– Cependant, dit le roi, vous avez entendu que le décret de la Convention me permet de voir ma famille sans témoins.
– Cela est vrai ; vous serez en particulier : on fermera la porte ; mais par le vitrage, nous aurons les yeux sur vous.
– C’est bien : faites.
Les municipaux sortirent, et le roi passa dans la salle à manger ; Cléry l’y suivit, rangeant la table de côté, poussant les chaises au fond pour donner de l’espace.
– Cléry, dit le roi, apportez un peu d’eau et un verre, au cas où la reine aurait soif.
Il y avait sur la table une de ces carafes d’eau glacée qu’un membre de la Commune avait reprochées au roi : Cléry n’apporta donc qu’un verre.
– Donnez de l’eau ordinaire, Cléry, dit le roi ; si la reine buvait de l’eau glacée, comme elle n’y est pas habituée, cela pourrait lui faire mal... Puis, attendez, Cléry ; invitez en même temps M. de Firmont à ne point sortir de mon cabinet : je craindrais que sa vue ne fit une trop grande impression sur ma famille.
À huit heures et demie, la porte s’ouvrit. La reine venait la première, tenant son fils par la main ; Madame Royale et Madame Élisabeth la suivaient.
Le roi tendit ses bras ; les deux femmes et les deux enfants s’y jetèrent en pleurant.
Cléry sortit et ferma la porte.
Pendant quelques minutes, il se fit un morne silence interrompu seulement par des sanglots ; puis la reine voulut entraîner le roi dans sa chambre.
– Non, dit Louis XVI en la retenant, je ne puis vous voir qu’ici.
La reine et la famille royale avaient appris, par des colporteurs, la sentence rendue, mais ils ne savaient rien des détails du procès : le roi les leur raconta, excusant les hommes qui l’avaient condamné, et faisant remarquer à la reine que ni Pétion ni Manuel n’avaient voté pour la mort.
La reine écoutait et, chaque fois qu’elle voulait parler, éclatait en sanglots.
Dieu donnait un dédommagement au pauvre prisonnier ; il le faisait, à sa dernière heure, adorer de tout ce qui l’entourait, même de la reine.
Comme on l’a pu voir dans la partie romanesque de cet ouvrage, la reine se laissait facilement entraîner au côté pittoresque de la vie ; elle avait cette vive imagination qui, bien plus que le tempérament, fait les femmes imprudentes ; la reine fut imprudente toute sa vie, imprudente dans ses amitiés, imprudente dans ses amours. Sa captivité la sauva au point de vue moral : elle revint aux pures et saintes affections de la famille, dont les passions de sa jeunesse l’avaient éloignée, et, comme elle ne savait rien faire que passionnément, elle en vint à aimer passionnément dans le malheur ce roi, ce mari dont, aux jours de la félicité, elle n’avait vu que les côtés lourds et vulgaires ; Varennes et le 10 août lui avaient montré Louis XVI comme un homme sans initiative, sans résolution, alourdi, presque lâche ; au Temple, elle commença de s’apercevoir que non seulement la femme avait mal jugé son mari, mais aussi la reine mal jugé le roi ; au Temple, elle le vit calme, patient aux outrages, doux et ferme comme un Christ ; tout ce qu’elle avait des sécheresses mondaines s’amollit, se fondit, et tourna au profit des bons sentiments. De même qu’elle avait trop dédaigné, elle aima trop.
– Hélas ! dit le roi à M. de Firmont, faut-il que j’aime tant, et sois si tendrement aimé !
Aussi, dans cette dernière entrevue, la reine se laissa-t-elle entraîner à un sentiment qui ressemblait à du remords. Elle avait voulu conduire le roi dans sa chambre pour rester un instant seule avec lui ; lorsqu’elle vit que c’était chose impossible, elle attira le roi dans l’embrasure d’une fenêtre.
Là, sans doute allait-elle tomber à ses pieds, et, au milieu des larmes et des sanglots, lui demander pardon : le roi comprit tout, l’arrêta, et, tirant son testament de sa poche :
– Lisez ceci, ma bien-aimée femme ! dit-il.
Et, du doigt, il lui montrait le paragraphe suivant, que la reine lut à demi voix :
Je prie ma femme de me pardonner tous les maux qu’elle souffre pour moi, et les chagrins que je pourrais lui avoir donnés dans le cours de notre union, comme elle peut être sûre que je ne garde rien contre elle, si elle croyait avoir quelque chose à se reprocher.
Marie-Antoinette prit les mains du roi, et les baisa ; il y avait un pardon bien miséricordieux dans cette phrase : comme elle peut être sûre que je ne garde rien contre elle ; une délicatesse bien grande dans ces mots : si elle croyait avoir quelque chose à se reprocher.
Ainsi elle mourrait tranquille, la pauvre Madeleine royale ; son amour pour le roi, si tardif qu’il fût, lui valait la miséricorde divine et humaine, et son pardon lui était donné, non pas tout bas, mystérieusement, comme une indulgence dont le roi lui-même avait honte, mais hautement, mais publiquement.
Qui oserait reprocher quelque chose à celle qui allait se présenter à la postérité, doublement couronnée et de l’auréole du martyre et du pardon de son époux ?
Elle sentit cela ; elle comprit qu’à partir de ce moment elle était forte devant l’histoire ; mais elle n’en devint que plus faible en face de celui qu’elle aimait si tard, sentant bien qu’elle ne l’avait point aimé assez. Ce n’étaient plus des paroles qui s’échappaient de la poitrine de la malheureuse femme ; c’étaient des sanglots, c’étaient des cris entrecoupés : elle disait qu’elle voulait mourir avec son mari, et que, si on lui refusait cette grâce, elle se laisserait mourir de faim.
Les municipaux – qui regardaient cette scène de douleur à travers la porte vitrée – les municipaux n’y purent tenir : ils détournèrent d’abord les yeux ; puis, comme, ne voyant plus, ils entendaient encore les gémissements, ils se laissèrent franchement redevenir hommes, et fondirent en larmes.
Les funèbres adieux durèrent sept quarts d’heure.
Enfin, à dix heures et un quart, le roi se leva le premier, alors, femme, sœur, enfants se suspendirent à lui, comme les fruits après un arbre : le roi et la reine tenaient chacun le dauphin par une main ; Madame Royale, à la gauche de son père, l’embrassait par le milieu du corps ; Madame Élisabeth, du même côté que sa nièce, mais un peu plus en arrière, avait saisi le bras du roi ; la reine – et c’était celle qui avait droit à plus de consolation, car c’était elle la moins pure – la reine avait le bras passé autour du cou de son mari ; et tout ce groupe douloureux marchait d’un même mouvement, poussant des gémissements, des sanglots, des cris au milieu desquels on n’entendait que ces mots :
– Nous nous reverrons, n’est-ce pas ?
– Oui... oui... soyez tranquilles !
– Demain matin... demain matin, à huit heures ?
– Je vous le promets.
– Mais pourquoi pas à sept heures ? demanda la reine.
– Eh bien ! oui, à sept heures, dit le roi ; mais... adieu ! adieu !
Et il prononça cet adieu d’une voix si expressive, que l’on sentit qu’il craignait de voir son courage lui manquer.
Madame Royale n’en put supporter davantage : elle poussa un soupir, et se laissa aller sur le carreau : elle était évanouie.
Madame Élisabeth et Cléry la relevèrent.
Le roi sentit que c’était à lui d’être fort : il s’arracha des bras de la reine et du dauphin, et rentra dans sa chambre en criant :
– Adieu ! adieu !...
Puis il referma la porte derrière lui.
La reine, tout éperdue, alla se coller à cette porte, n’osant demander au roi de la rouvrir, mais pleurant, mais sanglotant, mais frappant le panneau de sa main étendue.
Le roi eut le courage de ne pas sortir.
Les municipaux invitèrent alors la reine à se retirer en lui renouvelant l’assurance déjà reçue qu’elle pourrait voir, le lendemain, son mari à sept heures ...