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La Curée
Emile Zola
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La Curée
Emile Zola
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Ă propos de ce livre
La CurĂ©e nous introduit dans les spĂ©culations, les intrigues, les fĂȘtes, voire les dĂ©bauches de la haute sociĂ©tĂ© parisienne du Second Empire. On assiste Ă l'ascension sociale d'Aristide Saccard, Ă ses machinations douteuses pour obtenir l'argent qui lui permet de spĂ©culer sur les travaux d'amĂ©nagement de Paris, Ă la façon dont il dĂ©pouille sa femme, RenĂ©e BĂ©raud du Chatel, qu'il a Ă©pousĂ©e pour sa dot. Se greffe lĂ -dessus une histoire d'amour entre sa femme et Alexandre, son fils nĂ© d'un premier mariage, histoire dont Aristide Saccard saura tirer profit.
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Informations
V
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Le baiser quâil avait mis sur le coude sa femme prĂ©occupait Saccard. Il nâusait plus de ses droits de mari depuis longtemps ; la rupture Ă©tait venue naturellement, ni lâun ni lâautre ne se souciant dâune liaison qui les dĂ©rangeait. Pour quâil songeĂąt Ă rentrer dans la chambre de RenĂ©e, il fallait quâil y eĂ»t quelque bonne affaire au bout de ses tendresses conjugales.
Le coup de fortune de Charonne marchait bien, tout en lui laissant des inquiĂ©tudes sur le dĂ©nouement, Larsonneau, avec son linge Ă©blouissant, avait des sourires qui lui dĂ©plaisaient. Il nâĂ©tait quâun pur intermĂ©diaire, quâun prĂȘte-nom dont il payait les complaisances par un intĂ©rĂȘt de dix pour cent sur les bĂ©nĂ©fices futurs. Mais, bien que lâagent dâexpropriation nâeĂ»t pas mis un son dans lâaffaire, et que Saccard, aprĂšs avoir fourni les fonds du cafĂ©-concert, eĂ»t pris toutes ses prĂ©cautions, contrevente, lettres dont la date restait en blanc, quittances donnĂ©es Ă lâavance, ce dernier nâen Ă©prouvait pas moins une peur sourde, un pressentiment de quelque traĂźtrise. Il flairait, chez son complice, lâintention de le faire chanter, Ă lâaide de cet inventaire faux que celui-ci gardait prĂ©cieusement, et auquel il devait uniquement dâĂȘtre de lâaffaire.
Aussi les deux compĂšres se serraient-ils vigoureusement la main. Larsonneau traitait Saccard de « cher maĂźtre ». Il avait, au fond, une vĂ©ritable admiration pour cet Ă©quilibriste, dont il suivait en amateur les exercices sur la corde roide de la spĂ©culation. LâidĂ©e de le duper le chatouillait comme une voluptĂ© rare et piquante. Il caressait un plan encore vague, ne sachant trop comment employer lâarme quâil possĂ©dait, et Ă laquelle il craignait de se couper lui-mĂȘme lise sentait, dâailleurs, Ă la merci de son ancien collĂšgue. Les terrains et les constructions que des inventaires savamment calculĂ©s estimaient dĂ©jĂ Ă prĂšs de deux millions, et qui ne valaient pas le quart de cette somme, devaient finir par sâabĂźmer dans une faillite colossale, si la fĂ©e de lâexpropriation ne les touchait de sa baguette dâor. DâaprĂšs les plans primitifs quâils avaient pu consulter, le nouveau boulevard, ouvert pour relier le parc dâartillerie de Vincennes Ă la caserne du Prince-EugĂšne, et mettre ce parc au cĆur de Paris en tournant le faubourg Saint-Antoine, emportait une partie des terrains ; mais il restait Ă craindre quâils ne fussent quâĂ peine Ă©cornĂ©s et que lâingĂ©nieuse spĂ©culation du cafĂ©-concert nâĂ©chouĂąt par son imprudence mĂȘme. Dans ce cas, Larsonneau demeurait avec une aventure dĂ©licate sur les bras. Ce pĂ©ril, toutefois, ne lâempĂȘchait pas, malgrĂ© son rĂŽle forcĂ©ment secondaire, dâĂȘtre navrĂ©, lorsquâil songeait aux maigres dix pour cent quâil toucherait dans un vol si colossal de millions. Et câĂ©tait alors quâil ne pouvait rĂ©sister Ă la dĂ©mangeaison furieuse dâallonger la main, de se tailler sa part.
Saccard nâavait pas mĂȘme voulu quâil prĂȘtĂąt de lâargent Ă sa femme, sâamusant lui-mĂȘme Ă cette grosse ficelle de mĂ©lodrame, oĂč se plaisait son amour des trafics compliquĂ©s.
â Non, non, mon cher, disait-il avec son accent provençal, quâil exagĂ©rait encore quand il voulait donner du sel Ă une plaisanterie, nâembrouillons pas nos comptes⊠Vous ĂȘtes le seul homme Ă Paris auquel jâai jurĂ© de ne jamais rien devoir.
Larsonneau se contentait de lui insinuer que sa femme Ă©tait un gouffre. Il lui conseillait de ne plus lui donner un sou, pour quâelle leur cĂ©dĂąt immĂ©diatement sa part de propriĂ©tĂ©. Il aurait prĂ©fĂ©rĂ© nâavoir affaire quâĂ lui. Il le tĂątait parfois, il poussait les choses jusquâĂ dire, de son air las et indiffĂ©rent de viveur :
â Il faudra pourtant que je mette un peu dâordre dans mes papiersâŠ. Votre femme mâĂ©pouvante, mon bon. Je ne veux pas quâon pose chez moi les scellĂ©s sur certaines piĂšces.
Saccard nâĂ©tait pas homme Ă supporter patiemment de pareilles allusions, quand il savait surtout Ă quoi sâen tenir sur lâordre froid et mĂ©ticuleux qui rĂ©gnait dans les bureaux du personnage. Toute sa petite personne rusĂ©e et active se rĂ©voltait contre les peurs que cherchait Ă lui faire ce grand bellĂątre dâusurier en gants jaunes. Le pis Ă©tait quâil se sentait pris de frissons, quand il pensait Ă un scandale possible ; et il se voyait exilĂ© brutalement par son frĂšre, vivant en Belgique de quelque nĂ©goce Inavouable. Un jour, il se fĂącha, il alla jusquâĂ tutoyer Larsonneau.
â Ăcoute, mon petit, lui dit-il, tu es un gentil garçon, mais tu ferais bien de me rendre la piĂšce que tu sais. Tu verras que ce bout de papier finira par nous fĂącher.
Lâautre fit lâĂ©tonnĂ©, serra les mains de son « cher maĂźtre », en lâassurant de son dĂ©vouement. Saccard regretta son impatience dâune minute. Ce fut Ă cette Ă©poque quâil songea sĂ©rieusement Ă se rapprocher de sa femme ; il pouvait avoir besoin dâelle contre son complice, et il se disait encore que les affaires se traitent merveilleusement sur lâoreiller. Le baiser sur le cou devint peu Ă peu la rĂ©vĂ©lation de toute une nouvelle tactique.
Dâailleurs, il nâĂ©tait pas pressĂ©, il mĂ©nageait ses moyens. Il mit tout lâhiver Ă mĂ»rir son plan, tiraillĂ© par cent affaires plus embrouillĂ©es les unes que les autres. Ce fut pour lui un hiver terrible, plein de secousses, une campagne prodigieuse, pendant laquelle il fallut chaque jour vaincre la faillite. Loin de restreindre son train de maison, il donna fĂȘte sur fĂȘte. Mais sâil parvint Ă faire face Ă tout, il dut nĂ©gliger RenĂ©e, quâil rĂ©servait pour son coup de triomphe, lorsque lâopĂ©ration de Charonne serait mĂ»re. Il se contenta de prĂ©parer le dĂ©nouement, en continuant Ă ne plus lui donner de lâargent que par lâentremise de Larsonneau. Quand il pouvait disposer de quelques milliers de francs, et quâelle criait misĂšre, il les lui apportait, en disant que les hommes Ă Larsonneau exigeaient un billet du double de la somme. Cette comĂ©die lâamusait Ă©normĂ©ment, lâhistoire de ces billets le ravissait par le roman quâils mettaient dans lâaffaire. MĂȘme au temps de ses bĂ©nĂ©fices les plus nets, il avait servi la pension de sa femme dâune façon trĂšs irrĂ©guliĂšre, lui faisant des cadeaux princiers, lui abandonnant des poignĂ©es de billets de banque, puis la laissant aux abois pour une misĂšre pendant des semaines. Maintenant quâil se trouvait sĂ©rieusement embarrassĂ©, il parlait des charges de la maison, il la traitait en crĂ©ancier, auquel on ne veut pas avouer sa ruine, et quâon fait patienter avec des histoires. Elle lâĂ©coutait Ă peine ; elle signait tout ce quâil voulait ; elle se plaignait seulement de ne pouvoir signer davantage.
Il avait dĂ©jĂ , cependant, pour deux cent mille francs de billets signĂ©s dâelle, qui lui coĂ»taient Ă peine cent dix mille francs. AprĂšs les avoir fait endosser par Larsonneau au nom duquel ils Ă©taient souscrits, ils faisaient voyager ces billets dâune façon prudente, comptant sâen servir plus tard comme dâarmes dĂ©cisives. Jamais il nâaurait pu aller jusquâau bout de ce terrible hiver, prĂȘter Ă usure Ă sa femme et maintenir son train de maison, sans la vente de son terrain du boulevard Malesherbes, que les sieurs Mignon et Charrier lui payĂšrent argent comptant, mais en retenant un escompte formidable.
Cet hiver fut pour RenĂ©e une longue joie. Elle ne souffrait que du besoin dâargent. Maxime lui coĂ»tait trĂšs cher ; il la traitait toujours en belle-maman, la laissait payer partout. Mais cette misĂšre cachĂ©e Ă©tait pour elle une voluptĂ© de plus. Elle sâingĂ©niait, se cassait la tĂȘte, pour que « son cher enfant » ne manquĂąt de rien ; et quand elle avait dĂ©cidĂ© son mari Ă lui trouver quelques milliers de francs, elle les mangeait avec son amant, en folies coĂ»teuses, comme deux Ă©coliers lĂąchĂ©s dans leur premiĂšre escapade. Lorsquâils nâavaient pas le sou, ils restaient Ă lâhĂŽtel, ils jouissaient de cette grande bĂątisse, dâun luxe si neuf et si insolemment bĂȘte. Le pĂšre nâĂ©tait jamais lĂ . Les amoureux gardaient le coin du feu plus souvent quâautrefois. Câest que RenĂ©e avait enfin empli dâune jouissance chaude le vide glacial de ces plafonds dorĂ©s. Cette maison suspecte du plaisir mondain Ă©tait devenue une chapelle oĂč elle pratiquait Ă lâĂ©cart une nouvelle religion. Maxime ne mettait pas seulement en elle la note aiguĂ« qui sâaccordait avec ses toilettes folles ; il Ă©tait lâamant fait pour cet hĂŽtel, aux larges vitrines de magasin, et quâun ruissellement de sculptures inondait des greniers aux caves ; il animait ces plĂątras, depuis les deux Amours joufflus qui, dans la cour, laissaient tomber de leur coquille un filet dâeau, jusquâaux grandes femmes nues soutenant les balcons et jouant au milieu des frontons avec des Ă©pis et des pommes ; il expliquait le vestibule trop riche, le jardin trop Ă©troit, les piĂšces Ă©clatantes oĂč lâon voyait trop de fauteuils et pas un objet dâart. La jeune femme, qui sây, Ă©tait mortellement ennuyĂ©e, sây amusa tout dâun coup, en usa comme dâune chose dont elle nâavait pas dâabord compris lâemploi. Et ce ne fut pas seulement dans son appartement, dans le salon bouton dâor et dans la serre, quâelle promena son amour, mais dans lâhĂŽtel entier. Elle finit par se plaire mĂȘme sur le divan du fumoir ; elle sâoubliait lĂ , elle disait que cette piĂšce avait une vague odeur de tabac trĂšs agrĂ©able.
Elle prit deux jours de rĂ©ception au lieu dâun. Le jeudi, tous les intrus venaient. Mais le lundi Ă©tait rĂ©servĂ© aux amies intimes. Les hommes nâĂ©taient pas admis. Maxime seul assistait Ă ces parties fines qui avaient lieu dans le petit salon. Un soir, elle eut lâĂ©tonnante idĂ©e de lâhabiller en femme et de le prĂ©senter comme une de ses cousines. Adeline, Suzanne, la baronne de Meinhold, et les autres amies qui Ă©taient lĂ , se levĂšrent, saluĂšrent, Ă©tonnĂ©es par cette figure quâelles reconnaissaient vaguement. Puis lorsquâelles comprirent, elles rirent beaucoup, elles ne voulurent absolument pas que le jeune homme allĂąt se dĂ©shabiller. Elles le gardĂšrent avec ses jupes, le taquinant, se prĂȘtant Ă des plaisanteries Ă©quivoques. Quand il avait reconduit ces dames par la grande porte, il faisait le tour du parc et revenait par la serre. Jamais les bonnes amies nâeurent le moindre soupçon. Les amants ne pouvaient ĂȘtre plus familiers quâils ne lâĂ©taient dĂ©jĂ , lorsquâils se disaient bons camarades. Et sâil arrivait quâun domestique les vit se serrer dâun peu prĂšs, entre deux portes, il nâĂ©prouvait aucune surprise, Ă©tant habituĂ© aux plaisanteries de madame et du fils de monsieur.
Cette libertĂ© entiĂšre, cette impunitĂ© les enhardissait encore. Sâils poussaient les verrous la nuit, ils sâembrassaient le jour dans toutes les piĂšces de lâhĂŽtel. Ils inventĂšrent mille petits jeux, par les temps de pluie. Mais le grand rĂ©gal de RenĂ©e Ă©tait toujours de faire un feu terrible et de sâassoupir devant le brasier. Elle eut, cet hiver-lĂ , un luxe de linge merveilleux. Elle porta des chemises et des peignoirs dâun prix fou, dont les entredeux et la batiste la couvraient Ă peine dâune fumĂ©e blanche. Et, dans la lueur rouge du brasier, elle restait, comme nue, les dentelles et la peau roses, la chair baignĂ©e par la flamme Ă travers lâĂ©toffe mince. Maxime, accroupi Ă ses pieds, lui baisait les genoux, sans mĂȘme sentir le linge qui avait la tiĂ©deur et la couleur de ce beau corps. Le jour Ă©tait bas, il tombait pareil Ă un crĂ©puscule dans la chambre de soie grise, tandis que CĂ©leste allait et venait derriĂšre eux, de son pas tranquille. Elle Ă©tait devenue leur complice, naturellement. Un matin quâils sâĂ©taient oubliĂ©s au lit, elle les y trouva, et garda son flegme de servante au sang glacĂ©. Ils ne se gĂȘnaient plus, elle entrait Ă toute heure, sans que le bruit de leurs baisers lui fĂźt tourner la tĂȘte. Ils comptaient sur elle pour les prĂ©venir en cas dâalerte. Ils nâachetaient pas son silence. CâĂ©tait une fille trĂšs Ă©conome, trĂšs honnĂȘte, et Ă laquelle on ne connaissait pas dâamant.
Cependant, RenĂ©e ne sâĂ©tait pas cloĂźtrĂ©e. Elle courait le monde, y menait Maxime Ă sa suite, comme un page blond en habit noir, y goĂ»tait mĂȘme des plaisirs plus vifs. La saison fut pour elle un long triomphe. Jamais elle nâavait eu des imaginations plus hardies de toilettes et de coiffures. Ce fut alors quâelle risqua cette fameuse robe de satin couleur buisson, sur laquelle Ă©tait brodĂ©e toute une chasse au cerf, avec des attributs, des poires Ă poudre, des cors de chasse, des couteaux Ă larges lames. Ce fut alors aussi quâelle mit Ă la mode les coiffures antiques que Maxime dut aller dessiner pour elle au musĂ©e Campana, rĂ©cemment ouvert. Elle rajeunissait, elle Ă©tait dans la plĂ©nitude de sa beautĂ© turbulente. Lâinceste mettait en elle une flamme qui luisait au fond de ses yeux et chauffait ses rires. Son binocle prenait des insolences suprĂȘmes sur le bout de son nez, et elle regardait les autres femmes, les bonnes amies Ă©talĂ©es dans lâĂ©normitĂ© de quelque vice, dâun air dâadolescent vantard, dâun sourire fixe signifiant « Jâai mon crime. »
Maxime, lui, trouvait le monde assommant. CâĂ©tait par « chic » quâil prĂ©tendait sây ennuyer, car il ne sâamusait rĂ©ellement nulle part. Aux Tuileries, chez les ministres, il disparaissait dans les jupons de RenĂ©e. Mais il redevenait le maĂźtre, dĂšs quâil sâagissait de quelque escapade. RenĂ©e voulut revoir le cabinet du boulevard, et la largeur du divan la fit sourire. Puis, il la mena un peu partout, chez les filles, au bal de lâOpĂ©ra, dans les avant-scĂšnes des petits thĂ©Ăątres, dans tous les endroits Ă©quivoques oĂč ils pouvaient coudoyer le vice brutal, en goĂ»tant les joies de lâincognito. Quand ils rentraient furtivement Ă lâhĂŽtel, brisĂ©s de fatigue, ils sâendormaient aux bras lâun de lâautre, cuvant lâivresse du Paris ordurier, avec des lambeaux de couplets grivois chantant encore Ă leurs oreilles. Le lendemain, Maxime imitait les acteurs, et RenĂ©e, sur le piano du petit salon, cherchait Ă retrouver la voix rauque et les dĂ©hanchements de Blanche MĂŒller, dans son rĂŽle de la Belle HĂ©lĂšne. Ses leçons de musique du couvent ne lui servaient plus quâĂ Ă©corcher les couplets des bouffonneries nouvelles. Elle avait une horreur sainte pour les airs sĂ©rieux. Maxime « blaguait avec elle la musique allemande, et il crut devoir aller siffler le Tannhauser par conviction, et pour dĂ©fendre les refrains Ă©grillards de sa belle-mĂšre.
Une de leurs grandes parties fut de patiner ; cet hiver-lĂ , le patin Ă©tait, Ă la mode, lâempereur Ă©tant allĂ© un des premiers essayer la glace du lac, au bois de Boulogne. RenĂ©e commanda Ă Worms un costume complet de Polonaise, velours et fourrure ; elle voulut que Maxime eĂ»t des bottes molles et un bonnet de renard. Ils arrivaient au Bois, par des froids de loup qui leur piquaient le nez et les lĂšvres, comme si le vent leur eĂ»t soufflĂ© du sable fin au visage. Cela les amusait dâavoir froid. Le Bois Ă©tait tout gris, avec des filets de neige, semblables, le long des branches, Ă de minces guipures. Et, sous le ciel pĂąle, au-dessus du lac figĂ© et terni, il nây avait que les sapins des Ăźles qui missent encore, au bord de lâhorizon, leurs draperies thĂ©Ăątrales, oĂč la neige cousait aussi de hautes dentelles. Ils filaient tous deux dans lâair glacĂ©, du vol rapide des hirondelles qui rasent le sol. Ils mettaient un poing derriĂšre le dos, et se posant mutuellement lâautre main sur lâĂ©paule, ils allaient droits, souriants, cĂŽte Ă cĂŽte, tournant sur eux-mĂȘmes, dans le large espace que marquaient de grosses cordes. Du haut de la grande allĂ©e, des badauds les regardaient. Parfois ils venaient se chauffer aux brasiers allumĂ©s sur le bord du lac. Et ils repartaient. Ils arrondissaient largement leur vol, les yeux pleurant de plaisir et de froid.
Puis, quand vint le printemps, Renée se rappela son ancienne élégie. Elle voulut que Maxime se promenùt avec elle dans le par...