La Curée
eBook - ePub

La Curée

Emile Zola

Partager le livre
  1. 429 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub

La Curée

Emile Zola

DĂ©tails du livre
Aperçu du livre
Table des matiĂšres
Citations

À propos de ce livre

La CurĂ©e nous introduit dans les spĂ©culations, les intrigues, les fĂȘtes, voire les dĂ©bauches de la haute sociĂ©tĂ© parisienne du Second Empire. On assiste Ă  l'ascension sociale d'Aristide Saccard, Ă  ses machinations douteuses pour obtenir l'argent qui lui permet de spĂ©culer sur les travaux d'amĂ©nagement de Paris, Ă  la façon dont il dĂ©pouille sa femme, RenĂ©e BĂ©raud du Chatel, qu'il a Ă©pousĂ©e pour sa dot. Se greffe lĂ -dessus une histoire d'amour entre sa femme et Alexandre, son fils nĂ© d'un premier mariage, histoire dont Aristide Saccard saura tirer profit.

Foire aux questions

Comment puis-je résilier mon abonnement ?
Il vous suffit de vous rendre dans la section compte dans paramĂštres et de cliquer sur « RĂ©silier l’abonnement ». C’est aussi simple que cela ! Une fois que vous aurez rĂ©siliĂ© votre abonnement, il restera actif pour le reste de la pĂ©riode pour laquelle vous avez payĂ©. DĂ©couvrez-en plus ici.
Puis-je / comment puis-je télécharger des livres ?
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptĂ©s aux mobiles peuvent ĂȘtre tĂ©lĂ©chargĂ©s via l’application. La plupart de nos PDF sont Ă©galement disponibles en tĂ©lĂ©chargement et les autres seront tĂ©lĂ©chargeables trĂšs prochainement. DĂ©couvrez-en plus ici.
Quelle est la différence entre les formules tarifaires ?
Les deux abonnements vous donnent un accĂšs complet Ă  la bibliothĂšque et Ă  toutes les fonctionnalitĂ©s de Perlego. Les seules diffĂ©rences sont les tarifs ainsi que la pĂ©riode d’abonnement : avec l’abonnement annuel, vous Ă©conomiserez environ 30 % par rapport Ă  12 mois d’abonnement mensuel.
Qu’est-ce que Perlego ?
Nous sommes un service d’abonnement Ă  des ouvrages universitaires en ligne, oĂč vous pouvez accĂ©der Ă  toute une bibliothĂšque pour un prix infĂ©rieur Ă  celui d’un seul livre par mois. Avec plus d’un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu’il vous faut ! DĂ©couvrez-en plus ici.
Prenez-vous en charge la synthÚse vocale ?
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l’écouter. L’outil Écouter lit le texte Ă  haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l’accĂ©lĂ©rer ou le ralentir. DĂ©couvrez-en plus ici.
Est-ce que La Curée est un PDF/ePUB en ligne ?
Oui, vous pouvez accĂ©der Ă  La CurĂ©e par Emile Zola en format PDF et/ou ePUB ainsi qu’à d’autres livres populaires dans Letteratura et Narrativa storica. Nous disposons de plus d’un million d’ouvrages Ă  dĂ©couvrir dans notre catalogue.

Informations

Éditeur
Books on Demand
Année
2019
ISBN
9782322038282
Édition
1

V

V
Le baiser qu’il avait mis sur le coude sa femme prĂ©occupait Saccard. Il n’usait plus de ses droits de mari depuis longtemps ; la rupture Ă©tait venue naturellement, ni l’un ni l’autre ne se souciant d’une liaison qui les dĂ©rangeait. Pour qu’il songeĂąt Ă  rentrer dans la chambre de RenĂ©e, il fallait qu’il y eĂ»t quelque bonne affaire au bout de ses tendresses conjugales.
Le coup de fortune de Charonne marchait bien, tout en lui laissant des inquiĂ©tudes sur le dĂ©nouement, Larsonneau, avec son linge Ă©blouissant, avait des sourires qui lui dĂ©plaisaient. Il n’était qu’un pur intermĂ©diaire, qu’un prĂȘte-nom dont il payait les complaisances par un intĂ©rĂȘt de dix pour cent sur les bĂ©nĂ©fices futurs. Mais, bien que l’agent d’expropriation n’eĂ»t pas mis un son dans l’affaire, et que Saccard, aprĂšs avoir fourni les fonds du cafĂ©-concert, eĂ»t pris toutes ses prĂ©cautions, contrevente, lettres dont la date restait en blanc, quittances donnĂ©es Ă  l’avance, ce dernier n’en Ă©prouvait pas moins une peur sourde, un pressentiment de quelque traĂźtrise. Il flairait, chez son complice, l’intention de le faire chanter, Ă  l’aide de cet inventaire faux que celui-ci gardait prĂ©cieusement, et auquel il devait uniquement d’ĂȘtre de l’affaire.
Aussi les deux compĂšres se serraient-ils vigoureusement la main. Larsonneau traitait Saccard de « cher maĂźtre ». Il avait, au fond, une vĂ©ritable admiration pour cet Ă©quilibriste, dont il suivait en amateur les exercices sur la corde roide de la spĂ©culation. L’idĂ©e de le duper le chatouillait comme une voluptĂ© rare et piquante. Il caressait un plan encore vague, ne sachant trop comment employer l’arme qu’il possĂ©dait, et Ă  laquelle il craignait de se couper lui-mĂȘme lise sentait, d’ailleurs, Ă  la merci de son ancien collĂšgue. Les terrains et les constructions que des inventaires savamment calculĂ©s estimaient dĂ©jĂ  Ă  prĂšs de deux millions, et qui ne valaient pas le quart de cette somme, devaient finir par s’abĂźmer dans une faillite colossale, si la fĂ©e de l’expropriation ne les touchait de sa baguette d’or. D’aprĂšs les plans primitifs qu’ils avaient pu consulter, le nouveau boulevard, ouvert pour relier le parc d’artillerie de Vincennes Ă  la caserne du Prince-EugĂšne, et mettre ce parc au cƓur de Paris en tournant le faubourg Saint-Antoine, emportait une partie des terrains ; mais il restait Ă  craindre qu’ils ne fussent qu’à peine Ă©cornĂ©s et que l’ingĂ©nieuse spĂ©culation du cafĂ©-concert n’échouĂąt par son imprudence mĂȘme. Dans ce cas, Larsonneau demeurait avec une aventure dĂ©licate sur les bras. Ce pĂ©ril, toutefois, ne l’empĂȘchait pas, malgrĂ© son rĂŽle forcĂ©ment secondaire, d’ĂȘtre navrĂ©, lorsqu’il songeait aux maigres dix pour cent qu’il toucherait dans un vol si colossal de millions. Et c’était alors qu’il ne pouvait rĂ©sister Ă  la dĂ©mangeaison furieuse d’allonger la main, de se tailler sa part.
Saccard n’avait pas mĂȘme voulu qu’il prĂȘtĂąt de l’argent Ă  sa femme, s’amusant lui-mĂȘme Ă  cette grosse ficelle de mĂ©lodrame, oĂč se plaisait son amour des trafics compliquĂ©s.
– Non, non, mon cher, disait-il avec son accent provençal, qu’il exagĂ©rait encore quand il voulait donner du sel Ă  une plaisanterie, n’embrouillons pas nos comptes
 Vous ĂȘtes le seul homme Ă  Paris auquel j’ai jurĂ© de ne jamais rien devoir.
Larsonneau se contentait de lui insinuer que sa femme Ă©tait un gouffre. Il lui conseillait de ne plus lui donner un sou, pour qu’elle leur cĂ©dĂąt immĂ©diatement sa part de propriĂ©tĂ©. Il aurait prĂ©fĂ©rĂ© n’avoir affaire qu’à lui. Il le tĂątait parfois, il poussait les choses jusqu’à dire, de son air las et indiffĂ©rent de viveur :
– Il faudra pourtant que je mette un peu d’ordre dans mes papiers
. Votre femme m’épouvante, mon bon. Je ne veux pas qu’on pose chez moi les scellĂ©s sur certaines piĂšces.
Saccard n’était pas homme Ă  supporter patiemment de pareilles allusions, quand il savait surtout Ă  quoi s’en tenir sur l’ordre froid et mĂ©ticuleux qui rĂ©gnait dans les bureaux du personnage. Toute sa petite personne rusĂ©e et active se rĂ©voltait contre les peurs que cherchait Ă  lui faire ce grand bellĂątre d’usurier en gants jaunes. Le pis Ă©tait qu’il se sentait pris de frissons, quand il pensait Ă  un scandale possible ; et il se voyait exilĂ© brutalement par son frĂšre, vivant en Belgique de quelque nĂ©goce Inavouable. Un jour, il se fĂącha, il alla jusqu’à tutoyer Larsonneau.
– Écoute, mon petit, lui dit-il, tu es un gentil garçon, mais tu ferais bien de me rendre la piùce que tu sais. Tu verras que ce bout de papier finira par nous fñcher.
L’autre fit l’étonnĂ©, serra les mains de son « cher maĂźtre », en l’assurant de son dĂ©vouement. Saccard regretta son impatience d’une minute. Ce fut Ă  cette Ă©poque qu’il songea sĂ©rieusement Ă  se rapprocher de sa femme ; il pouvait avoir besoin d’elle contre son complice, et il se disait encore que les affaires se traitent merveilleusement sur l’oreiller. Le baiser sur le cou devint peu Ă  peu la rĂ©vĂ©lation de toute une nouvelle tactique.
D’ailleurs, il n’était pas pressĂ©, il mĂ©nageait ses moyens. Il mit tout l’hiver Ă  mĂ»rir son plan, tiraillĂ© par cent affaires plus embrouillĂ©es les unes que les autres. Ce fut pour lui un hiver terrible, plein de secousses, une campagne prodigieuse, pendant laquelle il fallut chaque jour vaincre la faillite. Loin de restreindre son train de maison, il donna fĂȘte sur fĂȘte. Mais s’il parvint Ă  faire face Ă  tout, il dut nĂ©gliger RenĂ©e, qu’il rĂ©servait pour son coup de triomphe, lorsque l’opĂ©ration de Charonne serait mĂ»re. Il se contenta de prĂ©parer le dĂ©nouement, en continuant Ă  ne plus lui donner de l’argent que par l’entremise de Larsonneau. Quand il pouvait disposer de quelques milliers de francs, et qu’elle criait misĂšre, il les lui apportait, en disant que les hommes Ă  Larsonneau exigeaient un billet du double de la somme. Cette comĂ©die l’amusait Ă©normĂ©ment, l’histoire de ces billets le ravissait par le roman qu’ils mettaient dans l’affaire. MĂȘme au temps de ses bĂ©nĂ©fices les plus nets, il avait servi la pension de sa femme d’une façon trĂšs irrĂ©guliĂšre, lui faisant des cadeaux princiers, lui abandonnant des poignĂ©es de billets de banque, puis la laissant aux abois pour une misĂšre pendant des semaines. Maintenant qu’il se trouvait sĂ©rieusement embarrassĂ©, il parlait des charges de la maison, il la traitait en crĂ©ancier, auquel on ne veut pas avouer sa ruine, et qu’on fait patienter avec des histoires. Elle l’écoutait Ă  peine ; elle signait tout ce qu’il voulait ; elle se plaignait seulement de ne pouvoir signer davantage.
Il avait dĂ©jĂ , cependant, pour deux cent mille francs de billets signĂ©s d’elle, qui lui coĂ»taient Ă  peine cent dix mille francs. AprĂšs les avoir fait endosser par Larsonneau au nom duquel ils Ă©taient souscrits, ils faisaient voyager ces billets d’une façon prudente, comptant s’en servir plus tard comme d’armes dĂ©cisives. Jamais il n’aurait pu aller jusqu’au bout de ce terrible hiver, prĂȘter Ă  usure Ă  sa femme et maintenir son train de maison, sans la vente de son terrain du boulevard Malesherbes, que les sieurs Mignon et Charrier lui payĂšrent argent comptant, mais en retenant un escompte formidable.
Cet hiver fut pour RenĂ©e une longue joie. Elle ne souffrait que du besoin d’argent. Maxime lui coĂ»tait trĂšs cher ; il la traitait toujours en belle-maman, la laissait payer partout. Mais cette misĂšre cachĂ©e Ă©tait pour elle une voluptĂ© de plus. Elle s’ingĂ©niait, se cassait la tĂȘte, pour que « son cher enfant » ne manquĂąt de rien ; et quand elle avait dĂ©cidĂ© son mari Ă  lui trouver quelques milliers de francs, elle les mangeait avec son amant, en folies coĂ»teuses, comme deux Ă©coliers lĂąchĂ©s dans leur premiĂšre escapade. Lorsqu’ils n’avaient pas le sou, ils restaient Ă  l’hĂŽtel, ils jouissaient de cette grande bĂątisse, d’un luxe si neuf et si insolemment bĂȘte. Le pĂšre n’était jamais lĂ . Les amoureux gardaient le coin du feu plus souvent qu’autrefois. C’est que RenĂ©e avait enfin empli d’une jouissance chaude le vide glacial de ces plafonds dorĂ©s. Cette maison suspecte du plaisir mondain Ă©tait devenue une chapelle oĂč elle pratiquait Ă  l’écart une nouvelle religion. Maxime ne mettait pas seulement en elle la note aiguĂ« qui s’accordait avec ses toilettes folles ; il Ă©tait l’amant fait pour cet hĂŽtel, aux larges vitrines de magasin, et qu’un ruissellement de sculptures inondait des greniers aux caves ; il animait ces plĂątras, depuis les deux Amours joufflus qui, dans la cour, laissaient tomber de leur coquille un filet d’eau, jusqu’aux grandes femmes nues soutenant les balcons et jouant au milieu des frontons avec des Ă©pis et des pommes ; il expliquait le vestibule trop riche, le jardin trop Ă©troit, les piĂšces Ă©clatantes oĂč l’on voyait trop de fauteuils et pas un objet d’art. La jeune femme, qui s’y, Ă©tait mortellement ennuyĂ©e, s’y amusa tout d’un coup, en usa comme d’une chose dont elle n’avait pas d’abord compris l’emploi. Et ce ne fut pas seulement dans son appartement, dans le salon bouton d’or et dans la serre, qu’elle promena son amour, mais dans l’hĂŽtel entier. Elle finit par se plaire mĂȘme sur le divan du fumoir ; elle s’oubliait lĂ , elle disait que cette piĂšce avait une vague odeur de tabac trĂšs agrĂ©able.
Elle prit deux jours de rĂ©ception au lieu d’un. Le jeudi, tous les intrus venaient. Mais le lundi Ă©tait rĂ©servĂ© aux amies intimes. Les hommes n’étaient pas admis. Maxime seul assistait Ă  ces parties fines qui avaient lieu dans le petit salon. Un soir, elle eut l’étonnante idĂ©e de l’habiller en femme et de le prĂ©senter comme une de ses cousines. Adeline, Suzanne, la baronne de Meinhold, et les autres amies qui Ă©taient lĂ , se levĂšrent, saluĂšrent, Ă©tonnĂ©es par cette figure qu’elles reconnaissaient vaguement. Puis lorsqu’elles comprirent, elles rirent beaucoup, elles ne voulurent absolument pas que le jeune homme allĂąt se dĂ©shabiller. Elles le gardĂšrent avec ses jupes, le taquinant, se prĂȘtant Ă  des plaisanteries Ă©quivoques. Quand il avait reconduit ces dames par la grande porte, il faisait le tour du parc et revenait par la serre. Jamais les bonnes amies n’eurent le moindre soupçon. Les amants ne pouvaient ĂȘtre plus familiers qu’ils ne l’étaient dĂ©jĂ , lorsqu’ils se disaient bons camarades. Et s’il arrivait qu’un domestique les vit se serrer d’un peu prĂšs, entre deux portes, il n’éprouvait aucune surprise, Ă©tant habituĂ© aux plaisanteries de madame et du fils de monsieur.
Cette libertĂ© entiĂšre, cette impunitĂ© les enhardissait encore. S’ils poussaient les verrous la nuit, ils s’embrassaient le jour dans toutes les piĂšces de l’hĂŽtel. Ils inventĂšrent mille petits jeux, par les temps de pluie. Mais le grand rĂ©gal de RenĂ©e Ă©tait toujours de faire un feu terrible et de s’assoupir devant le brasier. Elle eut, cet hiver-lĂ , un luxe de linge merveilleux. Elle porta des chemises et des peignoirs d’un prix fou, dont les entredeux et la batiste la couvraient Ă  peine d’une fumĂ©e blanche. Et, dans la lueur rouge du brasier, elle restait, comme nue, les dentelles et la peau roses, la chair baignĂ©e par la flamme Ă  travers l’étoffe mince. Maxime, accroupi Ă  ses pieds, lui baisait les genoux, sans mĂȘme sentir le linge qui avait la tiĂ©deur et la couleur de ce beau corps. Le jour Ă©tait bas, il tombait pareil Ă  un crĂ©puscule dans la chambre de soie grise, tandis que CĂ©leste allait et venait derriĂšre eux, de son pas tranquille. Elle Ă©tait devenue leur complice, naturellement. Un matin qu’ils s’étaient oubliĂ©s au lit, elle les y trouva, et garda son flegme de servante au sang glacĂ©. Ils ne se gĂȘnaient plus, elle entrait Ă  toute heure, sans que le bruit de leurs baisers lui fĂźt tourner la tĂȘte. Ils comptaient sur elle pour les prĂ©venir en cas d’alerte. Ils n’achetaient pas son silence. C’était une fille trĂšs Ă©conome, trĂšs honnĂȘte, et Ă  laquelle on ne connaissait pas d’amant.
Cependant, RenĂ©e ne s’était pas cloĂźtrĂ©e. Elle courait le monde, y menait Maxime Ă  sa suite, comme un page blond en habit noir, y goĂ»tait mĂȘme des plaisirs plus vifs. La saison fut pour elle un long triomphe. Jamais elle n’avait eu des imaginations plus hardies de toilettes et de coiffures. Ce fut alors qu’elle risqua cette fameuse robe de satin couleur buisson, sur laquelle Ă©tait brodĂ©e toute une chasse au cerf, avec des attributs, des poires Ă  poudre, des cors de chasse, des couteaux Ă  larges lames. Ce fut alors aussi qu’elle mit Ă  la mode les coiffures antiques que Maxime dut aller dessiner pour elle au musĂ©e Campana, rĂ©cemment ouvert. Elle rajeunissait, elle Ă©tait dans la plĂ©nitude de sa beautĂ© turbulente. L’inceste mettait en elle une flamme qui luisait au fond de ses yeux et chauffait ses rires. Son binocle prenait des insolences suprĂȘmes sur le bout de son nez, et elle regardait les autres femmes, les bonnes amies Ă©talĂ©es dans l’énormitĂ© de quelque vice, d’un air d’adolescent vantard, d’un sourire fixe signifiant « J’ai mon crime. »
Maxime, lui, trouvait le monde assommant. C’était par « chic » qu’il prĂ©tendait s’y ennuyer, car il ne s’amusait rĂ©ellement nulle part. Aux Tuileries, chez les ministres, il disparaissait dans les jupons de RenĂ©e. Mais il redevenait le maĂźtre, dĂšs qu’il s’agissait de quelque escapade. RenĂ©e voulut revoir le cabinet du boulevard, et la largeur du divan la fit sourire. Puis, il la mena un peu partout, chez les filles, au bal de l’OpĂ©ra, dans les avant-scĂšnes des petits thĂ©Ăątres, dans tous les endroits Ă©quivoques oĂč ils pouvaient coudoyer le vice brutal, en goĂ»tant les joies de l’incognito. Quand ils rentraient furtivement Ă  l’hĂŽtel, brisĂ©s de fatigue, ils s’endormaient aux bras l’un de l’autre, cuvant l’ivresse du Paris ordurier, avec des lambeaux de couplets grivois chantant encore Ă  leurs oreilles. Le lendemain, Maxime imitait les acteurs, et RenĂ©e, sur le piano du petit salon, cherchait Ă  retrouver la voix rauque et les dĂ©hanchements de Blanche MĂŒller, dans son rĂŽle de la Belle HĂ©lĂšne. Ses leçons de musique du couvent ne lui servaient plus qu’à Ă©corcher les couplets des bouffonneries nouvelles. Elle avait une horreur sainte pour les airs sĂ©rieux. Maxime « blaguait avec elle la musique allemande, et il crut devoir aller siffler le Tannhauser par conviction, et pour dĂ©fendre les refrains Ă©grillards de sa belle-mĂšre.
Une de leurs grandes parties fut de patiner ; cet hiver-lĂ , le patin Ă©tait, Ă  la mode, l’empereur Ă©tant allĂ© un des premiers essayer la glace du lac, au bois de Boulogne. RenĂ©e commanda Ă  Worms un costume complet de Polonaise, velours et fourrure ; elle voulut que Maxime eĂ»t des bottes molles et un bonnet de renard. Ils arrivaient au Bois, par des froids de loup qui leur piquaient le nez et les lĂšvres, comme si le vent leur eĂ»t soufflĂ© du sable fin au visage. Cela les amusait d’avoir froid. Le Bois Ă©tait tout gris, avec des filets de neige, semblables, le long des branches, Ă  de minces guipures. Et, sous le ciel pĂąle, au-dessus du lac figĂ© et terni, il n’y avait que les sapins des Ăźles qui missent encore, au bord de l’horizon, leurs draperies thĂ©Ăątrales, oĂč la neige cousait aussi de hautes dentelles. Ils filaient tous deux dans l’air glacĂ©, du vol rapide des hirondelles qui rasent le sol. Ils mettaient un poing derriĂšre le dos, et se posant mutuellement l’autre main sur l’épaule, ils allaient droits, souriants, cĂŽte Ă  cĂŽte, tournant sur eux-mĂȘmes, dans le large espace que marquaient de grosses cordes. Du haut de la grande allĂ©e, des badauds les regardaient. Parfois ils venaient se chauffer aux brasiers allumĂ©s sur le bord du lac. Et ils repartaient. Ils arrondissaient largement leur vol, les yeux pleurant de plaisir et de froid.
Puis, quand vint le printemps, Renée se rappela son ancienne élégie. Elle voulut que Maxime se promenùt avec elle dans le par...

Table des matiĂšres