
- 196 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
Jézabel
À propos de ce livre
Dans le box des accusés, une femme, Gladys Eysenach coupable d'avoir tué son jeune amant. Elle n'est plus très jeune, très riche, encore belle, « cosmopolite », mais sans famille, presque sans amis, isolée, paumée. Nous assistons au procès, elle est condamnée à 5 ans de prison. Puis nous la retrouvons qui revit sa jeunesse, et le fil de sa vie, une vie où elle n'a recherché que le plaisir d'être aimée. Ce portrait de femme sans racines, enfermée sur elle-même, est disséqué avec une implacable cruauté. En soulignant certains points de la condition féminine au début du 20e siècle, l'auteure nous montre pas à pas comment cette femme est devenue cette criminelle.
Foire aux questions
Oui, vous pouvez résilier à tout moment à partir de l'onglet Abonnement dans les paramètres de votre compte sur le site Web de Perlego. Votre abonnement restera actif jusqu'à la fin de votre période de facturation actuelle. Découvrez comment résilier votre abonnement.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptés aux mobiles peuvent être téléchargés via l'application. La plupart de nos PDF sont également disponibles en téléchargement et les autres seront téléchargeables très prochainement. Découvrez-en plus ici.
Perlego propose deux forfaits: Essentiel et Intégral
- Essentiel est idéal pour les apprenants et professionnels qui aiment explorer un large éventail de sujets. Accédez à la Bibliothèque Essentielle avec plus de 800 000 titres fiables et best-sellers en business, développement personnel et sciences humaines. Comprend un temps de lecture illimité et une voix standard pour la fonction Écouter.
- Intégral: Parfait pour les apprenants avancés et les chercheurs qui ont besoin d’un accès complet et sans restriction. Débloquez plus de 1,4 million de livres dans des centaines de sujets, y compris des titres académiques et spécialisés. Le forfait Intégral inclut également des fonctionnalités avancées comme la fonctionnalité Écouter Premium et Research Assistant.
Nous sommes un service d'abonnement à des ouvrages universitaires en ligne, où vous pouvez accéder à toute une bibliothèque pour un prix inférieur à celui d'un seul livre par mois. Avec plus d'un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu'il vous faut ! Découvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l'écouter. L'outil Écouter lit le texte à haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l'accélérer ou le ralentir. Découvrez-en plus ici.
Oui ! Vous pouvez utiliser l’application Perlego sur appareils iOS et Android pour lire à tout moment, n’importe où — même hors ligne. Parfait pour les trajets ou quand vous êtes en déplacement.
Veuillez noter que nous ne pouvons pas prendre en charge les appareils fonctionnant sous iOS 13 ou Android 7 ou versions antérieures. En savoir plus sur l’utilisation de l’application.
Veuillez noter que nous ne pouvons pas prendre en charge les appareils fonctionnant sous iOS 13 ou Android 7 ou versions antérieures. En savoir plus sur l’utilisation de l’application.
Oui, vous pouvez accéder à Jézabel par Irène Némirovsky en format PDF et/ou ePUB ainsi qu'à d'autres livres populaires dans Littérature et Fiction historique. Nous disposons de plus d'un million d'ouvrages à découvrir dans notre catalogue.
Informations
1
Vieille, déchue, Gladys était belle encore : le temps l’avait
effleurée à regret, d’une main douce et prudente ; il avait à
peine altéré le dessin d’un visage dont chaque trait semblait
modelé avec amour, tendrement caressé ; le long cou blanc
demeurait intact : seuls, les yeux, que rien ne peut rajeunir,
ne brillaient plus comme autrefois ; leur regard trahissait la
sagesse anxieuse et lasse de l’âge, mais elle baissait ses belles
paupières, et ceux qui la voyaient alors pouvaient reconnaître
l’image d’une enfant qui avait dansé pour la première fois à
Londres, au bal des Melbourne, par un beau soir de juin depuis
longtemps passé.
Dans le salon des Melbourne, aux boiseries blanches, aux dures
banquettes de damas rouge, les miroirs étroits, encastrés dans les
murs, avaient reflété les cheveux d’or coupés en frange sur le
front blanc, les étincelants yeux noirs d’une mince petite fille,
sauvage et grêle encore, inconnue de tous, qui s’appelait Gladys
Burnera.
Elle portait de longs gants, une robe blanche, ornée de volants de
mousseline, des roses au corsage ; sa taille était serrée dans
une haute ceinture de satin ; quand elle dansait, elle
semblait soulevée de bonheur, emportée par un souffle ; ses
cheveux étaient noués et tressés en couronne autour de sa tête, et
leur couleur était exactement celle de l’or ; elle les avait
coiffés ainsi pour la première fois sans doute : devant chaque
miroir elle inclinait doucement le front et regardait sa nuque
blanche et frêle, sans un fil d’or, sans un bijou. Une touffe de
petites roses rouges, sombres et parfumées, ses fleurs préférées,
était glissée dans sa ceinture ; elle fermait par moments les
yeux pour mieux les respirer, et elle songeait que jamais elle
n’oublierait cette bouffée de parfum dans la chaleur du bal, ni le
souffle de la nuit sur ses épaules, ni l’éclat des lumières, ni
l’air de valse qui résonnait à ses oreilles. Comme elle était
heureuse… Ou plutôt non, ce n’était pas le bonheur encore, mais son
attente, une divine inquiétude, une soif ardente qui altérait son
cœur.
Hier, elle était une enfant, triste et faible, auprès d’une mère
détestée. Voici qu’elle apparaissait femme, belle, admirée, bientôt
aimée… Elle songeait : « aimée… » et aussitôt elle
ressentait une profonde inquiétude : elle se trouvait laide,
mal habillée, mal élevée ; ses gestes devenaient brusques et
gauches : elle cherchait des yeux avec crainte sa cousine,
Teresa Beauchamp, assise parmi les mères. Mais la danse, peu à peu,
l’étourdissait ; son sang coulait plus vif et brûlant dans ses
veines ; elle tournait la tête, elle contemplait les arbres du
parc, la nuit douce et humide, éclairée de feux jaunes, les
colonnettes blanches dans la salle du bal, gracieuses et sveltes
comme des jeunes filles. Tout l’enchantait ; tout lui
paraissait beau, rare et charmant ; la vie avait une saveur
nouvelle, âpre et douce, jamais goûtée.
Elle avait vécu jusqu’à dix-huit ans auprès d’une mère froide,
sévère, à demi folle, une vieille poupée fardée, tour à tour
frivole et effrayante, qui traînait dans toutes les contrées du
monde son ennui, sa fille, ses chats persans.
Tandis qu’elle dansait ce soir-là, chez les Melbourne, l’image de
cette petite femme, sèche et glacée, aux yeux verts, la
poursuivait. Les deux mois qu’elle devait passer à Londres chez les
Beauchamp s’écouleraient si vite… Elle secouait le front ;
elle chassait ses pensées, elle dansait plus légèrement, plus
rapidement ; ses volants tournaient autour d’elle et leur
mousse légère, agitée, lui donnait une sensation délicieuse de
vertige.
Jamais elle ne devait oublier cette brève saison. Jamais elle ne
devait retrouver exactement cette qualité de jouissance. Il reste
toujours au fond du cœur le regret d’une heure, d’un été, d’un
court moment, où l’on atteint sans doute son point de floraison.
Pendant plusieurs semaines ou plusieurs mois, rarement davantage,
une jeune fille très belle ne vit pas de l’existence ordinaire.
Elle est ivre. Il lui est accordé la sensation d’être hors du
temps, hors de ses lois, de ne pas éprouver la monotone succession
des jours, mais de goûter seulement des instants de félicité aiguë
et presque désespérée. Elle dansait, elle courait à l’aube dans le
jardin des Beauchamp et tout à coup il lui semblait qu’elle rêvait,
qu’elle s’éveillait déjà à demi, que le songe était terminé.
Sa cousine, Teresa Beauchamp, ne comprenait pas cette ardeur, cette
joie de vivre qui se transformaient par moments en une tristesse
profonde. Teresa avait toujours été plus fragile et plus froide.
Elle était de quelques années plus âgée que Gladys. Elle était
maigre, menue ; elle avait la taille d’une enfant de quinze
ans, une petite tête délicate, un peu serrée aux tempes, un teint
bilieux, de beaux yeux noirs et une voix douce et sifflante qui
révélait les premiers ravages de la maladie de poitrine dont elle
était atteinte.
Elle avait épousé un Français, mais, née et élevée en Angleterre,
elle y retournait constamment ; elle possédait une belle
maison à Londres. Teresa avait eu une enfance heureuse, une
jeunesse sage ; elle avait été graduellement accoutumée au
monde, tandis que Gladys y était jetée tout d’un coup. Teresa
n’avait jamais eu la beauté de Gladys ; aucun homme ne l’avait
regardée, comme ils regardaient cette petite fille sauvage.
Quand elles étaient entrées chez les Melbourne, Gladys avait saisi
la main de Teresa et l’avait serrée comme une enfant effrayée. Elle
dansait maintenant ; elle passait devant Teresa sans la voir,
un doux sourire triomphant entr’ouvrant ses belles lèvres. Teresa,
qui, après une valse se sentait lasse, regardait Gladys avec envie
et admirait cette chair délicate qui cachait des nerfs d’acier pour
le plaisir. Pourtant, quand on lui demandait : « Est-ce
que votre petite cousine est belle ? » elle hochait la
tête de ce mouvement étonné et las qui lui donnait la grâce d’un
oiseau malade et elle répondait raisonnablement : « Elle
a de grandes promesses de beauté », car sur le visage de leurs
pareilles, les femmes ne voient pas s’épanouir cet éclat fugitif et
presque effrayant.
– Nous essayons de la distraire. We try to give her a good
time, disait-elle.
Elle se redressait davantage sur les durs coussins du canapé ;
elle ne s’appuyait jamais à un dossier ; elle ne montrait
jamais de signes d’impatience. Elle s’éventait doucement avec un
sourire fatigué et crispé ; elle avait une teinte ardente,
maladive sur les pommettes ; la nuit passait ; elle se
sentait envahie par une profonde tristesse, elle avait regardé
Gladys avec plaisir d’abord, avec une tendresse indulgente
d’aînée ; elle ne savait pourquoi, maintenant, elle souffrait
de la voir si belle, infatigable ; un instant, il lui sembla
qu’elle eût désiré la prendre par le bras, lui crier :
– Assez. Arrête-toi… Tu es trop brillante, trop heureuse…
Elle ne savait pas que, pendant bien des années encore, Gladys
allait éveiller au cœur de toutes les femmes cette tristesse
jalouse.
Elle eut honte ; elle agita son éventail avec des mouvements
plus vifs. Elle portait une toilette de satin « vieux
cuivre », drapée d’une double jupe de chantilly, et son
corsage était brodé de feuillage de chenille et de perles bronzées…
Elle se regarda dans la glace et se trouva laide ; elle envia
désespérément la simple robe blanche de Gladys et ses cheveux d’or.
Elle se rappela qu’elle était mariée, heureuse, qu’elle avait un
fils, que cette petite Gladys était au seuil d’une vie
incertaine ; elle songea avec amertume :
– Va, toi aussi, ma petite, tu changeras… Comme elles
passeront vite, cette insolence, cette fraîcheur ; comme ils
s’éteindront, ces regards vainqueurs que tu jettes sur le monde… Tu
auras des enfants, tu vieilliras… Tu ne sais pas encore ce qui
t’attend, va, pauvre petite…
Brusquement, elle se leva, alla vers Gladys qui était arrêtée dans
l’embrasure d’une fenêtre, devant un rideau rouge. Elle lui toucha
le bras de son éventail :
– Chérie, venez, il faut rentrer…
Gladys se tourna vers elle. Teresa fut frappée du changement qu’une
heure de plaisir avait apporté à cette petite fille docile et
silencieuse. Tous les mouvements de Gladys étaient d’une aisance et
d’une adresse aériennes ; son regard était triomphant, son
rire joyeux et moqueur. Elle parut entendre à peine les paroles de
Teresa ; elle secoua la tête avec impatience :
– Oh, Tess, non, non, je vous prie, Tess…
– Si, chérie…
– Encore, encore, une heure.
– Non, chérie, il est tard, toute une nuit, à votre âge…
– Une danse encore, une danse seulement…
Tess soupira ; comme toujours, lorsqu’elle était lasse ou
irritée, sa respiration se fit plus saccadée, plus pénible ;
un petit sifflement rauque s’échappa de ses lèvres. Elle dit :
– Moi aussi, j’ai eu dix-huit ans, Gladys, et il n’y a pas
longtemps de cela… Je comprends que le bal vous paraisse délicieux,
mais il faut savoir quitter le plaisir avant qu’il ne vous quitte…
Il est tard. Ne vous êtes-vous pas assez amusée ?…
– Oui, mais cela, c’est le passé, murmura Gladys malgré elle.
– Demain, pour ne pas avoir voulu rentrer à l’heure, vous
serez pâle et fatiguée… Ce bal n’est pas le dernier, la saison
n’est pas finie encore…
– Bientôt, elle sera finie, dit Gladys et ses grands yeux
noirs étincelèrent de désir et de désespoir.
– Alors, il sera temps de pleurer, et vous savez bien que tout
a une fin… Il faut apprendre à vous résigner…
Gladys baissait la tête, mais elle n’écoutait pas ; dans son
cœur une voix intérieure, sauvage et ardente, s’élevait, couvrait
toutes ces vaines paroles, une voix forte et cruelle qui
clamait :
– Laissez-moi !… Je veux mon plaisir !… Si vous
gênez un seul de mes plaisirs, je vous hais !… Si vous
interrompez un seul de ces instants de félicité que Dieu m’accorde,
je vous souhaite la mort…
Elle n’entendait que cette fanfare enivrante, la voix même de sa
jeunesse… Était-ce possible de la voir finir, tomber tout entière
dans le néant, dans le passé, cette nuit si belle, si parfaite, et
qui, pour d’autres, n’était qu’un bal de plus dans la saison de
Londres, « a fastidious affair », disait Tess, quelques
heures vite oubliées ?…
– Venez, je le veux, dit Tess presque durement.
Gladys la regarda avec surprise. Tess soupira :
– Je suis malade, fatiguée… Il faut rentrer…
– Pardon, murmura Gladys en lui prenant la main.
Son visage avait changé ; il était enfantin et innocent de
nouveau ; la flamme cruelle de ses yeux s’était éteinte.
– Allons, dit Tess, en s’efforçant de sourire : vous êtes
une bonne enfant, une sage enfant… Venez…
Gladys la suivit, sans rien dire.
2
Pour Gladys, le dernier bal de la saison fut un tourbillon de danses, de sons, de couleurs, qui l’entraîna quelques heures, puis l’abandonna, dégrisée et lasse. Elle devait partir le lendemain.
Elle rentra avec les Beauchamp au petit jour. Un brouillard de lait éclairait Londres ; les rues étaient vides, pâles et brillantes ; le vent du matin, presque froid, laissait aux lèvres un goût de pluie et de charbon humide, mais, par bouffées, le parfum des roses qui fleurissaient alors dans les parcs traversait l’air.
Gladys porta doucement ses mains à son visage ; ses joues brûlaient comme des flammes. Elle sentait battre son cœur d’une pulsation rapide, effrayée, au rythme de la dernière valse qu’elle avait dansée. Elle la fredonna machinalement, lissa tendrement ses cheveux, se pencha vers Tess et rit, mais elle était triste. C’était toujours ainsi ; la gaîté la quittait tout d’un coup et elle ressentait une mélancolie amère et profonde. Elle rêva vaguement à un cavalier qui lui avait plu, qui était beau, et dont toutes les filles étaient, cette saison, amoureuses. C’était un jeune Polonais, attaché à l’ambassade de Russie ; il s’appelait le comte Tarnovsky. Elle songea aux femmes si belles qu’elle avait vues, à ces jeunes filles heureuses dont la vie était tracée d’avance, tandis qu’elle était, elle, à demi déclassée, fille de divorcés, fille de Sophie Burnera, « an unhappy woman, a wicked woman », disait Tess. Elle regarda sa cousine, à son côté, et eut pitié d’elle : elle semblait si frêle, fatiguée et malade ; elle toussait par moments avec un pénible effort. Claude Beauchamp avait baissé la vitre et se détournait des deux femmes. Elle lui sourit timidement, mais il ne paraissait pas la voir.
Il avait un visage long et fin, des joues maigres, comme aspirées intérieurement au-dessous des pommettes, une belle bouche aux lèvres minces et qui se serraient au repos de façon à ne former qu’un trait presque droit dans sa figure. Il était très grand, fragile et se tenait d’ordinaire un peu voûté, sa tête inclinée en avant. Il était courtois, glacé, lointain, silencieux. Il était jeune, mais pour Gladys il paraissait presque un vieil homme. Elle l’admirait, mais jamais elle ne l’avait regardé avec le désir de lui plaire.
La voiture, cependant, s’était arrêtée devant la maison des Beauchamp. En bas, dans la bibliothèque de Claude, des boissons étaient préparées. Les pièces étaient froides, et on allumait le feu quand Teresa devait rentrer tard. Quelques bûches brûlaient encore et éclairaient les vieux meubles très hauts, de forme démodée, en bois noir, ancien, poli comme de l’ébène.
Gladys ouvrit les fenêtres et alla se placer contre la croisée.
Tess soupira :
– Vous prendrez froid, chérie…
– Mais non, murmura Gladys.
– Jetez un manteau au moins sur vos épaules…
– Non, non, ma chérie… Je ne crains pas le froid, je ne crains rien au monde…
Elles avaient entre elles l’habitude anglaise et victorienne des « endearements », des caresses de langage. Elles ne s’appelaient jamais autrement que « ché...
Table des matières
- Pages de titre
- 1
- 2
- 3
- 4
- 5
- 6
- 7
- 8
- 9
- 10
- 11
- 12
- 13
- 14
- 15
- 16
- 17
- 18
- 19
- 20
- 21
- 22
- Page de copyright