Jézabel
eBook - ePub

Jézabel

  1. 196 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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À propos de ce livre

Dans le box des accusés, une femme, Gladys Eysenach coupable d'avoir tué son jeune amant. Elle n'est plus très jeune, très riche, encore belle, « cosmopolite », mais sans famille, presque sans amis, isolée, paumée. Nous assistons au procès, elle est condamnée à 5 ans de prison. Puis nous la retrouvons qui revit sa jeunesse, et le fil de sa vie, une vie où elle n'a recherché que le plaisir d'être aimée. Ce portrait de femme sans racines, enfermée sur elle-même, est disséqué avec une implacable cruauté. En soulignant certains points de la condition féminine au début du 20e siècle, l'auteure nous montre pas à pas comment cette femme est devenue cette criminelle.

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Informations

Année
2018
ISBN de l'eBook
9782322148684

1

Vieille, déchue, Gladys était belle encore : le temps l’avait effleurée à regret, d’une main douce et prudente ; il avait à peine altéré le dessin d’un visage dont chaque trait semblait modelé avec amour, tendrement caressé ; le long cou blanc demeurait intact : seuls, les yeux, que rien ne peut rajeunir, ne brillaient plus comme autrefois ; leur regard trahissait la sagesse anxieuse et lasse de l’âge, mais elle baissait ses belles paupières, et ceux qui la voyaient alors pouvaient reconnaître l’image d’une enfant qui avait dansé pour la première fois à Londres, au bal des Melbourne, par un beau soir de juin depuis longtemps passé.
Dans le salon des Melbourne, aux boiseries blanches, aux dures banquettes de damas rouge, les miroirs étroits, encastrés dans les murs, avaient reflété les cheveux d’or coupés en frange sur le front blanc, les étincelants yeux noirs d’une mince petite fille, sauvage et grêle encore, inconnue de tous, qui s’appelait Gladys Burnera.
Elle portait de longs gants, une robe blanche, ornée de volants de mousseline, des roses au corsage ; sa taille était serrée dans une haute ceinture de satin ; quand elle dansait, elle semblait soulevée de bonheur, emportée par un souffle ; ses cheveux étaient noués et tressés en couronne autour de sa tête, et leur couleur était exactement celle de l’or ; elle les avait coiffés ainsi pour la première fois sans doute : devant chaque miroir elle inclinait doucement le front et regardait sa nuque blanche et frêle, sans un fil d’or, sans un bijou. Une touffe de petites roses rouges, sombres et parfumées, ses fleurs préférées, était glissée dans sa ceinture ; elle fermait par moments les yeux pour mieux les respirer, et elle songeait que jamais elle n’oublierait cette bouffée de parfum dans la chaleur du bal, ni le souffle de la nuit sur ses épaules, ni l’éclat des lumières, ni l’air de valse qui résonnait à ses oreilles. Comme elle était heureuse… Ou plutôt non, ce n’était pas le bonheur encore, mais son attente, une divine inquiétude, une soif ardente qui altérait son cœur.
Hier, elle était une enfant, triste et faible, auprès d’une mère détestée. Voici qu’elle apparaissait femme, belle, admirée, bientôt aimée… Elle songeait : « aimée… » et aussitôt elle ressentait une profonde inquiétude : elle se trouvait laide, mal habillée, mal élevée ; ses gestes devenaient brusques et gauches : elle cherchait des yeux avec crainte sa cousine, Teresa Beauchamp, assise parmi les mères. Mais la danse, peu à peu, l’étourdissait ; son sang coulait plus vif et brûlant dans ses veines ; elle tournait la tête, elle contemplait les arbres du parc, la nuit douce et humide, éclairée de feux jaunes, les colonnettes blanches dans la salle du bal, gracieuses et sveltes comme des jeunes filles. Tout l’enchantait ; tout lui paraissait beau, rare et charmant ; la vie avait une saveur nouvelle, âpre et douce, jamais goûtée.
Elle avait vécu jusqu’à dix-huit ans auprès d’une mère froide, sévère, à demi folle, une vieille poupée fardée, tour à tour frivole et effrayante, qui traînait dans toutes les contrées du monde son ennui, sa fille, ses chats persans.
Tandis qu’elle dansait ce soir-là, chez les Melbourne, l’image de cette petite femme, sèche et glacée, aux yeux verts, la poursuivait. Les deux mois qu’elle devait passer à Londres chez les Beauchamp s’écouleraient si vite… Elle secouait le front ; elle chassait ses pensées, elle dansait plus légèrement, plus rapidement ; ses volants tournaient autour d’elle et leur mousse légère, agitée, lui donnait une sensation délicieuse de vertige.
Jamais elle ne devait oublier cette brève saison. Jamais elle ne devait retrouver exactement cette qualité de jouissance. Il reste toujours au fond du cœur le regret d’une heure, d’un été, d’un court moment, où l’on atteint sans doute son point de floraison. Pendant plusieurs semaines ou plusieurs mois, rarement davantage, une jeune fille très belle ne vit pas de l’existence ordinaire. Elle est ivre. Il lui est accordé la sensation d’être hors du temps, hors de ses lois, de ne pas éprouver la monotone succession des jours, mais de goûter seulement des instants de félicité aiguë et presque désespérée. Elle dansait, elle courait à l’aube dans le jardin des Beauchamp et tout à coup il lui semblait qu’elle rêvait, qu’elle s’éveillait déjà à demi, que le songe était terminé.
Sa cousine, Teresa Beauchamp, ne comprenait pas cette ardeur, cette joie de vivre qui se transformaient par moments en une tristesse profonde. Teresa avait toujours été plus fragile et plus froide. Elle était de quelques années plus âgée que Gladys. Elle était maigre, menue ; elle avait la taille d’une enfant de quinze ans, une petite tête délicate, un peu serrée aux tempes, un teint bilieux, de beaux yeux noirs et une voix douce et sifflante qui révélait les premiers ravages de la maladie de poitrine dont elle était atteinte.
Elle avait épousé un Français, mais, née et élevée en Angleterre, elle y retournait constamment ; elle possédait une belle maison à Londres. Teresa avait eu une enfance heureuse, une jeunesse sage ; elle avait été graduellement accoutumée au monde, tandis que Gladys y était jetée tout d’un coup. Teresa n’avait jamais eu la beauté de Gladys ; aucun homme ne l’avait regardée, comme ils regardaient cette petite fille sauvage.
Quand elles étaient entrées chez les Melbourne, Gladys avait saisi la main de Teresa et l’avait serrée comme une enfant effrayée. Elle dansait maintenant ; elle passait devant Teresa sans la voir, un doux sourire triomphant entr’ouvrant ses belles lèvres. Teresa, qui, après une valse se sentait lasse, regardait Gladys avec envie et admirait cette chair délicate qui cachait des nerfs d’acier pour le plaisir. Pourtant, quand on lui demandait : « Est-ce que votre petite cousine est belle ? » elle hochait la tête de ce mouvement étonné et las qui lui donnait la grâce d’un oiseau malade et elle répondait raisonnablement : « Elle a de grandes promesses de beauté », car sur le visage de leurs pareilles, les femmes ne voient pas s’épanouir cet éclat fugitif et presque effrayant.
– Nous essayons de la distraire. We try to give her a good time, disait-elle.
Elle se redressait davantage sur les durs coussins du canapé ; elle ne s’appuyait jamais à un dossier ; elle ne montrait jamais de signes d’impatience. Elle s’éventait doucement avec un sourire fatigué et crispé ; elle avait une teinte ardente, maladive sur les pommettes ; la nuit passait ; elle se sentait envahie par une profonde tristesse, elle avait regardé Gladys avec plaisir d’abord, avec une tendresse indulgente d’aînée ; elle ne savait pourquoi, maintenant, elle souffrait de la voir si belle, infatigable ; un instant, il lui sembla qu’elle eût désiré la prendre par le bras, lui crier :
– Assez. Arrête-toi… Tu es trop brillante, trop heureuse…
Elle ne savait pas que, pendant bien des années encore, Gladys allait éveiller au cœur de toutes les femmes cette tristesse jalouse.
Elle eut honte ; elle agita son éventail avec des mouvements plus vifs. Elle portait une toilette de satin « vieux cuivre », drapée d’une double jupe de chantilly, et son corsage était brodé de feuillage de chenille et de perles bronzées… Elle se regarda dans la glace et se trouva laide ; elle envia désespérément la simple robe blanche de Gladys et ses cheveux d’or. Elle se rappela qu’elle était mariée, heureuse, qu’elle avait un fils, que cette petite Gladys était au seuil d’une vie incertaine ; elle songea avec amertume :
– Va, toi aussi, ma petite, tu changeras… Comme elles passeront vite, cette insolence, cette fraîcheur ; comme ils s’éteindront, ces regards vainqueurs que tu jettes sur le monde… Tu auras des enfants, tu vieilliras… Tu ne sais pas encore ce qui t’attend, va, pauvre petite…
Brusquement, elle se leva, alla vers Gladys qui était arrêtée dans l’embrasure d’une fenêtre, devant un rideau rouge. Elle lui toucha le bras de son éventail :
– Chérie, venez, il faut rentrer…
Gladys se tourna vers elle. Teresa fut frappée du changement qu’une heure de plaisir avait apporté à cette petite fille docile et silencieuse. Tous les mouvements de Gladys étaient d’une aisance et d’une adresse aériennes ; son regard était triomphant, son rire joyeux et moqueur. Elle parut entendre à peine les paroles de Teresa ; elle secoua la tête avec impatience :
– Oh, Tess, non, non, je vous prie, Tess…
– Si, chérie…
– Encore, encore, une heure.
– Non, chérie, il est tard, toute une nuit, à votre âge…
– Une danse encore, une danse seulement…
Tess soupira ; comme toujours, lorsqu’elle était lasse ou irritée, sa respiration se fit plus saccadée, plus pénible ; un petit sifflement rauque s’échappa de ses lèvres. Elle dit :
– Moi aussi, j’ai eu dix-huit ans, Gladys, et il n’y a pas longtemps de cela… Je comprends que le bal vous paraisse délicieux, mais il faut savoir quitter le plaisir avant qu’il ne vous quitte… Il est tard. Ne vous êtes-vous pas assez amusée ?…
– Oui, mais cela, c’est le passé, murmura Gladys malgré elle.
– Demain, pour ne pas avoir voulu rentrer à l’heure, vous serez pâle et fatiguée… Ce bal n’est pas le dernier, la saison n’est pas finie encore…
– Bientôt, elle sera finie, dit Gladys et ses grands yeux noirs étincelèrent de désir et de désespoir.
– Alors, il sera temps de pleurer, et vous savez bien que tout a une fin… Il faut apprendre à vous résigner…
Gladys baissait la tête, mais elle n’écoutait pas ; dans son cœur une voix intérieure, sauvage et ardente, s’élevait, couvrait toutes ces vaines paroles, une voix forte et cruelle qui clamait :
– Laissez-moi !… Je veux mon plaisir !… Si vous gênez un seul de mes plaisirs, je vous hais !… Si vous interrompez un seul de ces instants de félicité que Dieu m’accorde, je vous souhaite la mort…
Elle n’entendait que cette fanfare enivrante, la voix même de sa jeunesse… Était-ce possible de la voir finir, tomber tout entière dans le néant, dans le passé, cette nuit si belle, si parfaite, et qui, pour d’autres, n’était qu’un bal de plus dans la saison de Londres, « a fastidious affair », disait Tess, quelques heures vite oubliées ?…
– Venez, je le veux, dit Tess presque durement.
Gladys la regarda avec surprise. Tess soupira :
– Je suis malade, fatiguée… Il faut rentrer…
– Pardon, murmura Gladys en lui prenant la main.
Son visage avait changé ; il était enfantin et innocent de nouveau ; la flamme cruelle de ses yeux s’était éteinte.
– Allons, dit Tess, en s’efforçant de sourire : vous êtes une bonne enfant, une sage enfant… Venez…
Gladys la suivit, sans rien dire.

2

Pour Gladys, le dernier bal de la saison fut un tourbillon de danses, de sons, de couleurs, qui l’entraîna quelques heures, puis l’abandonna, dégrisée et lasse. Elle devait partir le lendemain.
Elle rentra avec les Beauchamp au petit jour. Un brouillard de lait éclairait Londres ; les rues étaient vides, pâles et brillantes ; le vent du matin, presque froid, laissait aux lèvres un goût de pluie et de charbon humide, mais, par bouffées, le parfum des roses qui fleurissaient alors dans les parcs traversait l’air.
Gladys porta doucement ses mains à son visage ; ses joues brûlaient comme des flammes. Elle sentait battre son cœur d’une pulsation rapide, effrayée, au rythme de la dernière valse qu’elle avait dansée. Elle la fredonna machinalement, lissa tendrement ses cheveux, se pencha vers Tess et rit, mais elle était triste. C’était toujours ainsi ; la gaîté la quittait tout d’un coup et elle ressentait une mélancolie amère et profonde. Elle rêva vaguement à un cavalier qui lui avait plu, qui était beau, et dont toutes les filles étaient, cette saison, amoureuses. C’était un jeune Polonais, attaché à l’ambassade de Russie ; il s’appelait le comte Tarnovsky. Elle songea aux femmes si belles qu’elle avait vues, à ces jeunes filles heureuses dont la vie était tracée d’avance, tandis qu’elle était, elle, à demi déclassée, fille de divorcés, fille de Sophie Burnera, « an unhappy woman, a wicked woman », disait Tess. Elle regarda sa cousine, à son côté, et eut pitié d’elle : elle semblait si frêle, fatiguée et malade ; elle toussait par moments avec un pénible effort. Claude Beauchamp avait baissé la vitre et se détournait des deux femmes. Elle lui sourit timidement, mais il ne paraissait pas la voir.
Il avait un visage long et fin, des joues maigres, comme aspirées intérieurement au-dessous des pommettes, une belle bouche aux lèvres minces et qui se serraient au repos de façon à ne former qu’un trait presque droit dans sa figure. Il était très grand, fragile et se tenait d’ordinaire un peu voûté, sa tête inclinée en avant. Il était courtois, glacé, lointain, silencieux. Il était jeune, mais pour Gladys il paraissait presque un vieil homme. Elle l’admirait, mais jamais elle ne l’avait regardé avec le désir de lui plaire.
La voiture, cependant, s’était arrêtée devant la maison des Beauchamp. En bas, dans la bibliothèque de Claude, des boissons étaient préparées. Les pièces étaient froides, et on allumait le feu quand Teresa devait rentrer tard. Quelques bûches brûlaient encore et éclairaient les vieux meubles très hauts, de forme démodée, en bois noir, ancien, poli comme de l’ébène.
Gladys ouvrit les fenêtres et alla se placer contre la croisée.
Tess soupira :
– Vous prendrez froid, chérie…
– Mais non, murmura Gladys.
– Jetez un manteau au moins sur vos épaules…
– Non, non, ma chérie… Je ne crains pas le froid, je ne crains rien au monde…
Elles avaient entre elles l’habitude anglaise et victorienne des « endearements », des caresses de langage. Elles ne s’appelaient jamais autrement que « ché...

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