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Les Filles du Feu
GĂ©rard de Nerval
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- 306 pages
- French
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Les Filles du Feu
GĂ©rard de Nerval
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Ă propos de ce livre
En publiant en 1854 Les Filles du feu, Nerval propose un recueil qui associe tous les genres, qui décline l'identité du sujet narratif selon chacune de ses vies imaginaires, et qui, en s'ouvrant virtuellement sur Aurélia et en se refermant sur les ChimÚres, épouse la logique romantique de l'oeuvre fragmentaire.
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Informations
Angélique
1re lettre Ă M. L.D.
Voyage Ă la recherche dâun livre unique. â Francfort et Paris. â LâabbĂ© de Bucquoy. â Pilat Ă Vienne. â La bibliothĂšque Richelieu. â PersonnalitĂ©s. â La bibliothĂšque dâAlexandrie.
En 1851, je passais Ă Francfort. â ObligĂ© de rester deux jours dans cette ville, que je connaissais dĂ©jĂ , â je nâeus dâautre ressource que de parcourir les rues principales, encombrĂ©es alors par les marchands forains. La place du RĆmer, surtout, resplendissait dâun luxe inouĂŻ dâĂ©talages ; et prĂšs de lĂ , le marchĂ© aux fourrures Ă©talait des dĂ©pouilles dâanimaux sans nombre, venues soit de la haute SibĂ©rie, soit des bords de la mer Caspienne. â Lâours blanc, le renard bleu, lâhermine, Ă©taient les moindres curiositĂ©s de cette incomparable exhibition ; plus loin, les verres de BohĂȘme aux mille couleurs Ă©clatantes, montĂ©s, festonnĂ©s, gravĂ©s, incrustĂ©s dâor, sâĂ©talaient sur des rayons de planches de cĂšdre, â comme les fleurs coupĂ©es dâun paradis inconnu.
Une plus modeste sĂ©rie dâĂ©talages rĂ©gnait le long de sombres boutiques, entourant les parties les moins luxueuses du bazar, â consacrĂ©es Ă la mercerie, Ă la cordonnerie et aux divers objets dâhabillement. CâĂ©taient des libraires, venus de divers points de lâAllemagne, et dont la vente la plus productive paraissait ĂȘtre celle des almanachs, des images peintes et des lithographies : le Wolks-Kalender (Almanach du peuple), avec ses gravures sur bois, â les chansons politiques, les lithographies de Robert Blum et des hĂ©ros de la guerre de Hongrie, voilĂ ce qui attirait les yeux et les hreutzers de la foule. Un grand nombre de vieux livres, Ă©talĂ©s sous ces nouveautĂ©s, ne se recommandaient que par leurs prix modiques, â et je fus Ă©tonnĂ© dây trouver beaucoup de livres français.
Câest que Francfort, ville libre a servi longtemps de refuge aux protestants ; â et, comme les principales villes des Pays-Bas, elle fut longtemps le siĂšge dâimprimeries qui commencĂšrent par rĂ©pandre en Europe les Ćuvres hardies des philosophes et des mĂ©contents français, â et qui sont restĂ©es, sur certains points, des ateliers de contrefaçon pure et simple, quâon aura bien de la peine Ă dĂ©truire.
Il est impossible, pour un Parisien, de rĂ©sister au dĂ©sir de feuilleter de vieux ouvrages Ă©talĂ©s par un bouquiniste. Cette partie de la foire de Francfort me rappelait les quais, â souvenir plein dâĂ©motion et de charme. Jâachetai quelques vieux livres, â ce qui me donnait le droit de parcourir longuement les autres. Dans le nombre, jâen rencontrai un, imprimĂ© moitiĂ© en français, moitiĂ© en allemand, et dont voici le titre, que jâai pu vĂ©rifier depuis dans le Manuel du Libraire de Brunet :
« ĂvĂšnement des plus rares, ou Histoire du sieur abbĂ© comte de Bucquoy singuliĂšrement son Ă©vasion du Fort-lâĂvĂȘque et de la Bastille, avec plusieurs ouvrages vers et prose, et particuliĂšrement la game des femmes, se vend chez Jean de la France, rue de la RĂ©forme, Ă lâEspĂ©rance, Ă Bonnefoy. â 1749. »
Le libraire mâen demanda un florin et six kreutzers (on prononce cruches). Cela me parut cher pour lâendroit, et je me bornai Ă feuilleter le livre, â ce qui, grĂące Ă la dĂ©pense que jâavais dĂ©jĂ faite, mâĂ©tait gratuitement permis. Le rĂ©cit des Ă©vasions de lâabbĂ© de Bucquoy Ă©tait plein dâintĂ©rĂȘt ; mais je me dis enfin : je trouverai ce livre Ă Paris, aux bibliothĂšques, ou dans ces mille collections oĂč sont rĂ©unis tous les mĂ©moires possibles relatifs Ă lâhistoire de France. Je pris seulement le titre exact, et jâallai me promener au Meinlust, sur le quai du Mein, en feuilletant les pages du Wolks-Kalender.
Ă mon retour Ă Paris, je trouvai la littĂ©rature dans un Ă©tat de terreur inexprimable. Par suite de lâamendement Riancey Ă la loi sur la presse, il Ă©tait dĂ©fendu aux journaux dâinsĂ©rer ce que lâassemblĂ©e sâest plu Ă appeler le feuilleton-roman. Jâai vu bien des Ă©crivains, Ă©trangers Ă toute couleur politique, dĂ©sespĂ©rĂ©s de cette rĂ©solution qui les frappait cruellement dans leurs moyens dâexistence.
Moi-mĂȘme, qui ne suis pas un romancier, je tremblais en songeant Ă cette interprĂ©tation vague, quâil serait possible de donner Ă ces deux mots bizarrement accouplĂ©s : feuilleton-roman, et pressĂ© de vous donner un titre, jâindiquai celui-ci : lâAbbĂ© de Bucquoy, pensant bien que je trouverais trĂšs vite Ă Paris les documents nĂ©cessaires pour parler de ce personnage dâune façon historique et non romanesque, â car il faut bien sâentendre sur les mots.
Je mâĂ©tais assurĂ© de lâexistence du livre en France, et je lâavais vu classĂ© non seulement dans le manuel de Brunet, mais aussi dans la France littĂ©raire de QuĂ©rard. â Il paraissait certain que cet ouvrage notĂ©, il est vrai, comme rare, se rencontrerait facilement soit dans quelque bibliothĂšque publique, soit encore chez un amateur, soit chez les libraires spĂ©ciaux.
Du reste, ayant parcouru le livre, â ayant mĂȘme rencontrĂ© un second rĂ©cit des aventures de lâabbĂ© de Bucquoy dans les lettres si spirituelles et si curieuses de madame Dunoyer, â je ne me sentais pas embarrassĂ© pour donner le portrait de lâhomme et pour Ă©crire sa biographie selon des donnĂ©es irrĂ©prochables.
Mais je commence Ă mâeffrayer aujourdâhui des condamnations suspendues sur les journaux pour la moindre infraction au texte de la loi nouvelle. Cinquante francs dâamende par exemplaire saisi, câest de quoi faire reculer les plus intrĂ©pides : car, pour les journaux qui tirent seulement Ă vingt-cinq mille, â et il y en a plusieurs, â cela reprĂ©senterait plus dâun million. On comprend alors combien une large interprĂ©tation de la loi donnerait au pouvoir de moyens pour Ă©teindre toute opposition. Le rĂ©gime de la censure serait de beaucoup prĂ©fĂ©rable. Sous lâancien rĂ©gime, avec lâapprobation dâun censeur, â quâil Ă©tait permis de choisir, â on Ă©tait sĂ»r de pouvoir sans danger produire ses idĂ©es, et la libertĂ© dont on jouissait Ă©tait extraordinaire quelquefois. Jâai lu des livres contresignĂ©s Louis et PhĂ©lippeaux qui seraient saisis aujourdâhui incontestablement.
Le hasard mâa fait vivre Ă Vienne sous le rĂ©gime de la censure. Me trouvant quelque peu gĂȘnĂ© par suite de frais de voyage imprĂ©vus, et en raison de la difficultĂ© de faire venir de lâargent de France, jâavais recouru au moyen bien simple dâĂ©crire dans les journaux du pays. On payait cent cinquante francs la feuille de seize colonnes trĂšs courtes. Je donnai deux sĂ©ries dâarticles, quâil fallut soumettre aux censeurs.
Jâattendis dâabord plusieurs jours. On ne me rendait rien. â Je me vis forcĂ© dâaller trouver M. Pilat, le directeur de cette institution, en lui exposant quâon me faisait attendre trop longtemps le visa. â Il fut pour moi dâune complaisance rare, â et il ne voulut pas, comme son quasi-homonyme, se laver les mains de lâinjustice que je lui signalais. JâĂ©tais privĂ©, en outre, de la lecture des journaux français, car on ne recevait dans les cafĂ©s que le Journal des DĂ©bats et la Quotidienne. M. Pilat me dit : « Vous ĂȘtes ici dans lâendroit le plus libre de lâempire (les bureaux de la censure), et vous pouvez venir y lire, tous les jours, mĂȘme le National et le Charivari. »
VoilĂ des façons spirituelles et gĂ©nĂ©reuses quâon ne rencontre que chez les fonctionnaires allemands, et qui nâont que cela de fĂącheux quâelles font supporter plus longtemps lâarbitraire.
Je nâai jamais eu tant de bonheur avec la censure française, â je veux parler de celle des thĂ©Ăątres, â et je doute que si lâon rĂ©tablissait celle des livres et des journaux, nous eussions plus Ă nous en louer. Dans le caractĂšre de notre nation, il y a toujours une tendance Ă exercer la force, quand on la possĂšde, ou les prĂ©tentions du pouvoir, quand on le tient en main.
Je parlais derniĂšrement de mon embarras Ă un savant, quâil est inutile de dĂ©signer autrement quâen lâappelant bibliophile. Il me dit : Ne vous servez pas des Lettres galantes de madame Dunoyer pour Ă©crire lâhistoire de lâabbĂ© de Bucquoy. Le titre seul du livre empĂȘchera quâon le considĂšre comme sĂ©rieux ; attendez la rĂ©ouverture de la BibliothĂšque (elle Ă©tait alors en vacances), et vous ne pouvez manquer dây trouver lâouvrage que vous avez lu Ă Francfort.
Je ne fis pas attention au malin sourire qui, probablement, pinçait alors la lĂšvre du bibliophile, â et, le 1er octobre, je me prĂ©sentais lâun des premiers Ă la Biblioth...