Le pĂšre Milon
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Le pĂšre Milon

Guy de Maupassant

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  1. 118 pages
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Le pĂšre Milon

Guy de Maupassant

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À propos de ce livre

Notre Ă©dition complĂšte des nouvelles de Maupassant se poursuit par ce volume, publiĂ© en 1899, six ans aprĂšs la mort de l'Ă©crivain. Presque tous ces rĂ©cits avaient paru dans la presse. Certains d'entre eux ont Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©s dans Une vie. Le recueil est riche en « contes cruels », qui abordent les gouffres noirs de l'ĂȘtre humain. On y rencontre aussi des histoires comiques. Les femmes y sont dĂ©crites comme menteuses, entiĂšrement soumises Ă  leur physiologie, et Ă  leur intĂ©rĂȘt amoureux. Les deux sexes sont incapables de se comprendre, affirme Maupassant, grand lecteur de Schopenhauer. Les hommes ne sont pas prĂ©sentĂ©s de maniĂšre plus optimiste: brutaux, naĂŻfs, odieux. Ce sont enfin les exclus de la vie ou de la sociĂ©tĂ© vieilles filles, enfants naturels, droguĂ©s, prĂȘtres, femme dĂ©figurĂ©e, aveugle, paralytique: l'homme est cruel envers les faibles. La guerre est l'expression favorite de cette cruautĂ©, que dĂ©nonce la nouvelle « Le PĂšre Milon ».

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Informations

Éditeur
Books on Demand
Année
2018
ISBN
9782322160648
Édition
1

Le pĂšre Milon

Depuis un mois, le large soleil jette aux champs sa flamme cuisante. La vie radieuse Ă©clĂŽt sous cette averse de feu ; la terre est verte Ă  perte de vue. Jusqu’aux bords de l’horizon, le ciel est bleu. Les fermes normandes semĂ©es par la plaine semblent, de loin, de petits bois, enfermĂ©es dans leur ceinture de hĂȘtres Ă©lancĂ©s. De prĂšs, quand on ouvre la barriĂšre vermoulue, on croit voir un jardin gĂ©ant, car tous les antiques pommiers, osseux comme les paysans, sont en fleurs. Les vieux troncs noirs, crochus, tortus, alignĂ©s par la cour, Ă©talent sous le ciel leurs dĂŽmes Ă©clatants, blancs et roses. Le doux parfum de leur Ă©panouissement se mĂȘle aux grasses senteurs des Ă©tables ouvertes et aux vapeurs du fumier qui fermente, couvert de poules.
Il est midi. La famille dĂźne Ă  l’ombre du poirier plantĂ© devant la porte : le pĂšre, la mĂšre, les quatre enfants, les deux servantes et les trois valets. On ne parle guĂšre. On mange la soupe, puis on dĂ©couvre le plat de fricot plein de pommes de terre au lard.
De temps en temps, une servante se lĂšve et va remplir au cellier la cruche au cidre.
L’homme, un grand gars de quarante ans, contemple, contre sa maison, une vigne restĂ©e nue, et courant, tordue comme un serpent, sous les volets, tout le long du mur.
Il dit enfin : « La vigne au pĂšre bourgeonne de bonne heure c’t’annĂ©e. P’t-ĂȘtre qu’a donnera. »
La femme aussi se retourne et regarde, sans dire un mot.
Cette vigne est plantĂ©e juste Ă  la place oĂč le pĂšre a Ă©tĂ© fusillĂ©.
C’était pendant la guerre de 1870. Les Prussiens occupaient tout le pays. Le gĂ©nĂ©ral Faidherbe, avec l’armĂ©e du Nord, leur tenait tĂȘte.
Or l’état-major prussien s’était postĂ© dans cette ferme. Le vieux paysan qui la possĂ©dait, le pĂšre Milon, Pierre, les avait reçus et installĂ©s de son mieux.
Depuis un mois l’avant-garde allemande restait en observation dans le village. Les Français demeuraient immobiles, à dix lieues de là ; et cependant, chaque nuit, des uhlans disparaissaient.
Tous les Ă©claireurs isolĂ©s, ceux qu’on envoyait faire des rondes, alors qu’ils partaient Ă  deux ou trois seulement, ne rentraient jamais.
On les ramassait morts, au matin, dans un champ, au bord d’une cour, dans un fossĂ©. Leurs chevaux eux-mĂȘmes gisaient le long des routes, Ă©gorgĂ©s d’un coup de sabre.
Ces meurtres semblaient accomplis par les mĂȘmes hommes, qu’on ne pouvait dĂ©couvrir.
Le pays fut terrorisé. On fusilla des paysans sur une simple dénonciation, on emprisonna des femmes ; on voulut obtenir, par la peur, des révélations des enfants. On ne découvrit rien.
Mais voilĂ  qu’un matin, on aperçut le pĂšre Milon Ă©tendu dans son Ă©curie, la figure coupĂ©e d’une balafre.
Deux uhlans Ă©ventrĂ©s furent retrouvĂ©s Ă  trois kilomĂštres de la ferme. Un d’eux tenait encore Ă  la main son arme ensanglantĂ©e. Il s’était battu, dĂ©fendu.
Un conseil de guerre ayant été aussitÎt constitué, en plein air, devant la ferme, le vieux fut amené.
Il avait soixante-huit ans. Il Ă©tait petit, maigre, un peu tors, avec de grandes mains pareilles Ă  des pinces de crabe. Ses cheveux ternes, rares et lĂ©gers comme un duvet de jeune canard, laissaient voir partout la chair du crĂąne. La peau brune et plissĂ©e du cou montrait de grosses veines qui s’enfonçaient sous les mĂąchoires et reparaissaient aux tempes. Il passait dans la contrĂ©e pour avare et difficile en affaires.
On le plaça debout, entre quatre soldats, devant la table de cuisine tirĂ©e dehors. Cinq officiers et le colonel s’assirent en face de lui.
Le colonel prit la parole en français.
« PĂšre Milon, depuis que nous sommes ici, nous n’avons eu qu’à nous louer de vous. Vous avez toujours Ă©tĂ© complaisant et mĂȘme attentionnĂ© pour nous. Mais aujourd’hui une accusation terrible pĂšse sur vous, et il faut que la lumiĂšre se fasse. Comment avez-vous reçu la blessure que vous portez sur la figure ? »
Le paysan ne répondit rien.
Le colonel reprit :
« Votre silence vous condamne, pĂšre Milon. Mais je veux que vous me rĂ©pondiez, entendez-vous ? Savez-vous qui a tuĂ© les deux uhlans qu’on a trouvĂ©s ce matin prĂšs du Calvaire ? »
Le vieux articula nettement :
« C’est mĂ©. »
Le colonel, surpris, se tut une seconde, regardant fixement le prisonnier. Le pĂšre Milon demeurait impassible, avec son air abruti de paysan, les yeux baissĂ©s comme s’il eĂ»t parlĂ© Ă  son curĂ©. Une seule chose pouvait rĂ©vĂ©ler un trouble intĂ©rieur, c’est qu’il avalait coup sur coup sa salive, avec un effort visible, comme si sa gorge eĂ»t Ă©tĂ© tout Ă  fait Ă©tranglĂ©e.
La famille du bonhomme, son fils Jean, sa bru et deux petits enfants se tenaient à dix pas en arriÚre, effarés et consternés.
Le colonel reprit :
« Savez-vous aussi qui a tuĂ© tous les Ă©claireurs de notre armĂ©e qu’on retrouve chaque matin, par la campagne, depuis un mois ? »
Le vieux rĂ©pondit avec la mĂȘme impassibilitĂ© de brute :
« C’est mĂ©.
– C’est vous qui les avez tuĂ©s tous ?
– Tretous, oui, c’est mĂ©.
– Vous seul ?
– MĂ© seul.
– Dites-moi comment vous vous y preniez. »
Cette fois l’homme parut Ă©mu ; la nĂ©cessitĂ© de parler longtemps le gĂȘnait visiblement. Il balbutia :
« Je sais-ti, mĂ© ? J’ai fait ça comme ça s’trouvait. »
Le colonel reprit :
« Je vous prĂ©viens qu’il faudra que vous me disiez tout. Vous ferez donc bien de vous dĂ©cider immĂ©diatement. Comment avez-vous commencĂ© ? »
L’homme jeta un regard inquiet sur sa famille attentive derriĂšre lui. Il hĂ©sita un instant encore, puis, tout Ă  coup, se dĂ©cida.
« Je r’venais un soir, qu’il Ă©tait p’t-ĂȘtre dix heures, le lend’main que vous Ă©tiez ici. Vous, et pi vos soldats, vous m’aviez pris pour pu de chinquante Ă©cus de fourrage avec une vaque et deux moutons. Je me dis : « Tant qu’i me prendront de fois vingt Ă©cus, tant que je leur y revaudrai ça. » Et pi, j’avais d’autres choses itou su l’cƓur, que j’vous dirai. V’lĂ  qu’ j’en aperçois un d’vos cavaliers qui fumait sa pipe su mon fossĂ©, derriĂšre ma grange. J’allai dĂ©crocher ma faux et je r’vins Ă  p’tits pas par derriĂšre, qu’il n’entendit seulement rien. Et j’li coupai la tĂȘte d’un coup, d’un seul, comme un Ă©pi, qu’il n’a pas seulement dit « ouf ! » Vous n’auriez qu’à chercher au fond d’la mare : vous le trouveriez dans un sac Ă  charbon, avec une pierre de la barriĂšre.
« J’avais mon idĂ©e. J’pris tous ses effets d’puis les bottes jusqu’au bonnet et je les cachai dans le four Ă  plĂątre du bois Martin, derriĂšre la cour. »
Le vieux se tut. Les officiers, interdits, se regardaient. L’interrogatoire recommença ; et voici ce qu’ils apprirent.
Une fois son meurtre accompli, l’homme avait vĂ©cu avec cette pensĂ©e : « Tuer des Prussiens ! » Il les haĂŻssait d’une haine sournoise et acharnĂ©e de paysan cupide et patriote aussi. Il avait son idĂ©e comme il disait. Il attendit quelques jours.
On le laissait libre d’aller et de venir, d’entrer et de sortir Ă  sa guise tant il s’était montrĂ© humble envers les vainqueurs, soumis et complaisant. Or il voyait, chaque soir, partir les estafettes ; et il sortit, une nuit, ayant entendu le nom du village oĂč se rendaient les cavaliers, et ayant appris, dans la frĂ©quentation des soldats, les quelques mots d’allemand qu’il lui fallait.
Il sortit de sa cour, se glissa dans le bois, gagna le four Ă  plĂątre, pĂ©nĂ©tra au fond de la longue galerie et, ayant retrouvĂ© par terre les vĂȘtements du mort, il s’en vĂȘtit.
Alors, il se mit Ă  rĂŽder par les champs, rampant, suivant les talus pour se cacher, Ă©coutant les moindres bruits, inquiet comme un braconnier.
Lorsqu’il crut l’heure arrivĂ©e, il se rapprocha de la route et se cacha dans une broussaille. Il attendit encore. Enfin, vers minuit, un galop de cheval sonna sur la terre dure du chemin. L’homme mit l’oreille Ă  terre pour s’assurer qu’un seul cavalier s’approchait, puis il s’apprĂȘta.
Le uhlan arrivait au grand trot, rapportant des dĂ©pĂȘches. Il allait, l’Ɠil en Ă©veil, l’oreille tendue. DĂšs qu’il ne fut plus qu’à dix pas, le pĂšre Milon se traĂźna en travers de la route en gĂ©missant : « Hilfe ! Hilfe ! À l’aide, Ă  l’aide ! » Le cavalier s’arrĂȘta, reconnut un Allemand dĂ©montĂ©, le crut blessĂ©, descendit de cheval, s’approcha sans soupçonner rien et, comme il se penchait sur l’inconnu, il reçut au milieu du ventre la longue lame courbĂ©e du sabre. Il s’abattit, sans agonie, secouĂ© seulement par quelques frissons suprĂȘmes.
Alors le Normand, radieux d’une joie muette de vieux paysan, se releva, et pour son plaisir, coupa la gorge du cadavre. Puis, il le traĂźna jusqu’au fossĂ© et l’y jeta.
Le cheval, tranquille, attendait son maĂźtre. Le pĂšre Milon se mit en selle, et il partit au galop Ă  travers les plaines.
Au bout d’une heure, il aperçut encore deux uhlans cĂŽte Ă  cĂŽte qui rentraient au quartier. Il alla droit sur eux, criant encore : « Hilfe ! Hilfe ! » Les Prussiens le laissaient venir, reconnaissant l’uniforme, sans mĂ©fiance aucune. Et il passa, le vieux, comme un boulet entre les deux, les abattant l’un et l’autre avec son sabre et un revolver.
Puis il Ă©gorgea les chevaux, des chevaux allemands ! Puis il rentra doucement au four Ă  plĂątre et cacha un cheval au fond de la sombre galerie. Il y quitta son uniforme, reprit ses hardes de gueux et, regagnant son lit, dormit jusqu’au matin.
Pendant quatre jours, il ne sortit pas, attendant la fin de l’enquĂȘte ouverte ; mais, le cinquiĂšme jour, il repartit, et tua encore deux soldats par le mĂȘme stratagĂšme. DĂšs lors, il ne s’arrĂȘta plus. Chaque nuit, il errait, il rĂŽdait Ă  l’aventure, abattant des Prussiens, tantĂŽt ici, tantĂŽt lĂ , galopant par les champs dĂ©serts, sous la lune, uhlan perdu, chasseur d’hommes. Puis, sa tĂąche finie, laissant derriĂšre lui des cadavres couchĂ©s le long des routes, le vieux cavalier rentrait cacher au fond du four Ă  plĂątre son cheval et son uniforme.
Il allait vers midi, d’un air tranquille, porter de l’avoine et de l’eau Ă  sa monture restĂ©e au fond du souterrain, et il la nourrissait Ă  profusion, exigeant d’elle...

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