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Essai d'exégÚse coranique, Volume 3

Patrick Mégarbané

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Essai d'exégÚse coranique, Volume 3

Patrick Mégarbané

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À propos de ce livre

Ce troisiĂšme et dernier volet explore la christologie du coran, tire au clair les controverses qui opposent l'islam aux autres religions du livre, et achĂšve de replacer la rĂ©vĂ©lation arabe dans le sillage des Ă©critures premiĂšres qu'elle rĂ©capitule et sublime.L'examen s'attarde sur la question de la servitude, puis sur la diffĂ©rence des sexes et le statut de la femme, enfin sur les Ă©conomies enchevĂȘtrĂ©es de l'Ă©quivalence, de la violence et du don qui sous-tendent le cheminement des croyants soumis Ă  l'influence de Dieu.L'analyse montre que la voie instruite dans le coran participe Ă  la constitution d'un monde solidaire et hospitalier, oĂč chaque personne serait appelĂ©e Ă  revivifier son existence, et Ă  donner forme Ă  ses possibilitĂ©s les plus solennelles, par son effort vers Dieu. Comprise Ă  sa juste valeur, la conception coranique de la vie et du divin pourrait rapprocher les communautĂ©s rivales du livre, et rassembler les croyants et les incroyants autour d'une vision largement partagĂ©e.

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Informations

Éditeur
Books on Demand
Année
2020
ISBN
9782322214082
Édition
1
Sous-sujet
Religione

SECTION 1

L’ALLIANCE RENOUVELÉE
À L’ÉPREUVE DE LA CROIX

Le fils de Marie n’est pas un envoyĂ© comme les autres. Il a Ă©tĂ© mĂ©connu et trahi, dĂ©menti et crucifiĂ©, malgrĂ© « la bonne orientation et la lumiĂšre » qu’il a rĂ©vĂ©lĂ©es ici-bas. TouchĂ© par la mort tragique de JĂ©sus, et consternĂ© par les luttes fratricides que se livrent les juifs et les chrĂ©tiens Ă  son sujet, Muhammad cherche Ă  comprendre. Ayant prĂȘtĂ© l’oreille aux positions rivales des uns et des autres, c’est Ă  la lumiĂšre de sa propre Ă©preuve, et avec toute la vivacitĂ© de son intelligence, qu’il entreprend devant Dieu de mĂ©diter les Ă©critures et de retrouver la signification de cette parole sainte qu’est JĂ©sus.
Le premier chapitre expose la position adoptĂ©e par le prophĂšte arabe au regard du fait central de la rĂ©vĂ©lation Ă©vangĂ©lique : la mort et la rĂ©surrection du Christ. Le coran reconnaĂźt en JĂ©sus le verbe de Dieu, et cĂ©lĂšbre son Ă©lĂ©vation avec une verve hyperbolique, sans sortir du paradoxe, ni lĂ©nifier le mystĂšre d’iniquitĂ© qui est Ă  l’Ɠuvre dans le monde. Au fond, le livre ne tranche pas la question de savoir si JĂ©sus est le fils de Dieu que les hommes ont trahi, ou bien un homme qui s’est aliĂ©nĂ© dans l’image de Dieu (chapitre I).
Muhammad approfondit sa comprĂ©hension du drame christique au feu du conflit fratricide qui l’oppose aux gens du livre et le met au ban de leur monde. Il affĂ»te ses conceptions thĂ©ologiques au fil des controverses et des luttes qu’il soutient contre des groupes de juifs et de chrĂ©tiens, qu’il accuse de trahir Dieu et de corrompre l’humanitĂ©. Habitant son Ă©preuve avec hĂ©roĂŻsme, il s’efforce de reconquĂ©rir la visĂ©e de laquelle le judĂ©o-christianisme avait dĂ©viĂ©, ou vers laquelle il n’arrivait pas Ă  s’élever. Ce faisant, le dernier prophĂšte renouvelle l’alliance avec Dieu et apporte un livre de sa part. Sans annuler les pactes prĂ©cĂ©dents, il en rĂ©capitule l’intention directrice en ouvrant largement aux hommes la voie de la rĂ©vĂ©lation (chapitre II).

CHAPITRE I

JÉSUS, FILS DE MARIE

Les questions relatives Ă  la vie du Christ, sa passion, sa nature et son statut, sont Ă  l’origine de violentes controverses entre les communautĂ©s du livre. La querelle touche Ă  l’idĂ©e que chaque partie se fait de Dieu et de l’existence humaine et, partant, du culte qu’il s’agit d’observer, de la perfection Ă©thique qu’il convient de poursuivre et de l’idĂ©al du monde qu’il serait bon de faire advenir.
Pour sa part, Muhammad ne remet pas en cause la parole de Dieu en JĂ©sus. Il ne dĂ©livre pas une nouveautĂ© qui contredirait le tĂ©moignage prĂ©cĂ©dent, comme s’il y avait en celui-ci un dĂ©faut. Au contraire, l’envoyĂ© arabe confirme ce que le fils de Marie a rĂ©vĂ©lĂ©. Il en redonne l’interprĂ©tation exacte Ă  la lumiĂšre de son propre chemin de croix (3:59-64). Ce faisant, il entend remettre les fils d’Adam sur la bonne voie, les « Ă©clairer sur le motif de leurs diffĂ©rends » (16:64), et rendre vĂ©ridique la nouvelle que les prophĂštes ont eu pour charge de transmettre (2:89, 2:91, 3:3
).
Le prĂ©dicateur arabe dĂ©fend ses convictions sans remettre en cause le paradoxe de Dieu, ni rĂ©duire l’antinomie fondamentale qui existe entre l’absolu de la misĂ©ricorde et l’universalitĂ© de la mort. D’un mĂȘme Ă©lan, il dĂ©ploie le sens enthousiaste, prodigieux et sacrificiel du cheminement de JĂ©sus, tel qu’il peut ĂȘtre apprĂ©hendĂ© dans une perspective d’espĂ©rance, et une vision dĂ©senchantĂ©e et scandaleuse de son martyre, en donnant sa pleine force au motif de la crainte. D’un cĂŽtĂ©, il professe la vĂ©ridicitĂ© du fils de Marie, cĂ©lĂšbre son Ă©lĂ©vation au ciel, et trace une voie de rĂ©demption par la charitĂ©, la croix et la rĂ©surrection. De l’autre, il laisse entendre que JĂ©sus ait pu ĂȘtre abandonnĂ© de Dieu, ou qu’il ait Ă©tĂ©, pour ainsi dire, victime de son instinct de compassion ou des dĂ©bordements de son amour. PrĂŽnant la dĂ©fiance, il restaure le bien-fondĂ© du rĂ©gime de la loi, et rend le zĂšle sacrificiel suspect.
Muhammad renvoie donc les chrĂ©tiens et les juifs dos-Ă -dos. Il blĂąme les premiers de consacrer le Christ comme un vrai dieu ; et il accuse les seconds de ne voir en lui qu’un usurpateur sĂ©ditieux. Comme on le dĂ©taillera dans le prochain chapitre, le prĂ©dicateur arabe reproche aux chrĂ©tiens de prĂȘcher l’espĂ©rance aux dĂ©pens de la crainte, d’exalter la confiance au dĂ©triment de la loi, et d’ordonner la misĂ©ricorde au mĂ©pris des principes de l’équivalence. Pour lui, le tort de « ceux qui se disent chrĂ©tiens » est de prĂȘcher un universalisme imaginaire et de promettre le salut pour tous, en s’en tenant Ă  l’idĂ©e que l’amour est plus fort que la mort. À ceux qui judaĂŻsent, Muhammad fait le grief contraire : leur pharisaĂŻsme juridique, leur communautarisme Ă©triquĂ©, leur conception exclusiviste du salut, leur culte de la justice et des principes de rĂ©alitĂ©, tout cela montre bien qu’ils tiennent pour acquis que la mort est plus forte que l’amour. En somme, Muhammad accuse les uns de diviniser le fils de Marie, et les autres de ne pas reconnaĂźtre en lui la parole de Dieu.
Dans la tension des positions contraires, l’interprĂšte coranique esquisse, Ă  partir de l’épisode christique, la forme d’un drame cosmique, dans lequel le seigneur est obligĂ© de lutter contre des forces adverses, dans les limites incontournables de la rĂ©alitĂ© historique. Ce drame, oĂč tout serait en danger, y compris l’affirmation crĂ©atrice de Dieu, appelle les croyants Ă  s’investir dans un combat vital et tragique. JĂ©sus lui-mĂȘme n’aurait fait que cela : lutter hĂ©roĂŻquement au nom de Dieu, selon l’orientation qui lui Ă©tait propre, en conformant ses pensĂ©es et ses actes jusque dans la mort. Dans ce cas, la transcendance et le mal sont des termes qui sont affirmĂ©s ensemble en vue d’une nouvelle intĂ©gritĂ©. Mais cette perspective ne fournit pas la clĂ© d’une synthĂšse totalisante. Elle offre plutĂŽt le troisiĂšme terme d’un paradoxe dĂ©sormais indĂ©passable sur le divin.
DĂšs lors qu’il s’oppose aux clĂŽtures dogmatiques, Muhammad refuse d’accoler Ă  JĂ©sus la qualitĂ© de fils de Dieu par nature. Au contraire, il s’emploie Ă  dĂ©truire les raccourcis thĂ©ologiques en la matiĂšre, de façon Ă  replacer les croyants dans l’état de dĂ©possession oĂč le Christ se trouvait lui-mĂȘme. C’est Ă  partir du silence de Dieu qu’une expĂ©rience renouvelĂ©e de la transcendance peut ĂȘtre envisagĂ©e, et que le sens de la filiation divine pourrait ĂȘtre Ă©ventuellement retrouvĂ© (premiĂšre partie)8.
Aux yeux du prophĂšte arabe, il serait dĂ©lusoire et tout Ă  fait prĂ©somptueux que des croyants se prĂ©tendent enfants de Dieu, s’ils ne concrĂ©tisent pas leurs possibilitĂ©s rĂ©elles dans l’ordre de la crĂ©ation, et ne conspirent pas Ă  l’édification d’une communautĂ© humaine plurielle et fraternelle. Pour lui, l’élĂ©vation du Christ est le symbole d’une Ă©preuve de dĂ©livrance que les vĂ©ridiques sont appelĂ©s Ă  reprendre et Ă  Ă©largir, Ă  l’horizon d’une renaissance d'ores et dĂ©jĂ  commencĂ©e. C’est Ă  la faveur d’un tel engagement que la paternitĂ© de Dieu pourrait retrouver un sens dans le cadre de son secret maintenu (deuxiĂšme partie).
De façon nĂ©gative, la mise en cause de la filialitĂ© divine de JĂ©sus signifie que Dieu ne saurait ĂȘtre affranchi des attributs de l’absurde avant l’éventuel dĂ©nouement eschatologique. Mais dans une perspective d’espĂ©rance, la contestation de la rĂ©fĂ©rence filiale ouvre la possibilitĂ© que d’autres modĂšles d’alliance Ă  Dieu puissent Ă©merger. Elle s’inscrit notamment dans une stratĂ©gie qui vise Ă  affranchir l’expĂ©rience de la foi du logos phallocentrique et des schĂ©mas patriarcaux de pensĂ©e et de comportement, qui empĂȘchent la femme de participer avec son originalitĂ© propre Ă  la tĂąche du tĂ©moignage (troisiĂšme partie).

LE SIGNE « JÉSUS » À L’ÉPREUVE DU PARADOXE

L’intention du prophĂšte arabe n’est pas de justifier la folie de la croix. Parce qu’il est lui-mĂȘme subjuguĂ© par cet Ă©vĂ©nement, tout autant que scandalisĂ©, Muhammad veille Ă  prĂ©server ce qui, pour lui, reste inconcevable. S’il embrasse de façon ostensible le parti pris de la confiance, et qu’il fait de JĂ©sus le rĂ©vĂ©lateur de la pensĂ©e divine, il met en mĂȘme temps l’accent sur la crainte, dĂ©construit le discours de l’espĂ©rance, et restaure l’incognito divin. Dans le va-et-vient des considĂ©rations contraires, il situe la place du Christ dans un drame qui appelle l’homme Ă  lutter dans le sentier de Dieu. Ces trois perspectives, que nous prĂ©sentons successivement, constituent les lignes d’un paradoxe qui sous-tend l’ensemble de la prĂ©dication coranique9.
La perspective de l’espĂ©rance
- La culpabilité des juifs et la véridicité de Jésus
MĂ©ditant l’évĂ©nement de la crucifixion avec toutes ses forces d’enthousiasme et de raison, Muhammad est amenĂ© Ă  se demander qui a tuĂ© le fils de Marie, et qui Ă©tait rĂ©ellement ce dernier pour mourir de la sorte. Pour commencer, il adopte le point de vue des partisans de la victime, et impute l’homicide aux juifs infidĂšles. Ceux-lĂ  ont mis Ă  mort JĂ©sus en manƓuvrant avec dĂ©termination et en connaissance de cause. Ils n’étaient pas Ă  leur premier mĂ©fait. Leur crime couronne une longue suite de transgressions et de dĂ©lits. N’ont-ils pas pris l’habitude de « manger Ă  mauvais escient le bien d’autrui » et de « prĂ©lever l’usure, alors qu’elle leur est interdite » (4:161) ? N’ont-ils pas dĂ©jĂ  « rompu leur engagement » par le passĂ©, « dĂ©niĂ© des signes de Dieu», et « tuĂ© les prophĂštes Ă  contre-vĂ©ritĂ© » (4:155) ? Bref, leur trahison est ancienne, leur ingratitude prouvĂ©e, et leurs forfaits impardonnables et sans justification possible.
Si les judĂ©ens commettent des crimes abominables en toute bonne conscience, c’est qu’ils pensent, mais Ă  tort, ĂȘtre les gardiens fidĂšles de la religion. Ils s’érigent en dĂ©fenseurs de Dieu, alors qu’ils suivent en rĂ©alitĂ© leurs passions, outragent la vĂ©ritĂ© et confondent le divin avec des principes de lĂ©galitĂ© et de rectitude religieuse. Au fond, c’est leur foi corrompue qui les perd et les rend capables des pires atrocitĂ©s (cf. le chapitre suivant).
En contraste, il est certain que le fils de Marie n’a pas agi selon son dĂ©sir, ou d’aprĂšs des idĂ©aux et des croyances humaines. Il a fait le don filial de sa volontĂ© Ă  Dieu, et s’est soumis avec hĂ©roĂŻsme au vouloir de la transcendance qui l’habite. Comme il l’affirme lui-mĂȘme, ses paroles et ses actes lui sont inspirĂ©s par une instance infiniment supĂ©rieure Ă  laquelle il demeure fidĂšle. Jusque devant la mort, il dĂ©fend la vĂ©ritĂ© qui l’illumine, acceptant en son nom de subir l’ignominie du calvaire. Si JĂ©sus est alors crucifiĂ©, c’est Ă  la fois en raison de sa fidĂ©litĂ© Ă  Dieu et par la faute d’hommes qui ont refusĂ© de faire place Ă  la venue de l’esprit en eux.
Or, le problĂšme qui se pose n’est pas tant que le fils de Marie ait Ă©tĂ© mis Ă  mort, mais qu’il l’ait Ă©tĂ© par un supplice ignominieux, que l’on rĂ©serve d’ordinaire aux criminels endurcis. S’il est vrai que JĂ©sus est le verbe de Dieu, comme le proclame avec force l’évangile, comment admettre qu’il ait pu ĂȘtre persĂ©cutĂ© par des gens iniques, infatuĂ©s d’eux-mĂȘmes et triomphants ? Pourquoi celui qui s’est entiĂšrement remis Ă  la divine providence est-il maudit, lapidĂ© et abandonnĂ© Ă  la cruautĂ© de mains infidĂšles ? De vulgaires criminels peuvent-ils avoir rĂ©duit au silence, et anĂ©anti dans la souffrance, le tĂ©moin qui rendait audible la parole du ciel ?
Ces questions prennent une signification particuliĂšre et une acuitĂ© existentielle extrĂȘme, dĂšs lors que Muhammad et les siens se heurtent Ă  l’opposition de groupes adverses, qu’ils se trouvent entraĂźnĂ©s dans des drames violents, et qu’ils sont mis devant la mort Ă  cause du tĂ©moignage qu’ils portent au nom de Dieu. C’est dans ce contexte que le drame de la croix devient essentiel pour eux.
- L’évocation hyperbolique de la crucifixion
Tout en incriminant les juifs infidĂšles, Muhammad s’emploie Ă  exalter la toute-puissance de l’amour de Dieu. Il soutient que JĂ©sus n’a pas Ă©tĂ© englouti dans la mort par de misĂ©rables pĂ©cheurs, mais qu’il a Ă©tĂ© en rĂ©alitĂ© Ă©levĂ© sur le trĂŽne de la croix afin de recevoir la royautĂ© Ă©ternelle. De ce point de vue, il souligne que le fils de Marie – dont la chair Ă©tait unie Ă  Dieu par l’esprit (4:171) – ne peut avoir subi le chĂątiment contre son grĂ©. C’est de lui-mĂȘme, et avec la claire conscience de son destin, que JĂ©sus s’en remet aux mains du seigneur et qu’il consent Ă  ĂȘtre la victime des hommes. En mĂȘme temps, c’est Dieu qui l’attire Ă  lui, et qui lui permet d’aller dans l’obĂ©issance jusqu’à l’abandon salvateur. D’ailleurs, le paroxysme que reprĂ©sente la crucifixion ne relĂšve pas d’un dĂ©veloppement tardif. Il procĂšde d’une disposition prise depuis toujours, qui fait que l’existence entiĂšre de JĂ©sus Ă©tait tendue vers l’heure de son martyr. À proprement parler, ce ne sont donc pas les juifs et les pharisiens qui ont immolĂ© le Christ. En dĂ©pit de leur malignitĂ© Ă©vidente, « ils ne l’ont pas tuĂ©, ils ne l’ont pas crucifiĂ© ! » (4:157).
En aucun cas, la passion de JĂ©sus n’est une fin. Elle est le prĂ©alable de son ascension glorieuse auprĂšs de Dieu. Sa montĂ©e en croix puis sa montĂ©e au ciel relĂšvent d’une mĂȘme bĂ©nĂ©diction. Elles sont le fait d’une action unique, qui s’affranchit des lois du monde, et qui triomphe du pouvoir de la mort. En ce sens, la crucifixion et la rĂ©surrection gagnent Ă  ĂȘtre Ă©voquĂ©es par le biais d’une seule mĂ©taphore. C’est par une mĂȘme « Ă©lĂ©vation » que le Christ est portĂ© en croix et qu’il accĂšde Ă  la vie Ă©ternelle (4:158) : « Lors Allah dit : "Ô JĂ©sus ! Voici que je te recouvre, t’élĂšve vers moi, et te purifie de ceux qui ont dĂ©niĂ© » (3:55)10.
Aux yeux du monde, le fils de Marie paraĂźt vaincu. Mais, en rĂ©alitĂ©, il est vainqueur de sa nature humaine, et maĂźtre de la terre. Par sa rĂ©ponse au vƓu du seigneur, et par le don total librement consenti, il permet que la volontĂ© de Dieu s’accomplisse et que la logique de la surabondance, propre Ă  la rĂ©demption, se manifeste. C’est pourquoi il convient de distinguer entre l’anecdotique et l’essentiel, entre le phĂ©nomĂšne apparent et la rĂ©alitĂ© durable, entre le temps du monde et l’éternitĂ© de Dieu. Il faut dĂ©passer le dĂ©senchantement de l’instant des tĂ©nĂšbres, lorsque JĂ©sus est livrĂ© Ă  l’injustice par des juifs infidĂšles, pour laisser parler la voix lumineuse de l’espĂ©rance, qui exalte la puissance de l’amour de Dieu et qui certifie que JĂ©sus est vivant. Alors, Muhammad crie que le crucifiĂ© n’a pas Ă©tĂ© terrassĂ© par l’adversaire, ni englouti dans la mort. Les juifs et les pharisiens croient avoir pendu le Messie au gibet d’infĂąmie. Ils clament avec dĂ©rision : « Nous avons tuĂ© JĂ©sus le Messie fils de Marie ». Mais ce ne sont lĂ  que les vicissitudes visibles de l’ici-bas. En fait, « ils ne l’ont pas tuĂ©, ils ne l’ont pas crucifiĂ©, mais il leur a semblĂ© ainsi (
). Ils ne l’ont pas tuĂ© en certitude. Mais Dieu l’éleva vers lui. Dieu est trĂšs puissant et sage » (4:157-8). Si les juifs et les pharisiens sont dans l’illusion, c’est parce qu’ils croient avoir crucifiĂ© le Christ, alors qu’en vĂ©ritĂ© c’est de lui-mĂȘme que celui-ci s’est livrĂ© Ă  Dieu qui l’a Ă©levĂ© auprĂšs de lui.
Ainsi, le fragment du coran qui Ă©voque de la façon la plus explicite le crucifiement de JĂ©sus se rĂ©vĂšle ĂȘtre une proclamation hyperbolique de la gloire du crucifiĂ©, faite en lien avec la dĂ©nonciation des crimes et des calomnies dont les juifs infidĂšles se rendent coupables : « Aussi, pour avoir rompu leur engagement, pour avoir dĂ©niĂ© des signes de Dieu, pour avoir tuĂ© les prophĂštes Ă  contre-vĂ©ritĂ©, pour leur parole : "Nos cƓurs sont incirconcis"
 Non pas ! Seulement Dieu y a posĂ© le sceau de la dĂ©nĂ©gation, et ils ne sont pas croyants, ou si peu !
 pour avoir dĂ©niĂ©, pour avoir profĂ©rĂ© sur Marie une immense calomnie, pour avoir prĂ©tendu : "Nous avons tuĂ© JĂ©sus le Messie fils de Marie"
 l’envoyĂ© de Dieu ! Ils ne l’ont pas tuĂ©, ils ne l’ont pas crucifiĂ©, mais il leur a semblĂ© ainsi. Ceux qui controversent lĂ -dessus sont dans le doute, ils n’ont aucun savoir, ils ne suivent que la conjecture. Ils ne l’ont pas tuĂ© en certitude. Mais Dieu l’éleva vers lui. Dieu est trĂšs puissant et sage. Il n’en est pas un parmi les gens du livre qui ne croie en lui, avant sa mort, et qui au jour de la rĂ©surrection, ne sera tĂ©moin contre eux
 donc, Ă  cause de l’iniquitĂ© des tenants du judaĂŻsme, nous leur avons interdit des choses bonnes qui leur Ă©taient licites (
) » (...

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