SalammbĂŽ
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SalammbĂŽ

Gustave Flaubert

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SalammbĂŽ

Gustave Flaubert

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À propos de ce livre

SalammbÎ est un roman de Flaubert publié en 1862. Il a pour sujet la guerre des Mercenaires qui au IIIe siÚcle avant J.-C. opposa Carthage aux mercenaires barbares, c'est-à-dire étrangers, qui s'étaient révoltés pour n'avoir pas reçu le montant convenu de leur solde. Leur chef, le Libyen Mùtho, est amoureux de la belle SalammbÎ, fille d'Hamilcar le Carthaginois. MathÎ dérobe une nuit le voile de la déesse Tanit, protectrice de la ville, et c'est SalammbÎ qui reçoit la mission d'aller le récupérer. Fou de joie de la revoir, MathÎ le lui rend, pour sa perte: les Carthaginois rassérénés viennent à bout des rebelles et MathÎ finit supplicié sous les yeux de sa bien aimée, qui, mourant à son tour de désespoir, avoue ainsi son amour pour le rebelle. Dans cette histoire d'amour antique, Flaubert met son immense érudition au service d'une chronique quasi journalistique qui l'entraßnera en avril 1858 en Tunisie, et d'une recherche stylistique envoûtante, luxuriante, d'une rare intensité, recréant poétiquement un Orient sensuel et violent.

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Informations

Éditeur
Books on Demand
Année
2020
ISBN
9782322220625
Édition
1

VII - Hamilcar Barca


Hamilcar Barca
L’Annonciateur-des-Lunes qui veillait toutes les nuits au haut du temple d’EschmoĂ»n, pour signaler avec sa trompette les agitations de l’astre, aperçut un matin, du cĂŽtĂ© de l’occident, quelque chose de semblable Ă  un oiseau, frĂŽlant de ses longues ailes la surface de la mer.
C’était un navire Ă  trois rangs de rames ; il y avait Ă  la proue un cheval sculptĂ©. Le soleil se levait ; l’Annonciateur-des-Lunes mit sa main devant ses yeux ; puis, saisissant Ă  plein bras son clairon, il poussa sur Carthage un grand cri d’airain.
De toutes les maisons des gens sortirent ; on ne voulait pas en croire les paroles, on se disputait, le mĂŽle Ă©tait couvert de peuple. Enfin on reconnut la trirĂšme d’Hamilcar.
Elle s’avançait d’une façon orgueilleuse et farouche, l’antenne toute droite, la voile bombĂ©e dans la longueur du mĂąt, en fendant l’écume autour d’elle ; ses gigantesques avirons battaient l’eau en cadence ; de temps Ă  autre l’extrĂ©mitĂ© de sa quille, faite comme un soc de charrue, apparaissait, et sous l’éperon qui terminait sa proue, le cheval Ă  tĂȘte d’ivoire, en dressant ses deux pieds, semblait courir sur les plaines de la mer.
Autour du promontoire, comme le vent avait cessĂ©, la voile tomba, et l’on aperçut auprĂšs du pilote un homme debout, tĂȘte nue ; c’était lui, le suffĂšte Hamilcar ! Il portait autour des flancs des lames de fer qui reluisaient ; un manteau rouge s’attachant Ă  ses Ă©paules laissait voir ses bras ; deux perles trĂšs longues pendaient Ă  ses oreilles, et il baissait sur sa poitrine sa barbe noire, touffue.
Cependant la galÚre ballottée au milieu des rochers cÎtoyait le mÎle, et la foule la suivait sur les dalles en criant :
– « Salut, bĂ©nĂ©diction, ƒil de Khamon ! ah, dĂ©livre-nous ! C’est la faute des Riches ! ils veulent te faire mourir ! Prends garde Ă  toi, Barca ! »
Il ne rĂ©pondait pas, comme si la clameur des ocĂ©ans et des batailles l’eĂ»t complĂštement assourdi. Mais quand il fut sous l’escalier qui descendait de l’Acropole, Hamilcar releva la tĂȘte, et, les bras croisĂ©s, il regarda le temple d’EschmoĂ»n. Sa vue monta plus haut encore, dans le grand ciel pur ; d’une voix Ăąpre, il cria un ordre Ă  ses matelots ; la trirĂšme bondit ; elle Ă©rafla l’idole Ă©tablie Ă  l’angle du mĂŽle pour arrĂȘter les tempĂȘtes ; et dans le port marchand plein d’immondices, d’éclats de bois et d’écorces de fruits, elle refoulait, Ă©ventrait les autres navires amarrĂ©s Ă  des pieux et finissant par des mĂąchoires de crocodile. Le peuple accourait, quelques-uns se jetĂšrent Ă  la nage. Mais dĂ©jĂ  elle se trouvait au fond, devant la porte hĂ©rissĂ©e de clous. La porte se leva, et la trirĂšme disparut sous la voĂ»te profonde.
Le port militaire Ă©tait complĂštement sĂ©parĂ© de la ville ; quand des ambassadeurs arrivaient, il leur fallait passer entre deux murailles, dans un couloir qui dĂ©bouchait Ă  gauche, devant le temple de Khamon. Cette grande place d’eau, ronde comme une coupe, avait une bordure de quais oĂč Ă©taient bĂąties des loges abritant les navires. En avant de chacune d’elles montaient deux colonnes, portant Ă  leur chapiteau des cornes d’Ammon, ce qui formait une continuitĂ© de portiques tout autour du bassin. Au milieu, dans une Ăźle, s’élevait une maison pour le SuffĂšte-de-la-mer.
L’eau Ă©tait si limpide que l’on apercevait le fond pavĂ© de cailloux blancs. Le bruit des rues n’arrivait pas jusque-lĂ , et Hamilcar, en passant, reconnaissait les trirĂšmes qu’il avait autrefois commandĂ©es.
Il n’en restait plus qu’une vingtaine peut-ĂȘtre, Ă  l’abri, par terre, penchĂ©es sur le flanc ou droites sur la quille, avec des poupes trĂšs hautes et des proues bombĂ©es, couvertes de dorures et de symboles mystiques. Les chimĂšres avaient perdu leurs ailes, les dieux-patĂŠques leurs bras, les taureaux leurs cornes d’argent ; – et toutes Ă  moitiĂ© dĂ©peintes, inertes, pourries, mais pleines d’histoire et exhalant encore la senteur des voyages, comme des soldats mutilĂ©s qui revoient leur maĂźtre, elles semblaient lui dire : « C’est nous ! c’est nous ! et toi aussi tu es vaincu ! »
Nul, hormis le SuffĂšte-de-la-mer, ne pouvait entrer dans la maison-amiral. Tant qu’on n’avait pas la preuve de sa mort, on le considĂ©rait comme existant toujours. Les Anciens Ă©vitaient par lĂ  un maĂźtre de plus, et ils n’avaient point manquĂ© pour Hamilcar d’obĂ©ir Ă  la coutume.
Le SuffĂšte s’avança dans les appartements dĂ©serts ; Ă  chaque pas il retrouvait des armures, des meubles, des objets connus qui l’étonnaient cependant, et mĂȘme sous le vestibule il y avait encore, dans une cassolette, la cendre des parfums allumĂ©s au dĂ©part pour conjurer Melkarth. Ce n’était pas ainsi qu’il espĂ©rait revenir ! Tout ce qu’il avait fait, tout ce qu’il avait vu se dĂ©roula dans sa mĂ©moire : les assauts, les incendies, les lĂ©gions, les tempĂȘtes, Drepanum, Syracuse, LilybĂ©e, le mont Etna, le plateau d’Éryx, cinq ans de batailles, jusqu’au jour funeste oĂč, dĂ©posant les armes, on avait perdu la Sicile. Puis il revoyait des bois de citronniers, des pasteurs et des chĂšvres sur des montagnes grises, et son cƓur bondissait Ă  l’imagination d’une autre Carthage Ă©tablie lĂ -bas. Ses projets, ses souvenirs, comme des flots tumultueux, bourdonnaient dans sa tĂȘte, encore Ă©tourdie par le tangage du vaisseau ; une angoisse l’accablait, et devenu faible tout Ă  coup, il sentit le besoin de se rapprocher des Dieux.
Alors il monta au dernier Ă©tage de sa maison ; puis, ayant retirĂ© d’une coquille d’or suspendue Ă  son bras une spatule garnie de clous, il ouvrit une petite chambre ovale.
De minces rondelles noires, encastrĂ©es dans la muraille et transparentes comme du verre, l’éclairaient doucement. Entre les rangs de ces disques Ă©gaux, des trous Ă©taient creusĂ©s, pareils Ă  ceux des urnes dans les columbariums. Ils contenaient chacun une pierre ronde, obscure, et qui paraissait trĂšs lourde. Les gens d’un esprit supĂ©rieur, seuls, honoraient ces abaddirs tombĂ©s de la lune. Par leur chute ils signifiaient les astres, le ciel, le feu ; par leur couleur, la nuit tĂ©nĂ©breuse, et par leur densitĂ©, la cohĂ©sion des choses terrestres. Une atmosphĂšre Ă©touffante emplissait ce lieu mystique. Du sable marin, que le vent avait poussĂ© sans doute Ă  travers la porte, blanchissait un peu les pierres rondes posĂ©es dans les niches. Hamilcar, du bout de son doigt, les compta l’une aprĂšs l’autre ; puis il se cacha le visage sous un voile de couleur safran, et, tombant Ă  genoux, il s’étendit par terre, les deux bras allongĂ©s.
Le jour extĂ©rieur frappait contre les feuilles de lattier noir. Des arborescences, des monticules, des tourbillons, de vagues animaux se dessinaient dans leur Ă©paisseur diaphane ; et la lumiĂšre arrivait, effrayante et pacifique cependant, comme elle doit ĂȘtre par derriĂšre le soleil, dans les mornes espaces des crĂ©ations futures. Il s’efforçait Ă  bannir de sa pensĂ©e toutes les formes, tous les symboles et les appellations des Dieux, afin de mieux saisir l’esprit immuable que les apparences dĂ©robaient. Quelque chose des vitalitĂ©s planĂ©taires le pĂ©nĂ©trait, tandis qu’il sentait pour la mort et pour tous les hasards un dĂ©dain plus savant et plus intime. Quand il se releva, il Ă©tait plein d’une intrĂ©piditĂ© sereine, invulnĂ©rable Ă  la misĂ©ricorde, Ă  la crainte, et comme sa poitrine Ă©touffait, il alla sur le sommet de la tour qui dominait Carthage.
La ville descendait, en se creusant par une courbe longue, avec ses coupoles, ses temples, ses toits d’or, ses maisons, ses touffes de palmiers çà et lĂ , ses boules de verre d’oĂč jaillissaient des feux, et les remparts faisaient comme la gigantesque bordure de cette corne d’abondance qui s’épanchait vers lui. Il apercevait en bas les ports, les places, l’intĂ©rieur des cours, le dessin des rues, les hommes tout petits presque Ă  ras des dalles. Ah ! si Hannon n’était pas arrivĂ© trop tard le matin des Ăźles Ægates ! Ses yeux plongĂšrent dans l’extrĂȘme horizon, et il tendit au cĂŽtĂ© de Rome ses deux bras frĂ©missants.
Mais la multitude occupait les degrĂ©s de l’Acropole. Sur la place de Khamon on se poussait pour voir le SuffĂšte sortir, les terrasses peu Ă  peu se chargeaient de monde ; quelques-uns le reconnurent, on le saluait ; il se retira afin d’irriter mieux l’impatience du peuple.
Hamilcar trouva en bas, dans la salle, les hommes les plus importants de son parti : Istatten, Subeldia, Hictamon, Yeoubas et d’autres. Ils lui racontĂšrent tout ce qui s’était passĂ© depuis la conclusion de la paix : l’avarice des Anciens, le dĂ©part des soldats, leur retour, leurs exigences, la capture de Giscon, le vol du zaĂŻmph, Utique secourue, puis abandonnĂ©e ; mais aucun n’osa lui dire les Ă©vĂšnements qui le concernaient. Enfin on se sĂ©para, pour se revoir pendant la nuit, Ă  l’assemblĂ©e des Anciens, dans le temple de Moloch.
Ils venaient de sortir quand un tumulte s’éleva en dehors, Ă  la porte. MalgrĂ© les serviteurs, quelqu’un voulait entrer ; et comme le tapage redoublait, Hamilcar commanda d’introduire l’inconnu.
On vit paraĂźtre une vieille nĂ©gresse, cassĂ©e, ridĂ©e, tremblante, l’air stupide, et enveloppĂ©e jusqu’aux talons dans de larges voiles bleus. Elle s’avança en face du SuffĂšte, ils se regardĂšrent l’un l’autre quelque temps ; tout Ă  coup Hamilcar tressaillit ; sur un geste de sa main, les esclaves s’en allĂšrent. Alors, lui faisant signe de marcher avec prĂ©caution, il l’entraĂźna par le bras dans une chambre lointaine.
La négresse se jeta, par terre, à ses pieds pour les baiser ; il la releva brutalement.
– « OĂč l’as-tu laissĂ©, Iddibal ? »
– « LĂ -bas, MaĂźtre ; » et en se dĂ©barrassant de ses voiles, avec sa manche elle se frotta la figure ; la couleur noire, le tremblement sĂ©nile, la taille courbĂ©e, tout disparut. C’était un robuste vieillard, dont la peau semblait tannĂ©e par le sable, le vent et la mer. Une houppe de cheveux blancs se levait sur son crĂąne, comme l’aigrette d’un oiseau ; et, d’un coup d’Ɠil ironique, il montrait par terre le dĂ©guisement tombĂ©.
– « Tu as bien fait, Iddibal ! C’est bien ! » Puis, comme le perçant de son regard aigu : « Aucun encore ne se doute ?
 »
Le vieillard lui jura par les Cabires que le mystĂšre Ă©tait gardĂ©. Ils ne quittaient pas leur cabane Ă  trois jours d’HadrumĂšte, rivage peuplĂ© de tortues, avec des palmiers sur la dune. – « Et selon ton ordre, ĂŽ MaĂźtre, je lui apprends Ă  lancer des javelots et Ă  conduire des attelages ? »
– « Il est fort, n’est-ce pas ? »
– « Oui, MaĂźtre, et intrĂ©pide aussi ! Il n’a peur ni des serpents, ni du tonnerre, ni des fantĂŽmes. Il court pieds nus, comme un pĂątre, sur le bord des prĂ©cipices. »
– « Parle ! parle ! »
– « Il invente des piĂ©gĂ©s pour les bĂȘtes farouches. L’autre lune, croirais-tu ? il a surpris un aigle ; il le traĂźnait, et le sang de l’oiseau et le sang de l’enfant s’éparpillaient dans l’air en larges gouttes, telles que des roses emportĂ©es. La bĂȘte, furieuse, l’enveloppait du battement de ses ailes ; il l’étreignait contre sa poitrine, et Ă  mesure qu’elle agonisait ses rires redoublaient, Ă©clatants et superbes comme des chocs d’épĂ©es. »
Hamilcar baissait la tĂȘte, Ă©bloui par ces prĂ©sages de grandeur.
– « Mais, depuis quelque temps, une inquiĂ©tude l’agite. Il regarde au loin les voiles qui passent sur la mer ; il est triste, il repousse le pain, il s’informe des Dieux et il veut connaĂźtre Carthage. »
– « Non, non ! pas encore ! » s’écria le SuffĂšte.
Le vieil esclave parut savoir le péril qui effrayait Hamilcar, et il reprit :
– « Comment le retenir ? Il me faut dĂ©jĂ  lui faire des promesses, et je ne suis venu Ă  Carthage que pour lui acheter un poignard Ă  manche d’argent avec des perles tout autour. » Puis il conta qu’ayant aperçu le SuffĂšte sur la terrasse, il s’était donnĂ© aux gardiens du port pour une des femmes de SalammbĂŽ, afin de pĂ©nĂ©trer jusqu’à lui.
Hamilcar resta longtemps comme perdu dans ses délibérations ; enfin il dit :
– « Demain tu te prĂ©senteras Ă  MĂ©gara, au coucher du soleil, derriĂšre les fabriques de pourpre, en imitant par trois fois le cri d’un chacal. Si tu ne me vois pas, le premier jour de chaque lune tu reviendrais Ă  Carthage. N’oublie rien ! Aime-le ! Et maintenant tu peux lui parler d’Hamilcar. »
L’esclave reprit son costume, et ils sortirent ensemble de la maison et du port.
Hamilcar continua seul, Ă  pied, sans escorte et sans flambeaux, car les rĂ©unions des Anciens Ă©taient, dans les circonstances extraordinaires, toujours secrĂštes, et l’on s’y rendait mystĂ©rieusement.
D’abord il longea la face orientale de l’Acropole, passa ensuite par le MarchĂ©-aux-herbes, les galeries de Kinisdo, le Faubourg-des-parfumeurs ; les rares lumiĂšres s’éteignaient, les rues plus larges se faisaient silencieuses, puis des ombres glissĂšrent dans les tĂ©nĂšbres. Elles le suivaient, d’autres survinrent, et toutes se dirigeaient comme lui du cĂŽtĂ© des Mappales.
Le temple de Moloch Ă©tait bĂąti au pied d’une gorge escarpĂ©e, dans un endroit sinistre. On n’apercevait d’en bas que de hautes murailles montant indĂ©finiment, telles que les parois d’un monstrueux tombeau. La nuit Ă©tait sombre, un brouillard grisĂątre semblait peser sur la mer. Elle battait contre la falaise avec un bruit de rĂąles et de sanglots ; et les ombres peu Ă  peu s’évanouissaient comme si elles eussent passĂ© Ă  travers les murs.
Mais sitĂŽt qu’on avait franchi la porte, on se trouvait dans une vaste cour quadrangulaire que bordaient des arcades. Au milieu se levait une masse d’architecture Ă  huit pans Ă©gaux. Des coupoles la surmontaient en se tassant autour d’un second Ă©tage qui supportait une maniĂšre de rotonde, d’oĂč s’élançait un cĂŽne Ă  courbe rentrante, terminĂ© par une boule au sommet.
Des feux brĂ»laient dans des cylindres en filigrane, emmanchĂ©s Ă  des perches que portaient des hommes. Ces lueurs vacillaient sous les bourrasques du vent et rougissaient les peignes d’or fixant Ă  la nuque leurs cheveux tressĂ©s. Ils couraient, s’appelaient pour recevoir les Anciens.
Sur les dalles, de place en place, Ă©taient accroupis, comme des sphinx, des lions Ă©normes, symboles vivants du Soleil-dĂ©vorateur. Ils sommeillaient les paupiĂšres entre-closes. Mais rĂ©veillĂ©s par les pas et par les voix, ils se levaient lentement, venaient vers les Anciens, qu’ils reconnaissaient Ă  leur costume, se frottaient contre leurs cuisses en bombant le dos avec des bĂąillements sonores ; la vapeur de leur haleine passait sur la lumiĂšre des torches. L’agitation redoubla, des portes se fermĂšrent, tous les prĂȘtres s’enfuirent, et les Anciens disparurent sous les colonnes qui faisaient autour du temple un vestibule profond.
Elles étaient disposées de façon à reproduire par leurs rangs circulaires, compris les uns dans les autres, la période saturnien...

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