Les Fusillés du Bois de La Reulle

L'association du Groupe de Recherches

• Éditeur: Books on Demand
• Année: 2020
• ISBN:
  9782322227136
• Édition: 1
• Sujet: Histoire
• Sous-sujet: Histoire du monde

Les Fusillés du Bois de La Reulle, site où ont été fusillés les quinze Résistants le 27 juin 1944.

XXVI

30 juin 2012

Laurence était là.

Devant la tombe où était tombé son grand-père. Elle tenait dans ses doigts le discours écrit par Rose, sa mère, qui aux côtés de Patricia sa seconde fille, se débattait dans la douleur à des milliers de kilomètres de là pour ramener Michel dans sa dernière demeure en Belgique.

Son texte, qui après avoir relaté les recherches de Micheline de Sélys Longchamps dès son retour des camps de concentration nazis, la rencontre avec Annie Rieu, autre membre du Groupe qui lui avait permis d'effectuer le dernier parcours de Charley, celle avec les membres du Groupe de Castelmaurou grâce au hasard et à la lecture d’un livre, était un plaidoyer pour l'Europe. La vraie Europe, pas celle des affairistes, des obnubilés de l'argent, mais celle des peuples, du social, de la paix, cette paix pour laquelle Charley de Hepcée et tant d'autres avaient donné leur vie.

Plus tôt, les cérémonies avaient débuté en l'église de Gragnague. Soixante porte-drapeaux entouraient l'autel : quinze bougies avaient été déposées devant ce dernier en l'honneur des fusillés, une banda jouait heureuse d'honorer l'événement, un curé volubile parlait de paix, de solidarité, d'entente entre les hommes et entre les peuples, d’humanité, d’écoute, de compréhension entre les différentes couleurs et les différentes cultures.

À la sortie de l'église, quittée en musique, l'assemblée se regroupa devant le monument aux morts, recueillie, communiant à l'écoute du chant des partisans et de la Marseillaise.

Trois autobus mis à disposition par le Souvenir français emmenèrent les participants vers le lieu du drame.

Comme d'habitude, le Colonel Mazingue, secondé par René Durand, officiait avec maestria. Il fallait tout son savoir-faire et son expérience pour gérer le programme élaboré et minuté par René, Dédée et Loulou pour le Souvenir Français et la municipalité de Gragnague représentée par son maire, Daniel Calas, Didier Averseng et Denis Bassi, conseillers municipaux. Dépôt de gerbe par la famille de Hepcée, la municipalité de Gragnague et de Castelmaurou, le conseil municipal des jeunes de la commune de Gragnague, intervention des deux maires, du Colonel Jean-François Balon, chef du détachement de l'armée de l’Air belge et des élèves de Castelmaurou qui, respectant une chorégraphie maintes fois répétée, récitèrent le poème magnifique de Paul Éluard « liberté, j'écris ton nom ».

Dès le dernier mot ils s'étaient regroupés et chacun muni d’un carton avait formé une mosaïque où apparaissait le titre de l'œuvre.

Ensuite, Charlie avait invité la famille de Charles de Hepcée et les membres du Groupe de Recherches à rejoindre le site marqué d'une croix où Rose s'était longuement recueillie lors de sa première visite avec Michel.

Montrant l'exemple, Monique la sœur aînée prononça quelques mots mettant l'accent sur la découverte officielle de son papa.

Après elle, Claire devait prendre le micro. Submergée par la peine due au décès de son beau-frère et à l'absence de sa sœur jumelle aux côtés de qui elle aurait aimé être, elle déclina l’offre.

Tania occupa alors le temps. C'était à elle que revenait l'honneur de déposer les cailloux que Magali avait conservés précieusement depuis novembre dernier dans son bureau.

Arrivée l’avant-veille, elle avait préparé le retour de Charley chez lui en ramenant les prélèvements qui, à Strasbourg, avaient permis son identification et que la famille était autorisée à glisser avec les autres ossements dans le cercueil destiné à Halloy.

Les mots qu’elle prononça, dédiés au devoir de mémoire, à la nécessité de rendre à un inconnu son identité, pour lui, pour ses proches, au sens de son travail qui était un véritable sacerdoce, touchèrent l'assemblée plus qu'elle ne pourrait l'imaginer.

Ah… E.T…

Puis Laurence…

Puis René…

Il n'aimait pas les discours. L'homme était un travailleur de l'ombre. Émotif, il savait que les larmes se liguaient toujours contre lui, dès qu'il voyait un micro.

Pas là !

Il se l'était promis.

Pas là !

Il ne pleura pas !

Un moment bref, il faillit être emporté. Il respira un bon coup. Profondément.

Tel un équilibriste, il se rattrapa.

Son propos fit l'historique du Groupe de Recherches, de la rencontre avec Rose, avec E.T, du succès de la longue, harassante et passionnante démarche.

À sa gauche, Romain, son fils de 16 ans, respectait fièrement son rôle de porte-drapeau.

Au sommet de la hampe, bien calée dans l'étui du harnais, l'étendard du Grand 14 de l'Infanterie Belge faisait claquer au vent les couleurs Noire, Jaune et Rouge. Gonflant le torse Romain arborait l'insigne et la cravate du même régiment.

Georges intervint en dernier. Il ne voulait pas de texte lu. Il craignait une feuille tremblante. Égoïstement peut-être, il ne voulait pas offrir au regard des autres sa grande émotion, celle qui l'accompagnerait jusqu'à son dernier souffle.

Alors il récita.

Il interpréta. Les derniers jours de Charley. Sa capture. Son regard sur les Pyrénées qui l’avaient tant protégé. La prison Saint Michel. Le peloton d'exécution. Et son futur retour chez lui à Halloy :

Retour à Halloy

« Il était fatigué.

Il voulait s’asseoir là près du pont de la Taule.

Quatre ans qu'il les traversait ces Pyrénées.

Autant de l'autre côté,

en plein milieu de la fierté basque

en traçant le passage de l'Iraty.

Qu’ici, en terre d'Ariège, en terre courage

sur ce chemin de la Liberté.

Plus tard, la traversée de la France,

ne prendra, tout au plus, qu’une seule journée.

Un arrêt toutes les deux heures

et la Belgique ouvrira ses bras.

Pour quelques kilomètres de bon Halloy.

Pour l'heure il va lui falloir plusieurs semaines.

De quoi manquer le débarquement !

Il voulait s'asseoir là…

Des mains mal intentionnées en ont décidé autrement.

Elles l’ont conduit derrière un mur crénelé.

Saint Michel qu’il s'appelait ce château !

Comme le saint patron de ces hommes qui vont

par dizaines de milliers tomber du ciel de Normandie.

Puis on l'a amené dans un bois.

Des mots prononcés avec l’accent

de la langue de Goethe,

ont saisi l’orée d’effroi.

Ici… Repose !

L'ordre a claqué comme un coup de fusil !

Puis il s'est affaissé

C'était il y a soixante-huit ans.

Allez Charley…

Il est temps de rentrer chez toi ! »

Revenant vers la stèle, Tania, René et Georges, s’étreignirent les mains. Subrepticement. Fiers d'avoir fait honneur à Charley, à Rose à Michel.

Déjà en place, douze élèves de l'école primaire de Castelmaurou, une feuille de papier à la main, regardaient Charlie. Prévenu de leur intervention par les époux Gibert et par Jean-Daniel Gaudais, ce dernier leur tendit à tour de rôle le micro. Ils n’eurent plus qu’à lire :

- Colonel Joseph Guillaut

- Lieutenant Noël Pruneta

- Jean-Louis Belvezet

- Major aviateur Charles de Hepcée

- Roger Cazenave

- Claude Charvet

- Jean-Marie Ducasse

- Marcel Mercié

- Jean Pagès

-...