
- 136 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
À propos de ce livre
Le Kitsch est un problème d'esthétique fondamental couvrant plusieurs domaines: arts visuels et architecture, mais aussi musique, littérature, arts du design, habillement, etc. C'est un formalisme, sans contenu profond, que l'on dénigre ordinairement.Pourtant la question est plus complexe. On peut en effet le réutiliser en le prenant avec humour, et aussi parfois le réhabiliter quand on se trouve dans une situation émotionnelle particulière.C'est à quoi ce livre invite, en évitant tout parti-pris à son sujet.
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Informations
1
Les aventures de la Beauté


La Beauté hors-vie
Pour comprendre ce qu’est le kitsch on peut partir de la notion de Beauté, équivalente à celle de perfection ou de réussite dans la création en général, et dont le kitsch apparaît comme une dégradation.
Dans le monde du kitsch, la beauté semble une évidence, quelque chose de naturel, qui procure de l’agrément. Une fois perçue, on continue sa vie comme si de rien n’était, en attendant la prochaine rencontre, nouvelle halte de bonheur, mais qui ne met pas la vie ordinaire en question. De cette dernière on s’accommode, et ce qu’on trouve beau, on peut bien dire que cela embellit la vie, mais on ne soupçonne jamais que cela puisse lui tourner radicalement le dos.
Mais c’est ne rien comprendre à ce qu’est la vraie Beauté, et au saisissement qu’elle procure quand on la perçoit. Loin d’être naturelle et procurant de l’agrément, elle est en réalité hors-vie et crée en nous une sidération difficile à supporter par l’excès même de perfection qu’elle implique.

Généalogiquement, la Beauté peut être vue comme l’imposition au monde naturel d’un ordre que ce dernier, dans sa confusion essentielle, ne connaît pas. Elle transforme le chaos ou le tohubohu du monde en un cosmos ordonné, selon le processus qui se voit dans tous les récits cosmogoniques, de la Théogonie d’Hésiode à la Genèse biblique. On peut en avoir un bel exemple dans l’art du maquillage, et ce n’est pas pour rien d’ailleurs que le mot cosmos (ordre et beauté en grec) a donné précisément : cosmétique.
Le maquillage humain est un art, dans le sens où il sépare l’homme de l’ordre de la nature pour l’élever dans un autre ordre, celui de sa correction ou de sa réformation. Se vérifie bien l’adage latin, selon lequel l’art est l’homme ajouté à la nature (ars homo additus naturae).
La nature dans sa profusion ne choisit rien, ne sépare rien, tandis que l’art est choix. Une prairie regorgeant de fleurs nous donne peut-être l’idée d’une immense exubérance végétale, parfois d’ailleurs ressentie jusqu’à la nausée, mais un bouquet agencé avec art (pensons à l’Ikebana japonais), est le fuit d’une sélection souvent draconienne, qui est la part du style, et comble notre attente. Il y a sacrifice : on élimine certains éléments, pour accentuer et mettre en valeur ceux qui restent.
Et c’est précisément ce fossé entre la vie naturelle et l’œuvre de beauté véritable que le kitsch ignore. Il ne s’occupe pas du divorce essentiel, constitutif, entre l’art et la vie ordinaire, puisque précisément il ne voit rien d’autre au-delà de cette dernière. Il ne choisit ni n’élimine rien à des fins vraiment expressives, ne stylise pas de façon hardie, n’est pas effleuré par un quelconque besoin d’échapper au monde qu’on voit et d’en désirer un autre, d’entrevoir une quelconque Transcendance. Au contraire, il reproduit banalement les choses sans les déformer, et fait reddition à l’apparence toute simple des choses.

Laissé nu, un visage a plein d’imperfections. Le maquillage féminin, par exemple, a pour but de l’arracher à la vie, à l’existence mêlée et contingente, pour en faire une essence, un archétype. Il ne s’agit pas du tout de le rendre avenant, proche de nous. Il faut au contraire l’éloigner de nous, tourner le dos à la vie habituelle, et comme nous faire honte de la nôtre.
Qualifier le maquillage comme un lifting trompeur, « pour effacer des ans l’irréparable outrage », prendre le mot lui-même dans un sens péjoratif comme on le fait souvent, est extrêmement superficiel et trivial. En fait c’est n’y rien comprendre. Le but n’est pas de plaire, ou de séduire, comme quand on confond, comme fait le kitsch par total aplatissement et par réconciliation avec la vie, le beau avec le joli, l’agréable.
Ou bien s’il y a séduction il faut prendre le mot dans son sens très fort : nous détourner (se-ducere) de notre vie banale pour nous en faire voir, ou deviner, une tout autre. Et la sidération qui s’y produit peut nous mener aux plus tragiques destins.
Hiératique, le masque, vers quoi tend tout beau maquillage, résume cette situation. Par le fond de teint, la femme crée une unité abstraite, sur laquelle se dessineront quelques traits accentués, lignes simplificatrices très stylisées. Comme dit Baudelaire dons son « Éloge du maquillage » (Le Peintre de la vie moderne), elle doit se dorer pour être adorée, pour s’élever à la dignité sacrée de la prêtresse. Ainsi nous tient-elle à distance, récuse toute approche : il ne faut pas toucher aux idoles, la dorure en reste aux mains.

Voyez le visageicône de Garbo, par exemple dans le film La Reine Christine. C’est un masque de plâtre, maximalement simplifié, qui semble venir du fond des âges. Elle est tellement hors-vie (on l’appelait la « Divine ») qu’elle ne suscite en nous même aucun désir physique. Elle est bien au-delà. Elle a quelque chose d’asexué, qui correspond d’ailleurs à son habillement dans le film susdit, où elle est vêtue en homme. Tant l’androgynie, l’hermaphrodisme nous déracinent, hors-même de toute convoitise de chair !
Objectivement, la beauté de ce visage n’est qu’une question de structure osseuse, et aussi de photogénie valorisée artificiellement (éclairage, etc.). Et pourtant il est archétypal, idée au sens de Platon, pour qui le monde que l’on voit n’était que fantomatique, irréel, simple reflet d’essences définitionnelles qui le garantissaient. Il y a bien sûr et au contraire des visages mobiles, sur lesquels on peut se projeter par empathie, par Einfühlung. Ils sont non plus Idée, mais Événement. Ainsi au visage de Garbo, Barthes dans ses Mythologies oppose celui d’Audrey Hepburn. Chez nous naguère on pouvait opposer le visage de Catherine Deneuve à celui de Marlène Jobert.
Proches de nous, et moins dérangeants, c’est évidemment ces derniers que peut préférer l’homme ordinaire, puisqu’ils lui ressemblent plus volontiers, étant apparemment davantage dans la vie.

La beauté, disait Stendhal, n’est que la promesse du bonheur. Promesse seulement, et non pas octroi garanti. Et même un visage juvénile, non maquillé nonobstant ce que je viens de dire, peut nous faire mal à le regarder. Car cette beauté particulière (la fameuse « beauté du Diable », irremplaçable et invincible), nous sentons bien qu’elle ne durera pas. Les « Jeunes filles en fleur » dont parle et rêve Proust, que seront-elles vingt ans plus tard, sinon des matrones alourdies et chargées d’enfants ?
C’est l’éphémère qui nous chavire, comme la floraison des cerisiers au Japon, ou le flamboiement automnal des érables au Canada. Le Japon même a un mot pour signifier la nostalgie de la saison que qui vient de nous quitter : Nagori – littéralement « le reste des vagues ». Un livre portant ce nom, écrit par Ryoko Sekiguchi, vient d’être consacré à ce sentiment (Folio, 2020). Ce sentiment d’impermanence sous-tend beaucoup de haïkus. Mais cette nostalgie des choses qui s’en vont existe aussi chez nous, par exemple dans la saudade portugaise.
Il n’y a de vraie Beauté qu’accompagnée du sentiment de notre insuffisance à côté d’elle, de notre finitude. Prenons-garde donc à ces moments certes bénis, mais où se sent leur proche disparition. Voyez ce que dit Paul-Jean Toulet, dans une de ses Chansons :
Dans Arles, où sont les Aliscans,
Quand l’ombre est rouge, sous les roses,
Et clair le temps,
Prends garde à la douceur des choses.
Lorsque tu sens battre sans cause
Ton cœur trop lourd ;
Et que se taisent les colombes :
Parle tout bas, si c’est d’amour,
Au bord des tombes
Le kitsch, dit justement Abraham Moles dans sa Psychologie du kitsch, est l’art du bonheur. Mais du bonheur précisément il faut toujours parler tout bas, et non pas le claironner ou en être fier, car il peut à n’importe quel moment nous être enlevé. Il faut le voir comme précaire, c’est-à-dire obtenu par prière (du latin precari, prier).
Le vrai Carpe diem n’est pas comme on le croit souvent une invitation à jouir de l’existence sans entraves. Il est tragique, comme il se voit à la fin de l’ode d’Horace d’où il est tiré :
Cueille le jour. Fie-toi le moins possible au lendemain.
(Carpe diem. Quam minimum credula postero)
À la Renaissance, le thème a été traité chez nous de la même façon, par exemple par Ronsard dans son poème « Mignonne allons voir si la rose... », tiré des Amours :
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse :
Comme à cette fleur la vieillesse
Fera ternir votre beauté.
Le Dum vivimus, vivamus ! (Pendant que nous vivons, vivons !) des épicuriens implique un sentiment profond du problématique, de la brièveté de la vie. Ce sens anxieux de la précarité, de l’éphémère, totalement ignoré du monde du kitsch (monde de la satisfaction), est bien senti aussi dans le film de Peter Weir, Le Cercle des poètes disparus, quand le professeur Keating en fait leçon à ses élèves pour les inciter à mordre dans la vie. Songeons enfin à l’exclamation du poète romantique :
Aimez ce que jamais on ne verra deux fois...
La Beauté meurtrière
Au fond la vraie beauté fait peur, nous déracine, nous effraie, et c’est ce que le ki...
Table des matières
- Sommaire
- Avant-propos
- 1. Les aventures de la Beauté
- 2. Un monde formel
- 3. Visages du kitsch
- 4. Questions
- Bibliographie
- Pour approfondir...
- Page de copyright