L'ÉnĂ©ide (Version intĂ©grale - 12 Tomes)
eBook - ePub

L'ÉnĂ©ide (Version intĂ©grale - 12 Tomes)

La plus cĂ©lĂšbre Ă©popĂ©e latine - Les Ă©preuves et les aventures du Troyen ÉnĂ©e, ancĂȘtre mythique du peuple romain, aprĂšs la Guerre de Troie

Virgile, Jean-Nicolas-Marie Deguerle

Partager le livre
  1. 305 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub

L'ÉnĂ©ide (Version intĂ©grale - 12 Tomes)

La plus cĂ©lĂšbre Ă©popĂ©e latine - Les Ă©preuves et les aventures du Troyen ÉnĂ©e, ancĂȘtre mythique du peuple romain, aprĂšs la Guerre de Troie

Virgile, Jean-Nicolas-Marie Deguerle

DĂ©tails du livre
Aperçu du livre
Table des matiĂšres
Citations

À propos de ce livre

L'ÉnĂ©ide, Ă©crit par Virgile, est une Ɠuvre majeure de la littĂ©rature latine. Cette Ă©popĂ©e mythologique en 12 tomes raconte l'histoire du hĂ©ros ÉnĂ©e et de son voyage de Troie Ă  l'Italie, oĂč il est destinĂ© Ă  fonder la future Rome. Virgile utilise un style poĂ©tique magnifique, mĂȘlant des descriptions dĂ©taillĂ©es, des personnages mythologiques et des thĂšmes profonds sur le destin, la loyautĂ© et la fatalitĂ©. L'ÉnĂ©ide est considĂ©rĂ©e comme un chef-d'Ɠuvre de la littĂ©rature classique et son influence se fait encore sentir dans la littĂ©rature moderne. Virgile, un poĂšte romain renommĂ©, a Ă©crit L'ÉnĂ©ide Ă  l'Ă©poque de l'empire romain. InfluencĂ© par HomĂšre et d'autres Ă©crivains grecs anciens, Virgile a crĂ©Ă© une Ɠuvre intemporelle qui a marquĂ© la littĂ©rature occidentale. Sa profonde connaissance de la mythologie romaine et grecque transparaĂźt dans chaque vers de L'ÉnĂ©ide. Je recommande vivement L'ÉnĂ©ide de Virgile Ă  tous les lecteurs passionnĂ©s de littĂ©rature classique, de mythologie et d'Ă©popĂ©es hĂ©roĂŻques. Cette Ɠuvre captivante offre une perspective unique sur l'histoire romaine et la puissance de la poĂ©sie Ă©pique.

Foire aux questions

Comment puis-je résilier mon abonnement ?
Il vous suffit de vous rendre dans la section compte dans paramĂštres et de cliquer sur « RĂ©silier l’abonnement ». C’est aussi simple que cela ! Une fois que vous aurez rĂ©siliĂ© votre abonnement, il restera actif pour le reste de la pĂ©riode pour laquelle vous avez payĂ©. DĂ©couvrez-en plus ici.
Puis-je / comment puis-je télécharger des livres ?
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptĂ©s aux mobiles peuvent ĂȘtre tĂ©lĂ©chargĂ©s via l’application. La plupart de nos PDF sont Ă©galement disponibles en tĂ©lĂ©chargement et les autres seront tĂ©lĂ©chargeables trĂšs prochainement. DĂ©couvrez-en plus ici.
Quelle est la différence entre les formules tarifaires ?
Les deux abonnements vous donnent un accĂšs complet Ă  la bibliothĂšque et Ă  toutes les fonctionnalitĂ©s de Perlego. Les seules diffĂ©rences sont les tarifs ainsi que la pĂ©riode d’abonnement : avec l’abonnement annuel, vous Ă©conomiserez environ 30 % par rapport Ă  12 mois d’abonnement mensuel.
Qu’est-ce que Perlego ?
Nous sommes un service d’abonnement Ă  des ouvrages universitaires en ligne, oĂč vous pouvez accĂ©der Ă  toute une bibliothĂšque pour un prix infĂ©rieur Ă  celui d’un seul livre par mois. Avec plus d’un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu’il vous faut ! DĂ©couvrez-en plus ici.
Prenez-vous en charge la synthÚse vocale ?
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l’écouter. L’outil Écouter lit le texte Ă  haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l’accĂ©lĂ©rer ou le ralentir. DĂ©couvrez-en plus ici.
Est-ce que L'ÉnĂ©ide (Version intĂ©grale - 12 Tomes) est un PDF/ePUB en ligne ?
Oui, vous pouvez accĂ©der Ă  L'ÉnĂ©ide (Version intĂ©grale - 12 Tomes) par Virgile, Jean-Nicolas-Marie Deguerle en format PDF et/ou ePUB ainsi qu’à d’autres livres populaires dans Literatura et Colecciones literarias antiguas y clĂĄsicas. Nous disposons de plus d’un million d’ouvrages Ă  dĂ©couvrir dans notre catalogue.

Informations

Éditeur
Musaicum Books
Année
2017
ISBN
9788075836663

LIVRE DOUZIÈME

Table des matiĂšres
QUAND Turnus voit que les Latins, abattus par leurs revers, languissent sans forces et sans courage ; que toutes les voix l’appellent Ă  remplir enfin ses promesses ; que tous les yeux sont attachĂ©s sur lui : sa fougue irritĂ©e s’emporte en bouillantes menaces, et sa fiertĂ© n’en est que plus altiĂšre. Comme, aux champs de la Numidie, un fier lion, atteint par les chasseurs d’une blessure profonde, dĂ©ploie soudain ses redoutables armes, secoue en bondissant les longs crins de son cou nerveux, rompt sans peur le dard enfoncĂ© dans ses flancs, et, rugissant de rage, prĂ©sente Ă  ses vainqueurs une gueule ensanglantĂ©e : tel, enflammĂ© de colĂšre, Ă©clate l’impĂ©tueux Turnus.
Il s’adresse au vieux monarque ; et, plein du transport qui l’agite. « Turnus est prĂȘt, s’écrie-t-il ; plus ce de prĂ©textes pour les lĂąches Phrygiens de violer la foi promise, et de fouler aux pieds leurs serments. Je descends dans l’arĂšne. Dressez l’autel du sacrifice, prince auguste, et dictez le pacte sacrĂ©. Que les Latins immobiles restent spectateurs du combat : ou mes coups prĂ©cipiteront aux enfers l’infĂąme Troyen, dĂ©serteur de l’Asie, et seul j’aurai vengĂ© par le glaive la querelle commune ; ou la victoire lui soumettra les vaincus, Lavinie sera sa conquĂȘte. »
Latinus plus calme lui rĂ©pond avec bontĂ© : « HĂ©ros magnanime, plus votre grand cƓur s’abandonne Ă  ses nobles Ă©lans, plus ma sagesse doit Ă©couter pour vous les conseils de la prudence, et balancer avec inquiĂ©tude les hasards de vos destinĂ©es. Fils de Daunus, son empire est votre apanage ; vous avez pour domaines de nombreuses citĂ©s conquises par votre vaillance ; Latinus vous aime, et ses trĂ©sors sont Ă  vous : mais le Latium, mais Laurente et son territoire, possĂšdent d’autres beautĂ©s dont l’hymen peut tenter un roi, et dont l’illustre origine n’est pas indigne de la vĂŽtre. Souffrez un aveu qui me coĂ»te, mais que la vĂ©ritĂ© m’arrache. Le ciel me dĂ©fendait d’unir Ă  ma fille aucun de ceux qui les premiers me demandĂšrent sa main : ainsi l’annonçaient les oracles et des dieux et des hommes. Vaincu par ma tendresse pour vous, vaincu par les liens du sang, et par les larmes d’une Ă©pouse dĂ©solĂ©e, j’ai brisĂ© les nƓuds les plus saints, j’ai rompu l’hymĂ©nĂ©e promis, j’ai levĂ© l’étendard d’une guerre sacrilĂšge. Depuis ce moment fatal, vous voyez, Turnus, quels malheurs me poursuivent, quelles guerres cruelles dĂ©vastent mes Ă©tats, quels affreux pĂ©rils vous courez vous-mĂȘme tous les jours. DĂ©faits dans deux grands combats, nous soutenons Ă  peine Ă  l’ombre de ces murailles l’espoir douteux de l’Italie ; les eaux du Tibre fument encore de notre sang, et nos vastes campagnes sont blanchies des ossements de nos guerriers. Quel vertige me fait changer sans cesse ? quelle folle inconstance se joue de ma raison ? Si, Turnus expirĂ©, je puis associer un jour Pergame Ă  l’Ausonie ; ne puis-je, sans qu’il pĂ©risse, mettre un terme Ă  leurs discords ? Que diraient les Rutules, mes plus fidĂšles alliĂ©s ; que dirait l’Italie entiĂšre, si ma faiblesse (puisse le ciel dĂ©tourner ce prĂ©sage !) vous livrait Ă  la mort, pour prix d’avoir recherchĂ© ma fille et demandĂ© mon alliance ? Songez au sort incertain des armes : ayez pitiĂ© d’un pĂšre accablĂ© de vieillesse, et qui, loin de vous dans ArdĂ©e, pleure en ce moment votre absence. »
Ces mots ne calment point la violence de Turnus : son cƓur ulcĂ©rĂ© s’enflamme davantage, et le remĂšde mĂȘme en aigrit la blessure. DĂšs qu’il peut parler, il rĂ©plique en ces termes : « Ces tendres soins que vous inspire mon salut, daignez, prince, les Ă©pargner Ă  votre sollicitude ; et souffrez que je sauve ma gloire aux dĂ©pens de mes jours. Mon bras aussi sait manier le fer, sait lancer des traits vainqueurs ; et le sang, plus d’une fois, a suivi leur blessure. Ce fils d’une dĂ©esse n’aura pas toujours VĂ©nus Ă  ses cĂŽtĂ©s, pour couvrir d’un nuage la honte de sa fuite, et se cacher elle-mĂȘme au sein d’une ombre vaine. »
Cependant, effrayĂ©e des hasards du nouveau combat qui s’apprĂȘte, la reine fondait en larmes, et, le dĂ©sespoir dans l’ñme, retenait de ses mains tremblantes l’impĂ©tueux guerrier : « Turnus, ah ! si mes pleurs vous touchent, si l’honneur d’Amate vous est cher, arrĂȘtez, je vous en conjure : arrĂȘtez, ĂŽ vous l’unique espoir de ma vieillesse, vous ma seule consolation dans mes peines, vous l’appui de Latinus, de son empire et de sa gloire, vous, enfin, sur qui se fonde toute entiĂšre une illustre maison, prĂȘte Ă  tomber sans vous. Au nom de tous les dieux ! n’allez pas mesurer vos armes contre les armes du Troyen. Quels que soient les pĂ©rils que cette lutte vous rĂ©serve, ces pĂ©rils sont les miens, Turnus : avec vous, j’abandonne une vie odieuse ; et je ne verrai pas, captive d’un brigand, ma fille dans les bras d’ÉnĂ©e. »
Ce discours d’une mĂšre arrache des larmes Ă  Lavinie : ses joues brĂ»lantes en sont baignĂ©es. Un feu subit les colore d’une rougeur modeste, et court en traits de flamme sur son front virginal. Comme Ă©clate l’ivoire, dont la pourpre a nuancĂ© l’albĂątre ; comme rougit la blancheur des lis, mĂȘlĂ©s Ă  l’incarnat des roses : tel brillait, sur le visage de la jeune princesse, le fard aimable de la pudeur. Le hĂ©ros, transportĂ© d’amour, cherche en vain sa raison. Il dĂ©vore des yeux tant de charmes. Sa fureur guerriĂšre s’en accroĂźt ; et s’adressant Ă  la plaintive Amate : Cessez, de grĂące, ĂŽ ma mĂšre ! cessez de m’opposer vos larmes ; et qu’un prĂ©sage sinistre ne ferme point Ă  mon audace le champ pĂ©rilleux du courage : non ; dĂ»t-il pĂ©rir, Turnus ne peut plus diffĂ©rer. Vole, Idmon, messager fidĂšle ; porte Ă  l’insolent Phrygien ce cartel, qui rabattra son orgueil : demain, dĂšs que l’Aurore, montĂ©e sur son char vermeil, aura rougi les cieux, qu’il s’abstienne de mener ses bandes contre mes bataillons ; que les Troyens et les Rutules laissent reposer leurs armes ; que mon sang ou le sien termine enfin la guerre ; que le glaive et la mort nomment l’époux de Lavinie. »
Il dit ; et plus prompt que l’éclair, il vole Ă  son palais, demande ses coursiers, et frĂ©mit dĂ© plaisir en voyant leur ardeur : ces coursiers gĂ©nĂ©reux, Pilumnus les reçut jadis en prĂ©sent de la belle Orithye ; moins blanche est la neige, moins lĂ©gers sont les vents ; autour d’eux s’empressent leurs conducteurs fidĂšles, dont la main caressante se promĂšne sur leur poitrail, et peigne leurs crins flottants. Lui-mĂȘme il revĂȘt ses Ă©paules d’une brillante cuirasse, oĂč se marient l’or pur et le bronze argentĂ© : en mĂȘme temps, il ajuste et son large pavois, et son cimier qu’ombragent deux panaches de pourpre, et sa foudroyante Ă©pĂ©e, cette Ă©pĂ©e hĂ©rĂ©ditaire, que forgea pour Daunus le dieu du feu lui-mĂȘme, et qu’il trempa bouillante dans les eaux du Styx. Le long d’une colonne immense pendait sous ses lambris une Ă©norme javeline, dĂ©pouille du fier Actor le plus vaillant des Auronques : il la saisit d’une main robuste, la balance avec force, et s’écrie d’une voix terrible : « Allons, ĂŽ toi qui ne trompe jamais l’appel de ma valeur, allons, ĂŽ ma lance ! voici l’heure des nobles exploits. Jadis portĂ©e par le grand Actor, c’est le bras de Turnus qui te porte aujourd’hui. Fais que j’abatte mon odieux rival ; que j’arrache Ă  ce vil Phrygien sa cuirasse impuissante, dĂ©chirĂ©e sous mes coups ; que je traĂźne dans la fange ses cheveux effĂ©minĂ©s, dont un fer brĂ»lant arrondit les boucles lĂ©gĂšres, et dont la myrrhe odorante a parfumĂ© les nƓuds. »
Ainsi Turnus exhale ses fureurs : son visage ardent jette des Ă©tincelles ; le feu pĂ©tille dans ses yeux enflammĂ©s. Tel, appelant les combats, un taureau superbe pousse d’horribles mugissements : ses cornes menaçantes essayent leur colĂšre contre le tronc d’un chĂȘne : il frappe l’air de ses coups, et, du pied soulevant l’arĂšne, prĂ©lude Ă  des chocs plus affreux. Non moins terrible sous l’armure maternelle, le fils d’Anchise Ă  son tour aiguillonne son courage, s’excite Ă  la vengeance, et s’applaudit d’un accord qui met fin Ă  la guerre. Pour rassurer ses chefs, pour consoler Iule alarmĂ©, il leur annonce les grands destins qui l’attendent ; et de prompts courriers, par ses ordres, vont porter aux Latins sa rĂ©ponse immuable, et proposer au vieux monarque les conditions de la paix.
Le lendemain, Ă  peine le jour naissant dorait de ses premiers rayons la cime des montagnes ; Ă  peine les coursiers du soleil s’élançaient du sein des mers profondes, et soufflaient de leurs larges naseaux la flamme et la lumiĂšre : dĂ©jĂ  marquant la lice sous les remparts de la ville, les chefs des deux partis prĂ©paraient le champ du combat. Au milieu sont placĂ©s les feux du sacrifice, et des autels de gazon, Ă©rigĂ©s aux dieux communs de Laurente et de Troie : des prĂȘtres, voilĂ©s de lin, et le front couronnĂ© de verveine, s’avancent portant l’eau sainte et la flamme sacrĂ©e. Les portes s’ouvrent : les lĂ©gions latines dĂ©filent en colonnes, et leurs bataillons hĂ©rissĂ©s de piques se dĂ©ploient dans la plaine : vis-Ă -vis accourent de leurs retranchements et les phalanges troyennes et les escadrons Ă©trusques, reconnaissables Ă  leurs armures diverses : tous marchent Ă©tincelants de fer, comme si le dieu des batailles les appelait Ă  ses luttes sanglantes. À la tĂȘte de ces nombreuses cohortes, on voit voler de rangs en rangs les chefs des deux armĂ©es, brillants d’or et de pourpre : c’est MnesthĂ©e, gĂ©nĂ©reux sang d’Assaracus ; c’est le vaillant Asylas ; c’est Messape, ce dompteur des coursiers ; Messape, dont Neptune est le pĂšre. Au signe de la trompette, un vaste espace a sĂ©parĂ© les deux camps : les guerriers immobiles enfoncent dans la terre leurs longues javelines, et dĂ©posent leurs boucliers. Alors, pour voir ce grand spectacle, de tous cĂŽtĂ©s se prĂ©cipitent et les mĂšres tremblantes, et la foule inhabile aux armes, et les vieillards courbĂ©s sous le poids des ans : ils inondent les crĂ©neaux des tours, ils assiĂšgent le sommet des toits ; et, debout sur les portes, ils en hĂ©rissent au loin le faĂźte.
Mais, de ce mont qu’Albe illustra depuis, de ces hauteurs jadis sans nom, sans honneur et sans gloire, la reine des dieux, portant ses regards sur la plaine, contemplait le champ de bataille, et les deux armĂ©es rivales, et les remparts de Latinus. Tout Ă  coup la dĂ©esse aborde la sƓur de Turnus, cette Nymphe qui prĂ©side aux Ă©tangs paisibles, aux fleuves retentissants, et que le maĂźtre de l’Olympe dota de cet empire honorable pour prix des faveurs qu’il en avait reçues : « Nymphe, ornement des fleuves, et chĂšre Ă  ma tendresse ! tu le sais, de toutes les filles du Latium que Jupiter fit monter dans sa couche parjure, nulle moins que toi n’éprouva mon courroux ; et je me plus Ă  t’appeler moi-mĂȘme au rang des immortelles. Eh bien ! connais ton malheur, Juturne, et n’accuse point Junon. Tant que le sort a semblĂ© le permettre, tant que les Parques ont vu sans colĂšre la prospĂ©ritĂ© des Latins, j’ai protĂ©gĂ© Turnus et tes murs favoris. Aujourd’hui Turnus, hĂ©las ! court affronter une lutte inĂ©gale : l’heure des Parques approche, et dĂ©jĂ  s’est levĂ© le bras de fer du destin. Non, je ne puis voir, sous mes yeux, ce combat cruel, cet accord impie. Toi, si l’amour d’un frĂšre inspire ton courage, qui t’arrĂȘte ? ose tout : peut-ĂȘtre le hasard servira l’infortune. » À ces mots, un torrent de larmes coule des yeux de Juturne : trois fois, de sa main tremblante, elle meurtrit son sein dĂ©licat. « Ce n’est pas le moment des pleurs, reprit la fille de Saturne. Vole, et, s’il est possible, arrache un frĂšre Ă  la mort : vole, dis-je ; rallume les combats, romps un pacte odieux ; c’est Junon qui t’en presse. » Tels Ă©taient ses conseils. La dĂ©esse, en finissant, quitte la Nymphe incertaine, et l’abandonne au trouble douloureux dont son cƓur est agitĂ©.
Au mĂȘme instant arrivent les monarques de l’Ausonie. Latinus, dans tout l’éclat du trĂŽne, s’avance montĂ© sur un pompeux quadrige : autour de son front radieux brillent douze rayons d’or, symbole du Soleil, dont il est descendu. Ensuite paraĂźt Turnus, portĂ© sur un char que traĂźnent deux chevaux blancs, et balançant dans ses mains deux javelots armĂ©s d’un large fer. Non loin marche Ă  son tour le pĂšre des Romains, la tige de cette race illustre, ÉnĂ©e, resplendissant de feux sous son bouclier flamboyant et son armure cĂ©leste : Ă  ses cĂŽtĂ©s est le jeune Iule, Iule, autre espĂ©rance de la superbe Rome. Le cortĂšge s’arrĂȘte au milieu des deux camps : lĂ , vĂȘtu d’un lin sans tache, le grand-prĂȘtre a conduit les victimes, un jeune porc aux soies naissantes, une jeune brebis couverte encore de sa premiĂšre toison : l’offrande, aux pieds des autels, attend les flammes qui doivent la consumer. BientĂŽt les princes, les yeux tournĂ©s vers l’orient vermeil, prĂ©sentent d’une main religieuse le froment pur que le sel assaisonne : ils promĂšnent le fer des ciseaux sur le front velu des victimes, et vident sur les brasiers ardents la coupe des libations.
Alors ÉnĂ©e, levant son glaive nu, s’écrie d’une voix pieuse : « Soleil, entends mes vƓux ! entends mes vƓux, ĂŽ terre du Latium, pour qui j’ai pu supporter tant de travaux pĂ©nibles ! Et toi, Jupiter tout-puissant ; toi, fille de Saturne, ĂŽ Junon ! dĂ©esse auguste, aujourd’hui moins contraire ; toi, redoutable Mars, suprĂȘme arbitre des combats : soyez tĂ©moins de mes serments ! Vous aussi, Fleuves sacrĂ©s, Fontaines saintes : vous, habitants immortels du radieux Olympe : vous, dieux et dĂ©esses qui peuplez les mers azurĂ©es : je vous atteste tous ! Si la fortune et la victoire couronnent l’effort de Turnus, les vaincus, fidĂšles au traitĂ©, iront chercher un asile dans les remparts d’Évandre : Iule quittera les champs de l’Italie ; et jamais les Troyens parjures, y rapportant la guerre, ne viendront, le fer Ă  la main, troubler la paix de cet empire. Mais si Mars favorable fait triompher mon bras (et puissent les dieux, en qui j’espĂšre, ne pas tromper ce mon attente !), je ne prĂ©tends point asservirl’Ausonie aux enfants de Pergame, je ne prĂ©tends point usurper le sceptre des Latins. Que les deux peuples, soumis aux mĂȘmes lois, et toujours invincibles, se jurent une Ă©ternelle alliance. Je leur donnerai mon culte et mes dieux : que Latinus, en me donnant sa fille, ordonne seul et de la paix et de la guerre ; qu’il commande seul en souverain. BĂąti par les Troyens, un autre Dion me recevra dans ses murs, et Lavinie leur donnera son nom. » ÉnĂ©e se tait. Latinus, les yeux au ciel et les mains Ă©tendues vers la plaine Ă©thĂ©rĂ©e, s’exprime Ă  son tour en ces mots : « J’en atteste comme vous, ÉnĂ©e, j’en atteste la Terre, et la Mer et les Cieux ; j’en atteste le couple enfant de Latone, et Janus au double visage, et les puissances de l’Enfer, et les manoirs de l’inexorable Pluton. Que Jupiter m’entende, Jupiter, dont la foudre est le garant des traitĂ©s ! La main sur les autels, j’en jure et par leurs feux inviolables, et par les dieux qu’on y rĂ©vĂšre : jamais, quoi que le sort dĂ©cide, les Latins, rompant la paix, ne briseront les nƓuds d’un pacte solennel ; jamais Latinus, entraĂźnĂ© par la force, n’y permettra la moindre atteinte. Que plutĂŽt la terre., engloutie par les ondes, se confonde avec elles dans un affreux dĂ©luge ! que plutĂŽt l’Olympe Ă©croulĂ© s’abĂźme au fond du Tartare ! Ma parole est immuable. Ainsi ce sceptre, qui dĂ©core mes mains royales, ne verra plus renaĂźtre son feuillage lĂ©ger, ni sa molle verdure, ni son mobile ombrage, depuis qu’arrachĂ© dans les bois au tronc qui le portait, il a quittĂ© la tige maternelle, et dĂ©pouillĂ© sous le tranchant du fer sa chevelure et ses rameaux. Jadis arbrisseau flexible, aujourd’hui monument d’un art industrieux, il rayonne enchĂąssĂ© dans l’or, et, portĂ© par les rois du Latium, il annonce leur pouvoir suprĂȘme. » Tels Ă©taient leurs traitĂ©s, tels Ă©taient leurs serments ; et les chefs des deux armĂ©es environnaient leurs princes. Soudain le fer sacrĂ© se lĂšve : le sang des victimes Ă©gorgĂ©es ruisselle sur la flamme ; on arrache encore vives leurs entrailles palpitantes ; de larges bassins les reçoivent, et les autels en sont couverts.
Cependant les Rutules commencent Ă  redouter une lutte incertaine : la crainte et l’espĂ©rance les agitent tour Ă  tour : plus ils observent les deux rivaux, moins ils jugent leur vigueur Ă©gale. Leur inquiĂ©tude augmente, lorsqu’ils aperçoivent l’humble contenance de Turnus, et sa dĂ©marche silencieuse, et son air suppliant aux pieds des autels qu’il implore : ils tremblent, en remarquant ses yeux baissĂ©s, ses joues livides, son front oĂč la pĂąleur a terni l’éclat du jeune Ăąge.
DĂšs que Juturne voit Ă©clater le mĂ©contentement des soldats, et l’esprit flottant de la multitude incliner vers d’autres projets, elle s’élance tout au milieu des bataillons, cachĂ©e sous les traits de Camerte ; de Camerte, guerrier cĂ©lĂšbre par la noblesse de ses ancĂȘtres, fils renommĂ© d’un pĂšre qu’illustra sa valeur, et terrible lui-mĂȘme en un jour de bataille. Ainsi mĂȘlĂ©e parmi les combattants, la Nymphe artificieuse y sĂšme en courant mille adroites rumeurs, et stimule en ces mots les courages Ă©branlĂ©s : « Quelle honte, ĂŽ Rutules ! vous souffrez qu’un seul homme s’expose pour toute une armĂ©e ! Quoi donc ? sommes-nous moins nombreux, sommes-nous moins vaillants ? Les voilĂ  tous rĂ©unis, ces Troyens si braves, et ces fiers Arcadiens, et ces redoutables Toscans, armĂ©s contre Turnus sur la foi des oracles : les voilĂ  ; qu’ils nous affrontent corps Ă  corps, et chacun de nous Ă  peine aura son adversaire. Ah ! sans doute, quand Turnus se dĂ©voue pour son peuple, la gloire de ce hĂ©ros va monter jusqu’aux cieux, et sa mĂ©moire vivra dans tous les Ăąges ; mais nous, sans patrie, sans honneur, il nous faudra ramper sous des maĂźtres superbes, nous qui, paisibles en ces moments d’alarmes, reposons oisifs prĂšs de nos glaives inutiles. »
Elle parle ; tout s’enflamme d’une ardeur belliqueuse : le tumulte s’accroĂźt, un long murmure circule de rangs en rangs. Les Laurentins rougissent de leurs premiers desseins, les Latins ne sont plus les mĂȘmes : ils soupiraient naguĂšre aprĂšs la fin des combats, aprĂšs le terme de leurs maux ; maintenant ils ne respirent que la guerre, ils menacent de rompre un pacte qu’ils dĂ©testent, et leur pitiĂ© gĂ©mit sur le triste sort de Turnus.
Au prestige de ses discours, Juturne ajoute encore un prestige plus puissant : elle fait paraĂźtre dans les airs un prodige trompeur, dont la merveille achĂšve l d’égarer l’esprit des Ausoniens et les repaĂźt d’un fol espoir. Un aigle au vol rapide fendait les plaines de l’éther, portait la terreur aux oiseaux du rivage, et pressait le bruyant essaim des lĂ©gions ailĂ©es : tout Ă  coup s’abattant sur l’onde, le ravisseur enlĂšve dans ses ongles tranchants un cygne au plumage argentĂ©. À cette vue, les Italiens s’étonnent : soudain, ĂŽ surprise nouvelle ! les oiseaux fugitifs, ralliĂ©s Ă  grands cris, obscurcissent le ciel de leurs ailes dĂ©ployĂ©es, fondent comme un sombre nuage sur l’ennemi commun, et le poursuivent dans les airs : enfin cĂ©dant au nombre, et vaincu par le fardeau qu’il porte, l’oiseau de Jupiter succombe ; il ouvre malgrĂ© lui sa serre languissante, laisse tomber sa proie dans les eaux, et s’enfuit au plus haut des nues.
Les Rutules alors saluent d’un cri de joie ce prĂ©sage qui les flatte, et leur audace se prĂ©pare au combat. Tolumnius surtout, Tolumnius, devin fameux, Ă©chauffe encore leur ardeur : « Oui le voilĂ , s’écrie-t-il, voilĂ  le signe favorable que mes vƓux ont implorĂ© cent fois. J’accepte l’augure, et reconnais les dieux. Aux armes ! suivez-moi, suivez Tolumnius : osez braver, ĂŽ guerriers trop timides, cet insolent Ă©tranger dont la menace vous Ă©pouvante comme de faibles oiseaux, et dont la rage impunie dĂ©sole vos rivages. Le brigand va fuir Ă  son tour, et ses voiles dĂ©ployĂ©es l’emporteront au loin sur les mers blanchissantes : vous, unissez vos efforts, serrez vos bataillons, et dĂ©fendez, le glaive en main, le monarque qu’on vous arrache. »
Il dit, s’avance, et fait voler une flĂšche acĂ©rĂ©e sur l’ennemi paisible ; le trait bruyant siffle, et fend les airs de son rapide essor : aussitĂŽt s Ă©lĂšve un cri confus, les rangs troublĂ©s s’agitent, et le feu de la discorde embrase tous les cƓurs. À la tĂȘte du groupe oĂč le fer ailĂ© s’adresse, brillaient neuf frĂšres Ă©clatants de jeunesse et de beautĂ© : Gylippe Ă©tait leur pĂšre, et cet illustre Arcadien les dut aux chastes amours d’une Ă©pouse TyrrhĂ©nienne : le coup fatal frappe l’un d’eux vers le milieu du corps, Ă  l’endroit oĂč le baudrier flotte sur la ceinture et joint ses deux bords captivĂ©s par une riche agrafe : ni le noble port du guerrier, ni son Ă©blouissante armure, ne peuvent le sauver du trĂ©pas ; le dard, lui traverse les flancs, et le couche sans vie sur l’arĂšne.
Soudain ses gĂ©nĂ©reux frĂšres, n’écoutant plus que leur courage et leur douleur, saisissent leurs Ă©pĂ©es, brandissent leur javelots et courent en aveugles Ă  la vengeance. L’armĂ©e latine s’ébranle pour les recevoir : au-devant d’elle se prĂ©cipitent Ă  leur tour les phalanges serrĂ©es des Troyens, et les bataillons d’Agylla, et les Arcadiens aux armes colorĂ©es. Ainsi la mĂȘme fureur entraĂźne les deux camps au carnage. Les autels sont renversĂ©s : un nuage de traits s’élĂšve dans les cieux, et retombe en pluie de fer : de toutes parts volent et les coupes sacrĂ©es et les brandons fumants. Latinus fuit lui-mĂȘme, emportant ses dieux outragĂ©s, vains garants d’un pacte rompu. L’un attelle son char, l’autre s’élance sur son coursier ; partout le glaive Ă©tincelle.
Non loir rayonnait, ceint du bandeau royal, un des monarques de l’Étrurie, le vĂ©nĂ©rable Auleste : Messape, qu’indignait une paix timide, pousse contre lui son coursier. Le malheureux prince chancelle en reculant, et tombe Ă  la renverse, embarrassĂ© parmi les autels dont sa tĂȘte heurta les dĂ©bris. Messape accourt, l’Ɠil ardent, la lance en arrĂȘt : vainement le vieux roi supplie ; le vainqueur, du haut de son coursier, lui plonge dans la gorge sa longue javeline et s’écrie triomphant : « Qu’il meure ; cette victime plus noble est plus digne des Immortels. » La foule des Latins arrive et dĂ©pouille le cadavre encore palpitant.
Ailleurs, CorynĂ©e s’arme d’un tison ardent enlevĂ© sur l’autel ; et prĂ©venant Ébuse, qui s’avançait pour le percer, il lui lance au visage le brandon allumĂ© : la longue barbe du Rutule pĂ©tille sous la flamme brillante, et l’odeur qui s’en exhale se rĂ©pand au loin dans les airs. Le Troyen fond Ă  l’instant sur son ennemi troublĂ©, saisit de la main gauche sa blonde chevelure, et, le pressant d’un genou robuste, le tient appliquĂ© sur l’arĂšne : alors se lĂšve le fer impitoyable ; Ébuse le reçoit dans ses flancs. Tandis qu’Alsus, pĂątre guerrier, se prĂ©cipite aux premiers rangs Ă  travers mille traits, Podalire se glisse derriĂšre lui, et, le glaive en main, Ă©pie l’instant de le frapper. Tout Ă  coup Alsus se retourne, et, de sa hache qui tombe Ă  plomb, lui partage la tĂȘte en deux moitiĂ©s Ă©gales : la cervelle au loin jaillissante inonde les armes du vaincu. Un affreux repos, un sommeil de fer s’appesantissent sur ses yeux ; et ses paupiĂšres se couvrent d’une nuit Ă©ternelle.
Cependant le pieux fils d’Anchise tendait ses bras dĂ©sarmĂ©s ; et, le front dĂ©couvert, il rappelait Ă  grands cris ses soldats : « OĂč courez-vous ? quel dĂ©lire subit rallume ainsi la guerre ? Ah ! modĂ©rez ces transports ! Un saint traitĂ© nous lie, et ses lois sont irrĂ©vocables. Moi seul je dois combattre ; laissez-moi l’honneur de la lutte, et calmez vos alarmes : mon glaive ratifiera la paix. Turnus me doit sa tĂȘte ; ces autels en sont garants. » Il parlait encore ; soudain un dard ailĂ© trav...

Table des matiĂšres