HISTOIRE
DES COMMUNAUTÉS JUIVES
DE TOULOUSE
Et voici…
Juif languedocien. Miniature du XIVe siècle.
Bibl. du monastère de San-Lorenzo-el-Real.
LE MOYEN ÂGE
Le Languedoc fut une terre accueillante et privilégiée pour les Juifs. Aux temps épanouis de la civilisation méridionale, ils furent un pont entre l’Orient et l’Occident, poursuivant avec les lettrés et les savants l’inspiration qui se développait en Espagne. L’aventure du Livre tout autour de la Méditerranée, les lectures, traductions et commentaires, trouvaient un nouvel avenir en Languedoc.
Les Juifs y développèrent aussi une importante activité économique et commerciale, comme à Narbonne qui fut le centre d’un commerce international vers l’est de l’Europe, l’Italie, l’Afrique du Nord, le Levant, la Perse, les Indes et la Chine.
Benjamin de Tudèle qui écrivit le récit de ses voyages parmi les communautés de ses frères « de l’Europe à la Chine », en 1165, raconte ce développement heureux des communautés languedociennes.
Les Juifs vécurent protégés par les seigneurs et peu inquiétés par l’Église jusqu’à l’annexion du Midi au domaine royal.
C’est à partir de cette annexion que, tout au long des XIIIè et XIVè siècles, leur situation se dégrada jusqu’aux expulsions de 1306, 1322 et 1394 qui marquèrent la fin de dix siècles d’histoire.
La littérature rabbinique à Toulouse et en Languedoc
Le Languedoc juif médiéval a profondément marqué l’histoire du judaïsme, par ses poètes – Abraham de Béziers –, et ses rabbins, dans les écoles de Lunel et de Montpellier, et ses traducteurs.
Le Moyen Âge a permis la constitution d’une communauté juive particulière organisée autour de la loi et de l’étude des textes, qui s’est généralisée dans toutes les communautés d’Europe mal gré la dispersion. Il a vu l’épanouissement de nombreuses écoles talmudiques, le développement d’une très grande littérature ; et c’est dans nos sociétés méridionales qu’aux XIIè et XIIIè siècles la kabbale est apparue.
La lecture philosophique et conceptuelle de la Bible fut connue dans nos régions dans la suite de la traduction de l’oeuvre de Maïmonide et elle produisit un grave conflit théorique dans les communautés juives du Sud de la France. C’est alors que naquit la kabbale comme une alternative, elle-même universelle, à la lecture philosophique.
Toulouse tient dans cet épanouissement une place qui, sans être négligeable, est cependant secondaire. La communauté et ses rabbins ne sont cités ni dans L’Itinéraire de Benjamin de Tudèle, ni dans les controverses suscitées par l’oeuvre de Maïmonide. Cependant le rôle de pont culturel, joué par l’ensemble des communautés d’Espagne et de Languedoc, se retrouve à Toulouse. C’est ici, en effet, que s’installent au XIè siècle Moïse Hadarshan, venu de Narbonne, et son fils Juda : un élève de celui-ci, Menahem Bar Helbo, transmettra à Rashi et par lui à tout le judaïsme du Nord, la science juive méditerranéenne. Ce rôle de courroie, les Juifs espagnols et languedociens l’ont joué non seulement à l’intérieur du judaïsme, mais aussi entre les Arabes et les chrétiens.
On peut retrouver une trace de ces contacts à Toulouse où, comme Renan l’a signalé le premier, un Juif a travaillé aux côtés d’un ecclésiastique catholique à une traduction d’Averroès.
À l’époque des comtes de Toulouse
La tolérance et le mélange des cultures permirent aux Juifs, aux temps brillants de la civilisation méridionale, de développer leurs communautés et d’être les intermédiaires entre l’Orient et l’Occident.
Le droit romain, qui laisse la terre libre, permet l’exercice du droit de propriété. De nombreux actes en témoignent. Cette situation favorable s’est prolongée au-delà même de la croisade des albigeois ; en effet, cette guerre n’eut pas de contrecoup immédiat sur les droits fonciers des Juifs.
On connaît à Toulouse, dès de XIIè siècle trois grandes familles possédant de nombreux immeubles : Espagnol et ses fils, dont Salomon ; Provençal, le fils de Provençal Bon Macip et son gendre Clairon ; Alacer ou Alègre – Éliézer – et ses deux fils Abraham et Belid.
Les Juifs jouissent de la protection des seigneurs et même de certains ecclésiastiques ; les redevances qu’ils leur versent n’impliquent pas de déchéance de leur capacité.
Ils occupent des charges publiques, sont admis à affermer les péages, les recettes des villes et des seigneuries et même les revenus dépendant des chapitres et des évêques. Les comtes et les seigneurs leur permettent d’exercer des fonctions d’administrateurs en tant que bayles ou consuls.
Ils possèdent des maisons, des champs et des vignes.
À Toulouse, malgré l’interdit de l’Église, le commerce de l’argent n’était à aucun moment le monopole des Juifs ; il était largement pratiqué par les chrétiens.
Le quartier juif médiéval
La ruelle des Juifs a disparu au XVIIè siècle et le nom de la rue Joutx-Aigues, sur laquelle elle s’ouvrait, reste un sujet de controverse : s’agit-il de la rue des Eaux-juives – de judeis aquis – ou de la rue située près des eaux? Les témoignages écrits médiévaux autorisent les deux hypothèses.
Le quartier juif médiéval, situé autour de la synagogue – l’école des Juifs des textes latins – s’étendait du bord sud de la place des Carmes – ancienne rue du Juif-Provençal ainsi nommée d’après le conseiller du comte Raymond VI – jusqu’à la place Rouaix, et de la rue des Filatiers à la rue Saint-Rémésy. Le cimetière était beaucoup plus loin, hors les murs, situé jusqu’en 1281 près du château Narbonnais – actuelle rue des Fleurs –, et ensuite, jusqu’au XIVe siècle, à la place Montoulieu où l’on en trouvait encore des vestiges au XVIIIè siècle.
Deux caractéristiques doivent être retenues :
– toutes les possessions juives connues sont dans la cité, l’ancienne civitas romaine, y compris la plus extrême, qui au XIIè siècle était mitoyenne du bord sud de la place du Capitole actuelle ; le bourg, formé autour de Saint-Sernin, ne livre aucune trace de présence juive médiévale ;
– ce n’est pas un quartier fermé, juifs et chrétiens y vivent côte à côte.
La Croisade des Albigeois
Dans une lettre très violente adressée au comte Raymond VI en 1207, le pape accuse celui-ci d’avoir confié aux Juifs des charges publiques «à la honte de la religion ».
Au Concile de Saint-Gilles, le comte doit faire amende honorable et jurer avec ses vassaux de ne plus leur confier de charges publiques ou privées. Cette défense fut renouvelée en 1209, 1227 et 1229.
Les Conciles de Toulouse confirment la lutte contre les hérétiques albigeois parallèlement au Concile de Latran qui confirme la lutte contre les Juifs.
Les Juifs d’Alfonse de Poitiers et les Juifs du Roi, de 1249 à l’expulsion de 1306
Alfonse de Poitiers, frère de Saint Louis, prend possession de Toulouse en 1249 à la mort de son beau-frère Raymond VII. Les Juifs toulousains au nombre comme ceux de toutes ses autres possessions, vont voir leurs conditions d’existence se détériorer très vite.
Toutes les occasions sont bonnes pour exiger de nouveaux impôts ; spoliations, arrestations, confiscations, se succèdent. En 1254, les chrétiens sont libérés des intérêts dus aux Juifs ; en 1270, à la veille du départ à la croisade, les Juifs sont tenus d’en payer les frais.
L’interdiction des charges publiques ou privées est maintenue.
Les charges très lourdes imposées par Alfonse, puis par le Roi, à partir de 1270, obligent les communautés à répartir l’imposition sur le plus grand nombre possible.
La communauté toulousaine possède toujours des biens qu’elle est obligée de vendre, au moins en partie, pour payer ses charges.
Philippe le Bel abolit les derniers privilèges des Juifs et les soumet, en 1304, aux juges ordinaires pour toutes les matières de droit réel, civil et criminel. Il fait poursuivre ceux qui ont obtenu des lettres d’exemption de la taille de la part de la sénéchaussée de Toulouse.
1306. Expulsion des Juifs de France par Philippe le Bel
Cette immense catastrophe que les Juifs comparèrent à la destruction du Temple de Jérusalem, venait abolir dix siècles d’histoire juive en France.
Dans la même journée, tous les Juifs furent arrêtés, leurs biens saisis dans tout le royaume. Guillaume de Nogaret et Jean de Saint-Just sont les commissaires envoyés par le roi pour opérer les confiscations en Languedoc. Trois Toulousains, Guillaume Adhémar, Pierre Soqua et Raymond Ysalguier, leur succèdent.
En 1307, Philippe le Bel envoie à Toulouse Jean de Crépy, chanoine de Senlis, pour poursuivre ce travail.
Le chiffre total de la confiscation s’élève à 75 260 livres tournoi, somme très importante, révélatrice de la place que les Juifs avaient occupée dans la vie économique à Toulouse.
Rappelés dix ans plus tard par Louis X, des Juifs reviennent, mais beaucoup moins nombreux et dans une situation beaucoup plus précaire. Ils sont à nouveau expulsés en 1322, pour être rappelés encore, un peu plus de trente ans après.
Une nouvelle expulsion par Charles VI, en 1394, sera « définitive » pour tout le royaume, au moins officiellement.
L’Église et les Juifs
La Colaphisation1
L’avanie rituelle qui consistait à donner un soufflet à un juif représentant sa communauté, devant la porte de la principale église, le Vendredi saint, n’est pas exceptionnelle dans toute l’Europe du Moyen Âge. Il s’agissait, au cours des fêtes de la Passion, de « venger la mort du Christ », formule lourde de potentiel de violence, que les Pastoureaux après beaucoup d’autres, devaient reprendre à leur compte.
Le passage de la chronique d’Adémar de Chabanes est particulièrement intéressant par sa date, vers 1020, et par sa cruelle historicité : il donne des noms et attribue à Huc, chapelain du vicomte Aimery de Rochechouart, le coup mortel. Le chroniqueur relat...