
- 191 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
La Quête Onirique de Kadath l'Inconnue
À propos de ce livre
Un voyage dans les rêves, peuplé de monstres et du bestiaire fantastique propre à HPL: Une fois de plus, Carter s'approcha de la balustrade... Maintenant, jour et nuit, il ne pensait qu'à cela: retrouver la Cité du couchant, la Cité des Dieux anciens. Seule Kadath l'inconnue pourrait lui donner un moyen de l'atteindre, mais il fallait d'abord arriver jusqu'au désert glacé...
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Informations
L'Œuvre
Par trois fois Randolph Carter rêva de la cité merveilleuse. Par trois fois il en fut arraché au moment où il s’arrêtait sur la haute terrasse qui la dominait. Dorée, magnifique, elle flamboyait dans le couchant, avec ses murs, ses temples, ses colonnades et ses ponts voûtés tout en marbre veiné ; avec, aussi, ses fontaines aux vasques d’argent disposées sur de vastes places et dans des jardins baignés de parfums, et ses larges avenues bordées d’arbres délicats, d’urnes emplies de fleurs et de luisantes rangées de statues en ivoire. Sur les pentes escarpées du septentrion s’étageaient des toits rouges et d’antiques pignons entre lesquels serpentaient des ruelles au pavé piqueté d’herbe. Fièvre des dieux, fanfare de trompettes célestes, fracas de cymbales immortelles, la cité baignait dans le mystère comme une fabuleuse montagne inviolée dans les nuages. Carter, le souffle court, debout contre la balustrade, sentait monter en lui l’émotion et le suspens d’un souvenir presque disparu. La douleur des choses perdues et l’irrépressible besoin de reconnaître un lieu autrefois puissant et redoutable.
Jadis, la cité avait eu pour lui une importance capitale. Il le savait, sans pouvoir dire en quel cycle du temps ni en quelle incarnation il l’avait connue, ni si c’était en rêve ou à l’état de veille. Elle évoquait en lui de vagues réminiscences d’une prime jeunesse. Lointaine et oubliée, où l’étonnement et le plaisir naissaient du mystère des jours, où l’aube et le crépuscule avançaient en prophètes, au son vibrant des luths et des chants. Mais chaque nuit, sur la haute terrasse de marbre avec ses urnes bizarres et sa balustrade sculptée, il contemplait la silencieuse cité du couchant, magnifique et pleine d’une immanence surnaturelle. Il sentait alors peser sur lui la férule des dieux tyranniques des songes ; car il était incapable de quitter ce belvédère, de suivre les degrés marmoréens dans leur descente infinie jusqu’à ces rues fascinantes baignées de sorcellerie.
Quand pour la troisième fois il s’éveilla sans avoir pu descendre ces escaliers ni parcourir ces rues inanimées, il pria longuement et avec force les dieux cachés des songes qui planent capricieusement au-dessus des nuages de Kadath l’inconnue, dans le désert glacé où nul homme ne s’aventure. Mais les dieux ne lui répondirent point et ne lui montrèrent point d’indulgence. Ils ne lui donnèrent pas non plus de signe favorable quand il les pria en rêve, ni même quand il leur offrit un sacrifice par l’entremise des prêtres barbus Nasht et Kaman-Thah, dont le temple souterrain s’étend non loin des portes du monde éveillé et au sein duquel se dresse un pilier de feu. Il sembla même que ses prières eussent été mal reçues, car dès après la première d’entre elles il cessa de voir la prodigieuse cité. C’était comme si les trois aperçus qu’il en avait eus n’eussent été qu’accidents dus au hasard ou à la négligence, et contraires à quelque plan secret des dieux.
Carter étouffait du désir de suivre ces avenues scintillantes dans le couchant et ces mystérieuses ruelles qui montaient entre d’antiques toits de tuile. Il était incapable de les chasser de son esprit, qu’il fût endormi ou éveillé. Aussi résolut-il de se rendre là où aucun homme n’était jamais allé et d’affronter dans les ténèbres les déserts glacés, jusqu’à Kadath l’inconnue, celle qui, voilée de nuages et couronnée d’étoiles inimaginables, renferme dans ses murs secrets et noyés de nuit le château d’onyx des Grands Anciens.
Dans un demi-sommeil, il descendit les soixante-dix marches qui mènent à Nasht et Kaman-Thah. Les prêtres secouèrent leur tête coiffée d’une tiare et jurèrent que ce serait la mort de son âme, car les Grands Anciens avaient déjà fait connaître leur désir : il ne leur était point agréable d’être harcelés de suppliques insistantes. Ils lui rappelèrent aussi que nul homme n’était jamais allé à Kadath ; mieux, nul homme n’avait jamais eu la moindre idée de la région de l’espace où elle se trouve, que ce fût dans les provinces oniriques qui ceinturent notre monde ou dans celles qui entourent quelque compagnon inconnu de Fomalhaut ou d’Aldébaran. Si Kadath résidait dans la nôtre, on pouvait concevoir d’y parvenir. Mais depuis le commencement du temps, seules trois âmes humaines avaient franchi les golfes noirs et impies qui nous séparent des autres provinces oniriques. Et de ces trois âmes, qui seules en étaient revenues, deux étaient réapparues frappées de démence. Ces voyages comportaient d’incalculables dangers ; sans compter l’ultime péril aux hurlements innommables qui réside en dehors de l’univers organisé, là où les rêves n’abordent pas, le dernier fléau amorphe du chaos le plus profond, qui éructe et blasphème au centre de l’infini : le sultan des démons, Azathoth l’illimité, dont aucune bouche n’ose prononcer le nom, et qui claque avidement des mâchoires dans d’inconcevables salles où règnent les ténèbres, au-delà du temps, au milieu du battement étouffé de tambours et des plaintes monocordes de flûtes démoniaques. Sur ce rythme et ces sifflements exécrables, dansent, maladroits et absurdes, les gigantesques Dieux Ultimes, les Autres Dieux aveugles, muets et insensés, dont l’âme et le messager ne sont autres que Nyarlathotep, le chaos rampant.
Les prêtres Nasht et Kaman-Thah mirent Carter en garde contre tout cela dans la caverne de la flamme. Mais il persista à vouloir trouver les dieux de Kadath l’inconnue, dans le désert glacé, où qu’elle fût, et à obtenir d’eux la vision, l’anamnèse et la protection de la prodigieuse cité du couchant. Son voyage serait étrange et long, il le savait, et les Grands Anciens s’y opposeraient. Mais il avait l’habitude de la terre du rêve et comptait sur ses nombreux souvenirs et sur son expérience pour le soutenir. Aussi demanda-t-il aux prêtres de le bénir et, réfléchissant intensément à son périple, il descendit d’un pas rapide les sept cents marches qui conduisaient à la porte du Sommeil Profond, puis s’enfonça dans le Bois Enchanté.
Dans les allées couvertes de ce bois tourmenté, où les chênes prodigieusement rabougris projettent des frondaisons tâtonnantes et luisent de la phosphorescence d’étranges champignons, là vivent les Zoogs furtifs et discrets, qui savent bien des secrets obscurs du monde du rêve et certains du monde de l’éveil. Car la forêt touche aux régions des hommes en deux endroits dont il serait cependant néfaste de préciser l’emplacement. Des rumeurs courent, des événements et des disparitions se produisent parmi les hommes là où les Zoogs ont accès à leur terre, et il faut se réjouir de leur incapacité à s’éloigner du monde du rêve. Mais à la frange du monde onirique, ils se déplacent librement, sans bruit, petits, bruns et invisibles, et rapportent des récits piquants qui les aident à passer le temps autour des âtres, au cœur de leur forêt bien-aimée. La plupart vivent dans des terriers, mais certains habitent les troncs des grands arbres ; et s’ils se nourrissent surtout de champignons, on murmure qu’ils ont aussi un petit penchant pour la chair, qu’elle soit physique ou spirituelle, car assurément bien des dormeurs ont pénétré dans ce bois et n’en sont jamais revenus. Mais Carter ne s’en inquiétait point, car c’était un rêveur expérimenté ; il avait appris le langage des Zoogs et signé avec eux bien des traités. C’est grâce à eux qu’il avait découvert la splendide cité de Céléphaïs en Ooth-Nargai, au-delà des monts tanariens, où règne la moitié de l’année le grand roi Kuranès, qu’il avait connu dans la vie terrestre sous un autre nom. Kuranès était le seul homme dont l’âme avait franchi les golfes stellaires et en était revenue exempte de folie.
Carter suivait donc les basses allées phosphorescentes, entre les troncs titanesques. Il émettait des sons légers à l’imitation des Zoogs et tendait l’oreille de temps en temps dans l’espoir d’entendre leurs réponses. Il se souvenait qu’il existait un village de ces créatures au cœur du bois, là où un cercle de grandes pierres moussues disposées dans une ancienne clairière évoque la mémoire d’habitants plus vieux et plus terrifiants encore, et c’est vers ce lieu qu’il se hâtait. Il se guidait à la lueur des monstrueux champignons, qui semblent toujours plus volumineux à mesure que l’on approche du redoutable cercle où jadis les êtres antiques tenaient leurs danses et offraient leurs sacrifices. Enfin, la lumière accrue des champignons révéla une énorme et sinistre masse gris-vert qui s’élevait au travers de la canopée et se perdait dans le ciel. C’était le premier monolithe du vaste anneau de pierres. Alors Carter sut qu’il était proche du village zoog, et, imitant de nouveau leurs voix, il attendit. La sensation que de nombreux regards l’examinaient récompensa bientôt sa patience. C’étaient bien les Zoogs, car on voit leurs yeux étranges bien avant de discerner leurs petites silhouettes noires et fuyantes.
Enfin, ils sortirent en masse de leurs terriers invisibles et de leurs arbres criblés de trous, jusqu’à remplir de leur grouillement toute la zone plongée dans la pénombre. Certains, indisciplinés, frôlèrent Carter. C’était très désagréable. L’un d’eux alla même jusqu’à lui pincer l’oreille de sa patte répugnante. Mais les anciens réprimèrent bientôt ces esprits désordonnés. Le Conseil des Sages, reconnaissant le visiteur, lui offrit une gourde de sève fermentée tirée d’un arbre hanté et différent de tous les autres, car né d’une graine qu’un habitant de la lune avait laissé tomber. Quand Carter eut bu la sève avec toute la cérémonie voulue, c’est un bien étrange colloque qui s’engagea. Les Zoogs ne savaient hélas pas où se dresse le pic de Kadath, et ils ignoraient également si le désert glacé s’étend dans notre monde du rêve ou dans un autre. Il courait des rumeurs sur les Grands Anciens, venant de tous les points cardinaux. Tout ce que l’on pouvait en dire, c’est que l’on avait plus de chances de les voir sur les hauts sommets des montagnes que dans les vallées ; car c’est sur ces pics qu’ils dansent pour se souvenir, quand la lune est haute dans le ciel et les nuages bas sur la terre.
Enfin, un très vieux Zoog se rappela un détail ignoré des autres. Il déclara qu’à Ulthar, de l’autre côté du fleuve Skai, se trouvait le dernier exemplaire des Manuscrits Pnakotiques : dans un passé si lointain qu’il défiait l’imagination, en des royaumes boréaux oubliés de tous, des hommes éveillés avaient rédigé ces écrits, qu’on avait ensuite emportés dans la terre des rêves quand les Gnophekhs, cannibales hirsutes, s’étaient emparés d’Olathoë aux nombreux temples et avaient tué tous les héros du pays de Lomar. Ces manuscrits, disait le vieillard, parlaient longuement des dieux. D’autre part, il existait à Ulthar des hommes qui avaient vu les signes des dieux, et même un vieux prêtre qui avait gravi une immense montagne dans l’espoir de les voir danser au clair de lune. Il avait échoué, mais son compagnon y était parvenu avant de connaître une mort indicible.
Randolph Carter remercia donc les Zoogs, qui répondirent par des bruissements amicaux et lui donnèrent une gourde de vin d’arbre de lune à emporter. Puis il s’engagea dans le bois phosphorescent en direction de la lisière où la Skai impétueuse dévale les pentes du Lérion et où les cités d’Hatheg, de Nir et d’Ulthar ponctuent la plaine. Plusieurs Zoogs le suivirent, curieux de savoir ce qui lui arriverait et pour en faire le récit à leur peuple. La forêt de grands chênes s’épaississait à mesure que Carter s’éloignait du village, et il chercha du regard un endroit où ils s’espaçaient un peu. Ils se dressaient là, morts ou mourants, au milieu des champignons anormalement denses, de l’humus décomposé et des branches moisies de leurs frères tombés. Alors il fit un brusque écart : en effet, en ce lieu précis, une énorme plaque de pierre repose sur le sol de la forêt. Ceux qui ont eu l’audace de s’en approcher disent qu’elle porte un anneau de fer de trois pieds de diamètre. Se rappelant l’antique cercle de pierres moussues et l’usage qui en était peut-être fait, les Zoogs répugnaient à s’arrêter près de cette vaste plaque avec son monstrueux anneau. Car ils savaient bien que tout ce qui est oublié n’est pas forcément mort, et ils n’avaient aucune envie de voir la pierre se soulever lentement, comme par sa propre volonté.
Carter fit donc un détour et entendit derrière lui le bruissement effrayé des Zoogs les moins courageux. Il savait qu’ils allaient le suivre et ne s’inquiéta donc pas de leur présence ; l’on finit par s’accoutumer aux bizarreries de ces créatures indiscrètes. Quand il émergea de la forêt, tout baignait dans la pénombre. Mais la luminosité croissante lui révéla qu’il s’agissait de cette pénombre qui précède l’aube. Sur les plaines fertiles qui ondulent jusqu’à la Skai, il vit monter la fumée des cheminées des maisons. Partout c’étaient les haies, les champs labourés et les toits de chaume d’une terre paisible. Une fois, il fit halte près du puits d’une ferme pour se désaltérer, et tous les chiens se mirent à pousser des aboiements terrifiés en sentant les Zoogs discrets qui rampaient dans l’herbe derrière lui. Dans une autre maison où il avait aperçu des gens, il demanda ce qu’on savait des dieux et s’ils dansaient souvent sur le Lérion. Mais le fermier et sa femme se contentèrent de faire le Signe des Anciens et de lui indiquer la route de Nir et d’Ulthar.
À midi, il arriva dans la grand-rue de Nir, qu’il avait déjà vue une fois et qui marquait l’extrême limite de ses précédents voyages dans cette direction. Peu après, il parvint au grand pont de pierre qui enjambe la Skai. Lors de sa construction, mille trois cents ans plus tôt, les maçons avaient emmuré un homme vivant dans son tablier central, en guise de sacrifice. Une fois de l’autre côté, la présence de chats innombrables (qui se hérissaient en sentant les Zoogs) annonça la proximité d’Ulthar ; car en Ulthar, selon une loi ancienne et respectée, nul n’a le droit de tuer un chat. Les faubourgs d’Ulthar étaient très plaisants, avec leurs petites maisons environnées de verdure et leurs fermes aux clôtures pimpantes. Et plus plaisante encore, plus pittoresque, était la ville elle-même, avec ses vieux toits pointus, ses étages en surplomb, son foisonnement de cheminées et ses ruelles pentues dont on peut voir l’ancien pavé quand les chats élégants s’écartent suffisamment. Grâce aux Zoogs à demi visibles qui dispersaient quelque peu les félins, Carter put se rendre directement au modeste Temple des Anciens où, disait-on, se trouvaient les prêtres et les archives. Une fois à l’intérieur de la vénérable tour aux pierres mangées de lierre qui couronne la plus haute colline d’Ulthar, il se mit en quête du patriarche Atal ; l’homme qui avait fait l’ascension du pic interdit d’Hatheg-Kla, au milieu du désert de roc, et en était redescendu vivant.
Atal était assis sur une estrade d’ivoire dans une chapelle festonnée du sommet du temple. Il avait bien trois cents ans d’âge, mais son esprit et sa mémoire n’avaient rien perdu de leur acuité. Carter apprit de lui bien des choses sur les dieux, mais surtout qu’ils ne sont en fait que les dieux de la Terre, qui gouvernent d’une main faible notre propre province du rêve, sans disposer de pouvoir ni de résidence nulle part ailleurs. Ils peuvent, dit Atal, prêter l’oreille à la prière d’un homme s’ils sont de bonne humeur ; mais il ne faut pas envisager de monter jusqu’à leur forteresse d’onyx, au-dessus de Kadath, dans l’immensité glacée. Il était heureux que nul homme ne sût où se dresse Kadath, car monter jusqu’à elle était très dangereux. Ainsi, le compagnon d’Atal, Barzai le Sage, avait été aspiré, hurlant, dans le ciel, simplement pour avoir escaladé le pic pourtant connu d’Hatheg-Kla. Avec Kadath l’inexplorée, si jamais on la trouvait, ce serait bien pire ; car si les dieux de la Terre peuvent parfois se voir surpassés par un mortel avisé, ils sont néanmoins sous la protection des Autres Dieux du Dehors. À deux reprises au moins au cours de l’histoire du monde, les Autres Dieux ont apposé leur sceau sur le granite originel de la Terre ; une fois aux temps antédiluviens, comme on a pu le discerner d’après un dessin des Manuscrits Pnakotiques, dans des passages trop anciens pour être déchiffrés, et une fois sur l’Hatheg-Kla, quand Barzai le Sage tenta de voir les dieux de la Terre en train de danser sous la lune. Aussi, conclut Atal, vaudrait-il beaucoup mieux laisser tous les dieux tranquilles, sauf à leur adresser des prières pleines de déférence.
Déçu des conseils peu encourageants d’Atal et du maigre secours qu’il savait trouver dans les Manuscrits Pnakotiques et les Sept Livres Occultes de Hsan, Carter ne perdit cependant pas tout espoir. Il commença par interroger le vieux prêtre sur la prodigieuse cité du couchant qu’il avait vue du bout de la terrasse. Il voulait la découvrir sans l’aide des dieux. Mais Atal ne put rien lui en dire. Sans doute, suggéra le vieillard, la cité appartenait-elle au monde onirique de Carter et non au pays des visions que beaucoup connaissent. Il était également concevable qu’elle fût sur une autre planète, auquel cas les dieux de la Terre ne pourraient le guider, même s’ils le désiraient. Mais telle n’était sûrement pas leur volonté, car l’arrêt des rêves indiquait clairement que les Grands Anciens souhaitaient garder la cité cachée à ses yeux.
Carter usa alors d’un stratagème inique : il fit boire à son hôte innocent du vin de lune que les Zoogs lui avaient donné, au point que le vieillard se mit à parler à tort et à travers. Toute réserve disparue, le malheureux Atal dévoila des secrets interdits, révélant, aux dires des voyageurs, l’existence d’un immense portrait sculpté dans le roc même du mont Ngranek, sur l’île d’Oriab, dans la mer du Septentrion. Les dieux de la Terre l’auraient peut-être gravé à leur propre ressemblance à l’époque où ils dansaient au clair de lune sur cette montagne. Entre deux hoquets, il ajouta que les traits étranges de cette image sont uniques et constituent les signes certains de l’authentique race divine.
C’est alors que Carter vit l’utilité de tous ces renseignements pour sa recherche des dieux. L’on sait que les plus jeunes des Grands Anciens aiment à se déguiser pour épouser les filles des hommes, si bien qu’à la lisière du désert glacé où s’étend Kadath les paysans doivent tous être peu ou prou de leur sang. Il suffit alors, pour trouver ce désert, d’aller voir le visage sculpté sur le Ngranek, d’en noter les traits avec le plus grand soin, puis de rechercher ces mêmes traits parmi les hommes. Le lieu où ils seront le plus évidents et le plus marqués sera le plus proche de la résidence des dieux ; et le désert de pierre qui en cet endroit s’étendra derrière les villages ne pourra être que celui où se dresse Kadath.
En ces régions, le chercheur apprendrait p...
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