Histoire socialiste de la France contemporaine
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Histoire socialiste de la France contemporaine

Tome 3 La Convention I 1792 (suite et fin) et Tome 4 La Convention II 1793-1794

  1. 508 pages
  2. French
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Histoire socialiste de la France contemporaine

Tome 3 La Convention I 1792 (suite et fin) et Tome 4 La Convention II 1793-1794

À propos de ce livre

ean JAURES décrit dans "Histoire socialiste de la France contemporaine" la Révolution française à l'aube de l'émergence d'une nouvelle classe sociale: la Bourgeoisie. Il apporte un soin particulier à décrire les rouages économiques et sociaux de l'ancien régime.C'est du point de vue socialiste que Jean Jaurès veut raconter au peuple, aux ouvriers et aux paysans, les évènements qui se sont déroulés de 1789 à la fin du XIXème siècle.Pour lui la révolution française a préparé indirectement l'avènement du prolétariat et a réalisé les deux conditions essentielles du socialisme: la démocratie et le capitalisme mais elle a été en fond l'avènement politique de la classe bourgeoise.Mais en quoi l'étude de Jean Jaurès est une histoire socialiste?L'homme doit travailler pour vivre, il doit transformer la nature et c'est son rapport à la transformation de la nature qui va être l'équation primordiale et le prisme par lequel l'humanité doit être étudiée. De cette exploitation de la nature va naître une société dans laquelle va émerger des rapports sociaux dictés par la coexistence de plusieurs classes sociales: les forces productives. Ce nouveau système ne peut s'épanouir qu'en renversant les structures politiques qui l'en empêchent.La révolution française est née des contradictions entre l'évolution des forces productives "la bourgeoisie" et des structures politiques héritées de la noblesse féodale.Il ne faut pas se méprendre "L'histoire socialiste" n'est pas une lecture orientée politiquement mais peut être aperçu comme une interprétation économique de l'histoire. Il s'agit d'un ouvrage complexe. L'histoire du socialisme demande du temps et de la concentration mais c'est une lecture primordiale et passionnée de la Révolution française.L'Histoire socialiste de 1789-1900 sous la direction de Jean Jaurès se compose de 12 tomes, à savoir: Tome 1: Introduction, La Constituante (1789-1791)Tome 2: La Législative (1791-1792)Tome 3: La Convention I (1792)Tome 4: La Convention II (1793-1794)Tome 5: Thermidor et Directoire (1794)Tome 6: Consulat et Empire (1799-1815)Tome 7: La Restauration (1815-1830)Tome 8: Le règne de Louis Philippe (1830-1848)Tome 9: La République de 1848 (1848-1852)Tome 10: Le Second Empire (1852-1870)Tome 11: La Guerre franco-allemande (1870-1871), La Commune (1871)Tome 12: Conclusion: le Bilan social du XIXe siècle.

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Informations

Année
2020
Imprimer l'ISBN
9782322242870
ISBN de l'eBook
9782322246052
Édition
1

Tome IV

LA CONVENTION II

1793-1794

par Jean JAURES

LA MORT DU ROI ET LA CHUTE DE LA GIRONDE

• Le procès du roi.
C’est le 10 août 1792 que Louis XVI avait été suspendu de ses fonctions de roi et enfermé au Temple. C’est le 21 janvier 1793 qu’il monta sur l’échafaud. Comment la Révolution mit-elle cinq mois et demi à le juger et à le frapper ? Elle avait un intérêt immense à aller vite. Si le roi avait été jugé et exécuté en octobre, dès la réunion de la Convention, le pays eût été encore sous l’impression de la journée du Dix-Août, et, tout ému de colère, il eût accepté plus aisément le coup audacieux qui était porté. Puisque la Révolution voulait, par un acte irréparable, décourager les royalistes et étonner l’Europe, c’est par là que la Convention aurait dû ouvrir ses travaux. Elle eût ainsi marqué toute son œuvre d’un sceau infrangible. De plus, à la fin de septembre et en octobre, l’Europe était dans la stupeur des victoires inattendues de la Révolution. La mort du roi eût aggravé cette stupeur en un complet désarroi : et il est possible que la coalition européenne se fût dissoute.
En tout cas, en septembre et octobre, l’Angleterre ne paraissait nullement décidée à la guerre : et sans doute le jugement du roi, rapide et terrible, n’eût pas suffi à l’y décider. Le monde aurait été comme surpris par la rapidité de l’événement, et immobilisé sous les éclats de la foudre.
Pourquoi la Convention traîna-t-elle ? C’était le mandat primordial qu’elle avait reçu. La Législative ne s’était séparée que pour que la nation elle-même prononçât sur le sort et de la royauté et du roi. La royauté fut abolie le 21 septembre. Il fallait d’urgence, et aussitôt après, fixer le sort du roi. La Convention, malgré son audace, éprouvait-elle un trouble secret ? Était-elle retenue, devant cet homme que l’infortune avait rapproché de l’humanité sans lui ôter tout à fait le prestige d’une royauté séculaire, par un reste de superstitieux respect et un commencement de pitié? Elle s’embarrassa d’emblée dans des difficultés de forme et dans des scrupules juridiques.
« Louis XVI est-il jugeable pour les crimes qu’on lui impute d’avoir commis sur le trône constitutionnel ? Par qui doit-il être jugé ? Sera-t-il traduit devant les tribunaux ordinaires, comme tout autre citoyen accusé de crime d’État ? Déléguerez-vous le droit de le juger à un tribunal formé par les assemblées électorales des 83 départements ? N’est-il pas plus naturel que la Convention nationale le juge elle-même ? Est-il nécessaire ou convenable de soumettre le jugement à la ratification de tous les membres de la République, réunis en assemblées de communes on en assemblées primaires ? »
Voilà les questions que pose Maillié au début de son rapport préliminaire du 7 novembre et que le comité de législation avait « longuement et profondément agitées ». À vrai dire, ce long débat était assez vain. Comment s’arrêter un moment à la thèse de l’inviolabilité royale ? Sans doute, la Constitution déclarait la personne du roi inviolable, et elle ne rendait responsables que les ministres. Ou bien, pour certains actes déterminés, elle constatait que le roi « était censé avoir abdiqué », et elle prononçait sa déchéance. Mais toute cette procédure constitutionnelle suppose que la Constitution elle-même n’est pas atteinte dans la racine. Si la faute du roi, si sa trahison même ne mettent pas la nation et la liberté en péril mortel, si la royauté peut survivre au roi, alors, oui, c’est selon la Constitution que le roi doit être jugé, puisque la Constitution demeure. Mais si le roi, par une longue conspiration, a ruiné la Constitution elle-même, si, par sa connivence avec l’étranger armé pour la détruire, il l’a presque frappée à mort, si la juste colère excitée par son crime a obligé le peuple exaspéré et défiant à une Révolution nouvelle, comment appliquer au roi une Constitution dont, par sa faute, il ne reste plus rien ?
En fait, depuis le Dix-Août, la France était, non à l’état constitutionnel, mais à l’état révolutionnaire. La suspension du roi et son internement au Temple étaient des actes révolutionnaires. La Convention elle-même était une assemblée révolutionnaire, puisqu’elle n’avait pas été convoquée en vertu de la Constitution de 1791, et puisqu’elle avait reçu du peuple des pouvoirs illimités comme la Révolution. C’était donc manifestement en assemblée révolutionnaire qu’elle devait juger, et il était assez étrange que l’on discutât là-dessus.
Elle était visiblement le seul tribunal révolutionnaire ayant qualité pour juger. Remettre le jugement à un jury formé de deux jurés par département, que les corps électoraux auraient choisis, eût été un dangereux enfantillage. C’eût été une parodie des formes ordinaires de la justice, car ce jury n’aurait pu, en une question où la vie même de la nation était engagée, échapper aux mouvements passionnés de l’opinion, et aux indications, aux suggestions impérieuses de la Convention elle-même. Cet acte de jugement était, par excellence, un acte de souveraineté, puisque tout le destin de la liberté et de la patrie y était attaché. C’était donc le souverain, c’est-à-dire la nation elle-même représentée à la Convention, qui devait juger. Il n’y avait plus de Constitution, puisque celle de 1791 avait été abolie et que la nouvelle n’était pas formulée encore.
Dans cet intervalle entre les Constitutions, il ne restait plus qu’un pouvoir : la nation, ou plutôt tous les pouvoirs revenaient à elle comme à leur source. C’est précisément parce que la Convention n’avait pas un mandat purement judiciaire, mais un mandat politique, un mandat total, qu’elle devait juger : car il était impossible de séparer le jugement de Louis XVI du jugement d’ensemble porté sur l’état politique et social de la France. C’eût été démembrer la souveraineté et la diviser mortellement contre elle-même que de détacher, du pouvoir politique total qu’exerçait la Convention, le jugement du roi où la vie politique totale de la nation était enveloppée. Et qu’on n’objecte pas que la nation était à la fois juge et partie, et que cela est contraire à toute justice. Quand un roi a trahi une nation, où trouver, dans cette nation même, un citoyen qui ne soit pas à la fois juge et partie ?
« Faudra-t-il donc, s’écriait un Conventionnel, chercher des juges dans une autre planète ? »
Il serait étrange que la nation fût désarmée de son droit de juger par l’immensité même du crime qui, en blessant toute conscience et toute vie, retire à tout un peuple et à tous les individus de ce peuple la vulgaire impartialité du juge. En ce sens, ce n’est pas seulement à la Convention, c’est à la nation tout entière que de Sèze aurait pu dire : « Je cherche en vous des juges et je ne trouve que des accusateurs ». Mais ces paroles ne sont terribles que pour Louis XVI qui, en trahissant tout un peuple, obligeait tout un peuple à être à la fois accusateur et juge.
Mais, dès lors, n’y aurait-il pas eu plus de franchise à frapper et à ne pas juger ? C’est ce que disent à la fois, par une curieuse rencontre, Kant et Robespierre. Kant considère que la Révolution aurait eu le droit, par exemple au Dix-Août, de frapper le roi, comme on frappe un ennemi dans le combat, mais que prétendre le juger, en substituant un droit nouveau au droit ancien, c’était une dérision.
« Et moi, s’écria Saint-Just dans son discours du 13 novembre, je dis que le roi doit être jugé en ennemi ; que nous avons moins à le juger qu’à le combattre… Je dirai plus : c’est qu’une Constitution acceptée par un roi n’obligeait pas les citoyens ; ils avaient, même avant son crime, le droit de le proscrire et de le chasser. Juger un roi comme un citoyen, ce mot étonnera la postérité froide. Juger, c’est appliquer la loi. Une loi est un rapport de justice : quel rapport de justice y a-t-il donc entre l’humanité et un roi ?… Le procès doit être fait à un roi non point pour les crimes de son administration, mais pour celui d’avoir été roi, car rien au monde ne peut légitimer cette usurpation, et de quelques illusions, de quelques conventions que la royauté s’enveloppe, elle est un crime éternel contre lequel tout homme a le droit de s’élever et de s’armer. Elle est un de ces attentats que l’aveuglement même de tout un peuple ne saurait justifier. …On ne peut point régner innocemment : la folie en est trop évidente. Tout roi est un rebelle et un usurpateur. »
C’est un sophisme. Car si Saint-Just ne fait pas abstraction de l’histoire il est obligé de reconnaître que l’institution de la royauté n’est pas l’œuvre de quelques hommes audacieux, elle a répondu à des nécessités historiques, et tout ce qu’il est permis de dire en 1792, c’est que ces nécessités ont pris fin, c’est que les nations maintenant peuvent se gouverner elles-mêmes. Et alors la question se pose : De quel droit faire payer à l’individu qui fut roi une longue fatalité dont il n’est pas plus responsable que les autres hommes ? Ou si Saint-Just fait abstraction de l’histoire, s’il prolonge dans le passé l’heure présente, s’il croit et s’il dit qu’à chacun des moments des siècles écoulés les hommes auraient pu secouer le joug royal comme ils le secouent maintenant, c’est l’humanité toute entière qui est criminelle, et les peuples doivent se châtier eux-mêmes de leur long et lâche esclavage, comme ils doivent châtier les rois de leur longue et arrogante domination.
En vain Saint-Just allègue-t-il que l’aveuglement des peuples n’excuse pas l’usurpation des rois : il n’excuse pas non plus l’abjecte servilité des peuples. Et, ici encore, pourquoi concentrer, sur la seule tête de Louis XVI, un châtiment qui doit frapper le front humilié des peuples comme le front superbe des rois ? Ainsi, dire que Louis XVI doit être frappé, non à raison des crimes qu’il a commis dans l’exercice de sa fonction de roi, mais à raison de sa seule qualité de roi, c’est se montrer trop sévère pour un seul homme, trop indulgent pour l’humanité complice.
Aussi bien, il n’est pas vrai qu’entre le roi Louis et le peuple de France il n’y eût aucun de ces rapports de justice qui permettent en effet de juger. Depuis la Révolution de 1789, une transaction était intervenue entre la tradition historique et le droit nouveau, entre l’institution royale et la souveraineté populaire. Cette transaction aurait pu durer, si la royauté avait été honnête et fidèle à sa propre parole. C’est la Constitution même qui était, entre le roi et la nation, « le rapport de justice » nié par Saint-Just. Et même quand la Constitution fut tombée, la nation gardait le droit de demander compte à Louis XVI des trahisons qui avaient annulé le pacte de la royauté et du peuple. Le roi n’était pas libéré de sa félonie par la chute de la Constitution envers laquelle il avait été félon. Et c’est cette félonie que la nation avait le droit de juger.
Robespierre, dans son discours du 3 décembre, conclut dans le même sens que Saint-Just, mais pour des raisons autres. Comme lui, il veut qu’il n’y ait pas de jugement, il veut que le roi soit exécuté sans procès, comme un ennemi.
Mais ce n’est pas sa qualité de roi qu’il invoque : ce sont les crimes qu’il a commis contre la nation. « Les peuples ne jugent pas comme les cours judiciaires ; ils ne rendent point de sentences, ils lancent la foudre ; ils ne condamnent point les rois, ils les replongent dans le néant. »
Entre Louis XVI et la Révolution la lutte est engagée. Le Dix-Août est un premier coup : la mort sera le second. Au Dix-Août, le peuple n’a pas prétendu porter un jugement : il a frappé, pour se défendre. Il va frapper maintenant le coup décisif, pour se débarrasser à jamais du tyran. « Il faut que le tyran meure, pour que la patrie vive. » Juger Louis XVI, c’est supposer qu’il peut être innocent : et si Louis XVI est innocent, c’est la France qui est rebelle, c’est la Révolution qui est un crime. Donc, pas de procès, pas d’acte d’accusation, pas d’avocat, pas de jugement, pas de lenteurs nouvelles, mais une mesure de salut public.
Ce qu’il y a de fort dans la thèse de Robespierre, c’est qu’il n’y a pas jugement là où la sentence s’impose d’avance au juge, quelle que soit la défense de l’accusé. Or, après le Dix-Août, il n’était pas possible à la Convention de proclamer l’innocence de Louis XVI sans déchaîner la contre-révolution. Il était hardi, et, en un sens, il était noble de proclamer cette nécessité vitale de la Révolution et de ne pas embarrasser de formes judiciaires l’acte de salut de la liberté et de la patrie.
Mais c’était une pensée trop forte pour la conscience hésitante et troublée de la France Celle-ci n’avait pas l’audace de frapper ainsi sans jugement. Elle ne voulait pas se priver elle-même du bénéfice des crimes de Louis XVI, et ces crimes elle voulait qu’ils fussent constatés, pour la nation et pour le monde, selon les formes essentielles de la justice, par un débat public où l’accusé pourrait se faire entendre. Peut-être la hautaine et sommaire procédure de Saint-Just et de Robespierre eût-elle été possible au lendemain même du Dix-Août : alors le décret de mort porté sans jugement contre Louis XVI eût apparu comme la suite de la bataille. En décembre, il était trop tard ; Robespierre constatait lui-même le changement des esprits :
« A l’époque du mois d’août dernier, tous les partisans de la royauté se cachaient; quiconque eût osé entreprendre l’apologie de Louis XVI eût été puni comme un traître. Aujourd’hui, ils relèvent impunément un front audacieux… » Et Robespierre conclut : « Hâtez-vous : ne perdez pas encore du temps en formalités hypocrites ou timides. »
Mais, sans doute, il n’était plus possible de prononcer aussi sommairement sans heurter le sentiment public. M. Ernest Hamel, dans son Histoire de Robespierre, écrit à ce propos :
« Est-il vrai qu’en ce moment Marat, se penchant vers Dubois-Crancé, lui ait dit : « Avec ces doctrines-là, on fera plus de mal à la République que tous « les tyrans ensemble » ? C’est du moins ce qu’a prétendu un historien très consciencieux (Villiaumé) ; mais nous n’en croyons pas un mot, pour trois raisons : D’abord, parce que de tels scrupules nous paraissent essentiellement contraires au génie et aux habitudes de Marat ; en second lieu, parce que Dubois-Crancé, personnage fort équivoque, ne mérite aucune créance ; enfin parce que l’on a complètement omis de nous donner la moindre preuve de l’authenticité d’une pareille allégation. »
Visiblement, M. Hamel est scandalisé à l’idée que Marat a pu trouver Robespierre excessif et impolitique. Et il se fait de Marat une idée assez fausse. Celui-ci était parfois très avisé et très prudent, attentif à ne pas surexciter les forces de contre-révolution. Précisément, en ce mois de décembre, il blâme Cambon d’avoir, par sa motion sur le budget des cultes, « soulevé les prêtres constitutionnels », et il insère une lettre de quelques-uns d’entre eux.
Sur le procès même de Louis XVI, il est certain qu’il condamne la méthode de Saint-Just et de Robespierre. On sait qu’il tenait Robespierre en très haute estime : c’est le seul homme qu’il n’ait jamais attaqué. De même, il avait été frappé par les premiers discours de Saint-Just, et il caractérise sa manière avec beaucoup de finesse :
« Le seul orateur, écrit-il le 1er décembre, qui m’ait fait quelque plaisir à la tribune, c’est Saint-Just. Son discours sur les subsistances annonce du style, de la dialectique et des vues. Lorsqu’il sera mûri par la réflexion et qu’il renoncera au clinquant, il sera un homme : il est penseur. »
Mais, sur ce point, il se sépare de Saint-Just et de Robespierre. Je note qu’il ne loue pas le discours de Saint-Just sur Louis XVI. En fait, l’opinion très nette de Marat est que Louis XVI doit être jugé selon les formes. Il craint que si ses crimes les plus évidents ne sont pas rappelés au pays en un procès solennel, la sentence de mort rencontre des résistances. Il dit dans son opinion :
« Votre Comité de législation a fait voir, par une suite de raisons tirées du droit naturel, du droit des gens, du droit civil, que Louis Capet devait être amené en jugement. Cette marche était nécessaire pour l’instruction du peuple : car il importe de conduire à la conviction, par des routes différentes et analogues à la trempe des esprits, tous les membres de la République. »
Or, il est clair que le procédé sommaire de Robespierre ne lui paraît pas de nature à produire la conviction : il n’est pas « analogue à la trempe des esprits ». Et comme Marat a déposé son opinion écrite à la Convention le 3 décembre, précisément le jour même où parlait Robespierre, il est très vraisemblable qu’il a marqué quelque irritation des vues de celui-ci. La thèse intransigeante et tranchante de Robespierre pouvait donner à Marat, par contraste, une apparence de modérantisme. Si M. Hamel n’avait pas été absorbé et fasciné par la contemplation de Robespierre, s’il s’était reporté aux écrits de Marat, il aurait trouvé très plausible le propos que lui attribue Dubois-Crancé. Marat insiste sur son idée : Louis XVI doit être jugé avec apparat et sévérité. Et, dans le numéro du 13 décembre il se plaint, lui si pressé pourtant d’aboutir, d’impatiences irréfléchies qui risquent d’ôter au jugement de la Convention une part de son autorité.
« C’est avec douleur que j’ai vu les membres patriotes de cette assemblée donner à plein collier dans le piège qu’on leur tend. Comment ne sentent-ils qu’on cherche à les jeter dans de fausses mesures, en les poussant à juger Louis Capet avec précipitation ! Je les rappelle à la réflexion. C’est dans le plus grand calme et avec sagesse qu’ils doivent prononcer sur le sort de l’ex-monarque, moins pour leur propre honneur que pour ôter à ses suppôts le prétexte de les calomnier, en les accusant de l’avoir égorgé avec le glaive des lois. »
Marat songe évidemment ici à la séance du 12, où quelques membres de l’extrême-gauche proposèrent qu’un délai de quatre jours seulement fût accordé à Louis XVI pour examiner les pièces et présenter ou faire présenter sa défense. Marat était si préoccupé de ménager l’opinion publique, je dirais presque l’opinion moyenne, qu’un moment il fut accusé de tiédeur et qu’il dut s’expliquer dans son journal.
« En reportant Louis Capet sur le trône, après sa fuite vers l’ennemi, les représentants de la nation lui ont remis tous ses crimes antérieurs. Or, s’il convient de lui faire son procès d’après la Constitution, du moins pour fermer la bouche à ses suppôts, je pense qu’il faut se borner aux chefs d’accusation postérieurs à cette époque. De cette observation si simple, les amis ont conclu que je faisais beau jeu au tyran ; les ennemis, que je m’apitoyais sur son sort : ceux-ci ont cherché à cela du mystère ; ceux-là y ont vu une étourderie abominable.
« … Au reste,...

Table des matières

  1. Indication
  2. Histoire socialiste de 1789-1900 sous la direction de Jean Jaurès
  3. Sommaire
  4. TOME III LA CONVENTION I 1792 (suite et fin).
  5. Tome IV LA CONVENTION II 1793-1794
  6. Page de copyright