1. Où allons-nous ?
– La société humaine n’a cessé d’évoluer chaotiquement tout au long de son histoire.
– Bien sûr, le monde est maintenant engagé dans des transformations radicales qui étaient prévisibles et qui se poursuivront très longtemps après nous. Il semble aussi que le cours des transformations ne cesse de s’accélérer depuis deux siècles.
– Vénérable vieillard, pourquoi tous les changements suivent-ils un cours aussi lent, tortueux, semé d’échecs et de retours en arrière ?
– Cette révolution universelle correspond à une ouverture des consciences. Le malheur veut que l’évolution se fasse à l’aveuglette, au coup par coup, sans voir très loin, en éliminant les obstacles immédiats pour retomber sur d’autres problèmes imprévus.
La crise de la civilisation humaine s’est brusquement aggravée car la masse humaine s’est alourdie et s’est doté de moyens technologiques énormes et puissants.
L’ensemble des humains est maintenant d’accord sur la nécessité de changements radicaux et profonds pour sauver la planète et assurer à l’humanité un avenir durable et harmonieux.
Nous sommes conscients des orientations malheureuses que la société a prises dans la plus grande inconscience : guerres diaboliques récurrentes, épuisement des ressources, dépendance du pétrole et du nucléaire, capitalisme ravageur qui crée des inégalités criantes et un sous-développement mortifère, prolifération humaine incontrôlée, et autres…
– Les humains savent sur quels aspects il faut agir, mais ils ne savent pas vraiment comment. Quand on voit l’état du monde, on réalise que s’indigner ne suffit pas, il faut d’autres ressources.
– Aimable princesse, il existe une grande vague de réformation, en grande partie silencieuse. Ce mouvement mondial est la mise en route de notre faculté naturelle d’adaptation que l’humanité possède comme tout autre système naturel.
Lorsqu’un état de crise apparaît, la nature suggère une adaptation, des comportements nouveaux, une création d’intelligence nouvelle. Les systèmes existant vont rechercher et intégrer l’évolution nécessaire. Les animaux évoluent ainsi, comme Darwin l’a montré, et il en va de même pour les systèmes complexes, y compris le nôtre.
– Je comprends quand même mal pourquoi notre adaptation est aussi chaotique, lente et insuffisante.
– La société humaine, se compose d’une multitude de systèmes complexes imbriqués, il est n’est donc pas surprenant que l’évolution vers un mode de vie heureux et fonctionnel prenne autant de temps.
Comment pourraient évoluer harmonieusement un ensemble de systèmes économiques, politiques, nationaux, sociaux, écologiques, culturels, religieux, psychologiques, philosophiques et autres ? D’autre part, comment rendre les systèmes collectifs compatibles avec les sensibilités individuelles ?
Il n’y a qu’une seule façon d’évoluer vers le mieux nécessaire, c’est la façon naturelle, l’adaptation naturelle, la création d’intelligence nouvelle.
On voit que dans la nature, cela se passe de soi-même, spontanément. Les systèmes vivants savent capter l’intelligence dont ils ont besoin pour changer. La créature, et l’ensemble des créatures comportent en elles une capacité mentale reliée à l’intelligence universelle qui les entoure. C’est grâce à ce lien qu’elles peuvent absorber de l’intelligence nouvelle, en fait, créer de l’esprit afin de s’adapter aux conditions extérieures nouvelles, et évoluer pour réaliser leur adaptation.
– Mais alors, vénérable vieillard, tout devrait aller sur des roulettes !
– Il devrait en être de même dans la société humaine qui est aussi un vaste ensemble intégré et cohérent, et pourtant l’évolution est problématique…
Chez les humains, les domaines d’évolution sont multiples et différents, et les individus sont autonomes. Cela signifie que l’évolution harmonieuse de l’ensemble devient très chaotique et dramatique, marchant d’essais en erreurs de façon douloureuse.
– Je vois. Les qualités mentales de tous sont séparées et ne sont donc pas suffisantes pour assurer l’harmonie de l’ensemble.
– L’humain aime se croire intelligent et parfait. Il est effectivement super intelligent, mais cela ne suffit pas pour l’évolution qui est nécessaire. Son intelligence est encore trop attachée à son niveau physique et biologique. Un animal super intelligent, cela explique qu’il se pense parfait.
Par conséquent, l’évolution de la société est compliquée : le comportement de chaque humain se fera par rapport à lui-même, et non pas par rapport à l’ensemble. Il pensera et agira par auto centrisme, en ne voyant que la portion de réalité que lui perçoit et comprend. Et cela n’est pas suffisant.
Ce qui manque, c’est la capacité à dépasser le moi, la capacité à s’étendre plus loin dans le monde mental. Nous sommes retenus par notre condition physique comme par un boulet.
Fondamentalement, la perception de l’individu super intelligent que nous sommes est trop limitée. Elle est limitée à notre propre fonctionnement mental.
L’humain est bloqué à un niveau mental restreint qui a été la source de tous les problèmes qu’il connaît, cette caractéristique, c’est l’auto centrisme.
– Vénérable vieillard, je suis un peu confuse. Qu’entendez-vous précisément par « le mental ? »
– Aimable princesse, dans un contexte spirituel, « mental » se rapporte aux capacités psychiques et à leur contenu : soit la pensée, les sensations, les sentiments, la conscience individuelle… Ce mot correspond à l’anglais « mind ». Il se distingue donc du mot « esprit », qui lui désigne autre chose, une âme spirituelle, comme le mot anglais « spirit ». Ces deux aspects sont unis et fonctionnent ensemble, mais le plus souvent, ils ne sont pas clairement différenciés. (Mental est plutôt du domaine de la fonction. Esprit est du domaine de l’être.) Le mental est notre capacité de perception intellectuelle. Il a donc le pouvoir de relier tous les étages de notre être, les sensations corporelles, les émotions, les sentiments du cœur et aussi les intuitions élevées. De ce fait, il relie aussi l’interne et l’externe, et entretient la communication entre nos idées et l’intelligence qui nous entoure, c’est à dire le mental universel, l’intelligence universelle impersonnelle.
2. Auto centrisme dans la vie personnelle
– Mais pourquoi parler d’auto centrisme ?
– Dire auto centrisme au lieu d’égocentrisme, c’est un peu la même chose, sauf pour marquer qu’il n’y a pas de connotation morale. L’auto centrisme est un état naturel et spontané de tout être vivant. Il s’agit d’une fonction nécessaire, pour se protéger, veiller sur soi. C’est comme une fonction immunitaire.
L’auto centrisme dans la vie affective personnelle fournit beaucoup de thèmes aux romanciers et aux réalisateurs. Par ex. on peut trahir la personne qui nous aime, ou bien déposséder quelqu’un afin de fournir un meilleur héritage à ses enfants, etc. On pense que les actes immoraux n’affectent pas directement l’évolution de la société, et pourtant cela ajoute certainement aux charges négatives présentes dans notre milieu et susceptibles de gêner son évolution.
– L’auto centrisme n’est-il pas aussi une constante dans les relations interpersonnelles ?
– Certainement, cette tendance nous conduit à rigidifier nos propres vues, à nous limiter à elles et par conséquent les contenus mentaux des personnes se morcellent à l’infini. Cela rend difficile la formation de conceptions cohérentes étendues et généralisées. Plus on tient à ses propres idées, plus on crée de la division car on ne voit pas que les idées sont parcellaires.
Nos visions sont morcelées selon le champ mental de chacun, qui est forcément très limité.
– En voici une illustration vécue dans le domaine politique. Je cite un article publié par un militant écologiste qui raconte ses difficultés pour faire entendre sa voix et obtenir un consensus au sein de partis politiques. (1)
Permettez que soient seulement citées les phrases se rapportant à notre sujet, c’est à dire la difficulté de parvenir à une vision générale cohérente.
(Dans un premier parti politique :)
« Ma première réunion… Une vingtaine de personnes seulement, et je me perdais complètement entre les sous-tendances des différents courants… « Simplifions. Il y a les Verts rouges, les Verts noirs et les Verts verts. À partir de cette trame, chacun brode à sa façon. »
… Pour les votes, les Verts noirs sont très forts : faut toujours s’exprimer contre le consensus qui se dessine. Et moi, et moi, et moi, vous m’avez oublié ?
… J’étais accablé par les contradictions internes des Verts, par des statuts inefficaces.
… (Dans un autre parti :)
… Les affrontements interpersonnels entre camarades… sont omniprésents, entre courants, à l’intérieur des courants, entre habitants d’un même lieu.
Dans ce parti, la lutte pour le pouvoir est beaucoup plus importante que la lutte pour les idées.
… L’essentiel du travail veut se faire au niveau des apparatchiks, qui se réunissent pour discuter de leurs désaccords. Le culte des ego, dira la presse.
… neuf ans d’efforts, bilan globalement négatif. Pourquoi ?
… qui se dit membre du parti… pense comme son clan. Les personnalités passent avant les idées. »
– Il est bien évident que, aussi engagés que nous puissions être, aussi raffinés mentalement et instruits que nous soyons, notre façon de penser ne change pas les personnes, qui restent fatalement attachés à des comportements primitifs tournant autour d’elles-mêmes et de leurs intérêts.
– Vous voulez dire que la pensée conceptuelle ordinaire est aussi fondée dans l’auto centrisme.
– Notre pensée rationnelle conceptuelle est insuffisante, car elle ne change pas les dispositions profondes des personnes : les exigences de chaque ego accroché à ses propres vues et à ses propres préférences.
C’est notre structure mentale qui est en cause, c’est elle qui nous empêche d’atteindre une vision globale, holistique, unitive, dans laquelle on voit comment chaque problème trouve naturellement sa solution.
– Ce défaut est bien évident. Tout un chacun peut bien voir combien la pensée conceptuelle est dépendante des désirs.
Ainsi les fabricants d’armement justifient leur activité rationnellement, mais à cause de leurs intérêts personnels. Il en va de même des spéculateurs boursiers qui peuvent ruiner l’économie en se fabriquant des profits fabuleux. Ou des entreprises prospères qui licencient leurs employés et les laissent sans moyens de survie uniquement pour augmenter leurs bénéfices et satisfaire les actionnaires. Il en est de même des par...