DEUXIÈME PARTIE
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DOCTRINE DES ROSE-CROIX
CHAPITRE I : THÉOLOGIE
Nous continuerons, dans cet exposé et dans les suivants, à suivre la même marche que pour la première partie. Nous ne donnerons sur les doctrines rosicruciennes que les renseignements épars dans des livres anciens et introuvables. Chaque lecteur pourra ensuite, s’il en a la vocation, pousser jusque derrière le voile où nous espérons qu’Elias Artiste l’enseignera lui-même, mieux que ne pourrait le faire aucune autre personne.
La Théologie rosicrucienne est basée sur le ternaire. Nous aurons à examiner :
1o ce qu’est l’Absolu en soi ;
2o ce qui est hors de soi ; et
3o plus spécialement, l’action du Verbe comme Sauveur ;
4o enfin, comment le ternaire divin se révèle dans la vie terrestre.
Voici comment la tradition montre la révélation de l’Absolu dans le Néant pour créer le Relatif.
À l’origine dort le chaos invisible et inconcevable, l’abîme éternel, le rien et le tout, dans le bleu profond duquel flamboient les rayons de Iod-Hé-Vau-Hé. Il y a aussi un chaos visible et concevable, le rien temporel, qui est la matrice de toute chose créée. Lorsque ces deux éléments sont conjugués, ils forment le chaos de l’opération élémentaire, comprenant la Tétrasomie, la Lumière et les Ténèbres, régis par Adonaï.
Lorsque la Lumière est appelée à sortir des Ténèbres, elle opère selon trois principes qui convergent, par la magie divine, sur la Terre adamique (l’Azoth) soutenue par Lucifer. Là plongent les racines d’une double vigne ; autour du cep s’enroule l’antique serpent. Selon le premier principe, les grappes sont rouges ; on ne doit point y toucher, car elles recèlent la Science. Suivant le second principe, les grappes sont vertes ; elles sont agréables à voir et le fruit en est bon à manger. Selon le troisième principe, le cep n’est ni bon ni mauvais, il est seulement connaissable. Le glaive du cheroub défend d’approcher du premier cep, car il est l’Arbre de Vie ; au contraire, le jus du second est recueilli dans un calice, car il est l’Eau de la Vie christique. Cette eau contient en elle la pierre trinitaire que recherchent les Sages ; ses angles sont le royaume obscur des minéraux, la gloire viride des végétaux, et la puissance rubescente des animaux. Telle est la pierre angulaire que les maçons ont rejetée, qui détient en ses trois pôles le trésor spiritueux, le vin mystique dont l’ivresse a fait tomber l’homme et qui le fait se relever, l’eau que cherchent les Sages. Elle donne la Mort et la Vie ; elle ôte au Soleil sa splendeur et peut parfaire toutes les planètes.
En d’autres termes, les Rose-Croix reconnaissent, au centre absolu du plan divin, la Nature éternelle et incréée qui se distribue de la façon suivante :
L’Esprit, l’éternelle Quintessence ;
Dieu, l’éternelle Substance ;
le Verbe, l’essence des trois personnes divines, triple et une ;
l’Humanité divine, vie de feu, de lumière et d’esprit.
Cette sphère du soleil divin rayonne la Lumière de la Grâce, dont le Fiat produit le Temps et l’Espace. En elle sont contenues toutes les possibilités imaginables ; ce sont les eaux décrites dans les cosmogonies, sur lesquelles plane le souffle des Elohim et qui engendrent la Lumière de la Nature qui est la première chose créée contenant les quatre qualités : le froid, le chaud, le sec et l’humide. Ici se placent les opérations su Soleil naturel, à la fois feu, lumière, esprit de vie. L’Hylé primitive, centre de la Lumière de la Nature, est le principe du monde supérieur spirituel, le palais indicible de la Nature céleste zodiacale, réservoir des semences célestes, animales, végétales et minérales. Le corps de la Lumière de la Nature est le monde inférieur, corporel, composé de forme et de matière, des quatre éléments et des trois principes : sel, soufre et mercure.
Ces deux mondes, le supérieur et l’inférieur, sont semblables ; on y trouve une substance et trois principes dont l’ensemble forme le chaos d’où jaillit la fontaine d’eau vive, le Mercure des philosophes. Le Soufre des philosophes procède de la putréfaction ; il est l’âme. Le Sel procède de la calcination ; il est la forme. Le Mercure, l’enfant, provient de la conjonction ; lorsqu’on le coagule, on obtient l’Archée fixe et la Teinture.
Dante, ainsi que nous l’avons déjà vu dans la première partie de cet ouvrage, exprime les mêmes idées sous un symbolisme transparent.
Joachim de Flore a exprimé un grand nombre de théories rosicruciennes. Voici, en particulier, le texte de sa déclaration sur le premier ternaire, tirée du célèbre passage de Saint Jean :
« Rogo, Pater, ut omnes unum sint tu, Pater, in me, et ego in te. Tres sunt qui testimonium dant in terra : spiritus, aqua et sanguis, et hi tres unum sunt. »
« Père, je te prie que tous se confondent en un, ainsi que toi, Père, tu es en moi, et qu’en toi je me confonds. Au Ciel une trinité s’affirme : le Père, le Verbe, l’Esprit-Saint. En un ils sont trois. Sur terre aussi une trinité s’affirme : l’air, l’eau et le sang, et en un ces trois cœxistent. »237
Cette déclaration, et d’autres, furent condamnées vers la fin du pontificat d’Alexandre IV (concile d’Arles, 1260-1261), qui flétrit les Joachimites en les appelant « ces faux docteurs qui, prenant pour fondement de leurs extravagances certains ternaires, veulent établir dans leurs concordances une doctrine pernicieuse et, sous prétexte d’honorer le Saint-Esprit, diminuer l’effet de la rédemption du Fils de Dieu et le borner à un certain espace de temps. »238
La conception de Dieu que se formaient les Rose-Croix est exprimée, dans leurs œuvres, par un triangle que remplissent les lettres du Tétragramme ainsi disposées :
Iod
Hé Iod
Vau Hé Iod
Hé Vau Hé Iod
C’est-à-dire, traduit en nombres et additionné dans tous les sens imaginables :
| 10 | = | 10 ou 4 x 10 | = | 40 |
| 5 10 | = | 15 ou 3 x 5 | = | 15 |
| 6 5 10 | = | 21 ou 2 x 6 | = | 12 |
| 5 6 5 10 | = | 26 ou 1 x 5 | = | 5 |
| 5+6+11+15+15+10+10 | = | 72 | = | 72 |
En outre, ce triangle contient dix lettres formées par l’addition de 1+2+3+4. Nous pouvons en inférer : 1o que le nombre total de toutes les manifestations rosicruciennes sera 72 ; 2o que leur initiation est une synthèse du polythéisme antique (9) vivifié (multiplié) par l’action du réparateur (8) ou 8 x 9 = 72239 ; 3o que leur méthode intellectuelle est pythagoricienne (le dénaire par le quaternaire).
Construisons maintenant de Tétragramme sous sa forme complète (deux triangles inversés) :
On voit tout de suite que le cycle rosicrucien porté à se limite de perfection atteint le même séjour de gloire qu’indique l’apôtre Jean sous la figure de la Cité aux 144 portes. Ainsi, se manifestent la théorie et la pratique, l’oraison et le labeur, le principe et le moyen d’une action invisible sur la biologie de la terre.
Les manifestations de ce Tétragramme sont toujours à demi voilées ; elles envoient leurs rayons sur ce monde pendant leur jour, et ces rayons sont assimilés pendant leur nuit ; l’homme reçoit ces rayons par la prière et se les assimile par le travail.
La prière, c’est l’Ash, un feu alimenté par le Chaos, et qui volatilise les terres fixes ; le travail, c’est le fixateur du fluide, qui reproduit l’image des choses supérieures ; il doit être guidé par Rouach Hochmael, l’esprit de la Sagesse, et son type est la pyramide lumineuse, symbole immobile de la Trinité infiniment active et sixième partie de la pierre cubique.
Six pyramides : A B CD I
BD EF I
E F GH I
A C G H I
CD EH I
A B F G I
Jéhovah désigne Dieu dans son essence ; Ælihim désigne Dieu dans ses puissances240 ; tel est le seul et unique Dieu à qui nous devons avoir recours. Un culte rendu aux dieux païens des éléments est une abomination devant Jéhovah.
Résumons toutes ces idées par des extraits de Joachim de Flore qui a le mérite d’employer un langage assez clair et peu technique. On les trouvera exprimées également dans les écrits des Frères du Libre-Esprit.
DU FILS FAIT CHAIR ET DE L’ESPRIT FAIT SOUFFLE
LES SEPT DONS DE L’ESPRIT
« Le Verbe s’étant fait chair habita parmi nous. II fut un Dieu-Né ; lui qui était invisible par la simplicité de sa nature, il se fit visible par son assimilation à la nature humaine. II voulut être personnifié par le mystère de la voix parmi les hommes visibles, de telle façon que ceux qui ne pouvaient pas arriver par la contemplation à pénétrer les mystères divins fussent amenés au sublime par de visibles exemples.
« Car il n’en est pas de même de ceux qui sont spirituels et de ceux qui sont charnels. Les yeux des spirituels sont ouverts aux choses divines. Mais pour cela les sept dons du Saint-Esprit leur sont nécessaires, dons que l’Esprit qui est Dieu di...