Histoire socialiste de la France contemporaine
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Histoire socialiste de la France contemporaine

Tome XII : La TroisiÚme République 1871-1900, La Conclusion: Le Bilan social du XIXÚme siÚcle

  1. 328 pages
  2. French
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Histoire socialiste de la France contemporaine

Tome XII : La TroisiÚme République 1871-1900, La Conclusion: Le Bilan social du XIXÚme siÚcle

À propos de ce livre

ean JAURES dĂ©crit dans "Histoire socialiste de la France contemporaine" la RĂ©volution française Ă  l'aube de l'Ă©mergence d'une nouvelle classe sociale: la Bourgeoisie. Il apporte un soin particulier Ă  dĂ©crire les rouages Ă©conomiques et sociaux de l'ancien rĂ©gime.C'est du point de vue socialiste que Jean JaurĂšs veut raconter au peuple, aux ouvriers et aux paysans, les Ă©vĂšnements qui se sont dĂ©roulĂ©s de 1789 Ă  la fin du XIXĂšme siĂšcle.Pour lui la rĂ©volution française a prĂ©parĂ© indirectement l'avĂšnement du prolĂ©tariat et a rĂ©alisĂ© les deux conditions essentielles du socialisme: la dĂ©mocratie et le capitalisme mais elle a Ă©tĂ© en fond l'avĂšnement politique de la classe bourgeoise.Mais en quoi l'Ă©tude de Jean JaurĂšs est une histoire socialiste?L'homme doit travailler pour vivre, il doit transformer la nature et c'est son rapport Ă  la transformation de la nature qui va ĂȘtre l'Ă©quation primordiale et le prisme par lequel l'humanitĂ© doit ĂȘtre Ă©tudiĂ©e. De cette exploitation de la nature va naĂźtre une sociĂ©tĂ© dans laquelle va Ă©merger des rapports sociaux dictĂ©s par la coexistence de plusieurs classes sociales: les forces productives. Ce nouveau systĂšme ne peut s'Ă©panouir qu'en renversant les structures politiques qui l'en empĂȘchent.La rĂ©volution française est nĂ©e des contradictions entre l'Ă©volution des forces productives "la bourgeoisie" et des structures politiques hĂ©ritĂ©es de la noblesse fĂ©odale.Il ne faut pas se mĂ©prendre "L'histoire socialiste" n'est pas une lecture orientĂ©e politiquement mais peut ĂȘtre aperçu comme une interprĂ©tation Ă©conomique de l'histoire. Il s'agit d'un ouvrage complexe. L'histoire du socialisme demande du temps et de la concentration mais c'est une lecture primordiale et passionnĂ©e de la RĂ©volution française.L'Histoire socialiste de 1789-1900 sous la direction de Jean JaurĂšs se compose de 12 tomes, Ă  savoir: Tome 1: Introduction, La Constituante (1789-1791)Tome 2: La LĂ©gislative (1791-1792)Tome 3: La Convention I (1792)Tome 4: La Convention II (1793-1794)Tome 5: Thermidor et Directoire (1794)Tome 6: Consulat et Empire (1799-1815)Tome 7: La Restauration (1815-1830)Tome 8: Le rĂšgne de Louis Philippe (1830-1848)Tome 9: La RĂ©publique de 1848 (1848-1852)Tome 10: Le Second Empire (1852-1870)Tome 11: La Guerre franco-allemande (1870-1871), La Commune (1871)Tome 12: La TroisiĂšme RĂ©publique (1871-1900), La Conclusion: le Bilan social du XIXe siĂšcle.

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Informations

Éditeur
Books on Demand
Année
2020
Imprimer l'ISBN
9782322260188
ISBN de l'eBook
9782322216154
Édition
1

Chapitre XXXII

Le ministĂšre Waldeck Rousseau et les travailleurs. — La grĂšve de Saint-Étienne. — Interventions socialistes. — M. Millerand Ă  Saint-MandĂ©. — Le travail des femmes et des enfants. — Inauguration de l’Exposition internationale. — Les Ă©lections municipales Ă  Paris. — Les Ă©vĂ©nements de ChĂąlon-sur-SaĂŽne. — La guerre en Chine. — Le CongrĂšs international socialiste. — Les lois ouvriĂšres et le Parlement. — L’affaire Dreyfus.
Voici l’annĂ©e 1900, la derniĂšre d’un siĂšcle tourmentĂ©, fĂ©cond entre tous ceux qui marquent rĂ©volution de notre pays, l’histoire du monde. NĂ© en pleine Ă©popĂ©e guerriĂšre, parmi une griserie de gloire meurtriĂšre, stĂ©rile, aprĂšs la formidable secousse de la RĂ©volution, il caractĂ©rise d’une empreinte grandiose, indĂ©lĂ©bile, le rĂŽle de notre pays dans l’Ɠuvre de collaboration gĂ©nĂ©rale au dĂ©veloppement, aux progrĂšs de l’esprit humain. Ce rĂŽle est indĂ©niable : chaque mouvement rĂ©volutionnaire qui s’y produit a sa rĂ©percussion dans toute l’Europe dont les trĂŽnes se trouvent Ă©branlĂ©s et les peuples Ă©mus. La bourgeoisie française, en parachevant ses conquĂȘtes politiques avec l’aide du prolĂ©tariat qu’elle utilise pour cette entreprise, comme elle l’emploie, dans le domaine du travail, Ă  dĂ©velopper et Ă  asseoir sa puissance Ă©conomique, entraĂźne Ă  suivre son exemple la bourgeoisie des autres pays. Mais, Ă  pousser l’élĂ©ment populaire aux luttes rĂ©volutionnaires qu’elle juge utiles Ă  ses intĂ©rĂȘts et qu’elle canalise Ă  son profit exclusif, elle lui apprend, bien malgrĂ© elle, Ă  combattre pour lui-mĂȘme. L’apprentissage de ce rĂŽle du prolĂ©tariat est lent, difficile, douloureux. Toujours groupĂ© et guidĂ© par d’autres, il lui faut s’accoutumer Ă  se grouper de lui-mĂȘme pour lui-mĂȘme et Ă  se guider de lui-mĂȘme.
Le siĂšcle finissant le trouve engagĂ© dans cette voie, en minoritĂ© encore il est vrai, mais en minoritĂ© qui compte dans l’orientation politique du pays, dans son fonctionnement Ă©conomique et, Ă  la rapiditĂ© de son accroissement on peut dĂ©jĂ  prĂ©voir que le jour se rapproche oĂč la classe dirigeante sera obligĂ©e de compter avec lui. D’autant plus que les militants ont abandonnĂ© les allures, le langage du socialisme romantique et purement sentimental ; qu’ils ont Ă©tudiĂ©, vu les rĂ©alitĂ©s de prĂšs et adoptĂ© le programme qui lentement s’est dĂ©gagĂ© et est devenu le programme du prolĂ©tariat socialiste universel ; il ne reste de divergences que dans le domaine de la tactique, cette derniĂšre Ă©tant subordonnĂ©e aux traditions, au tempĂ©rament, aux conditions politiques de chaque collectivitĂ© humaine.
L’annĂ©e 1900, ainsi que nous le verrons par la suite, restera une annĂ©e mĂ©morable dans l’histoire du socialisme français et du socialisme international.
Ce n’est que dans les premiers jours de janvier que la Haute-Cour avait liquidĂ©, dans les conditions prĂ©cĂ©demment indiquĂ©es, le procĂšs qu’elle avait eu Ă  juger ; les polĂ©miques, loin de dĂ©sarmer, restaient toujours d’une rare violence. La « cause nationaliste » paraissait perdue en France ; Ă  Paris il n’en allait pas de mĂȘme, en raison surtout des hĂ©sitations de nombreux rĂ©publicains qui, de crainte de froisser leurs Ă©lecteurs, le renouvellement du Conseil municipal devant s’effectuer en mai, n’osaient pas Ă©mettre une opinion ferme sur l’affaire Dreyfus, toujours pendante. Toutefois, les manifestations s’étaient apaisĂ©es, la rue Ă©tait calme et c’était lĂ  un point essentiel.
Le cabinet Waldeck-Rousseau allait subir sa premiĂšre Ă©preuve, importante en raison de sa constitution, de la prĂ©sence d’un socialiste au ministĂšre du Commerce. Dans la seconde quinzaine du mois de dĂ©cembre, une grĂšve se dĂ©clarait Ă  Saint-Étienne parmi les tisseurs rĂ©clamant des conditions moins dures quant au travail et aux salaires. Tout d’abord, il fut permis aux grĂ©vistes de se rĂ©unir, puis de former des cortĂšges dans les rues et sur les places publiques ; mais cette attitude tolĂ©rante des pouvoirs publics ne devait pas durer. Sur les rĂ©clamations et les excitations de la presse modĂ©rĂ©e ou conservatrice, le 26 dĂ©cembre, le Gouvernement avait cru devoir donner l’ordre de rĂ©primer des manifestations que, jusqu’alors, il n’avait pas considĂ©rĂ©es comme dangereuses. Ainsi qu’il Ă©tait Ă  prĂ©voir, cette brusque transition aggravĂ©e par l’attitude de la police dĂ©chaĂźna des colĂšres parmi les grĂ©vistes dont s’étaient rendus solidaires de nombreux ouvriers. L’arrivĂ©e de la troupe, l’intervention des dragons porta Ă  son comble l’exaspĂ©ration ; les manifestations pacifiques d’abord dĂ©gĂ©nĂ©rĂšrent en manifestations fatalement tumultueuses ; le 4 janvier, des rixes violentes se produisirent entre la police, la cavalerie et les grĂ©vistes, sur la place Marengo et aux abords. Si, heureusement, personne ne fut tuĂ©, les blessĂ©s, plus ou moins griĂšvement, furent nombreux. L’« ordre » rĂ©gna, une fois de plus ; mais ce fut comme un premier nuage entre le ministĂšre et le parti socialiste, il ne devait pas ĂȘtre le dernier.
La situation politique, du reste, Ă©tait fort paradoxale, pleine de contradictions, et, Ă  l’évoquer, on se demande comment le Cabinet put y rĂ©sister aussi longtemps. Le Parlement en faisant au nouveau ministĂšre un accueil en apparence favorable, n’était pas sans inquiĂ©tude sur sa composition ; la prĂ©sence de M. Millerand qui avait dĂ©veloppĂ© le programme « collectiviste » de Saint-MandĂ©, excitait ses dĂ©fiances, tout en lui procurant la satisfaction de voir son arrivĂ©e au Gouvernement devenir un sujet de discorde entre socialistes ; mais il envisageait surtout la nĂ©cessitĂ© de lutter contre la faction nationaliste et il laissait au ministĂšre le soin d’en accepter les lourdes responsabilitĂ©s. La Chambre se rĂ©servait de marquer son orientation en matiĂšre sociale et elle le fit en Ă©lisant, une fois de plus, contre M. Brisson, M. Paul Deschanel comme prĂ©sident de la Chambre. C’était surtout l’homme politique qui avait prononcĂ© de vastes discours contre le socialisme collectiviste qu’elle dĂ©signait, pour marquer son sentiment dominant en matiĂšre sociale. Au SĂ©nat, M. FalliĂšres Ă©tait réélu prĂ©sident.
La premiĂšre question importante qui se prĂ©senta au Palais-Bourbon, fut une double interpellation sur les grĂšves qui s’étaient produites au cours de l’intersession ; celles de Saint-Étienne et celles du Doubs. Ce fut un membre du parti socialiste, Dejeante, qui dĂ©veloppa l’interpellation relative aux grĂšves du Doubs dans lesquelles la troupe Ă©tait intervenue. La responsabilitĂ© de cette intervention il ne la faisait pas remonter au gouvernement mais Ă  l’administration prĂ©fectorale qu’il accusa, documents en mains, de s’ĂȘtre montrĂ©e d’une partialitĂ© Ă©vidente en faveur des patrons, en logeant les soldats dans les locaux patronaux. Sous cette pression militaire, compliquĂ©e de la pression administrative et judiciaire — des condamnations avaient Ă©tĂ© prononcĂ©es contre certains grĂ©vistes — les travailleurs avaient dĂ» cĂ©der, reprendre leur travail, sans avoir obtenu la moindre satisfaction. En termes trĂšs Ă©nergiques, l’orateur socialiste, aprĂšs avoir protestĂ© contre la neutralitĂ© violĂ©e, s’éleva contre les mesures d’intimidation prises au mĂ©pris de toute Ă©quitĂ© et il manifesta la vive surprise que pouvaient provoquer de tels actes de la part d’un gouvernement qui comptait dans ses rangs un ministre recrutĂ© dans les rangs socialistes.
L’interpellation sur la grĂšve et les « troubles » de Saint-Étienne fut dĂ©veloppĂ©e par M. Victor Gay qui s’attacha plus particuliĂšrement Ă  mettre en cause M. Millerand, l’accusant d’avoir frĂ©quemment agi « seul », sans consultĂ© ses collĂšgues du Cabinet. Il manifesta le vif regret de ce que le Gouvernement, aprĂšs avoir tolĂ©rĂ© les rĂ©unions, les cortĂšges, les chants des grĂ©vistes sur la voie publique, les eut brusquement interdits. Cette attitude avait Ă©tĂ© la cause la plus certaine des troubles graves qui s’étaient produits. Au demeurant, M. Gay rendait le Cabinet responsable d’une situation au cours de laquelle l’ordre avait Ă©tĂ© profondĂ©ment troublĂ©, la libertĂ© des travailleurs ouvertement violĂ©e, et du grand prĂ©judice causĂ©, affirmait-il, Ă  l’industrie, non-seulement de Saint-Étienne, mais encore dans les dĂ©partements voisins.
M. Millerand, ministre du Commerce, rĂ©pondit, rĂ©futant les accusations portĂ©es contre lui et affirmant que jamais il n’avait agi sans en avoir avisĂ© ses collĂšgues. C’était, en rĂ©alitĂ©, au prĂ©sident du Conseil, ministre de l’IntĂ©rieur, que s’adressait l’interpellation et il y rĂ©pondit en un discours au cours duquel, tout en Ă©tudiant les Ă©vĂ©nements de Saint-Étienne, il exposa l’attitude que comptait prendre le Gouvernement en matiĂšre de grĂšve. Cette attitude serait « ferme et prĂ©voyante », la neutralitĂ© la plus stricte s’imposait, puisque le droit de grĂšve est un droit lĂ©gal, mais cette neutralitĂ© ne pouvait aller jusqu’à laisser porter atteinte Ă  « la libertĂ© du travail ». Quant au rĂŽle de la troupe, il ne pouvait commencer que quand la tranquillitĂ© publique Ă©tait menacĂ©e par un des deux partis en conflit. Était-il possible au ministre de l’IntĂ©rieur d’exercer, mĂȘme indirectement, une pression matĂ©rielle ou morale sur des travailleurs rĂ©clamant contre un abaissement plus que sensible des salaires ? C’était lĂ  la cause principale de la grĂšve des tisseurs de Saint-Étienne, puisque le prix d’une piĂšce Ă©tait descendu de 6 et 7 francs Ă  2 francs et mĂȘme Ă  1 fr.
25. Cette neutralitĂ© il ne l’avait abandonnĂ©e que le jour oĂč il lui avait semblĂ© nĂ©cessaire, urgent, de prendre de sĂ©rieuses mesures de prĂ©caution. Il dĂ©clara du reste, que ce que l’on appelait l’émeute du 4 janvier « avait Ă©tĂ© exagĂ©rĂ©e Ă  plaisir » et que « l’ordre matĂ©riel n’avait jamais Ă©tĂ© sĂ©rieusement troublĂ© ».
Le prĂ©sident du Conseil prononça un vif Ă©loge des syndicats considĂ©rĂ©s comme rĂ©gulateurs de la vie et des revendications des travailleurs ; il se fĂ©licita d’avoir pu mettre un terme au diffĂ©rend qui, un instant, avait dĂ©suni patrons et ouvriers. Le dĂ©putĂ© socialiste Dejeante avait dĂ©posĂ© un ordre du jour exprimant le regret « de l’intervention de l’armĂ©e dans les grĂšves » ; il ne put grouper que 101 voix, et un ordre du jour de confiance en le Cabinet fut adoptĂ© par 384 voix contre 74.
Parmi les plus graves reproches adressĂ©s par M. Victor Gay au ministre du Commerce, figurait celui d’avoir donnĂ© Ă  des ouvriers plaidant contre les patrons, de vĂ©ritables consultations sur la loi relative aux accidents de travail et sur l’interprĂ©tation qui pouvait lui ĂȘtre donnĂ©e. Grand crime, en effet, que de donner des avis Ă  des travailleurs, en pareille matiĂšre !
Nous ne citerons que pour mĂ©moire la scandaleuse discussion qui se dĂ©roula Ă  la Chambre Ă  propos du procĂšs intentĂ© aux Assomptionnistes et, plus particuliĂšrement, de l’attitude de M. Bulot, procureur de la RĂ©publique, qui, au cours de son rĂ©quisitoire, avait donnĂ© lecture de lettres saisies dans lesquelles les « pĂšres » se rĂ©jouissaient de l’élection de certains dĂ©putĂ©s. M. Motte, le puissant industriel qui, grĂące Ă  l’appui d’une formidable coalition dans laquelle les conservateurs figuraient au premier plan, avait remplacĂ© Jules Guesde comme dĂ©putĂ© du Nord, avait adressĂ© une question, transformĂ©e en interpellation par M. Gourd. Sur la demande du Gouvernement, la Chambre avait ajournĂ© l’interpellation ; mais les Assomptionnistes, sur ces entrefaites, avaient Ă©tĂ© condamnĂ©s Ă  des peines trĂšs lĂ©gĂšres et dissous et il s’en Ă©tait suivi de vĂ©ritables manifestations de la part de membres de l’épiscopat français, de l’archevĂȘque de Paris et autres dignitaires de province. BlĂąme, suppression de traitements avaient Ă©tĂ© la rĂ©ponse du Gouvernement, et les attaques de la presse clĂ©ricale, de la presse progressiste, en avaient pris une rare acuitĂ©.
Quelques jours aprĂšs avait lieu le renouvellement triennal du SĂ©nat : il fut marquĂ©, dans le dĂ©partement de la Seine, par l’échec de M. A. Ranc qui avait menĂ©, dĂšs la premiĂšre heure, une ardente campagne en faveur du capitaine Dreyfus. Par contre, dans la Loire-InfĂ©rieure, le gĂ©nĂ©ral Mercier fut Ă©lu sĂ©nateur ; — il est ainsi des collĂšges Ă©lectoraux qui ne sont vraiment pas difficiles dans le choix de leurs reprĂ©sentants !
Le budget de l’exercice 1900 n’ayant pu ĂȘtre votĂ© en temps prescrit, on vivait sous le rĂ©gime des douziĂšmes provisoires — les contribuables n’en sentaient leurs charges ni alourdies, ni allĂ©gĂ©es — on en reprit la discussion et le budget de la guerre donna au dĂ©putĂ© socialiste Sembat l’occasion d’un discours sur une sĂ©rie de graves abus relevĂ©s dans l’administration de l’armĂ©e. Dans un langage Ă©loquent, Ă  l’aide de documents prĂ©cis, il dressa un Ă©mouvant rĂ©quisitoire contre les compagnies de discipline et les bataillons d’Afrique ; puis il dĂ©nonça les tares constatĂ©es dans la gestion militaire. Ce discours fut le point de dĂ©part d’une discussion qui, sans la souplesse du prĂ©sident du Conseil, aurait pu ĂȘtre funeste au cabinet, car une polĂ©mique acerbe, virulente, s’éleva entre M. Camille Pelletan, rapporteur de ce budget spĂ©cial et le gĂ©nĂ©ral Galliffet, ministre de la guerre. C’était la menace d’une irrĂ©parable rupture entre le gouvernement et l’extrĂȘme-gauche. A M. Camille Pelletan qui avait tracĂ© un tableau assez sombre du rĂŽle jouĂ© dans l’armĂ©e par les cadres supĂ©rieurs transformĂ©s en une « aristocratie de plus en plus fermĂ©e », le gĂ©nĂ©ral de Galliffet avait brutalement ripostĂ© par un discours sans mesure, au cours duquel il avait dit : « Le discours et le rapport de M. Pelletan, auront produit un effet que n’aura certainement pas voulu M. le Rapporteur du budget de la guerre. Ils auront semĂ© l’inquiĂ©tude dans le pays, l’indiscipline dans l’armĂ©e et causĂ© la joie de nos ennemis ».
La droite et le centre avaient fort applaudi le ministre de la Guerre et la situation ministĂ©rielle devenait pĂ©rilleuse, d’autant que les socialistes, Ă  l’appui de la thĂšse soutenue par M. Pelletan, avaient dĂ©posĂ© une demande d’enquĂȘte parlementaire. Le prĂ©sident du Conseil intervint avec une grande habiletĂ©, mĂ©nageant Ă  la fois les susceptibilitĂ©s du rapporteur et du ministre de la Guerre. La demande d’enquĂȘte soutenue par les socialistes fut repoussĂ©e par 440 voix contre 58. Le gĂ©nĂ©ral de Galliffet devenait l’enfant terrible du Cabinet ; c’était lĂ  un prisonnier dĂ©cidĂ© Ă  ne pas « lĂącher » ceux qui croyaient l’avoir capturĂ©.
Des discussions passionnĂ©es se produisirent encore au sujet de l’armĂ©e, Ă  tous moments mise Ă  l’ordre du jour, soit dans le Parlement, soit dans la presse, et l’on sentait bien que chaque parti dĂ©ployait envers elle un zĂšle rare, afin de l’attirer dans son jeu.
Dans le courant de fĂ©vrier, Ă  Saint-MandĂ©, avait lieu le banquet des Associations ouvriĂšres de production qui, quelques mois auparavant, avaient si puissamment collaborĂ© Ă  l’érection de la statue de Fourier, un des prĂ©curseurs les plus puissants du socialisme contemporain. Dans cette salle, au lendemain des Ă©lections municipales de 1896, M. Millerand avait prononcĂ© le discours dans lequel il traçait le programme socialiste ; il s’y retrouvait, cette fois, avec le prĂ©sident du Conseil, et comme ministre.
Tous deux avaient des idĂ©es bien diffĂ©rentes en matiĂšre Ă©conomique et sociale. Il leur Ă©tait impossible de se confiner sur le terrain politique et de ne parler que de la concentration nĂ©cessaire des forces rĂ©publicaines dans une assemblĂ©e surtout prĂ©occupĂ©e de questions Ă©conomiques ; leur accord parut d’autant plus complet que leurs dĂ©saccords doctrinaux avait paru devoir ĂȘtre plus profonds ; la politique a de ces mystĂšres. M. Waldeck-Rousseau accentua un brin ses idĂ©es et M. Millerand attĂ©nua les siennes : toutefois, le prĂ©sident du Conseil aprĂšs avoir tracĂ© la tĂąche incombant aux syndicats ouvriers, aprĂšs avoir indiquĂ© que les associations professionnelles devenaient en situation de possĂ©der, dĂ©veloppa cette pensĂ©e, que, dans un avenir non Ă©loignĂ©, « le travail demanderait sa rĂ©munĂ©ration de moins en moins au salaire proprement dit, de plus en plus Ă  une perception directe des bĂ©nĂ©fices de ses produits ». A son avis, le jour viendrait « oĂč le capital ne se suffisant plus Ă  lui-mĂȘme, il faudrait qu’il travaille, comme il faudrait que le travail possĂšde ».
Quant Ă  M. Millerand, il ne fallait pas s’attendre Ă  ce qu’il rééditĂąt le discours dont le retentissement avait Ă©tĂ© si grand ; nĂ©anmoins, il dĂ©clara aux travailleurs, qui l’écoutaient, que c’était Ă  eux seuls qu’il appartenait de rĂ©aliser leur idĂ©al et il paraphrasa, ou pour mieux dire, il commenta dans les termes suivants la formule socialiste : « L’émancipation des travailleurs sera l’Ɠuvre des travailleurs eux-mĂȘmes ». Cette formule « il faut l’entendre, dĂ©clara-t-il, non pas dans le sens Ă©troit et ridicule qui conduirait — et par quels procĂ©dĂ©s ? — Ă  diviser la nation en je ne sais quelles catĂ©gories, mais dans ce sens large, Ă©levĂ© et fervent que c’est l’homme qui se fait Ă  lui-mĂȘme sa destinĂ©e ; que le temps des miracles est passĂ©, et que c’est Ă  la fois la charge et l’honneur des travailleurs, par leurs efforts incessants, par leur Ă©ducation constante, de s’élever, de s’émanciper, de conquĂ©rir le bonheur qui est devant eux et qu’ils prendront eux-mĂȘmes dans leurs mains ».
C’était lĂ  un commentaire de « concentration politique ». Il ne pouvait avoir qu’une portĂ©e temporaire et secondaire. Il fut ainsi considĂ©rĂ© par les socialistes qui, sans abdiquer leurs convictions, dans un intĂ©rĂȘt de dĂ©fense rĂ©publicaine, donnaient leur appui au ministĂšre Waldeck-Rousseau.
Des Ă©lections complĂ©mentaires dans l’Aube et dans l’IsĂšre marquĂšrent de sensibles progrĂšs pour le parti socialiste. Mans la 2e circonscription de Troyes, le citoyen Pedron, un des plus fidĂšles amis de Jules Guesde, obtenait 3.795 voix alors qu’en 1898 le candidat socialiste n’en avait obtenu que 1.606 et dans la 2e circonscription de l’arrondissement de la Tour-du-Pin, le candidat socialiste en gagnait prĂšs de 1.300 depuis la mĂȘme Ă©poque oĂč le parti n’en avait obtenu que 343.
La discussion du budget s’accusait de plus en plus lente et le vote d’un quatriĂšme douziĂšme provisoire allait s’imposer, tant les incidents se greffaient sur une foule de points, l’opposition faisant flĂšche de tout bois pour battre en brĂšche le gouvernement plus particuliĂšrement chargĂ© d’une mission de dĂ©fense rĂ©publicaine. L’initiative des dĂ©putĂ©s en matiĂšre de finances avait provoquĂ© un amendement de M. Berthelot, dĂ©putĂ© de Paris, tendant Ă  leur enlever ce droit et, sauf de lĂ©gĂšres modifications, cet amendement Ă  la loi de finances avait Ă©tĂ© adoptĂ©, grĂące Ă  l’appui donnĂ© par MM. Jules Roche et Ribot. Cette rĂ©solution fort discutable n’a pas, du reste, empĂȘchĂ© les dĂ©penses de se dĂ©velopper, surtout celles qui figurent parmi les moins utiles.
Une trĂšs vive discussion se dĂ©roula le 23 mars Ă  propos d’une interpellation adressĂ©e par un membre de la droite, M. d’Aulan, sur les promotions rĂ©cemment faites dans la LĂ©gion d’honneur. M. d’Aulan visait le ministre du commerce au sujet de deux dĂ©corations dont l’une accordĂ©e Ă  un grand couturier, M. Paquin, qui ne remplissait pas les conditions requises au point de vue industriel et commercial et qui avait, en outre, Ă©tĂ© frappĂ© de nombreuses contraventions pour violation flagrante des lois du travail. Les explications du ministre firent peu d’impression sur la Chambre et il lui fallut se contenter du vote de l’ordre du jour pur et simple. Les socialistes, qui d’ordinaire, soutenaient le nouveau gouvernement s’abstinrent et le dĂ©putĂ© socialiste de l’IsĂšre, ZĂ©vaĂšs, pour affirmer la protestation des irrĂ©ductibles du parti, dĂ©posa une proposition rĂ©servant « aux actes de bravoure et de dĂ©vouement accomplis en prĂ©sence de l’ennemi » la dĂ©coration de la LĂ©gion d’honneur. En janvier 1895, lors de la discussion du budget de la LĂ©gion d’honneur, JaurĂšs, Millerand et Guesde avaient dĂ©posĂ© un amendement de tous points identique. L’urgence, Ă  laquelle ne s’opposa pas le gouvernement, fut adoptĂ©e et la proposition renvoyĂ©e Ă  une Commission spĂ©ciale
 elle n’en est jamais revenue !
Des incidents graves et douloureux s’étaient produits Ă  la Martinique dans le courant du mois de fĂ©vrier, au cours d’une grĂšve d’ouvriers agricoles rĂ©clamant contre un abaissement notable des salaires. Un drame poignant s’était dĂ©roulĂ© Ă  l’usine du François oĂč un lieutenant, envoyĂ© avec un dĂ©tachement de vingt-cinq hommes, avait fait exĂ©cuter des feux de salve sur les grĂ©vistes dont plusieurs avaient Ă©tĂ© tuĂ©s ou blessĂ©s. Ce tragique Ă©vĂ©nement avait provoquĂ© une vive Ă©motion et une interpellation avait Ă©tĂ© adressĂ©e au ministre des Colonies. AprĂšs MM. Duquesnay et Gerville-RĂ©ache, dĂ©putĂ©s des Antilles, FourniĂšre, dĂ©putĂ© soci...

Table des matiĂšres

  1. Source
  2. Histoire socialiste de la France contemporaine
  3. Tome XII
  4. La TroisiÚme République 1871-1900
  5. Sommaire
  6. Introduction
  7. Chapitre premier
  8. Chapitre II
  9. Chapitre III
  10. Chapitre IV
  11. Chapitre V
  12. Chapitre VI
  13. Chapitre VII
  14. Chapitre VIII
  15. Chapitre IX
  16. Chapitre X
  17. Chapitre XI
  18. Chapitre XII
  19. Chapitre XIII
  20. Chapitre XIV
  21. Chapitre XIV bis
  22. Chapitre XV
  23. Chapitre XVI
  24. Chapitre XVII
  25. Chapitre XVIII
  26. Chapitre XIX
  27. Chapitre XX
  28. Chapitre XXI
  29. Chapitre XXII
  30. Chapitre XXIII
  31. Chapitre XXIV
  32. Chapitre XXV
  33. Chapitre XXVI
  34. Chapitre XXVII
  35. Chapitre XXVIII
  36. Chapitre XXIX
  37. Chapitre XXX
  38. Chapitre XXXI
  39. Chapitre XXXII
  40. La Conclusion Le Bilan Social du XIXĂšme siĂšcle
  41. Page de copyright