LES POMMIERS16
(AFALLENAU)
1
Doux pommier aux branches charmantes,
Poussant de toutes parts tes boutons et tes bourgeons vigoureux,
Je prédirai, en présence du maître de Machreu17,
Que dans la vallée de Machway, mercredi, il y aura du sang
Et de la joie pour les Loëgriens18, dont les lames seront rouges de sang.
Mais écoute, petit pourceau19 ! le jeudi, il viendra
De la joie pour les Kymrys20 et leurs puissants bataillons,
Occupés à défendre Kymminawd à grands coups de sabre ;
Des Saxons, il sera fait un massacre avec les lances de frêne,
De leurs têtes on se servira pour jouer aux boules.
Je prédis la vérité sans déguisement,
Je prédis l’élévation d’un enfant caché aujourd’hui dans une contrée du sud21.
2
Doux pommier, arbre vert à la croissance opulente,
Que tes branches sont vastes ! que ta forme est belle !
Oui, je prédis une bataille qui me fera crier
Dans Pengwern22, au milieu d’une fête royale : Il faut ici de l’hydromel !
Une bataille où, autour de Kymminawd, sera fait un abattis mortel
Par le chef d’Eryri, sans que notre haine soit apaisée.
3
Doux pommier, arbre aux teintes jaunes,
Tu croîs à Talarz sans être protégé par l’enceinte d’un jardin.
Et moi je prédirai une bataille en Bretagne
Pour défendre nos frontières contre les hommes de Dublin23.
Sept navires viendront par le grand lac
Et sept cents par la mer, pour nous soumettre,
Et de ceux qui viennent pas un ne retournera vers Kennyn,
Sauf sept à demi-vides, conformément à la prédiction.
4
Doux pommier, que ta croissance est opulente !
J’avais coutume de prendre ma nourriture à tes pieds pour plaire à une belle fille,
Alors que, mon bouclier sur l’épaule, mon glaive sur la cuisse,
Je dormais seul dans la forêt de Kelyddon24.
Écoute, petit pourceau ! Attache-toi à la raison,
Prête l’oreille aux oiseaux dont le chant est agréable.
À travers la mer les souverains viendront lundi ;
Les Kymrys seront bénis, par suite de cette résolution.
5
Doux pommier qui croîs dans la clairière,
Les seigneurs de la cour de Ryderch25, à cause de leur violence, ne te verront pas,
Quoique le sol à tes pieds soit foulé et qu’il y ait des hommes autour de toi.
Terribles à leurs yeux sont les figures des héros.
Gwendyz26 ne m’aime plus, ne me salue plus.
Je suis odieux au plus fidèle serviteur de Ryderch,
Car j’ai ruiné son fils et sa fille.
La mort prend tout devant elle : que ne me rend-elle visite !
Après Gwendoleu27, aucun prince ne m’honore plus ;
Je n’ai plus aucun divertissement, aucune visite de ma belle.
Pourtant, à la bataille d’Arderyd28, je portais un collier d’or,
Et maintenant je suis méprisé par celle qui est blanche comme un cygne.
6
Doux pommier à la fleur délicate,
Qui croîs caché dans les bois,
Au point du jour on m’a fait ce conte,
Que le plus fidèle des serviteurs se fâche à mon sujet
Deux fois, trois fois, quatre fois le jour.
O Jésus, plût à Dieu que ma fin fût venue
Avant d’avoir sur ma main la mort du fils de Gwendyz !
7
Doux pommier qui croîs sur le bord du fleuve,
Par respect pour toi, ton gardien ne tirera pas de profit de tes fruits splendides.
Avant d’être privé de raison, je me promenais souvent autour de ta tige
Avec une charmante fille, modèle de grâce et de gaîté.
Mais pendant dix ans et quarante ans, joué par des hommes sans loi,
Je suis resté errant dans les ténèbres et parmi les spectres.
Après avoir joui de grandes richesses, entretenu moi-même des ménestrels,
Je suis resté là si longtemps que les spectres et les ténèbres ne peuvent plus m’abuser.
Je ne dormirai point, car je tremble pour mon chef,
Mon seigneur Gwendoleu, et pour les citoyens de mon pays29.
Après les peines et les longs ennuis que j’ai soufferts dans la forêt de Kelyddon,
Puissé-je devenir le serviteur béni du Roi au splendide cortège !
8
Doux pommier aux fleurs délicates,
Qui croîs dans un terrain couvert d’arbres,
La Sibylle m’a révélé d’avance ce qui va se passer :
Un sceptre d’or d’un grand prix, récompense de la bravoure,
Sera donné aux illustres chefs en face des dragons30.
Celui qui leur fera cette grâce vaincra l’impie.
Devant l’enfant, hardi comme le soleil en sa course,
Les Saxons seront extirpés et les bardes florissants.
9
Doux pommier, arbre aux teintes écarlates,
Qui croîs caché dans la forêt de Kelyddon,
On a beau chercher tes fruits, ce sera en vain
Jusqu’au jour où Cadwaladyr sortira de la conférence de Cadvaon
Avec l’aigle des rivières de Tywi et de Teivi31,
Où une cruelle angoisse viendra d’Aranwynion,
Et où seront enfin domptés les sauvages aux longs cheveux.
10
Doux pommier, arbre aux teintes écarlates,
Qui croîs caché dans la forêt de Kelyddon,
On a beau chercher tes fruits, ce sera en vain
Jusqu’au jour où Cadwaladyr sortira de la conférence de Rhyd-Reon
Et où Conan, venant à sa rencontre, marchera contre les Saxons.
Les Kymrys alors seront vainqueurs, glorieux sera leur chef ;
Les Bretons, reprenant leurs droits, se réjouiront ;
Leurs cornes sonneront des airs de fête, ils entonneront le chant de la paix et du bonheur.
IV
Il serait assurément difficile d’expliquer clairement toutes les circonstances, toutes les allusions contenues dans cette pièce : il est facile au contraire d’en pénétrer le sens général. Le barde l’indique nettement dès la première strophe :
« Des Saxons il sera fait un massacre… Je prédis la vérité sans déguisement : je prédis l’élévation d’un enfant caché aujourd’hui dans une contrée du Sud. »
Il l’indique de nouveau à la fin ...