
- 550 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
Ă propos de ce livre
Il ny a problÚmes plus insolubles que ceux qui nexistent pas. Serait-ce le cas du problÚme de laction, et le plus sûr moyen de le trancher, le seul, nest-il pas de le supprimer ? Est-ce que pour alléger les consciences et pour rendre à la vie sa grùce, sa légÚreté et sa gaieté, il ne serait pas bon de décharger les actes humains de leur sérieux incompréhensible et de leur mystérieuse réalité ?
Foire aux questions
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Informations
Sujet
Sciences socialesSujet
SociologieTROISIEME PARTIE
- LE PHENOMENE
DE LâACTION
ââââ
Comment on essaye de définir par la science seule
et de restreindre lâaction dans lâordre naturel
Il y a quelque chose. Cette donnĂ©e quâaccordent ceux mĂȘmes qui concĂšdent le moins, cet aveu de la naĂŻve expĂ©rience ne mâest point imposĂ© malgrĂ© moi : jâai voulu quâil y ait quelque chose 4. Tandis en effet quâon prĂ©tendait esquiver lâinquiĂ©tude du problĂšme moral, on posait ce problĂšme mĂȘme par un secret mouvement de la volontĂ©. Tandis quâon prĂ©tendait dĂ©couvrir dans le nĂ©ant une solution et une ressource certaines, on se mĂ©nageait une double issue. On a optĂ© pour ce quelque chose qui est immĂ©diatement senti, connu, dĂ©sirĂ© de tous, qui offre Ă lâactivitĂ© humaine un champ immense, que le progrĂšs mĂȘme des sciences positives ne permet plus guĂšre, semble-t-il, de nier ni de craindre ; on lâa fait, en esprit de dĂ©fiance contre lâautre alternative quâon sâĂ©tait suscitĂ©e, et dont lâinconnu a paru gros de troublantes superstitions. Je demeurerai fidĂšle Ă ce dessein ; et mâaidant de tous les moyens que les sens, la science et la conscience me fournissent, je construirai sur ce simple fondement tout ce quâil pourra porter.
Peut-ĂȘtre lâĂ©difice sera-t-il suffisant ; peut-ĂȘtre que, sans sortir du phĂ©nomĂšne et en le considĂ©rant comme tout ce qui est, jâaurai de mon action une idĂ©e complĂšte et du problĂšme de la vie une solution satisfaisante. Si lâhomme surgit tout entier de la nature, si ses actes ne sont que des systĂšmes de faits comme les autres, si le mouvement de sa volontĂ© est bornĂ© aux limites mĂȘmes de la science positive, ne sera-t-on pas en droit dâexorciser Ă jamais le fantĂŽme de lâĂȘtre cachĂ© ? Faire entrer dans le champ de la connaissance et de la puissance humaines tout ce qui nous semble dâabord le moins accessible (Ă©nergies de la nature, forces occultes, apparents miracles mĂȘme), fonder la vie individuelle ou sociale sur la Science seule, se suffire, câest bien lâambition de lâesprit moderne. Dans son dĂ©sir de conquĂȘte universelle, il veut que le phĂ©nomĂšne soit, et soit tel quâil le connaĂźt et quâil en dispose ; il admet que constater les faits et leur enchaĂźnement, câest les expliquer complĂštement ; il considĂšre comme Ă demi prouvĂ©e toute hypothĂšse qui lui permet dâĂ©viter lâintervention de ce quâon nommait la Cause PremiĂšre ; la crainte de la mĂ©taphysique nâest-elle pas le commencement de la sagesse ? il travaille Ă dĂ©terminer « la genĂšse » de lâhomme, lâorigine de la conscience et toute lâĂ©volution de lâactivitĂ© morale aussi rigoureusement que les mouvements astronomiques, parce quâĂ ses yeux le monde entier est un seul problĂšme et lâunique problĂšme, et parce que, semble-t-il, il y a unitĂ© et continuitĂ© dans la mĂ©thode scientifique.
La prĂ©tention est belle : est-elle justifiĂ©e, et la volontĂ© dĂ©clarĂ©e de borner et de contenter lâhomme dans lâordre naturel des faits quels quâils soient, est-elle dâaccord avec la volontĂ© plus profonde dâoĂč procĂšdent, on le verra, tout le mouvement de sa connaissance et toute son activitĂ© intellectuelle ? questions dĂ©cisives, quâil faut Ă©puiser coĂ»te que coĂ»te avant dâĂȘtre en droit de se prononcer avec une compĂ©tence scientifique sur la portĂ©e de lâaction et sur le sens de la destinĂ©e humaine. Mais si la difficultĂ© est grande, la mĂ©thode, pour la rĂ©soudre, sâoffre toute simple. Que lâon considĂšre donc, Ă partir de la premiĂšre donnĂ©e sensible, comment lâon sâefforce de confĂ©rer au phĂ©nomĂšne toute la consistance et toute la suffisance possibles, et comment, y Ă©chouant toujours, on sera peut-ĂȘtre entraĂźnĂ© sans fin plus loin, non quâon ne veut, mais quâon ne sâimaginait vouloir.
PREMIERE ĂTAPE
- DE LâINTUITION SENSIBLE
A LA SCIENCE SUBJECTIVE
Les conditions scientifiques et les sources inconscientes de lâaction
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CHAPITRE I - LâINCONSISTANCE DE LA SENSATION ET LâACTIVITĂ SCIENTIFIQUE
Lâintuition sensible paraĂźt toute claire et cohĂ©rente, dâune simplicitĂ© absolue ; pourquoi donc ne sâen est-on pas tenu Ă cette premiĂšre donnĂ©e de la vie, Ă ce rudiment dâune connaissance qui semble parfaite dĂšs lâabord, et quây a-t-il de naturel, quây a-t-il de nĂ©cessaire dans le besoin scientifique ? Ă quelle secrĂšte ambition rĂ©pond ce dĂ©sir renaissant de recherches, et par quelles satisfactions provisoires semble-t-on lâendormir ?
I
A premiĂšre vue, lâimpression sensible est, pour chacun, tout ce quâelle peut ĂȘtre, seul point sur lequel on ne puisse jamais discuter parce quâon ne communique jamais la rĂ©alitĂ© mĂȘme de ce quâon sent. La qualitĂ© de la sensation que jâĂ©prouve est unique en son genre, dâespĂšce incomparable, sans analogie ; et ce qui est propre Ă cette intuition ne saurait ĂȘtre ni analysĂ©, ni mesurĂ©, ni dĂ©crit : des goĂ»ts mĂȘmes et des couleurs on ne dispute pas. Dans cet ordre de la qualitĂ© pure, il nây a rien que dâhĂ©tĂ©rogĂšne. Je suis ce que je sens, au moment oĂč je le sens.
Mais pour que je le sente, ne faut-il pas que dans la sensation mĂȘme il y ait autre chose quâelle ? La qualitĂ© sensible nâest pas la seule donnĂ©e immĂ©diate de lâintuition ; si elle lâĂ©tait, elle sâĂ©vanouirait, parce que discontinue, suffisante, incomparable, toujours parfaite et toujours disparue, elle ne serait jamais quâun rĂȘve sans souvenir, sans passĂ©, ni prĂ©sent, ni futur. Comment nâen est-il pas ainsi ? câest que du moment oĂč la sensation paraĂźt, elle recĂšle une incohĂ©rence et comme une antinomie interne : car elle nâest quâautant quâelle est sentie ; et elle nâest sentie quâautant quâelle est reprĂ©sentĂ©e en mĂȘme temps que prĂ©sente, imaginĂ©e en mĂȘme temps quâĂ©prouvĂ©e ; de sorte quâen elle sont nĂ©cessairement enfermĂ©es ces deux affirmations dâapparence inconciliable : « je suis ce que je sens, je sens ce qui est ». DualitĂ© antĂ©rieure mĂȘme aux lois qui gouvernent la succession et les contrastes des Ă©tats de conscience et oĂč pourtant lâon a prĂ©tendu dĂ©couvrir la forme primitive de toute intuition ; car mĂȘme Ă supposer que les sensations ne soient perçues que par « discrimination », encore faut-il que dans chacun des Ă©tats contrastants il y ait de quoi le rendre possible. Il sâagit donc ici de ce qui, dans le phĂ©nomĂšne sensible, fait que câest un phĂ©nomĂšne, en mĂȘme temps quâil est sensible : or entre ces deux termes, il y a une fonciĂšre opposition quâon nâa point assez remarquĂ©e quoiquâelle soit le point de dĂ©part de toute investigation scientifique ou philosophique.
Quâon rĂ©flĂ©chisse en effet Ă cette Ă©trange et universelle curiositĂ© : dans ce quâon voit et ce quâon entend, Ă lâinstant mĂȘme oĂč lâon se persuade que lâimpression sentie est lâabsolue et complĂšte rĂ©alitĂ©, on cherche autre chose que ce quâon entend et ce quâon voit. Pascal enfant veut saisir le son quâil a perçu comme si le son Ă©tait Ă la fois autre et tel quâil le perçoit. A notre insu tous invinciblement nous en sommes lĂ . Je nâai de sensation quâĂ cette double condition : câest que dâune part ce que jâĂ©prouve soit tout mien, câest que dâautre part ce que jâĂ©prouve me paraisse tout extĂ©rieur Ă moi et Ă©tranger Ă mon action propre. Nâest-ce point la croyance et le vĆu populaire ? on sâimagine que le visible nâest rien de plus que ce qui est vu, comme si la sensation Ă©tait en effet la mesure de toutes choses, et on demeure convaincu que ce qui est vu est la chose mĂȘme, comme si la sensation nâĂ©tait rien et lâobjet tout. InconsĂ©quence constante qui se marque aux plus menus dĂ©tails de la vie. Ne sommes-nous pas Ă©galement portĂ©s, et presque au mĂȘme moment, Ă vouloir que tous sentent comme nous, pĂ©nĂ©trĂ©s que nous sommes de lâuniverselle vĂ©ritĂ© de nos goĂ»ts, et Ă vouloir ĂȘtre seuls Ă sentir, Ă jouir, Ă souffrir comme nous le faisons, avec la persuasion que dâautres en seraient incapables ou indignes ? Et quand la rĂ©flexion critique sâattache Ă dĂ©montrer que les donnĂ©es immĂ©diates et les formes nĂ©cessaires de la sensibilitĂ© ne peuvent avoir hors de nous une subsistance propre, sans doute elle Ă©tablit justement que la perception humaine ne saurait ĂȘtre indĂ©pendante de lâhomme, mais elle nâĂ©chappe pas entiĂšrement Ă la croyance quâelle prĂ©tend combattre ; car elle ne sâinsurge contre ce quâelle nomme lâillusion mĂ©taphysique quâĂ la condition dâestimer que derriĂšre la donnĂ©e sensible il y a un donnĂ© diffĂ©rent dâelle, quel quâil soit.
Et ce nâest pas dâune simple dualitĂ© logique quâil sâagit ici ; non, câest dâune rĂ©elle incohĂ©rence et dâune instabilitĂ© de fait. Au principe mĂȘme de lâintuition la plus Ă©lĂ©mentaire, il y a comme une rupture dâĂ©quilibre qui ne nous permet pas de nous y tenir, parce que cette intuition nous ne lâavons Ă vrai dire quâen la dĂ©passant dĂ©jĂ et en affirmant implicitement quâelle est en quelque sorte plus quâelle nâest ; car, pour quâelle soit, il faut que nous lui prĂȘtions une consistance quâelle nâa point sans nous, et elle ne commence Ă ĂȘtre elle-mĂȘme quâau moment oĂč lâon cherche, oĂč lâon place en elle autre chose que nous et en nous autre chose quâelle.
RĂ©ussira-t-on jamais Ă rĂ©soudre ces difficultĂ©s, et malgrĂ© son incohĂ©rence fondera-t-on la rĂ©alitĂ© du phĂ©nomĂšne sensible ? Il ne sera possible dâen dĂ©cider que tout Ă la fin de cette recherche. Ce qui dĂšs Ă prĂ©sent mĂ©rite attention, câest cette ambiguĂŻtĂ© mĂȘme, câest la nĂ©cessitĂ© oĂč nous sommes de nous reprĂ©senter le visible Ă la fois tel quâil est vu et autre encore que nous le voyons. Sans doute la pratique, en nous enseignant par une multiple expĂ©rience Ă dĂ©chiffrer couramment nos sensations et Ă nous en servir, nĂ©glige lâĂ©quivoque qui dĂ©concerte la rĂ©flexion ; et câest merveille en effet que la moindre action tranche, sans quâelle sâen soucie, un problĂšme dont nulle philosophie nâa complĂštement triomphĂ© parce que nulle nâa fait de lâaction une complĂšte Ă©tude. Toujours est-il que derriĂšre la sensation brute, telle quâelle est imprimĂ©e en nous, nous sommes, par une naturelle dĂ©marche, amenĂ©s Ă chercher ce quâelle est. MĂȘme alors quâon la croit telle quâelle paraĂźt, et quâon admet naĂŻvement lâidentitĂ© de ce quâon sent avec ce qui est senti, il y a, dans la plus simple intuition, une dualitĂ© et une opposition qui ne peuvent manquer dâĂ©clater : câest lâorigine de tout besoin de savoir.
CHAPITRE II - LâINCOHĂRENCE DES SCIENCES POSITIVES ET LA MĂDIATION DE LâACTION 5
Câest un fait quâentre les sciences dĂ©ductives et les sciences expĂ©rimentales il y a un commerce fĂ©cond. La science mĂȘme ne semble avoir de raison dâĂȘtre ni de puissance de progrĂšs que par cet Ă©change assidu ; câest lâunitĂ© qui fait sa force et qui assure son empire. Mais de cette unitĂ© rĂ©elle et incontestĂ©e la science elle-mĂȘme rend-elle compte ? quâon regarde Ă son double point de dĂ©part.
Dâun cĂŽtĂ© les mathĂ©matiques, grĂące Ă une fiction qui rĂ©ussit, supposent que lâanalyse du rĂ©el est achevĂ©e ; or comme, en fait, elle ne lâest ni ne peut lâĂȘtre jamais, câest en ce sens quâelles ont un caractĂšre idĂ©al et transcendant par rapport Ă la connaissance empirique. Sans donc se perdre en une rĂ©gression infinie, elles se fondent sur lâun, comme si lâexpĂ©rience atteignait lâatome ou le point, sur lâhomogĂšne et le continu de lâespace, de la grandeur et du nombre, comme sâils Ă©taient la limite rĂ©alisable ou vĂ©rifiĂ©e de la discontinuitĂ© et de lâhĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© sensibles. Lâantinomie du simple et du multiple, de lâindivisibilitĂ© et de la divisibilitĂ© indĂ©finie y est supposĂ©e rĂ©solue ; câest le principe mĂȘme de tout calcul ; et par cet audacieux artifice de pensĂ©e que justifie le succĂšs, lâon fait comme si lâon tenait ce qui Ă©chappera toujours Ă nos prises, lâunitĂ© et le continu homogĂšne.
Dâautre part, tandis que les sciences dĂ©ductives supposant au prĂ©alable lâanalyse achevĂ©e procĂšdent par synthĂšse a priori pour dĂ©terminer le lien nĂ©cessaire qui forme une continuitĂ© parfaite, les sciences de la nature, en dĂ©crivant les ĂȘtres ou en dĂ©terminant les faits tels quâelles les observent ou les produisent, supposent toujours la rĂ©alitĂ© originale, la perfection relative, la suffisance de chaque synthĂšse en tant que synthĂšse. LâunitĂ© concrĂšte y est considĂ©rĂ©e comme un total qui, bien que divisible, nâest pourtant par rĂ©soluble en ses parties : câest Ă cette condition seulement que ces sciences sont possibles et valides ; car, puisque nous ne connaissons le tout de rien, nous ne connaĂźtrions rien du tout, si nous ne pouvions nous attacher fermement Ă chaque degrĂ© que lâordre des compositions ou des dĂ©compositions nous fait atteindre. Ainsi la vraie propriĂ©tĂ© de toute science fondĂ©e sur lâexpĂ©rience, câest cela mĂȘme quâon ne dĂ©duira jamais, la nature complexe, la discontinuitĂ© et lâhĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© des objets quâelle prend comme matiĂšre de ses recherches. Et les dĂ©terminations quantitatives quâelle rĂ©ussit Ă employer (comme par exemple dans lâĂ©tude des composĂ©s chimiques), ne servent quâĂ mettre en Ă©vidence la distinction prĂ©cise, les hiatus, les diffĂ©rences spĂ©cifiques et irrĂ©ductibles qui sĂ©parent les plus proches parents des mĂȘmes familles et les combinaisons des mĂȘmes Ă©lĂ©ments. Non, la thĂ©orie parfaite de la nature ne la rĂ©soudrait pas en pur intellectuel, pas plus que lâentiĂšre connaissance quâen auraient nos sens ne la rĂ©vĂ©lerait dans sa pleine vĂ©ritĂ©.
Il y a donc dans la science, et Ă son principe mĂȘme, une dualitĂ© manifeste 6. TantĂŽt elle cherche, en dehors des phĂ©nomĂšnes immĂ©diatement perçus, ce qui est gĂ©nĂ©ralitĂ© abstraite et enchaĂźnement nĂ©cessaire ; oubli fait de la nature des composĂ©s et des qualitĂ©s propres aux Ă©lĂ©ments, le calcul apparaĂźt comme la forme continue de lâunivers. TantĂŽt, oubli fait de lâunitĂ© de composition, elle sâapplique Ă donner Ă lâintuition synthĂ©tique une prĂ©cision quantitative et une individualitĂ© dĂ©finie.
Tout ramener Ă lâhomogĂšne, partout reconnaĂźtre et dĂ©finir lâhĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ©, ces deux tendances sont Ă©galement scientifiques, ces deux mĂ©thodes sont Ă©galement complĂštes et suffisantes chacune en leur sens. Lâune et lâautre usent de lâanalyse et de la synthĂšse ; pour la premiĂšre, lâanalyse, pour la seconde, la synthĂšse est hypothĂ©tique. Pour la premiĂšre, la synthĂšse si lâon peut dire est analytique a priori ; pour la seconde, lâanalyse est synthĂ©tique a posteriori, câest-Ă -dire que lâune sâĂ©difie avec les Ă©lĂ©ments dâune analyse idĂ©ale, et que lâautre nâatteint dans ses dĂ©compositions que des synthĂšses rĂ©elles. Pour la premiĂšre, lâaction est une intĂ©gration dont un calcul parfait donnerait la formule rigoureuse ; pour la seconde, lâaction est un fait sui generis, dont aucune approximation mathĂ©matique ne rĂ©vĂšle lâoriginalitĂ© et qui, comme toute autre synthĂšse, ne peut ĂȘtre connu que par lâobservation directe. La conception positiviste, la conception aujourdâhui dominante selon laquelle les sciences sâenchaĂźneraient en une sĂ©rie unilinĂ©aire selon un ordre de complication croissante est donc radicalement erronĂ©e.
Et en mĂȘme temps, chacune des formes de la science nâa de sens et de raison dâĂȘtre quâautant que lâune redouble en quelque façon et Ă©gale lâautre. Quoique dans le style des mathĂ©maticiens le tout et la partie soient homogĂšnes, les mathĂ©matiques constituent des synthĂšses spĂ©cifiques et symbolisent avec lâhĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© des connaissances sensibles. Quoique les sciences de la nature se fondent sur le quid proprium de lâintuition, elles prĂ©tendent y introduire la continuitĂ© causale et la loi du nombre. Ainsi chacune semble ĂȘtre une matiĂšre, une mĂ©thode et une fin pour lâautre.
Quâil suffise dâindiquer ainsi, entre les deux formes gĂ©nĂ©rales de la science, cette solution de continuitĂ©, ce parallĂ©lisme et cette coopĂ©ration. Ce qui est moins remarquĂ© et peut-ĂȘtre plus digne de lâĂȘtre, câest que, dans lâintĂ©rieur de chaque discipline scientifique, dans le dĂ©tail des procĂ©dĂ©s de calcul ou dâexpĂ©rience, dans la constitution des vĂ©ritĂ©s positives se cache une semblable discordance et sâĂ©tablit un semblable accord que la science ne justifie pas. Ce nâest donc pas seulement dans son ensemble que la science est pour ainsi dire coupĂ©e en deux tronçons qui ne vivent pourtant quâen se rapprochant ; câest dans le dĂ©tail de la construction de chacune des sciences, que vont se rĂ©vĂ©ler et la mĂȘme incohĂ©rence et la mĂȘme solidaritĂ©. Au principe, au cours, au terme idĂ©al de toute science, il y a une antinomie, et une antinomie rĂ©solue en fait.
Il importe donc de rechercher Ă quels emprunts indirects et tacites chacune dâelles doit son existence et son progrĂšs, comment enfin une mĂ©diation est nĂ©cessaire Ă cette transposition perpĂ©tuelle dâĂ©lĂ©ments Ă©trangers les uns aux autres et Ă cette constante collaboration de mĂ©thodes irrĂ©ductibles. Car montrer que ce qui dans les sciences positives leur est transcendant et Ă©tranger est cela mĂȘme qui les rend possibles et applicables, ce sera mettre en lumiĂšre ce qui, dans la science mĂȘme, exige que la science soit dĂ©passĂ©e. Si chacune avait une sorte dâindĂ©pendance ou de suffisance, on serait en droit de sây arrĂȘter et de se contenter de ses succĂšs mĂȘme provisoires. Or il nâen est pas ainsi ; et cette imperfection ne tient pas au dĂ©faut de ses rĂ©sultats dâailleurs toujours partiels, mais Ă la nature mĂȘme des vĂ©ritĂ©s quâelle atteint et de la mĂ©thode quâelle emploie. Non seulement la science en voie de se faire est insuffisante, mais supposĂ©e faite et parfaite, elle lâest encore : infirmitĂ© initiale et finale de chacune sĂ©parĂ©ment et de toutes ensemble dans leur commerce mutuel, voilĂ le vrai. Les sciences positives ne nous suffisent pas, parce quâelles ne se suffisent pas.
I
Du simple et de lâhomogĂšne quâelles supposent dâemblĂ©e au terme de lâanalyse et quâelles placent au principe de leurs constructions, les sciences exactes dĂ©rivent leurs synthĂšses a priori. Or dâoĂč naĂźt lâidĂ©e mĂȘme de ce procĂ©dĂ© synthĂ©tique qui leur est essentiel ; dâoĂč sait-on considĂ©rer la construction comme un tout au sein duquel les matĂ©riaux ont des relations dĂ©terminĂ©es, un ordre, une valeur quâils nâavaient point avant dâen faire partie ? Sans doute, rien Ă proprement parler nâest empirique ni dans les Ă©lĂ©ments, ni dans le plan mĂȘme de lâĂ©difice mathĂ©matique ; mais rien nây est concevable sans un primitif emprunt, sans un plagiat dĂ©guisĂ©, sans une continuelle imitation du concret. Car câest le propre caractĂšre du calcul infinitĂ©simal, de ce calcul qui est la forme Ă©minente de tout autre, de ce calcul qui insĂšre la mathĂ©matique jusquâau cĆur de la physique et de la pratique mĂȘme, dâĂȘtr...
Table des matiĂšres
- Maurice Blondel
- LâAction.
- INTRODUCTION
- DEUXIEME PARTIE- LA SOLUTION DU PROBLEME DE LâACTION EST-ELLE NĂGATIVEÂ ?
- TROISIEME PARTIE- LE PHENOMENEDE LâACTION
- QUATRIEME PARTIE- LâETRE NĂCESSAIREDE LâACTION
- CINQUIEME PARTIE- LâACHEVEMENTDE LâACTION
- CONCLUSION