L'action
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L'action

Essai d'une critique de la vie et d'une science de la pratique

  1. 550 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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L'action

Essai d'une critique de la vie et d'une science de la pratique

À propos de ce livre

Il ny a problÚmes plus insolubles que ceux qui nexistent pas. Serait-ce le cas du problÚme de laction, et le plus sûr moyen de le trancher, le seul, nest-il pas de le supprimer ? Est-ce que pour alléger les consciences et pour rendre à la vie sa grùce, sa légÚreté et sa gaieté, il ne serait pas bon de décharger les actes humains de leur sérieux incompréhensible et de leur mystérieuse réalité ?

Foire aux questions

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Informations

Année
2020
ISBN de l'eBook
9783968585505

TROISIEME PARTIE
- LE PHENOMENE
DE L’ACTION

————

Comment on essaye de définir par la science seule
et de restreindre l’action dans l’ordre naturel

Il y a quelque chose. Cette donnĂ©e qu’accordent ceux mĂȘmes qui concĂšdent le moins, cet aveu de la naĂŻve expĂ©rience ne m’est point imposĂ© malgrĂ© moi : j’ai voulu qu’il y ait quelque chose 4. Tandis en effet qu’on prĂ©tendait esquiver l’inquiĂ©tude du problĂšme moral, on posait ce problĂšme mĂȘme par un secret mouvement de la volontĂ©. Tandis qu’on prĂ©tendait dĂ©couvrir dans le nĂ©ant une solution et une ressource certaines, on se mĂ©nageait une double issue. On a optĂ© pour ce quelque chose qui est immĂ©diatement senti, connu, dĂ©sirĂ© de tous, qui offre Ă  l’activitĂ© humaine un champ immense, que le progrĂšs mĂȘme des sciences positives ne permet plus guĂšre, semble-t-il, de nier ni de craindre ; on l’a fait, en esprit de dĂ©fiance contre l’autre alternative qu’on s’était suscitĂ©e, et dont l’inconnu a paru gros de troublantes superstitions. Je demeurerai fidĂšle Ă  ce dessein ; et m’aidant de tous les moyens que les sens, la science et la conscience me fournissent, je construirai sur ce simple fondement tout ce qu’il pourra porter.
Peut-ĂȘtre l’édifice sera-t-il suffisant ; peut-ĂȘtre que, sans sortir du phĂ©nomĂšne et en le considĂ©rant comme tout ce qui est, j’aurai de mon action une idĂ©e complĂšte et du problĂšme de la vie une solution satisfaisante. Si l’homme surgit tout entier de la nature, si ses actes ne sont que des systĂšmes de faits comme les autres, si le mouvement de sa volontĂ© est bornĂ© aux limites mĂȘmes de la science positive, ne sera-t-on pas en droit d’exorciser Ă  jamais le fantĂŽme de l’ĂȘtre cachĂ© ? Faire entrer dans le champ de la connaissance et de la puissance humaines tout ce qui nous semble d’abord le moins accessible (Ă©nergies de la nature, forces occultes, apparents miracles mĂȘme), fonder la vie individuelle ou sociale sur la Science seule, se suffire, c’est bien l’ambition de l’esprit moderne. Dans son dĂ©sir de conquĂȘte universelle, il veut que le phĂ©nomĂšne soit, et soit tel qu’il le connaĂźt et qu’il en dispose ; il admet que constater les faits et leur enchaĂźnement, c’est les expliquer complĂštement ; il considĂšre comme Ă  demi prouvĂ©e toute hypothĂšse qui lui permet d’éviter l’intervention de ce qu’on nommait la Cause PremiĂšre ; la crainte de la mĂ©taphysique n’est-elle pas le commencement de la sagesse ? il travaille Ă  dĂ©terminer « la genĂšse » de l’homme, l’origine de la conscience et toute l’évolution de l’activitĂ© morale aussi rigoureusement que les mouvements astronomiques, parce qu’à ses yeux le monde entier est un seul problĂšme et l’unique problĂšme, et parce que, semble-t-il, il y a unitĂ© et continuitĂ© dans la mĂ©thode scientifique.
La prĂ©tention est belle : est-elle justifiĂ©e, et la volontĂ© dĂ©clarĂ©e de borner et de contenter l’homme dans l’ordre naturel des faits quels qu’ils soient, est-elle d’accord avec la volontĂ© plus profonde d’oĂč procĂšdent, on le verra, tout le mouvement de sa connaissance et toute son activitĂ© intellectuelle ? questions dĂ©cisives, qu’il faut Ă©puiser coĂ»te que coĂ»te avant d’ĂȘtre en droit de se prononcer avec une compĂ©tence scientifique sur la portĂ©e de l’action et sur le sens de la destinĂ©e humaine. Mais si la difficultĂ© est grande, la mĂ©thode, pour la rĂ©soudre, s’offre toute simple. Que l’on considĂšre donc, Ă  partir de la premiĂšre donnĂ©e sensible, comment l’on s’efforce de confĂ©rer au phĂ©nomĂšne toute la consistance et toute la suffisance possibles, et comment, y Ă©chouant toujours, on sera peut-ĂȘtre entraĂźnĂ© sans fin plus loin, non qu’on ne veut, mais qu’on ne s’imaginait vouloir.

PREMIERE ÉTAPE
- DE L’INTUITION SENSIBLE
A LA SCIENCE SUBJECTIVE

Les conditions scientifiques et les sources inconscientes de l’action
————————

CHAPITRE I - L’INCONSISTANCE DE LA SENSATION ET L’ACTIVITÉ SCIENTIFIQUE

L’intuition sensible paraĂźt toute claire et cohĂ©rente, d’une simplicitĂ© absolue ; pourquoi donc ne s’en est-on pas tenu Ă  cette premiĂšre donnĂ©e de la vie, Ă  ce rudiment d’une connaissance qui semble parfaite dĂšs l’abord, et qu’y a-t-il de naturel, qu’y a-t-il de nĂ©cessaire dans le besoin scientifique ? Ă  quelle secrĂšte ambition rĂ©pond ce dĂ©sir renaissant de recherches, et par quelles satisfactions provisoires semble-t-on l’endormir ?
I
A premiĂšre vue, l’impression sensible est, pour chacun, tout ce qu’elle peut ĂȘtre, seul point sur lequel on ne puisse jamais discuter parce qu’on ne communique jamais la rĂ©alitĂ© mĂȘme de ce qu’on sent. La qualitĂ© de la sensation que j’éprouve est unique en son genre, d’espĂšce incomparable, sans analogie ; et ce qui est propre Ă  cette intuition ne saurait ĂȘtre ni analysĂ©, ni mesurĂ©, ni dĂ©crit : des goĂ»ts mĂȘmes et des couleurs on ne dispute pas. Dans cet ordre de la qualitĂ© pure, il n’y a rien que d’hĂ©tĂ©rogĂšne. Je suis ce que je sens, au moment oĂč je le sens.
Mais pour que je le sente, ne faut-il pas que dans la sensation mĂȘme il y ait autre chose qu’elle ? La qualitĂ© sensible n’est pas la seule donnĂ©e immĂ©diate de l’intuition ; si elle l’était, elle s’évanouirait, parce que discontinue, suffisante, incomparable, toujours parfaite et toujours disparue, elle ne serait jamais qu’un rĂȘve sans souvenir, sans passĂ©, ni prĂ©sent, ni futur. Comment n’en est-il pas ainsi ? c’est que du moment oĂč la sensation paraĂźt, elle recĂšle une incohĂ©rence et comme une antinomie interne : car elle n’est qu’autant qu’elle est sentie ; et elle n’est sentie qu’autant qu’elle est reprĂ©sentĂ©e en mĂȘme temps que prĂ©sente, imaginĂ©e en mĂȘme temps qu’éprouvĂ©e ; de sorte qu’en elle sont nĂ©cessairement enfermĂ©es ces deux affirmations d’apparence inconciliable : « je suis ce que je sens, je sens ce qui est ». DualitĂ© antĂ©rieure mĂȘme aux lois qui gouvernent la succession et les contrastes des Ă©tats de conscience et oĂč pourtant l’on a prĂ©tendu dĂ©couvrir la forme primitive de toute intuition ; car mĂȘme Ă  supposer que les sensations ne soient perçues que par « discrimination », encore faut-il que dans chacun des Ă©tats contrastants il y ait de quoi le rendre possible. Il s’agit donc ici de ce qui, dans le phĂ©nomĂšne sensible, fait que c’est un phĂ©nomĂšne, en mĂȘme temps qu’il est sensible : or entre ces deux termes, il y a une fonciĂšre opposition qu’on n’a point assez remarquĂ©e quoiqu’elle soit le point de dĂ©part de toute investigation scientifique ou philosophique.
Qu’on rĂ©flĂ©chisse en effet Ă  cette Ă©trange et universelle curiositĂ© : dans ce qu’on voit et ce qu’on entend, Ă  l’instant mĂȘme oĂč l’on se persuade que l’impression sentie est l’absolue et complĂšte rĂ©alitĂ©, on cherche autre chose que ce qu’on entend et ce qu’on voit. Pascal enfant veut saisir le son qu’il a perçu comme si le son Ă©tait Ă  la fois autre et tel qu’il le perçoit. A notre insu tous invinciblement nous en sommes lĂ . Je n’ai de sensation qu’à cette double condition : c’est que d’une part ce que j’éprouve soit tout mien, c’est que d’autre part ce que j’éprouve me paraisse tout extĂ©rieur Ă  moi et Ă©tranger Ă  mon action propre. N’est-ce point la croyance et le vƓu populaire ? on s’imagine que le visible n’est rien de plus que ce qui est vu, comme si la sensation Ă©tait en effet la mesure de toutes choses, et on demeure convaincu que ce qui est vu est la chose mĂȘme, comme si la sensation n’était rien et l’objet tout. InconsĂ©quence constante qui se marque aux plus menus dĂ©tails de la vie. Ne sommes-nous pas Ă©galement portĂ©s, et presque au mĂȘme moment, Ă  vouloir que tous sentent comme nous, pĂ©nĂ©trĂ©s que nous sommes de l’universelle vĂ©ritĂ© de nos goĂ»ts, et Ă  vouloir ĂȘtre seuls Ă  sentir, Ă  jouir, Ă  souffrir comme nous le faisons, avec la persuasion que d’autres en seraient incapables ou indignes ? Et quand la rĂ©flexion critique s’attache Ă  dĂ©montrer que les donnĂ©es immĂ©diates et les formes nĂ©cessaires de la sensibilitĂ© ne peuvent avoir hors de nous une subsistance propre, sans doute elle Ă©tablit justement que la perception humaine ne saurait ĂȘtre indĂ©pendante de l’homme, mais elle n’échappe pas entiĂšrement Ă  la croyance qu’elle prĂ©tend combattre ; car elle ne s’insurge contre ce qu’elle nomme l’illusion mĂ©taphysique qu’à la condition d’estimer que derriĂšre la donnĂ©e sensible il y a un donnĂ© diffĂ©rent d’elle, quel qu’il soit.
Et ce n’est pas d’une simple dualitĂ© logique qu’il s’agit ici ; non, c’est d’une rĂ©elle incohĂ©rence et d’une instabilitĂ© de fait. Au principe mĂȘme de l’intuition la plus Ă©lĂ©mentaire, il y a comme une rupture d’équilibre qui ne nous permet pas de nous y tenir, parce que cette intuition nous ne l’avons Ă  vrai dire qu’en la dĂ©passant dĂ©jĂ  et en affirmant implicitement qu’elle est en quelque sorte plus qu’elle n’est ; car, pour qu’elle soit, il faut que nous lui prĂȘtions une consistance qu’elle n’a point sans nous, et elle ne commence Ă  ĂȘtre elle-mĂȘme qu’au moment oĂč l’on cherche, oĂč l’on place en elle autre chose que nous et en nous autre chose qu’elle.
RĂ©ussira-t-on jamais Ă  rĂ©soudre ces difficultĂ©s, et malgrĂ© son incohĂ©rence fondera-t-on la rĂ©alitĂ© du phĂ©nomĂšne sensible ? Il ne sera possible d’en dĂ©cider que tout Ă  la fin de cette recherche. Ce qui dĂšs Ă  prĂ©sent mĂ©rite attention, c’est cette ambiguĂŻtĂ© mĂȘme, c’est la nĂ©cessitĂ© oĂč nous sommes de nous reprĂ©senter le visible Ă  la fois tel qu’il est vu et autre encore que nous le voyons. Sans doute la pratique, en nous enseignant par une multiple expĂ©rience Ă  dĂ©chiffrer couramment nos sensations et Ă  nous en servir, nĂ©glige l’équivoque qui dĂ©concerte la rĂ©flexion ; et c’est merveille en effet que la moindre action tranche, sans qu’elle s’en soucie, un problĂšme dont nulle philosophie n’a complĂštement triomphĂ© parce que nulle n’a fait de l’action une complĂšte Ă©tude. Toujours est-il que derriĂšre la sensation brute, telle qu’elle est imprimĂ©e en nous, nous sommes, par une naturelle dĂ©marche, amenĂ©s Ă  chercher ce qu’elle est. MĂȘme alors qu’on la croit telle qu’elle paraĂźt, et qu’on admet naĂŻvement l’identitĂ© de ce qu’on sent avec ce qui est senti, il y a, dans la plus simple intuition, une dualitĂ© et une opposition qui ne peuvent manquer d’éclater : c’est l’origine de tout besoin de savoir.

CHAPITRE II - L’INCOHÉRENCE DES SCIENCES POSITIVES ET LA MÉDIATION DE L’ACTION 5

C’est un fait qu’entre les sciences dĂ©ductives et les sciences expĂ©rimentales il y a un commerce fĂ©cond. La science mĂȘme ne semble avoir de raison d’ĂȘtre ni de puissance de progrĂšs que par cet Ă©change assidu ; c’est l’unitĂ© qui fait sa force et qui assure son empire. Mais de cette unitĂ© rĂ©elle et incontestĂ©e la science elle-mĂȘme rend-elle compte ? qu’on regarde Ă  son double point de dĂ©part.
D’un cĂŽtĂ© les mathĂ©matiques, grĂące Ă  une fiction qui rĂ©ussit, supposent que l’analyse du rĂ©el est achevĂ©e ; or comme, en fait, elle ne l’est ni ne peut l’ĂȘtre jamais, c’est en ce sens qu’elles ont un caractĂšre idĂ©al et transcendant par rapport Ă  la connaissance empirique. Sans donc se perdre en une rĂ©gression infinie, elles se fondent sur l’un, comme si l’expĂ©rience atteignait l’atome ou le point, sur l’homogĂšne et le continu de l’espace, de la grandeur et du nombre, comme s’ils Ă©taient la limite rĂ©alisable ou vĂ©rifiĂ©e de la discontinuitĂ© et de l’hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© sensibles. L’antinomie du simple et du multiple, de l’indivisibilitĂ© et de la divisibilitĂ© indĂ©finie y est supposĂ©e rĂ©solue ; c’est le principe mĂȘme de tout calcul ; et par cet audacieux artifice de pensĂ©e que justifie le succĂšs, l’on fait comme si l’on tenait ce qui Ă©chappera toujours Ă  nos prises, l’unitĂ© et le continu homogĂšne.
D’autre part, tandis que les sciences dĂ©ductives supposant au prĂ©alable l’analyse achevĂ©e procĂšdent par synthĂšse a priori pour dĂ©terminer le lien nĂ©cessaire qui forme une continuitĂ© parfaite, les sciences de la nature, en dĂ©crivant les ĂȘtres ou en dĂ©terminant les faits tels qu’elles les observent ou les produisent, supposent toujours la rĂ©alitĂ© originale, la perfection relative, la suffisance de chaque synthĂšse en tant que synthĂšse. L’unitĂ© concrĂšte y est considĂ©rĂ©e comme un total qui, bien que divisible, n’est pourtant par rĂ©soluble en ses parties : c’est Ă  cette condition seulement que ces sciences sont possibles et valides ; car, puisque nous ne connaissons le tout de rien, nous ne connaĂźtrions rien du tout, si nous ne pouvions nous attacher fermement Ă  chaque degrĂ© que l’ordre des compositions ou des dĂ©compositions nous fait atteindre. Ainsi la vraie propriĂ©tĂ© de toute science fondĂ©e sur l’expĂ©rience, c’est cela mĂȘme qu’on ne dĂ©duira jamais, la nature complexe, la discontinuitĂ© et l’hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© des objets qu’elle prend comme matiĂšre de ses recherches. Et les dĂ©terminations quantitatives qu’elle rĂ©ussit Ă  employer (comme par exemple dans l’étude des composĂ©s chimiques), ne servent qu’à mettre en Ă©vidence la distinction prĂ©cise, les hiatus, les diffĂ©rences spĂ©cifiques et irrĂ©ductibles qui sĂ©parent les plus proches parents des mĂȘmes familles et les combinaisons des mĂȘmes Ă©lĂ©ments. Non, la thĂ©orie parfaite de la nature ne la rĂ©soudrait pas en pur intellectuel, pas plus que l’entiĂšre connaissance qu’en auraient nos sens ne la rĂ©vĂ©lerait dans sa pleine vĂ©ritĂ©.
Il y a donc dans la science, et Ă  son principe mĂȘme, une dualitĂ© manifeste 6. TantĂŽt elle cherche, en dehors des phĂ©nomĂšnes immĂ©diatement perçus, ce qui est gĂ©nĂ©ralitĂ© abstraite et enchaĂźnement nĂ©cessaire ; oubli fait de la nature des composĂ©s et des qualitĂ©s propres aux Ă©lĂ©ments, le calcul apparaĂźt comme la forme continue de l’univers. TantĂŽt, oubli fait de l’unitĂ© de composition, elle s’applique Ă  donner Ă  l’intuition synthĂ©tique une prĂ©cision quantitative et une individualitĂ© dĂ©finie.
Tout ramener Ă  l’homogĂšne, partout reconnaĂźtre et dĂ©finir l’hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ©, ces deux tendances sont Ă©galement scientifiques, ces deux mĂ©thodes sont Ă©galement complĂštes et suffisantes chacune en leur sens. L’une et l’autre usent de l’analyse et de la synthĂšse ; pour la premiĂšre, l’analyse, pour la seconde, la synthĂšse est hypothĂ©tique. Pour la premiĂšre, la synthĂšse si l’on peut dire est analytique a priori ; pour la seconde, l’analyse est synthĂ©tique a posteriori, c’est-Ă -dire que l’une s’édifie avec les Ă©lĂ©ments d’une analyse idĂ©ale, et que l’autre n’atteint dans ses dĂ©compositions que des synthĂšses rĂ©elles. Pour la premiĂšre, l’action est une intĂ©gration dont un calcul parfait donnerait la formule rigoureuse ; pour la seconde, l’action est un fait sui generis, dont aucune approximation mathĂ©matique ne rĂ©vĂšle l’originalitĂ© et qui, comme toute autre synthĂšse, ne peut ĂȘtre connu que par l’observation directe. La conception positiviste, la conception aujourd’hui dominante selon laquelle les sciences s’enchaĂźneraient en une sĂ©rie unilinĂ©aire selon un ordre de complication croissante est donc radicalement erronĂ©e.
Et en mĂȘme temps, chacune des formes de la science n’a de sens et de raison d’ĂȘtre qu’autant que l’une redouble en quelque façon et Ă©gale l’autre. Quoique dans le style des mathĂ©maticiens le tout et la partie soient homogĂšnes, les mathĂ©matiques constituent des synthĂšses spĂ©cifiques et symbolisent avec l’hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© des connaissances sensibles. Quoique les sciences de la nature se fondent sur le quid proprium de l’intuition, elles prĂ©tendent y introduire la continuitĂ© causale et la loi du nombre. Ainsi chacune semble ĂȘtre une matiĂšre, une mĂ©thode et une fin pour l’autre.
Qu’il suffise d’indiquer ainsi, entre les deux formes gĂ©nĂ©rales de la science, cette solution de continuitĂ©, ce parallĂ©lisme et cette coopĂ©ration. Ce qui est moins remarquĂ© et peut-ĂȘtre plus digne de l’ĂȘtre, c’est que, dans l’intĂ©rieur de chaque discipline scientifique, dans le dĂ©tail des procĂ©dĂ©s de calcul ou d’expĂ©rience, dans la constitution des vĂ©ritĂ©s positives se cache une semblable discordance et s’établit un semblable accord que la science ne justifie pas. Ce n’est donc pas seulement dans son ensemble que la science est pour ainsi dire coupĂ©e en deux tronçons qui ne vivent pourtant qu’en se rapprochant ; c’est dans le dĂ©tail de la construction de chacune des sciences, que vont se rĂ©vĂ©ler et la mĂȘme incohĂ©rence et la mĂȘme solidaritĂ©. Au principe, au cours, au terme idĂ©al de toute science, il y a une antinomie, et une antinomie rĂ©solue en fait.
Il importe donc de rechercher Ă  quels emprunts indirects et tacites chacune d’elles doit son existence et son progrĂšs, comment enfin une mĂ©diation est nĂ©cessaire Ă  cette transposition perpĂ©tuelle d’élĂ©ments Ă©trangers les uns aux autres et Ă  cette constante collaboration de mĂ©thodes irrĂ©ductibles. Car montrer que ce qui dans les sciences positives leur est transcendant et Ă©tranger est cela mĂȘme qui les rend possibles et applicables, ce sera mettre en lumiĂšre ce qui, dans la science mĂȘme, exige que la science soit dĂ©passĂ©e. Si chacune avait une sorte d’indĂ©pendance ou de suffisance, on serait en droit de s’y arrĂȘter et de se contenter de ses succĂšs mĂȘme provisoires. Or il n’en est pas ainsi ; et cette imperfection ne tient pas au dĂ©faut de ses rĂ©sultats d’ailleurs toujours partiels, mais Ă  la nature mĂȘme des vĂ©ritĂ©s qu’elle atteint et de la mĂ©thode qu’elle emploie. Non seulement la science en voie de se faire est insuffisante, mais supposĂ©e faite et parfaite, elle l’est encore : infirmitĂ© initiale et finale de chacune sĂ©parĂ©ment et de toutes ensemble dans leur commerce mutuel, voilĂ  le vrai. Les sciences positives ne nous suffisent pas, parce qu’elles ne se suffisent pas.
I
Du simple et de l’homogĂšne qu’elles supposent d’emblĂ©e au terme de l’analyse et qu’elles placent au principe de leurs constructions, les sciences exactes dĂ©rivent leurs synthĂšses a priori. Or d’oĂč naĂźt l’idĂ©e mĂȘme de ce procĂ©dĂ© synthĂ©tique qui leur est essentiel ; d’oĂč sait-on considĂ©rer la construction comme un tout au sein duquel les matĂ©riaux ont des relations dĂ©terminĂ©es, un ordre, une valeur qu’ils n’avaient point avant d’en faire partie ? Sans doute, rien Ă  proprement parler n’est empirique ni dans les Ă©lĂ©ments, ni dans le plan mĂȘme de l’édifice mathĂ©matique ; mais rien n’y est concevable sans un primitif emprunt, sans un plagiat dĂ©guisĂ©, sans une continuelle imitation du concret. Car c’est le propre caractĂšre du calcul infinitĂ©simal, de ce calcul qui est la forme Ă©minente de tout autre, de ce calcul qui insĂšre la mathĂ©matique jusqu’au cƓur de la physique et de la pratique mĂȘme, d’ĂȘtr...

Table des matiĂšres

  1. Maurice Blondel
  2. L’Action.
  3. INTRODUCTION
  4. DEUXIEME PARTIE- LA SOLUTION DU PROBLEME DE L’ACTION EST-ELLE NÉGATIVE ?
  5. TROISIEME PARTIE- LE PHENOMENEDE L’ACTION
  6. QUATRIEME PARTIE- L’ETRE NÉCESSAIREDE L’ACTION
  7. CINQUIEME PARTIE- L’ACHEVEMENTDE L’ACTION
  8. CONCLUSION