Histoire de l'art
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Histoire de l'art

Tome I : l'art antique

  1. 144 pages
  2. French
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Histoire de l'art

Tome I : l'art antique

À propos de ce livre

RÉSUMÉ : "Histoire de l'art - Tome I : l'art antique" d'Élie Faure est une exploration érudite et captivante des débuts de l'art à travers les civilisations anciennes. Ce premier tome nous plonge dans l'univers de l'art antique, en examinant les créations artistiques des cultures égyptienne, mésopotamienne, grecque et romaine. Faure, avec son regard acéré et sa plume élégante, réussit à rendre accessible la complexité des oeuvres et des styles qui ont façonné notre patrimoine culturel. L'ouvrage s'attache à décrire non seulement les oeuvres elles-mêmes, mais aussi le contexte historique et social dans lequel elles ont été créées. Faure discute de l'évolution des techniques artistiques, des matériaux utilisés et des symbolismes cachés derrière chaque sculpture, fresque ou monument. Il met en lumière les influences croisées entre les civilisations et comment celles-ci ont contribué à une riche diversité artistique. L'auteur ne se contente pas de décrire les oeuvres, il cherche à comprendre le message universel et intemporel que chaque oeuvre véhicule. Ce livre est une invitation à un voyage dans le temps, à la découverte de l'humanité à travers ses expressions artistiques les plus anciennes. Avec une approche à la fois académique et poétique, Faure réussit à captiver autant les amateurs d'art que les spécialistes, offrant une perspective profonde et enrichissante sur l'art antique. L'AUTEUR : Élie Faure, né le 4 avril 1873 à Sainte-Foy-la-Grande et décédé le 29 octobre 1937 à Paris, est un historien de l'art et essayiste français reconnu pour ses contributions significatives à la compréhension de l'art à travers les âges. Médecin de formation, il se passionne très tôt pour l'art, ce qui l'amène à rédiger des ouvrages qui allient rigueur scientifique et sensibilité littéraire. Sa série "Histoire de l'art" est considérée comme l'une des oeuvres majeures de l'historiographie artistique du début du XXe siècle. Faure est également connu pour sa capacité à rendre l'art accessible au grand public tout en conservant une profondeur académique. Outre son travail d'historien, il s'engage dans des réflexions plus générales sur la civilisation et la culture, contribuant à plusieurs revues intellectuelles de son temps. Son style d'écriture, souvent poétique, est apprécié pour sa capacité à évoquer des images vivantes et à transmettre des émotions.

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Informations

Année
2021
Imprimer l'ISBN
9782322182602
ISBN de l'eBook
9782322414178
Édition
1
Sujet
Art

L’Égypte

I

L’Égypte est la première de ces ondulations que sont les sociétés civilisées à la surface de l’histoire et qui paraissent naître du néant et retourner au néant après avoir passé par une cime. Elle est la plus lointaine des formes définies qui restent sur l’horizon du passé. Elle est la vraie mère des hommes. Mais bien que son action ait retenti dans toute l’étendue et la durée du monde antique, on dirait qu’elle a fermé le cercle de granit d’une destinée solitaire. C’est comme une multitude immobile, et gonflée d’une clameur silencieuse.
Elle s’est enfoncée sans un cri dans le sable, qui a repris tour à tour ses pieds, ses genoux, ses reins, ses flancs, mais que sa poitrine et son front dépassent. Dans son visage écrasé, le sphinx a toujours ses yeux inexorables, ses yeux sertis de paupières rigides, et qui voient à la fois au-dedans et au loin, de l’abstraction insaisissable à la ligne circulaire où sombre la courbe du globe. À quelle profondeur est-il assis, et autour de lui, au-dessous de lui, jusqu’où l’histoire descend-elle ? Il semble être apparu avec nos premières pensées, avoir suivi notre long effort de sa méditation muette, être destiné à survivre à notre dernier espoir. Nous empêcherons le sable de le recouvrir tout à fait parce qu’il fait partie de notre terre, parce qu’il appartient aux apparences au milieu desquelles nous avons vécu, aussi loin que notre souvenir remonte. Avec les montagnes artificielles dont nous avons scellé le désert près de lui, il est la seule de nos oeuvres qui paraisse aussi permanente que le cercle des jours, les alternances des saisons, l’immense oscillation du ciel.
L’immobilité de ce sol, de ce peuple dont la vie monotone constitue les trois quarts de l’aventure humaine, semble avoir voulu tenir dans les lignes de pierre inflexibles qui nous les définissaient avant même que nous connussions leur histoire. Tout dure autour des Pyramides. Des Cataractes au Delta, le Nil est seul entre deux rives identiques, sans un courant, sans un affluent, sans un remous, poussant du fond des siècles sa régulière masse d’eau. Des champs d’orge, de blé, de maïs, des palmeraies, des sycomores. Un impitoyable ciel bleu, d’où le feu coule incessamment en nappes, presque sombre aux heures du jour où l’oeil peut le regarder sans souffrance, plus clair la nuit, quand la marée montante des étoiles y répand sa lueur. Des vents torrides montent des sables, la lumière où vibre l’air chaud découpe les ombres sur le sol, et les couleurs inaltérables, indigos, rouges cuits, jaunes sulfureux, liquéfiées en métal par les crépuscules de flamme, n’ont que le voile transparent des verts et des ors des cultures qui change périodiquement. Un silence où les voix hésitent comme si elles craignaient de briser des murs de cristal. Au-delà de ces six cents lieues de vie fixe et puissante, le désert, sans autre limite visible que ce cercle absolu qui est aussi l’horizon des mers.
Le désir d’y chercher et d’y façonner l’éternité s’y impose à l’esprit d’autant plus despotiquement que la nature retarde la mort elle-même dans ses actes nécessaires de transformation et de refonte. Le granit ne s’entame pas. Il y a sous le sol des forêts pétrifiées. Dans cet air sec, le bois abandonné garde des siècles ses fibres vivantes, les cadavres se dessèchent sans pourrir. L’inondation du Nil, maître de la contrée, y symbolise tous les ans les résurrections perpétuelles. Sa venue et sa décroissance sont aussi régulières que la marche apparente d’Osiris, l’éternel soleil, qui chaque matin sort des eaux et chaque soir disparaît dans les sables. Du 10 juin au 7 octobre il verse aux campagnes calcinées le même limon noir, le limon gras, le limon père de la vie.
Le peuple égyptien n’a pas cessé de regarder la mort. Il a donné le spectacle sans précédent, et sans lendemain, d’une race acharnée pendant quatre-vingts siècles à arrêter le mouvement universel. Il a cru que les formes organisées seules mouraient, au milieu d’une nature immuable. Il n’a accepté le monde sensible qu’autant qu’il paraissait durer. Il a poursuivi la persistance de la vie dans ses changements d’aspect. Il a imaginé pour elle des existences alternées. Et le désir que nous avons de nous survivre lui a fait accorder à son âme l’éternité individuelle dont la durée des phénomènes cosmiques lui donnait la vaine apparence.
L’homme qui meurt entrait pour lui dans la vraie vie. Mais pas plus que toutes les conceptions immortalistes qui succédèrent à la sienne, le désir d’immortalité des Égyptiens n’échappait à l’irrésistible besoin d’assurer une enveloppe matérielle à l’esprit toujours vivant. Il fallait lui construire un logis secret où son corps embaumé fût à l’abri des éléments, des bêtes de proie, surtout des hommes. Il fallait qu’il eût avec lui ses objets familiers, de la nourriture, de l’eau, il fallait surtout que son image, enveloppe immuable du double qui ne le quittera plus, l’accompagnât dans l’ombre définitive. Et puisque rien ne meurt, il fallait abriter pour toujours les divinités symboliques exprimant les lois immobiles et la résurrection des apparences, Osiris, le feu et les astres, le Nil, les animaux sacrés qui règlent le rythme de leurs migrations au rythme de ses crues et de ses silences.
L’art égyptien est religieux et funéraire. Il est parti de la folie collective la plus étrange de l’histoire. Mais, comme son poème à la mort vit, il touche à la sagesse la plus haute. L’artiste a sauvé le philosophe. Des temples, des montagnes élevées par la main des hommes, ses propres falaises taillées en sphinx, en figures silencieuses, creusées en hypogées labyrinthiques font au fleuve une allée vivante de tombeaux. L’Égypte entière est là, même l’Égypte actuelle qui a voulu la plus immobile des grandes religions modernes. L’Égypte entière, énigmes écrasées ; cadavres enfouis comme des trésors, peut-être un milliard de momies couchées dans les ténèbres. Et cette Égypte-là, qui voulait éterniser son âme avec sa forme corporelle est morte. Celle qui ne meurt pas, c’est celle qui a donné au grès, au granit, au basalte, la forme de son esprit. Ainsi, l’âme humaine périt avec son enveloppe humaine. Mais dès qu’elle est capable de tailler son empreinte dans une matière extérieure, la pierre, le bronze, le bois, la mémoire des générations, le papier qui se recopie, le livre qui se réimprime et transmet de siècle en siècle le verbe héroïque et les chants, elle acquiert cette immortalité relative qui dure ce que dureront les formes sous lesquelles notre monde a suffisamment persisté pour nous permettre de le définir et de nous définir par elles.

II

Le temple, qui résume l’Égypte, a la force catégorique des synthèses primitives qui ne connaissaient pas le doute et par cela même exprimaient la seule vérité que nous sachions durable, celle de la vie instinctive dans son irrésistible affirmation. Formée par l’oasis, l’âme égyptienne en répétait les enseignements essentiels sur les murs et dans les colonnes du temple. Elle pétrissait son granit, dont les massifs rectangulaires montaient d’un bloc jusqu’aux arêtes d’angles, avec le profit des falaises, avec le cours rectiligne du fleuve, avec la sève brûlante qui dressait les palmiers au-dessus des champs d’émeraude, d’or et de vermillon. Le dogme, qui est une étape, une certitude ancienne arrêtée en formules sensibles pour le repos de notre esprit, prend un invincible pouvoir quand il se propose à l’adoration des multitudes sous un pareil vêtement, où elles retrouvent leur vraie vie, leurs horizons familiers, la matière même des lieux où se déroule leur activité et d’où naît leur espérance. Le prêtre peut faire sa maison du dogme que le désir des hommes a matérialisé. Il peut assurer son pouvoir en installant le dieu dans le réduit le plus petit, le plus obscur, le plus secret de l’édifice. Le fidèle l’acceptera, s’il reconnaît le visage visible de son existence accoutumée aux milliers d’autres dieux muets qui bordent les avenues rigides conduisant aux pylônes géants, qui peuplent les cours et les portiques et qui sont des hommes mêlés aux monstres de l’oasis et du désert, lions, béliers, chacals, cynocéphales, éperviers. Au milieu des colonnes épaisses, aujourd’hui couchées par les conquérants et noyées sous les eaux et les sables, ou dressant encore dans le désert le formidable squelette disloqué des salles hypostyles, il se retrouvera dans ses palmeraies monotones, ses bois étranges, ses taillis à intervalles vides, fûts droits et drus à couronnes lourdes, matière opulente et pulpeuse écrasée entre la boue durcie du sol et le poids vertical du soleil. Elles ont l’élan ramassé, la rondeur rugueuse des palmiers, l’étalement court de leur cime. Des feuilles de lotus assemblées en bouquets, des feuilles de papyrus, des palmes, des régimes de dattes gonflent leurs chapiteaux de la vie compacte et puissante des végétations tropicales. En regardant à ses pieds il reverra les nymphéas, les lotus, lourdes plantes, la flore du fleuve fécond où grouillent des poules d’eau, des canards, des poissons, des crocodiles, il apercevra les lézards, les vipères, les uræus qui se chauffent sur le sable ardent où les élytres mordorés des scarabées sèment des morceaux de métal. Et quand il lèvera les yeux, ce sera pour deviner au-dessous des constellations familières qui sèment le plafond bleu, les oiseaux des solitudes, le grêle ibis, le vautour, l’épervier symbolique suspendus sur leurs ailes rigides entre le ciel et le désert. Partout, sur la hauteur des murs, des colonnes, des obélisques, partout fleurira pour sa joie sensuelle, en bas-reliefs peints, en inscriptions hiéroglyphiques, l’écriture vivante dont les émeraudes opaques et les sombres turquoises, les rouges brûlés, les soufres et les ors lui rediront la science, la littérature, l’histoire qu’ont si longuement édifiées ses ancêtres avec leur sang, leurs ossements, leur amour, leur mémoire, les formes redoutables ou charmantes qui les accompagnaient.
Retranché derrière ce langage formel, le prêtre peut environner son action d’un mystère qui lui profite. Il sait beaucoup. Il connaît le mouvement du ciel. Il oriente en observatoire son temple protégé de paratonnerres. Il possède les grands principes de la géométrie et de la triangulation. Seulement sa science est secrète. Tout ce que le peuple en sait se manifeste à lui par quelques tours de spiritisme et de magie qui lui masquent le sens parfois puéril et souvent profond de la philosophie occulte que les hiéroglyphes et les figures symboliques veulent éterniser sur le visage du désert.
Le Pharaon, forme humaine d’Osiris, est l’instrument de la caste théocratique qui l’accable de puissance afin de le domestiquer. Audessous d’elle et de lui, avec quelques intermédiaires, officiers, chefs de villes ou de villages, gouverneurs armés du bâton, la multitude. Pour quelques heures de repos dans la nuit brûlante, sur le sol de boue durcie, pour le pain et l’eau, rien que la vie d’esclave laboureur ou moissonneur, maçon ou tailleur de pierre, le travail commandé, les coups. Cent générations usées à bâtir des montagnes, hommes rompus de corvées au-dessus des forces de l’homme, femmes déformées avant l’âge pour avoir été trop misérables et avoir porté trop d’enfants, enfants déviés et déjetés avant de naître sous le poids invisible des servitudes séculaires. Un affreux cauchemar. À peine, tout au fond, l’espoir des métamorphoses futures, lueur trouble et vacillante pour le pauvre qui n’aura pas de tombeau.
Comment, dans cet enfer, l’Égyptien n’a-t-il pas cherché et trouvé la consolation dangereuse du spiritualisme absolu ? Le vivant désir est plus fort que la mort. Naturiste et polythéiste dès l’origine, sa religion garda l’amour de la forme où nous retrouvons notre espoir. Ses statues donnaient au mystère un squelette indestructible et jamais il n’adora ses dieux que sous la forme humaine ou animale. Le milieu où il avait à vivre ne lui permit pas de s’absorber dans la contemplation sans frein. La lutte quotidienne pour le pain est la plus sûre des éducations positives. Au fond, la nature de l’Égypte est ingrate. Ce n’est que par un effort incessant et grâce à des ressources toujours renouvelées d’ingéniosité et de vaillance, que l’Égyptien apprit à utiliser à son profit les excès périodiques du Nil. Il lui fallut mettre en oeuvre une étude séculaire des moeurs du fleuve, de la consistance et des qualités du limon, entreprendre des travaux formidables, digues, terrassements, lacs artificiels, canaux d’irrigation, taille du grès, du granit, les continuer sans cesse et les reprendre, pour les empêcher d’être noyés sous les alluvions, de s’enliser et de disparaître. Les Pyramides révèlent la puissance incomparable de ses ingénieurs. Et si la dureté de sa vie le tourna vers la mort, il imprima du moins à son passage sur la terre la marque d’un génie géométrique profond.
Étrange peuple exprimant en théorèmes de basalte les plus vastes, les plus secrètes, les plus vagues aspirations de son monde intérieur ! L’esprit de l’Égypte est absolu et somnolent comme les colosses allongés sur sa pierre tombale. Et pourtant, hors le mystère de la vie toujours recommençant, toujours semblable à lui-même, en tous temps, sous tous les ciels, il n’y a rien que d’humain et d’accessible à notre émotion dans le silence rayonnant qui paraît sourdre de ces figures immobiles entre des plans définitifs. L’artiste égyptien est un ouvrier, un esclave qui travaille sous le bâton, comme les autres. Il n’est pas initié aux sciences mystiques. Nous savons mille noms de rois, de prêtres, de chefs de guerre et de villes, nous n’en savons pas un de ceux qui ont exprimé la vraie pensée de l’Égypte, celle qui vit toujours dans la pierre des tombeaux. L’art était la voix anonyme, la voix muette de la foule broyée et regardant au-dedans d’elle l’esprit et l’espoir tressaillir. Soulevé par un sentiment irrésistible de la vie auquel il était interdit de se déployer en surface, il le laissait, de toute sa foi comprimée, brûler en profondeur.
Il n’est pas vrai, quelque saisissantes et divinatoires que puissent être les intuitions métaphysiques que les castes sacerdotales se transmettent à travers les temps, en Égypte comme en Chaldée, avec le pouvoir – il n’est pas vrai que les mystérieuses images qui les symbolisent leur doivent leur beauté. Chez l’artiste, l’instinct est au commencement de tout. C’est la vie, dans son mouvement prodigieux où la matière et l’esprit se mélangent sans qu’il songe à les désunir, qui allume en lui l’étincelle et dirige sa main. À nous de dégager de l’oeuvre d’art sa signification générale comme nous la dégageons de la vie sensuelle, sociale et morale qu’elle nous résume en un éclair. L’artiste égyptien obéissait à certaines indications plus souvent restrictives qu’actives que le prêtre lui dictait. Quand il lui demandait de tailler dans le grana un lion à tête humaine, un homme à tête d’aigle aux mains ouvertes par où la flamme de l’esprit semblait passer dans le monde, il gardait jalousement pour lui le sens occulte de la forme et du geste, et le sculpteur ne puisait l’enthousiasme qui faisait frémir la matière que dans la matière elle-même et la foi qu’il avait en l’existence réelle des mythes animés par lui. Si le monstre était beau, c’est que le sculpteur était vivant. Le profond occultiste n’y était pour rien, le naïf artiste pour tout.
Nous ne savons réellement que ce que nous avons appris par nous-mêmes, et la découverte personnelle est notre unique source d’enthousiasme. Les généralisations les plus hautes sont parties du sentiment le plus obscur et le plus fort pour se purifier de degré en degré en s’élevant vers l’intelligence. Elles sont ouvertes à l’artiste qui doit logiquement et fatalement s’acheminer vers elles. Mais la faculté de donner la vie au langage dans lequel ils nous les communiquent n’est ni logiquement ni fatalement impartie aux philosophes. La généralisation n’est jamais un point de départ, elle est une tendance, et si l’artiste avait commencé par l’occultisme, il eût condamné ses oeuvres à la raideur de la mort. Or, même raide comme un cadavre de par la volonté du prêtre, la statue égyptienne vit de par l’amour du sculpteur. Seulement, l’évolution humaine marche d’un bloc, et l’instinct de l’artiste s’accorde étroitement avec l’esprit du philosophe, pour donner à leurs créations abstraites ou concrètes le même rythme qui exprime un même besoin général.

III

Quoi qu’il en soit, c’est la foule et rien qu’elle qui a répandu sur le bois des sarcophages, sur le tissu compact des hypogées, les fleurs pures, les fleurs vivantes, les fleurs colorées de son âme. Elle a chuchoté sa vie dans les ténèbres pour que sa vie resplendît à la lumière de nos torches quand nous ouvririons les sépulcres cachés. La belle tombe était creusée pour le roi ou le riche, sans doute, et c’était sa fastueuse existence qu’il fallait retracer sur les murs, en convois funèbres, en aventures de chasse ou de guerre, en travaux des champs. Il fallait le montrer entouré de ses esclaves, de ses travailleurs agricoles, de ses animaux familiers, dire comment on faisait pousser son pain, comment on dépeçait ses bêtes de boucherie, comment on pêchait ses poissons, comment on prenait ses oiseaux, comment on lui offrait ses fruits, comment on procédait à la toilette de ses femmes. Et la foule des artisans travaillait dans l’obscurité, elle croyait dire le charme, la puissance, le bonheur, l’opulence de la vie du maître, elle disait surtout la misère mais aussi l’activité féconde, l’utilité, l’intelligence, la richesse intérieure, la grâce furtive de la sienne.
Quelle merveilleuse peinture ! Elle est plus libre que la statuaire, presque uniquement destinée à restituer l’image du dieu ou du défunt. Malgré son grand style abstrait elle est familière, elle est intime, quelquefois caricaturale, toujours malicieuse ou tendre, comme ce peuple naturellement humain et bon, peu à peu écrasé sous la force théocratique et descendant en lui de plus en plus pour regarder son humble vie. Au sens moderne du mot, aucune science de la composition. Aucun sens de la perspective. Le dessin égyptien est une écriture qu’il faut apprendre. Mais, quand on la connaît bien, comme toutes ces silhouettes dont les têtes et les jambes sont toujours de profil, les épaules et les poitrines toujours de face, comme toutes ces raides silhouettes remuent, comme elles vivent ingénument, comme leur silence se peuple d’animations et de murmures ! Un extrême schéma, sûr, décisif, précis, mais tressaillant. Quand la forme apparaît, surtout la forme nue ou devinée sous la chemise transparente, l’artiste suspend en lui toute sa vie, pour ne laisser rayonner de son coeur qu’une lumière spirituelle qui n’éclaire que les plus hauts sommets du souvenir et de la sensation. Vraiment ce contour continu, cette unique ligne ondulante, si pure, si noblement sensuelle, qui dénonce un sens si discret et si fort du caractère, de la masse et du mouvement a l’air d’être tracé dans le granit avec la seule intelligence, sans le secours d’un outil. Là-dessus des coulées brillantes, légères, jamais appuyées de bleus profonds, d’émeraudes, d’ocres, de jaunes d’or, de vermillons. C’est comme une eau tout à fait claire où on laisserait tomber, sans l’agiter d’un frisson, des couleurs inaltérables qui ne la troubleraient pas et permettraient d’apercevoir toujours les plantes et les cailloux du fond.
L’intensité du sentiment, la logique de la structure brisent les chaînes du hiératisme et de la stylisation. Ces arbres, ces fleurs raides, tout ce monde conventionnel a le mouvement sourd des saisons fécondes qui s’ouvrent, la fraîcheur des germes renaissants. L’art égyptien est peut-être le plus impersonnel qui soit. L’artiste s’efface. Mais il a de la vie un sens si intérieur, si directement ému, si limpide, que tout ce qu’il décrit d’elle semble être défini par elle, sortir du geste naturel et de l’attitude exacte dont on ne voit plus la raideur. Son impersonnalité ressemble à celle des herbes qui frémissent au ras du sol ou des arbres s’inclinant à la brise, d’un seul mouvement et sans lutter, ou de l’eau qu’elle ride en cercles égaux qui vont tous dans le même sens. L’artiste est une plante qui donne des fruits pareils à ceux des autres plantes mais aussi savoureux et aussi nourrissants. Et la convention que le dogme lui impose n’apparaît pas, parce que ce qui sort de son être est animé de la vie même de son être, sain et gonflé de sucs comme un produit du sol.
Ce qu’il conte, c’est sa vie même. Les ouvriers à la peau tannée, aux épaules musculeuses, aux bras nerveux, aux crânes durs, travaillent de bon coeur, et même quand le bâton parle, ils gardent leur douce figure, leur figure glabre à pommettes saillantes, et ce n’est pas sans une sorte de fraternelle ironie que l’artisan décorateur ou statuaire qui s’est représenté lui-même si souvent, les montre affairés à leur besogne, rameurs suant, bouchers coupant et sciant, maçons assemblant des briques de limon cuit, gardeurs de troupeaux conduisant leurs bêtes passives, accouchant les femelles, pêcheurs, chasseurs, valets de ferme goguenards soupesant les canards éperdus par la base des ailes, les lapins soubresautant par les oreilles, gavant les oies obèses, portant dans leurs bras des grues dont ils serrent le bec à pleine main pour les empêcher de crier. Tout est moutonnements, trots roulants et serrés, bêlements, meuglements, bruits d’ailes. Les bêtes dome...

Table des matières

  1. Sommaire
  2. Introduction : à la première édition (1909)
  3. Préface à l’édition de 1921
  4. Avant l’histoire
  5. Introduction à l’art oriental (1923)
  6. L’Égypte
  7. L’ancien Orient
  8. Introduction à l’art grec (1923)
  9. Les sources de l’art grec
  10. Phidias
  11. Le crépuscule des hommes
  12. La Grèce familière
  13. Rome
  14. Page de copyright