
- 96 pages
- French
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eBook - ePub
Ă propos de ce livre
RĂSUMĂ :
"Les Chiens de garde" de Paul Nizan est une oeuvre polémique qui s'attaque vigoureusement à la philosophie institutionnalisée et à ses représentants, qu'il accuse de servir le pouvoir en place plutÎt que de chercher la vérité. Publié en 1932, cet essai incisif dénonce la complicité des intellectuels avec les structures de pouvoir, les accusant de trahir leur mission de critique sociale et de réflexion indépendante. Nizan, qui fut un temps proche du Parti communiste, utilise sa plume acérée pour critiquer ceux qu'il considÚre comme les gardiens du statu quo social, les "chiens de garde" de l'ordre bourgeois. Le livre est un appel à une philosophie engagée, en prise avec les réalités sociales et politiques de son temps, et constitue une critique acerbe des figures intellectuelles qui, selon lui, préfÚrent la sécurité et le confort académique à la lutte pour la justice sociale. à travers cet ouvrage, Nizan invite à une réflexion sur le rÎle de l'intellectuel dans la société, un rÎle qu'il voit non pas comme celui d'un observateur passif, mais comme celui d'un acteur engagé dans le changement social.
L'AUTEUR :
Paul Nizan, nĂ© le 7 fĂ©vrier 1905 Ă Tours, est un Ă©crivain et philosophe français, connu pour son engagement politique et ses Ă©crits critiques. Ami intime de Jean-Paul Sartre durant ses annĂ©es de formation Ă l'Ăcole normale supĂ©rieure, Nizan s'est d'abord orientĂ© vers la philosophie avant de se tourner vers la littĂ©rature et le journalisme. Son engagement politique se manifeste par son adhĂ©sion au Parti communiste français en 1927, un choix qui influence profondĂ©ment son oeuvre. Parmi ses Ă©crits les plus connus figurent "Aden Arabie" et "Les Chiens de garde", ce dernier Ă©tant une critique acerbe de la philosophie acadĂ©mique et de son rĂŽle dans la sociĂ©tĂ©. Nizan quitte le Parti communiste en 1939, en dĂ©saccord avec le pacte germano-soviĂ©tique. Sa carriĂšre littĂ©raire est brutalement interrompue par sa mort en 1940, lors de la bataille de Dunkerque. MalgrĂ© sa courte vie, Nizan a laissĂ© une empreinte durable dans la littĂ©rature engagĂ©e, ses oeuvres continuant d'inspirer des gĂ©nĂ©rations de lecteurs et de penseurs critiques.
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Informations
IV
SITUATION DES PHILOSOPHES
Ne quittant la lecture de Stuart Mill que pour celle de Lachelier, au fur et Ă mesure quâelle croyait
moins Ă la rĂ©alitĂ© du monde extĂ©rieur, elle mettait plus dâacharnement Ă chercher Ă sây faire, avant
de mourir, une bonne position.
moins Ă la rĂ©alitĂ© du monde extĂ©rieur, elle mettait plus dâacharnement Ă chercher Ă sây faire, avant
de mourir, une bonne position.
M. PROUST.
(Sodome et Gomorrhe, II. 2, 104)
Ce nâest pas lâusage que les privilĂ©giĂ©s des richesses perdent leur temps Ă des
spĂ©culations sociales, Ă des rĂȘves philosophiques faits tout au plus pour consoler
ceux que le sort a déshérités des biens de la terre.
spĂ©culations sociales, Ă des rĂȘves philosophiques faits tout au plus pour consoler
ceux que le sort a déshérités des biens de la terre.
A. DUMAS.
(Le Comte de Monte-Cristo, III, 10)
Dâautre part, il existe des oppresseurs et des opprimĂ©s. Et des gens qui profitent de lâoppression et dâautres qui ne sont pas tranquilles lorsquâils savent quâelle existe.
Dans un temps, dans un monde oĂč il est possible de dĂ©nombrer des banquiers, des industriels, des rentiers, et des manĆuvres, des chĂŽmeurs, des soldats, il ne se peut pas que la Philosophie soit univoque. La philosophie que les premiers adoptent ne saurait ĂȘtre sans efforts reconnue et embrassĂ©e par les seconds. M. Homberg, M. Motte, adopteront avec beaucoup de rĂ©ticences la philosophie quâimplique lâaction des ouvriers communistes.
Lorsquâil en est ainsi dans le monde, la Philosophie comporte une division. Elle est mĂȘme grossiĂšrement divisible. Je dois penser grossiĂšrement cette division initiale, bien que les bourgeois installĂ©s aux postes du commandement spirituel rĂ©pĂštent que la grossiĂšretĂ© des divisions est un pĂ©chĂ© contre lâEsprit, et condamnent enfin Ă lâinvalidation toutes les pensĂ©es quâon forme ou quâon conclut en partant de ces divisions vulgaires.
Mais les bourgeois seuls ont vĂ©ritablement besoin de subtilitĂ© dans leurs divisions, et de profondeur visible dans lâesprit, parce quâils ont seuls quelque chose Ă cacher et que la grossiĂšretĂ© est un moins bon masque que lâesprit de finesse et que les nuances. Ils doivent se dissimuler derriĂšre une belle nuĂ©e comme les Ăternels dans HomĂšre : M. Wahl, M. Brunschvicg, M. Marcel se dĂ©placent au sein dâun nuage, comme les dieux, ou encore comme les seiches. LâĂ©paisseur, la forme du nuage tĂ©moignent de la profondeur de la philosophie : dâaucuns trouvent que M. Rey nâest pas profond, son nuage nâest quâun lĂ©ger brouillard matinal, on voit ses malices du premier coup. Celui de M. Fauconnet nâest quâune ombre. Mais M. Marcel est profond : on ne voit pas derriĂšre son nuage le filet de ses malices.
Ainsi les philosophes se sentent Ă lâabri de tous les ennuis, par exemple de lâennui des classifications grossiĂšres, ainsi ces Olympiens font leurs affaires dans leurs ombres humides favorables aux mystĂšres et aux transmutations magiques. Si nous ne comprenons pas, ils murmurent : nuage, mon beau nuageâŠ
Mais il nâest plus lâheure pour personne de cacher le vrai jeu jouĂ©. Il est lâheure de dire simplement quâil y a une philosophie des oppresseurs et une philosophie des opprimĂ©s, sans aucune ressemblance rĂ©elle, bien quâon les puisse toutes deux nommer Philosophie. Câest lĂ lâĂ©quivoque de la Philosophie en gĂ©nĂ©ral, ou du moins la premiĂšre, la plus pressante de toutes les Ă©quivoques quâil faut dĂ©nombrer et mettre Ă nu.
Cette situation est plus claire que jamais elle ne fut. Mais les hommes sây embarrassĂšrent toujours. Il nây a jamais eu une philosophie indiffĂ©rente, une philosophie vraiment incapable de prendre, clairement ou obscurĂ©ment, consciemment ou inconsciemment, un parti. Faisons Ă Kant notre premier adieu : il disait :
« Que les rois et les peuples rois⊠nâobligent pas les philosophes Ă se taire ou Ă disparaĂźtre, mais quâils les laissent parler publiquement, câest ce qui est indispensable pour que leur gouvernement soit Ă©clairĂ© ; cette classe dâhommes est en effet par sa nature incapable de cabale et de menĂ©es de club et elle nâest pas suspecte dâesprit de prosĂ©lytisme. »[1]
Sans doute tous les philosophes dâaujourdâhui prennent-ils Ă leur compte tant de prudence ou une si naĂŻve ignorance de soi. De M. Benda Ă M. Bergson, ces frĂšres ennemis. Mais les philosophes sont justement des hommes qui font du prosĂ©lytisme. Il nâest pas besoin dâĂȘtre membre dâun club pour rĂ©pandre une propagande. Et sans doute les sĂ©ances de la SociĂ©tĂ© française de Philosophie, oĂč M. Xavier LĂ©on sâinquiĂšte des fenĂȘtres ouvertes, oĂč le P. LaberthonniĂšre introduit lâombre de la Croix, et M. ValĂ©ry, lâesprit de la Nouvelle Revue Française et des confĂ©rences des Annales ne rappellent-elles point dâabord lâatmosphĂšre ardente de la SociĂ©tĂ© des Jacobins. Mais cette assemblĂ©e apparemment innocente est pourtant lâun des lieux oĂč lâarmement dâun prosĂ©lytisme est poussĂ©.
Les philosophes sont mĂȘme des gens qui ont plus de partis pris que les profanes dont ils traduisent mĂ©thodiquement lâesprit. Et il nây a jamais eu que deux partis Ă prendre, celui des oppresseurs et celui des opprimĂ©s. La Philosophie bourgeoise au temps de son adolescence a pris elle-mĂȘme un parti qui Ă©tait celui des opprimĂ©s, qui Ă©tait celui de la bourgeoisie opprimĂ©e. Tout le malheur vient de la propre distraction de ses reprĂ©sentants : aucun nâa vu se transformer en philosophie des oppresseurs ce qui avait Ă©tĂ© la philosophie des opprimĂ©s. Personne nâa vu Voltaire, personne nâa vu Kant passer de lâautre cĂŽtĂ© des barricades. Seul sâen est avisĂ© le prolĂ©tariat devenu en cent ans le seul reprĂ©sentant et la seule masse des opprimĂ©s. Mais les philosophes continuent Ă affirmer que la Philosophie en gĂ©nĂ©ral ignore les partis et les partis pris. Cette vierge aime la VĂ©ritĂ© pour elle-mĂȘme, comme sainte ThĂ©rĂšse aimait Dieu. Et mĂȘme ils le croient. Ils ne prennent point garde quâon a toujours mis la VĂ©ritĂ© Ă la sauce quâon voulait. Quâil y a mille recettes pour lâaccommoder.
Toute philosophie cherche Ă Ă©tablir et Ă justifier des vĂ©ritĂ©s spirituelles conformes Ă certains types dâexistence temporelle, elle les exhibe mĂ©thodiquement au moyen de raisonnements et de concepts. Comme le mĂȘme rĂ©pertoire de concepts et de raisonnements peut entrer dans lâĂ©tablissement de vĂ©ritĂ©s fort diverses, il est facile de croire que les vĂ©ritĂ©s ne sont que des parties de la VĂ©ritĂ© unique en faisant fonds une fois encore sur la philosophie des vĂȘtements.
La nature de la Philosophie comme de tout autre activitĂ© humaine est au vrai de servir des personnes et leurs intĂ©rĂȘts. En apparence, les philosophes peuvent paraĂźtre purs de tout intĂ©rĂȘt temporel, ils peuvent paraĂźtre des arbitres appuyĂ©s sur des sentences Ă©ternelles, et non des partisans : mais les plus immobiles des masques nâimitent pas longtemps un dĂ©sintĂ©ressement inhumain. Les philosophes finissent toujours par laisser surgir les hommes qui les hantent.
Le dĂ©sintĂ©ressement, la dĂ©mission pratique mĂȘmes sont des dĂ©cisions de partisans. La volontĂ© dâĂȘtre un clerc et seulement un clerc est moins un choix de lâHomme Ăternel que lâĂ©lection du partisan. Lâabstention est un choix. Une prĂ©fĂ©rence. Elle comporte un jugement gĂ©nĂ©ral, rarement explicitĂ© sans doute, et la sĂ©lection dâune attitude dĂ©finie. Le vulgaire le sent : câest pourquoi il lui est difficile de croire Ă la puretĂ© de la Philosophie. Câest pourquoi il la moque. Voici une demande qui est faite : les philosophes veulent-ils ĂȘtre des partisans et en mĂȘme temps des hommes, ou bien des non partisans qui ne soient pas des hommes ? Il est clair que cette alternative est une production purement illusoire de la critique : accepter ses termes fait tomber au milieu de tous les piĂšges que la bourgeoisie nous tend. Simplement : les philosophes peuvent embrasser plus dâun parti, car la Philosophie nâa pas quâun seul Destin. Car il nâexiste pas de VĂ©ritĂ© univoque, Ă©ternelle et connaissable telle que la Philosophie univoque, Ă©ternelle et connaissante puisse lâĂ©lire comme seul objet.

Parmi les philosophes, les uns sont satisfaits, les autres non.
Ăpicure nâĂ©tait pas comblĂ©, Spinoza nâĂ©tait pas comblĂ©, Rousseau nâĂ©tait pas facile Ă satisfaire. Mais Leibniz jugeait que le monde allait assez bien. M. Brunschvicg nâest pas mĂ©content non plus.
Derechef, câest que les philosophes ont pour envers des hommes : les uns possĂšdent donc des motifs de sentir que le monde est confortable, les autres nâarrivent point Ă sây accoutumer. Les premiers se conforment au monde et ne voient point de raisons de le changer, ils nâaiment point les seconds qui nâacceptent pas le monde comme il va et veulent le changer. Câest pourquoi M. Brunschvicg nâaime pas Marx.
On ne fera jamais croire Ă personne quâil suffise en tout temps, pour sâadapter au monde, de le regarder et de lâinterprĂ©ter comme il faut. Cela exige un Dieu tout puissant, maĂźtre dâune sagesse sans dĂ©fauts et quelque table des rĂ©tributions et des restitutions Ă©ternelles : il ne fallait pas se passer de Dieu si lâon voulait faire croire que lâopinion relĂšve de la libertĂ© du jugement, ou que la libertĂ© naĂźt de lâopinion droite. Je nâaime pas la Philosophie des Ă©craseurs parce que je me suis senti Ă©crasĂ© : lâadaptation Ă lâĂ©crasement me paraĂźt bien moins un succĂšs de je ne sais quel pouvoir intĂ©rieur de juger librement quâune mutilation de la vie. Il a toujours paru plus facile Ă lâoppresseur quâĂ lâopprimĂ© de sâadapter Ă lâoppression.
Les philosophes qui sont confortables estiment que le progrĂšs humain est arrivĂ© Ă son terme ou est en bon chemin. Ils se croisent les bras et ils sâinstallent dans la paix du dimanche. Plus de travail sur la planche. Ils mĂ©ditent dans le repos du septiĂšme jour. Tout nâest-il pas fait ? Les ancĂȘtres nâont-ils disposĂ© le monde aux mieux des hommes ? Il ne reste plus que des complĂ©ments, que des embellissements, que la derniĂšre main Ă mettre.
Mais pour quelques-uns dĂ©jĂ parmi les hommes, le dimanche nâest pas arrivĂ©, ils ne connaissent pas cet apaisement qui suit les crĂ©ations, ils voient tout ce travail qui nâest pas fait. Je trouve que le travail nâest pas fait. M. Lalande trouve que si. M. BouglĂ©, M. Thamin sont assis dans la paix du Seigneur. Comment la Philosophie ne serait-elle point achevĂ©e depuis le temps quâil y a des hommes et qui pensent ? La machine de lâesprit est en marche, elle marchera seule jusquâĂ la fin des temps ? Nâont-ils pas inventĂ© le mouvement perpĂ©tuel de la Raison ? Et maintenant, Seigneur, rappelez Ă vous votre serviteur !
Cependant, la Philosophie ne marche point, elle ne fait plus un pas en avant, si dĂ©jĂ bien des signes annoncent quâelle fera plus dâun pas en arriĂšre. Personne ne songe Ă ouvrir de nouvelles voies, les thĂšmes sont classĂ©s, les programmes fixĂ©s jusquâau bout de lâhistoire. M. Parodi fait le point et relĂšve la route : aprĂšs demain, dans cent ans. Ces rentiers ont achetĂ© la maison.

Cette dĂ©mission a son sens. LĂ©nine, du dehors, du milieu de la foule vulgaire des profanes, a mis la main sur lâargument. Bien quâil ne pensĂąt point alors Ă la Philosophie, sa pensĂ©e lui est exactement applicable :
« En politique, indiffĂ©rent veut dire satisfait⊠lâĂ©tiquette de « sans parti » dans la sociĂ©tĂ© bourgeoise nâest que lâexpression voilĂ©e, hypocrite, passive, de lâappartenance au parti des repus, au parti des gouvernants, au parti des exploiteurs. »
Il faudra dire : en philosophie, indiffĂ©rent veut dire satisfait. « Sans parti » veut dire exploiteur. Lâabstention, ce parti qui consiste Ă nâen avoir point, trouve ici tout son sens. Comme les grandes affaires des hommes laissent froide la Philosophie française et lâinquiĂštent, elle demeure enfoncĂ©e dans ses petites affaires dâidĂ©es. Câest pourquoi la nĂ©cessitĂ© de lâattaque nous presse. Bien quâil paraisse, encore un coup, scandaleux de traiter la Vie de lâEsprit comme une activitĂ©, ou comme une passivitĂ©, politiques, de lui demander des certificats comme Ă un employĂ© qui cherche un emploi. Scandaleux dâappliquer Ă M. Brunschvicg ou Ă M. Lalande un type dâattaques qui les sortira de leurs habitudes, qui ne leur Ă©taient pas nommĂ©ment destinĂ©. Mais ce scandale est aujourdâhui beaucoup plus urgent que lâintuition de la durĂ©e, et que la thĂ©orie de la dissolution, et que la dialectique du monde sensible et que tout ce Talmud de la fausse histoire. Il est aujourdâhui inhumain de se refuser aux scandales philosophiques : nous aimons mieux les hommes que la Philosophie, si elle nous Ă©carte de leur parti. Dâailleurs la Philosophie a toujours paru scandaleuse Ă certaines gens lorsquâelle a ouvertement coĂŻncidĂ© avec des entreprises concrĂštes. La Sorbonne aura toujours du mal Ă regarder Marx comme un philosophe, mais non Lachelier et Boutroux, prĂȘtres manquĂ©s.

Ă quoi sert enfin cette philosophie de maintenant qui sâenseigne dans des universitĂ©s, des Ă©coles et des livres. Ses auteurs disent quâelle ne sert Ă rien et quâelle ne sert personne, ni aucun intĂ©rĂȘt temporel, mais seulement le Vrai, lâHumanitĂ© et lâEsprit. Ils pensent que, semblable Ă la poĂ©sie, elle ne saurait ĂȘtre utile, au sens bas des politiques, des gens du commun, des gens qui doivent, aprĂšs tout, faire passer leur vie avant la pensĂ©e pure. Cette illusion fut trop longtemps insĂ©parable de lâexercice de la pensĂ©e pour quâils ne la nourrissent point encore avec une certaine sincĂ©ritĂ©. Mais il nây a aucune raison de croire que la Philosophie Ă©chappe aujourdâhui aux caractĂšres qui furent toujours les siens, quâelle a rĂ©ellement cessĂ© depuis lâavĂšnement de la TrinitĂ© dĂ©mocratique de prendre des partis.
On rencontre beaucoup de gens qui la dĂ©testent, mais disent quâelle est morte, quâon peut lâoublier sans arriĂšre-pensĂ©e, quâelle ne secourt sans doute personne, mais ne ferait pas de mal Ă une mouche, quâelle est en effet si parfaitement pure et Ă©cartĂ©e de la vie quâelle ne menace rien, quâelle ne combat rien, que les hommes peuvent dormir tranquilles et ne point la craindre. Il est vrai, de nouveau, que les gardes mobiles, le ComitĂ© des Forges, les planteurs de caoutchouc sont plus menaçants pour le destin des hommes que les discussions des CongrĂšs philosophiques et que les dĂ©cades de Pontigny : congrĂšs et dĂ©cades ont quelques traits comiques qui inclinent Ă lâindulgence, qui retiennent de croire que M. Desjardins doive ĂȘtre combattu. Philosophie pour la Philosophie. Art pour lâArt. M. Bergson serait le ThĂ©ophile Gautier de la Philosophie.
Mais il ne faut plus prendre des dĂ©sirs pour des faits, des vĆux pour leur satisfaction. Il ne faut pas ĂȘtre dĂ©sarmĂ© par cette indulgence, par cette fausse dĂ©livrance du rire.
Cette philosophie nâest pas morte, mais doit ĂȘtre tuĂ©e. Elle nâa de la mort que les apparences inoffensives, elle nâest pas encore un cadavre en dĂ©composition. Ces mises Ă mort ont toujours eu lieu dans lâhistoire de la Philosophie, comme dans celle de la politique et de lâĂ©conomie. Une philosophie ne finit pas plus de son propre mouvement quâun rĂ©gime ne meurt sans ennemis. Une nouvelle philosophie ne triomphe pas avant que la philosophie prĂ©cĂ©dente nâait Ă©tĂ© dĂ©truite. Il faut travailler Ă sa dissolution. Ainsi Emmanuel Kant proclamait avec lâardeur de lâantique rĂ©volution bourgeoise :
« Pour que la vraie philosophie renaisse, il faut que lâancienne disparaisse⊠La putrĂ©faction est la dissolution la plus entiĂšre qui prĂ©cĂšde toujours les dĂ©buts dâune nouvelle production⊠»[2]
Cette putrĂ©faction ne se fera pas toute seule. La philosophie de notre temps vit. Mais de quelle vie ? Quelles sont les fonctions de sa vie ? Il existe bien des sortes de vies sur la terre : celle des vivants et celle de leurs parasites. Celle de lâhomme. Celle de ses vers. Je demande si le philosophe de maintenant vit comme un homme vivant ou comme un ver. Il nây a aucune raison dâĂ©carter ce genre de questions. Il nây a aucune raison de ne pas leur donner de rĂ©ponses.

Sans doute ne sâest-il point constituĂ© en France un corps de doctrine qui ait pris pour principes publics et proclamĂ©s les exigences de lâexploitation humaine, les formules mĂȘmes de lâoppression. Aucune philosophie nâa pour contenu de pareilles demandes. Aucune philosophie ne fonde « loyalement » sur la reconnaissance des besoins temporels de la bourgeoisie lâexistence de M. François-Poncet, de M. de Wendel, lâexistence inhumaine des manĆuvres. La bourgeoisie nâest pas encore en Ă©tat de se passer de justifications spirituelles. Aucune thĂšse de doctorat nâa encore exprimĂ© la lutte de classes que la bourgeoisie militante mĂšne, la nĂ©cessitĂ© de lâesclavage industriel, la haine, la peur et la colĂšre que le prolĂ©tariat inspire Ă la bourgeoisie.
Nos philosophes ne sont point cyniques. Ils nâont pas encore proclamĂ© que leur clĂ©ricature Ă©tait hostile Ă lâavenir des hommes et il se peut enfin quâils ne le soupçonnent pas. Ils nâĂ©talent pas un dĂ©sir, scandaleux sans doute Ă leurs yeux mĂȘmes, de voir se maintenir au profit de leur classe lâhumiliation et lâĂ©crasement des hommes. Ils doivent publiquement, officiellement se regarder comme des tenants du parti des hommes. TombĂ©s les premiers dans le piĂšge que leur classe tendit, ils doivent se garder le respect.
Ne parlent-ils pas de Liberté, de Justice, de Raison, de Communion ? Ne se ...
Table des matiĂšres
- Sommaire
- INTRODUCTION
- Chapitre I : DESTINATION DES IDĂES
- Chapitre II : LES PHILOSOPHES CONTRE LâHISTOIRE
- Chapitre III : DĂMISSION DES PHILOSOPHES
- Chapitre IV : SITUATION DES PHILOSOPHES
- Chapitre V : POSITION TEMPORELLE DE LA PHILOSOPHIE
- Chapitre VI : DĂFENSE DE LâHOMME
- NOTES
- Page de copyright