Conférence à l’institut de psychanalyse et de psychothérapie
Charles Baudouin à Genève – 1994
Permettez-moi de vous proposer mes réflexions de clinicien sur la culpabilité. L’exposé oral autorise un langage imagé que vous me pardonnerez peut-être et goûterez, je l’espère, en hommage aux textes rabelaisiens.
La culpabilité a des conséquences y compris somatiques. Je veux parler aussi bien du cancer, du sida, voire de la tuberculose, que de la petite vérole ou de la grande vérole. Disons-le crûment: ces malades souffrent d’un «cul pas habilité». Ne soyez pas étonnés: un jeu de mots peut se révéler un excellent remède aux tristes maux.
De fait, cette culpabilité ou ce cul qui n’est pas habilité génère des effets secondaires ou primaires selon les cas, non seulement sur l’état psychique, psychologique de nos patients, mais aussi sur leur état physique, physiologique, voire sur la cellule. La culpabilité peut générer un monde de folâtreries dans tous les sens du terme.
Les exemples cliniques vont vous démontrer l’importance fondamentale du sujet et la pluralité de ses expressions corporelles et psychiques.
La première expérience que j’en fis remonte à plus de soixante ans. Vous me direz que je n’étais pas encore entré en profession ni dans le bon ordre: c’était à propos de notre professeur de mathématiques au lycée Henri Poincaré à Nancy. C’était un homme droit comme une planche, avec une face triangulaire, brave homme qui ne pouvait sortir de son raisonnement ou de sa vie que par l’intermédiaire d’équations! Et à force de faire des équations et des lignes algébriques, il finit par être complètement desséché. Il n’eut pas le bonheur de terminer sa carrière et d’avoir le bénéfice d’une retraite voyageuse. Il vécut plutôt une préretraite terminale!…
Bien que reçu major à l’agrégation, il «n’avait rien où je pense», ce qui se sent bien quand on est un potache chahuteur et cela ruine évidemment toute autorité. Espiègles comme nous l’étions, nous l’arrosions généreusement avec l’encre de nos stylos dès qu’il nous tournait le dos, aussi sa blouse ressemblait-elle à une constellation colorée, et les bulles ornaient nos copies, car le dessèchement de ses testicules était peut-être conforme à la mathématique scolastique, mais ne faisait pas régner l’ordre.
Nommé interne des hôpitaux, comme on entre en religion, il me fut nécessaire de consacrer tout mon temps et toute mon énergie sous la férule de messieurs les professeurs, et dans ces maisons de Bonsecours, je rencontrai des gens apparemment «ensorcelés». Certains honoraient une bonne douzaine de femelles par semaine! À force de les questionner – malgré le désaccord de mes supérieurs pontificaux, qui ne voyaient pas à quoi pouvaient bien servir mes questions – j’obtins d’eux une première réponse: «Je cherche non pas fortune, mais je cherche à trouver bonheur et paradis!» Je trouvai alors que cette réponse n’en était pas une, mais une simple élucubration. En conséquence, je laissai toute cette affaire en plan.
Une brave paysanne venue de la Lorraine profonde vint consulter pour «étouffement de la gorge». Elle avait un goitre aussi gros qu’un cul de porcelet: il fallait la calmer, bien sûr, et l’opérer en grande urgence, sinon elle allait trépasser d’asphyxie dans les plus brefs délais. C’est vrai qu’elle avait la glande thyroïde aussi grosse que quatre paires de fesses… et longue d’une bonne coudée… J’étais ébahi devant pareille aberration de la nature. Quand elle fut réveillée après l’intervention, j’allai lui rendre visite, histoire de voir comment elle se comportait et de bien veiller à ce que tout fût dans la norme qui nous était indiquée. J’appliquai à la lettre les ordres donnés, mais, tenté par la curiosité, je lui posai quelques questions.
Elle me raconta sans trop de difficultés sa peur obsédante et permanente d’être touchée par son homme! À chaque fois qu’il la pénétrait, c’était pour elle un véritable viol, parce que son corps devait être donné à Dieu comme souhaitait sa brave mère! Pour elle, le paradis et le bonheur, c’était de «tout donner à Jésus», en faisant malgré elle un très petit devoir conjugal! Son homme s’en contentait. J’en fus étonné. Cette situation devait se retrouver chez bon nombre de bourgeoises réfrigérantes. Elles enseignaient le catéchisme à la place du curé et étaient fort racornies.
Je notai cela sur mes cahiers et je saisis déjà une direction: ces deux types de maladies fort opposées parlaient de bonheur et de paradis, mais reposaient sur des problèmes différents: d’un côté un goitre aussi gros que quatre paires de fesses, et de l’autre des gens qui déraisonnaient.
Les ensorcelés de la chair et de la concupiscence avaient un dessèchement de la glande thyroïde, ce qui entraînait des pulsions permanentes, tandis que l’autre avait radicalement coupé toutes ses pulsions.
J’osai parler de ceci à mes sommités pontificales. Ils me répondirent: «Mon cher ami, je ne puis répondre, car nous n’en savons rien! Tout ce que je sais, c’est que l’élève dépassera le maître!» J’en fus éberlué, car j’attendais à vrai dire une recette, du moins un début d’explication cartésienne, une bonne monnaie sonnante et trébuchante pour gens de raison, du moins de bon sens.
De recette, je ne vous en donnerai pas, mais je vous exposerai des cas cliniques qui, au fur et à mesure, vous expliqueront les différentes pistes que j’ai suivies. Ils montrent que chacun peut devenir un vrai thérapeute: c’est cela le secret!
Qu’est-ce que la maladie, en effet? C’est le mal dit, le mal entendant et le mal disant!
Vous savez aussi bien que moi combien la langue humaine est plus dure qu’une lame d’épée. Elle peut faire plus de ravages que n’importe quelle arme qui puisse être inventée, car elle est plus venimeuse que le cobra royal ou le trigonocéphale!
Quelques lunes plus tard, en compagnie de mon maître, M. le Pr Valgrass, je fus amené à consulter un brave damoiseau pour une poussée intense et inquiétante de glycémie.
Il fallait lui administrer absolument des piqûres d’insuline, car il avait des poussées jusqu’à 6, 7, 8 g chaque fois.
C’était un «insulinodépendant».
Mon cher maître, devenu depuis un vieil ami, me dit: «Ce n’est pas pour nous, c’est pour l’endocrinologue et le diabétologue, mais avant de l’envoyer chez le confrère, je voudrais bien qu’on recherche un petit peu le pourquoi. Car le cas d’un jeune homme de 12 années peut être surprenant. Et comme vous, mon cher élève, avez déjà commencé à le questionner, eh bien, je vous attends!»
Je me suis remis à l’interroger ainsi que sa douce mère et son vénérable père. J’appris que le père n’avait aucun intérêt pour son fiston, puisqu’il n’avait été que le gène ambulatoire nécessaire pour poursuivre la renommée du nom.
Pour la mère, c’était le poussin «bien couvé». Elle l’avait confié à sa propre mère, une matriarche inquisitoriale. La chère grand-mère avait «un croc non usé3» envers sa fille qui avait cependant mené une vie parfaite sur le plan de sa carcasse, mais non pas au goût de son auguste mère qui était du genre «fouille-merde» dogmatique. Elle en avait fait l’amer reproche à son petiot de petit-fils lui assénant que «sa mère de sein était une catin de première ligne» alors qu’il n’avait guère plus de sept années! Depuis ce temps-là, le fils avait peur de perdre sa mère, donc il restait désespérément dans le giron de celle-ci. Pour s’y être attardé, il développait une dépendance totale… et l’insulinodépendance fâcheusement constatée, comme l’absence totale d’intérêt pour les choses de l’«entre-deux» selon la morale crétinisante de la culpabilité. On coupe bien les «pompons» des chats mâles pour les faire rester à la maison, eh bien, les diabétiques sont rarement utilisateurs de ces diableries de famille qui n’attirent que des ennuis selon une morale très épanouissante et malheureusement trop répandue!
Voyez chers lecteurs, par ces trois exemples, notamment le dernier, que notre société a amputé et désire amputer systématiquement tous ceux qui s’écartent de ses règles dogmatiques et fort bien incestueuses.
En effet, la matriarche avait l’irrespect de juger l’attitude de sa fille qui avait fait quelques brouillons avant son mariage; la traitant comme une catin éhontée alors qu’elle ne faisait que vivre à sa façon une recherche d’indépendance vis-à-vis de son excellente mère très catholique. Celle-ci avait traduit par la manière forte le rejet insupportable à ses yeux de cette façon de vivre, alors que sa fille voulait seulement dire à sa mère: «Vivons notre vie simplement en cherchant le sens de la vie.»
Honni soit qui mal y croit, qui mal y pense!
La terrible grand-mère avait tout déformé, appliquant à la lettre la sainte morale apostolique du cul non habité ou non habilité pour raison d’apostasie criminelle. Vous voyez donc que la langue du crotale d’ecclésiaste, fourbe et émule de Torquemada, avait détruit, pratiquement tué, ce petiot de poussin.
Vous qui n’ignorez pas les travaux de neurophysiologie ni les lois neuronales, vous savez que la maturation du cerveau résulte des poussées hormonales notamment génitales car les «roustons», apparents ou cachés, secrètent de quoi ouvrir le cerveau à la vie, à rendre plus adulte, plus indépendant, ce qui ouvre aussi les ouïes et les yeux.
Sur ce sujet, je pourrais encore vous donner beaucoup d’exemples. Étant interne du service de médecine du cher professeur Valgrass, j’avais trouvé un système de recherche diagnostique par les odeurs en côtoyant les malades, pour avoir vu mon cher maître pratiquer ainsi avec succès uniquement en ouvrant la porte de leur chambre! C’était donc un homme bien complet! C’est vrai que son cul avait un fonctionnement parfait. Alors qu’il satisfaisait déjà son honorable compagne, un peu sèche cependant, car trop intellectuelle, il lui fallait encore consoler ses secrétaires, infirmières et aides-infirmières lorsqu’elles étaient dans le désarroi – non pas, comme il le disait si bien – «pour chercher et trouver paradis, mais pour apporter soulagement à la misère humaine»!
Je trouvais tout cela très drôle et très bon enfant dès lors que tout le monde était content. C’était une autre nature généreuse, car il distribuait son trop-plein d’énergie ainsi, d’autant qu’il avait toujours une mine superbe comme un soleil réjoui. C’était bien de soulager la misère humaine toujours prospère et envahissante. Il est vrai que ses secrétaires, infirmières et aides-infirmières avaient toutes la mine épanouie! Dès que l’une avait l’air d’être en piteux état, il s’empressait de la consoler. Après, elle avait une mine superbe, comme s’il lui avait transmis le soleil! Un sage me dit un jour à ce propos: «Ce qui mène la vie, c’est l’ivresse du réchauffement du cul!»
Cela est tout à fait vrai j’en conviens. Mais côté cœur? Sa femme était-elle heureuse de cette situation même ignorante des faits? Encore une autre histoire ou une autre conférence?
Nous reçûmes ensemble une «foldingot» qui se privait de manger. Elle refusait toute mangeaille, tout amuse-gueule, car elle punissait ainsi ses parents d’avoir croqué la pomme! Elle affligeait son entourage en s’infligeant le rejet de son billet de naissance parce que, selon sa fâcheuse idée, c’était pécher que d’avoir généré et donné la vie.
C’est un peu l’hypothèse fondamentale de la diablerie romaine catholique et inquisitoriale. Il fallait soulever chiffons ou jupons à grand-peine pour pouvoir accomplir au plus vite son devoir conjugal. Dès que le gène était transmis, il fallait se l’arracher au plus vite. Elle refusait donc toute mangeaille.
Après quelques semaines et nombreuses piqûres et fâcheries de toutes sortes, je la découvris un soir en train de manger. J’en fus surpris. Je ne dis rien et observai à distance. Une infirmière me fit signe de venir près d’elle: dans la chambre voisine, il y avait un beau mâle en manque. Il se mit à flirter avec elle, trop délaissée. Oh! La chasse fut bonne! On les surprit très discrètement dans le même lit. Il était à vrai dire fort étroit, sans doute devaient-ils se mettre l’un sur l’autre… la vie avait repris… Il lui avait redonné la vie et le goût de vivre non seulement par les caresses, la langue dans tous les termes qu’on pouvait appliquer, mais aussi par un cul bien chaud et bien accueillant. Depuis ce jour, avec les années, elle est devenue une bonne mère de famille et une bonne épouse, tout cela a donné un couple harmonieux.
Le miracle s’est opéré tout seul et notre cher professeur et ami Valgrass en fut tout réjoui. Cela lui confirmait ses théories prônées chaque jour dans une maison de Bon Secours, très bien tenue par des chères sœurs de Saint-Charles ou de Saint-Barnabé, peu importe, en cornette ma foi. La miséricorde ne pouvait passer que par la transmission de la vie, et donc par le soleil.
Il faut donc avoir un cul bien habilité pour pouvoir bien vivre!
J’ai eu la divine surprise de rencontrer mademoiselle Lostie de Kermaure qui avait aussi une sainte horreur de manger; ainsi elle se torturait l’estomac. Je lui demandai de préciser ses goûts et aversions alimentaires, des questions qui paraissent absurdes pour un médecin! Elle me souligna que de tous les aliments, ce qui la dégoûtait le plus vraiment, c’étaient les bananes, les mandarines ou les oranges, c’est-à-dire les pommes d’or.
La famille me conta l’évolution gravissime de la maladie de cette brave demoiselle au prénom si prédestiné à la sainte communion eucharistique. Plus le temps s’écoulait, plus la maladie empirait. J’eus, en l’écoutant de nombreuses heures, la certitude qu’elle voulait punir son brave père et sa noble mère de l’avoir engendrée. Elle se torturait littéralement en refusant non seulement l’objet de son corps mais aussi sa «sente», son odeur corporelle. L’objet maléfique était bien la forme des génitoires, mais aussi de la «sente» du mâle, une odeur repoussante à l’extrême. En effet, la pomme d’or, c’est la pomme d’Adam, alors que la banane représente l’objet sexuel du mâle. Plus elle allait, plus mademoiselle Lostie finissait par atteindre le poids irrémédiable où tout espoir est compromis et tout retour interdit. J’ai eu la certitude par les tests de laboratoire qu’elle repartait dans des souffrances de déshydratation intense dans l’autre monde. Par parenthèse, je vous ferai remarquer que nous retrouvons ce genre de problème chez certains qui ont l’impression d’être habités par un Dieu.
Ils arrivent à survivre en ne mangeant qu’une infime parcelle de pain, l’h...