Chapitre 1
Les premières relations
LE TOUCHER, L’ODEUR ET LA VOIX
Un texte de médecine ayurvédique nous dit que: « C’est par le canal des textures, des odeurs, des saveurs, des formes, des couleurs et des sons que s’effectue le développement de l’embryon et du fœtus.» Dans le monde rationnel des adultes, on a perdu l’habitude de tenir compte de la sensorialité; on ne sait plus parler de façon simple, des choses sur lesquelles on n’est plus habitué de réfléchir, j’entends par là le langage des sens. Pour plusieurs adultes, les processus sensoriels d’avant la naissance sont considérés comme des phénomènes non indispensables dans le développement. J’ai donc hésité à traiter de cela, car, au premier abord, cette communication sensorielle peut sembler tenir plus d’un discours ésotérique que d’un discours psychologique ; toutefois, parce qu’il m’importe d’informer et de guider les mères dans l’univers de leur enfant, quelques idées tirées du texte de Frans Veldman sur l’haptonomie* m’ont convaincue d’aborder avec vous, lecteurs, lectrices, la question du caractère fondamental de la communication sensorielle d’avant la naissance.
Tous les adultes, un tant soit peu sensibles à la cause des enfants, admettront que dans les débuts de la vie de l’enfant, l’intelligence des sens existe vraiment. Pour bien comprendre la relation sans parole entre le nouveau-né et sa maman et bien comprendre les phases de son développement, je crois qu’il faut nécessairement tenir compte de l’influence des processus sensoriels.
Tous les adultes rationnels admettent que les animaux possèdent, à divers degrés, des sens qui leur permettent de percevoir le monde. Il en est de même pour les êtres humains. Nous possédons tous une notion naturelle de la pesanteur et de l’espace qui nous permet de savoir si ce que nous voulons soulever est haut ou bas, lourd ou léger. Nous possédons tous un sens de l’équilibre qui nous permet de grimper et de nous pencher sans tomber; c’est ce sens propriocepteur qui rétablit notre position à tous les moments de la journée et qui, en conséquence, garde notre corps d’aplomb. Nous possédons tous aussi ce sens grâce auquel nous pouvons déterminer instantanément si un objet est chaud ou froid. Ces perceptions sensorielles sont des plus importantes pour nous indiquer des repères dans l’espace et des repères physiologiques. Les perceptions sensorielles sont indispensables à la survie de tous les êtres humains. Pourtant, nous n’en prenons conscience que lorsqu’elles viennent à manquer.
Dès sa naissance, c’est avec les sens que l’enfant, à travers un système perceptuel vierge, perçoit intimement le monde et la vie. Ce n’est qu’au fil des ans qu’il s’éloigne de ses instincts sensoriels. Les sens sont ses premiers outils auxquels l’enfant se fie pour communiquer ses joies et ses peines.
Les sens des tout-petits ne sont pas qu’une infime et inutile partie d’eux-mêmes, mais bien la partie la plus authentique de leur savoir être spontané. La majorité des adultes omettent de se servir de leur sens, mais pour le jeune enfant les informations sensorielles ne sont ni une vague théorie ni une philosophie abstraite ; elles existent et ce sont elles qui construisent les bases de leur vie psychique.
Aujourd’hui, la science médicale reconnaît facilement qu’une mère en bonne santé a une influence positive sur le fœtus : son mode de vie sain prévient des risques de maladies ou d’intoxications qui menacent l’enfant. On reconnaît cependant, encore avec beaucoup de difficulté, le bienfondé d’une communication avec le fœtus. Heureusement, certaines mères se fient encore à leur intuition pour communiquer avec l’enfant qui se développe en elles. Et si l’apprentissage d’une communication entre la mère et le fœtus était partie prenante de la croissance harmonieuse de l’enfant lors des premières semaines de vie?
Chez l’enfant, la communication sensorielle précède la communication verbale. Avant d’accéder à la parole, l’enfant est un être qui vit de ses perceptions et de ses sens. Tout comme le font les animaux, pour interpréter les intentions des gens et les situations, les bébés humains se fient à leur goût, aux couleurs et aux odeurs. Comme les chauves-souris, les dauphins, les baleines, les oiseaux et les abeilles, qui se fient aux longueurs d’ondes et aux sons, tous les êtres humains utilisent d’abord des indices sensoriels pour procéder au réel. Pour faire ceci ou cela, c’est en se servant, au premier chef, de son équipement neurologique et sensoriel que chaque bébé se prépare à l’exercice de communication avec sa mère.
Si le fœtus ne comprend pas les mots, il entend et il est particulièrement sensible à la manière dont sa mère intervient avec lui. À travers les parois de l’utérus, il entend et apprend déjà à discriminer les voix humaines et les types de sons. On sait aujourd’hui que dans le ventre de sa mère, le fœtus entend la musique et les bruits de l’environnement où se trouve la mère. Les mères ressentent d’ailleurs leurs fœtus réagir aux sons forts et aux mouvements qui leur déplaisent. On peut ainsi dire qu’une mère qui parle à son fœtus lui apprend déjà à reconnaître sa voix.
Avant la huitième semaine de la grossesse, c’est-à-dire avant qu’il ne soit considéré un fœtus, le corps physique de l’enfant est appelé un embryon. Il est démontré qu’au stade embryonnaire, la puissance de développement est presque exclusivement le fait de l’héritage génétique apporté par la mère et le père; il est aussi établi que l’influence de l’environnement maternant n’apparaît qu’après le moment où tous les organes sont en place. Le corps physique est alors constitué et c’est ce qu’on appelle, la période d’aimance fœtale.
Veldman, dans un long texte, expose la façon dont il conçoit et comprend le commencement de la relation entre une mère et le fœtus. Pour lui, toutes les mères peuvent, relativement facilement, établir un «contact affectif, sensoriel et fonctionnel » avec leur enfant, tout simplement, en touchant leur ventre.
À partir du moment où les premiers mouvements sont perceptibles, moment variable suivant qu’il s’agit d’une primipare ou d’une multipare, habituellement autour du quatrième ou cinquième mois de grossesse, la mère oriente son affectivité avec une sensitivité accrue vers son enfant; elle le prend, à la lettre, dans ses mains, l’enveloppant affectivement. La stimulation perceptive, ressentie par l’enfant, l’invite à répondre de façon réflexive, de plus en plus anticipante. Et, peu à peu, il se développe, entre la mère et l’enfant, une interaction communicative qui, lorsqu’elle se répète régulièrement, se résume rapidement en un moment de récréation réjouissante.
Veldman écrit encore que :
Le toucher est le premier organe des sens, il est le plus fondamental: il unit celui qui touche et celui qui est touché. La subjectivité de celui qui intervient ne peut ignorer la subjectivité de celui qui est contacté. Les « contacts de jeux» avec le fœtus sont une réalité tangible qui, en quelque sorte, permet à la mère de toucher à son enfant.
Après tout, être enceinte est plus qu’une réalité purement physique: c’est aussi une réalité fortement physiologique et profondément affective. Si c’était vrai que, simplement en jouant avec le fœtus, la mère pouvait déjà lui donner l’envie de vivre ?
Par «les contacts de jeux», la mère apprend, de manière palpable, à accompagner et à diriger son enfant; elle apprend à percevoir ce qui se passe lorsqu’elle pose sa main sur son ventre.
[…] De façon concrète, la mère prend son utérus à pleines mains, place son enfant sur son cœur et modifie ainsi la position de l’enfant et la forme de l’utérus. Lorsque la mère et le fœtus sont syntones*, l’enfant synchronise harmonieusement sa respiration à celle de sa mère.
Le résultat de ce travail est évident: l’enfant se place dans ce que nous appelons le corps de contact. Il n’est plus dans un corps de combat, de fuite ou d’anxiété. Il se sent libre, détendu, en sécurité.
La mère, en allant à la rencontre de son fœtus, lui apprend, avant même qu’il naisse, à répondre à ses stimulations tactiles ou à se détendre, en toute sécurité, entre ses mains tout en écoutant sa voix. Le fœtus apprend ainsi à communiquer avec sa mère.
Catherine Dolto-Tolitch, célèbre haptopsychothérapeute qui a contribué et contribue toujours à faire connaître en France ce qu’est l’haptonomie, a écrit:
[…] bien avant qu’il y ait un système auditif fonctionnel, c’est-à-dire, au troisième trimestre de la grossesse, l’enfant peut reconnaître et discriminer les vibrations acoustiques répercutées par le liquide amniotique. L’enfant entend avec sa peau. Cette peau intelligente permet au fœtus de réagir à une voix familière et appréciée comme celle du père, de répondre aux invitations de la mère et de réagir aux touchers qu’ils viennent de la mère, du père ou de l’haptothérapeute, en se déplaçant pour s’y approcher et ce, qu’on y joigne la parole ou non.
Les accompagnements pratiqués pendant la grossesse ont amené les intervenants et intervenantes en haptothérapie à comprendre que le fœtus réagit, non seulement à tout événement physique, mais également aux événements affectifs, psychiques ou émotionnels vécus par la mère. Il est établi qu’à partir du troisième trimestre de grossesse, l’enfant entend avec sa peau et qu’il est capable de manifester, selon le cas, son désir de contact ou son besoin de tranquillité. Les haptothérapeutes avancent que grâce à la réponse de la mère, le fœtus développe un sentiment de sécurité de base qui perdure au-delà de la grossesse. Pour les haptothérapeutes, la rencontre avec le fœtus, c’est le point de départ des gestes d’attachement tangibles entre la mère et l’enfant.
Dans les expériences de Veldman, la mère communique avec son enfant non seulement par la parole, mais également par le toucher. Toutes les femmes qui l’ont vécu peuvent confirmer que prendre pour la première fois contact avec son fœtus est une expérience de joie et de bonheur unique qui rend tangible l’enfant que l’on a imaginé.
Plusieurs éléments peuvent rendre difficile le contact affectif entre la mère et l’enfant. Certaines femmes ont de la difficulté à vivre leur grossesse, tant au plan physique que psychologique; d’autres sont simplement perplexes devant le fait qu’un fœtus puisse répondre à leur stimulation tactile et craignent, plus que tout, d’avoir l’air ridicule. Lorsque dans leurs essais, elles constatent qu’effectivement le fœtus se love dans leurs mains, elles sont alors stupéfaites et agréablement surprises.
Autour du sixième mois de grossesse, le fœtus peut adopter des positions qui s’avèrent inconfortables pour la mère; certaines femmes se plaignent que leur bébé leur fait mal. Ces femmes sont étonnées en constatant que grâce au toucher, il change de position. Avec les connaissances que nous avons acquises sur la sensorialité fœtale, il est maintenant reconnu qu’en communiquant doucement avec les mains, on peut soulager la mère en faisant bouger le bébé qui pèse sur un organe. Poussé par des mains sensibles, le bébé se déplace.
Aux dires des haptothérapeutes, les mouvements et les réactions qu’on reconnaît au fœtus influencent, non seulement la façon dont est vécue la grossesse, mais par la suite, la façon dont est vécu l’accouchement. Pour les haptothérapeutes, le contact avec le fœtus durant la grossesse a quelque chose de l’ordre de l’éveil affectif, lequel permet déjà, lors de l’accouchement, que la mère accompagne la douleur de son enfant.
Je suis persuadée que les relations tactiles naturelles avant la naissance, qui sont en soi d’authentiques gestes d’affection, participent à construire les premiers liens d’attachement entre la mère et l’enfant, et qu’à travers ces relations tactiles, la mère et le fœtus acquièrent ensemble des habitudes qui leur serviront, non seulement, lors de l’accouchement mais aussi dans les jours suivant la naissance. Toutes les mères devraient tenter de créer avec leur fœtus ce lien d’attachement prénatal, car il est facile de faire cette expérience touchante qui s’avère particulièrement vitalisante pour la mère et pour l’enfant. Je souhaite à toutes les mères que leur fœtus manifeste son plaisir à entrer en contact avec elle.
Depuis que le néerlandais Frans Veldman a abordé de cette manière la relation prénatale, la sensorialité fœtale et la mémorisation précoce, on a fait de l’haptonomie la science de l’affectivité.
Un nouveau-né a toujours de la difficulté à s’inscrire dans sa nouvelle vie. Durant les premiers jours après la naissance, il arrive que des bébés ne soient pas encore tout à fait prêts pour la vie à l’extérieur de l’utérus. Ces bébés hésitent à boire. La mère s’inquiète, avec raison, et, pour elle, la situation devient, parfois, source d’angoisse. Pour vivre, il faut manger et la mère et l’enfant sont, l’un comme l’autre, désarmés et ils pleurent souvent de concert. À ces nourrissons, il semble manquer un petit quelque chose pour faire jonction entre les sensations venues de l’intérieur de l’utérus et les sensations nouvelles qui viennent de l’extérieur et qu’ils ne connaissent pas encore.
L’éthologiste Konrad Lorenz et les psychanalystes René Spitz et Françoise Dolto ont prouvé que les nouveau-nés avaient, à la naissance, une mémoire olfactive particulièrement développée, mémoire qui régressera plus tard. Il est reconnu que le repère olfactif est un moyen de réassurance pour un bébé qui doit être séparé de sa maman.
Naître a demandé autant d’efforts au bébé que cela en a demandé à sa mère; dès sa naissance, il est rassurant pour l’enfant de vivre un contact peau à peau, il est apaisant d’entendre les battements du cœur auquel il est habitué et sécurisant de retrouver la chaleur et l’odeur corporelle de sa mère. Plusieurs nouveaux bébés qui hésitent à vivre sont simplement malheureux parce que coupés trop brusquement des sensations qu’ils avaient dans le ventre de leur mère. Après quelques contacts peau à peau, la plupart des nourrissons acceptent leur nouvelle situation.
Certains nouveau-nés n’ont pas la force de téter. Dans ces cas, les haptothérapeutes suggèrent aux mères de prendre l’enfant bien serré contre elles afin qu’il ait un sentiment de sécurité et de lui faire boire de leur lait, au gros compte-goutte, afin qu’il y goûte et y prenne goût. Après quelques séances de goutte à goutte, les nourrissons sensibles aux attentions et aux paroles de leur mère ressentent l’importance qu’ils ont pour elle et, généralement, ils retrouvent l’envie de boire; dès lors, les symptômes disparaissent et la mère et l’enfant décident tous deux de vivre ensemble.
Nombre d’expériences douloureuses ont prouvé que sans la présence physique de sa mère un nouveau-né peut perdre le goût de vivre. La preuve est faite que pour affronter la situation nouvelle, le nourrisson a besoin de sa mère; il a besoin de celle qui a été son repère intra-utérin. Il est toujours impensable pour un nouveau-né de faire face à l’inconnu sans sa mère. Mais, quelques fois, la santé de la mère ou celle du nouveau-né impose une séparation. On sait maintenant que dans les circonstances où le nouveau-né doit être ainsi séparé de sa mère, l’odeur qui régnait à l’intérieur de l’utérus et qui lui rappelle sa présence lui permet d’affronter, pour un temps, cette nouvelle situation sans elle. On sait également que l’odeur et les saveurs de ce que la mère mange passent dans le sang et dans le liquide amniotique. Si maman n’est pas là, pour lui rappeler l’odeur de son ancienne vie et pour lui dire combien il est important pour elle qu’il boive son lait, il peut suffire de l’évoquer, en imbibant un chiffon de son liquide amniotique. Il est établi que dès la naissance, le bébé reconnaît entre toutes, l’odeur de sa mère. Sachant cela, s’il est possible de mettre en réserve le sang et le sperme, pourquoi ne serait-il pas possible de constituer une banque de liquide amniotique pour sécuriser ces nouveau-nés forcés de se séparer de leurs mères ?
Roy Bedichek, dans Le sens de l’odorat, explique qu’au niveau inf...