Instruire, corriger, guérir?
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Instruire, corriger, guérir?

Les orthopédagogues, l'adaptation scolaire et les difficultés d'apprentissage au Québec, 1950-2017

  1. 200 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Instruire, corriger, guérir?

Les orthopédagogues, l'adaptation scolaire et les difficultés d'apprentissage au Québec, 1950-2017

À propos de ce livre

Au Québec, le nombre d'élèves en difficulté est passé de 20 000 en 1964 à 200 000 en 2016. Les diagnostics se sont multipliés, créant une école complexe, peuplée d'une myriade de nouveaux métiers cliniques ou pédagogiques. Que penser de ces mutations?? Faut-il y voir un progrès, un risque de médicalisation abusive, ou les deux à la fois?? Comment les décideurs, le public et les professionnels peuvent-ils s'y retrouver?? Un retour s'impose sur les origines et sur les mécanismes – professionnels, politiques et scientifiques – qui façonnent cette ­évolution de l'école québécoise.Le présent ouvrage raconte l'histoire des orthopédagogues du Québec. Ce corps de métier largement féminin, né de la Révolution tranquille, consacré aux élèves en difficulté d'apprentissage, présente un parcours atypique et franchit aujourd'hui des étapes décisives sur le chemin de la reconnaissance professionnelle. L'histoire de l'orthopédagogie embrasse celle de la difficulté scolaire et de ses ambiguïtés. Elle s'écrit autant dans les salles de classe que dans les sphères politique et scientifique. En retraçant le parcours d'un corps de métier, cette histoire nous aide à comprendre le passé, le présent et l'avenir de l'école québécoise.

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CHAPITRE 1 /

Les orthopédagogues, l’adaptation scolaire et les difficultés d’apprentissage au Québec, 1950-2017

En mars 1951, Constance Lethbridge, directrice du centre qui portera un jour son nom, présente à un parterre de philanthropes le petit Jimmy, un jeune adolescent handicapé à qui des soins persistants ont permis d’atteindre «le but ultime: être capable de marcher et de travailler1». Aujourd’hui, le «but ultime» est plutôt de scolariser l’enfant: dans les journaux des années 2010, le jeune dyslexique «modèle» est celui qui surmonte les obstacles, grâce au soutien indéfectible de sa famille et surtout de sa mère, pour décrocher son diplôme – idéalement collégial ou universitaire2.
L’école elle-même assume une plus grande responsabilité. L’école des années 1940 envoie volontiers l’élève indocile ou «retardé» au tribunal et à l’institut de réforme «pour apprendre un métier3». Au XXIe siècle, la commission scolaire est tenue d’offrir à l’enfant une éducation adaptée, fût-ce contre l’avis du parent. En témoigne, de 2010 à 2015, le cas de cette mère beauceronne qui, refusant de médicamenter son fils comme l’exigeait l’école, est dénoncée à la direction de la protection de la jeunesse… avant que ne soit annulé le diagnostic de trouble de l’attention, qui justifiait cette exigence4.
L’opinion et les décideurs s’intéressent aussi davantage au problème de l’enfant qui peine à l’école – qui peine à s’intégrer, à diplômer, à «réussir». C’est que cet enfant devient omniprésent. En 1960, il ne compte que pour 0,28% des élèves du secteur public, mais il s’agit alors d’un autre monde, où l’enfant en difficulté n’est ni soutenu, ni bien recensé. En 1976, dans le Québec d’après la Révolution tranquille, la part d’élèves dits «inadaptés» est passée à 6,8%. Elle atteint 14,6% en 1988. En 2016, la part d’élèves «handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage» est de 20,4% dans l’ensemble du réseau, et de 29,5% dans les écoles secondaires publiques. À l’urgence d’agir s’ajoute une certaine perplexité.
Le panorama se complexifie, également. En 1962, le Conseil des Œuvres de Montréal rédige un rapport dans lequel les mots mésadapté, déficient mental et lent suffisent à faire le tour du problème5. En 2015, il faut plus de vocabulaire: «Dyslexique, dysorthographique, dyspraxique, dyscalculique, TDAH: parfois, dans mon bureau, je me retrouve avec des enfants qui se sont fait dire qu’ils ont tout, tout, tout6!», lance une orthopédagogue et psychoéducatrice de l’hôpital Sainte-Justine, qui pourrait ajouter à la liste les diagnostics d’autisme, de trouble du langage, de santé mentale, sans parler des handicaps physiques, sensoriels ou intellectuels plus «classiques».
Enfin, au foisonnement des labels correspond celui des spécialistes. Aux religieuses de l’après-guerre succèdent les orthopédagogues, les orthophonistes, les éducatrices spécialisées, les psychoéducatrices, les psychologues, les ergothérapeutes, les neuropsychologues et d’autres, sans parler des aréopages médicaux qui ajoutent leur grain de sel diagnostique. Cette kyrielle d’intervenants, soutenue par des rangs serrés de départements universitaires, accomplit beaucoup mais ne simplifie rien et se crêpe parfois le chignon. En décembre 2011, quand diverses professions s’affrontent en public pour déterminer si la dyslexie doit être rangée parmi les «troubles mentaux» (voir le chapitre 4), et avec quelles conséquences, les ministères concernés tombent vite à court de mots, et le public avec eux.
La question sous-jacente à ces échanges est pourtant cruciale: que faire?

1.1 /L’histoire des orthopédagogues, fenêtre sur l’histoire des difficultés d’apprentissage

Que faire des enfants qui peinent à l’école? Existe-t-il des difficultés plus spéciales que d’autres? Qui devrait s’en occuper, comment? Ces questions paraissent bien générales, mais elles sont en fait très jeunes. On ne se les pose ni en Grèce antique, ni au Moyen Âge, si peu au seuil de la Révolution française. La question ne s’impose qu’à la fin du XIXe siècle, il y a moins de 150 ans, avec l’établissement de l’école pour tous. Depuis ce temps, ce sont les réponses qui ne cessent de changer. Les inflexions les plus significatives de cette histoire surviennent de 1950 à aujourd’hui, au moment où l’État intervient davantage, où l’économie postindustrielle rehausse l’impératif d’une scolarité réussie, et où la science de l’humain promet de meilleurs remèdes à l’inadaptation des individus.
Le pari de ce livre est qu’une histoire de la difficulté scolaire au Québec de 1950 à 2017 aidera à démêler l’écheveau déconcertant des défis professionnels, politiques et conceptuels qui s’imposent à nous aujourd’hui. Il s’agit d’une histoire très humaine, dont les principaux ressorts échappent souvent aux autorités. Pour cette raison, elle ne peut se résumer à la succession des politiques officielles. Le récit doit faire une large place aux acteurs du terrain – des actrices, en grande majorité, ce qui justifiera dans le texte le recours au féminin, même si on ne trouve pas ici une analyse spécifiquement centrée sur le genre.
L’histoire des difficultés scolaires est celle d’une constante incertitude. Agir auprès, sur, ou avec des enfants est un geste délicat qui comporte une part inévitable (et sans doute souhaitable) de doute. Pour en rendre compte, le livre prend pour fil conducteur le parcours d’un groupe qui a vécu et qui vit au plus près cette riche ambivalence: il s’agit des «orthopédagogues».
Si l’on côtoie dans les écoles des orthopédagogues (près de 2 000 personnes en 2015), le sens du mot ne fait pas l’unanimité. Il désigne un métier aux contours flous, souvent débattus, jamais arrêtés. Travailler comme «orthopédagogue» implique une grande responsabilité (l’ortho-pédagogue aide l’enfant en difficulté scolaire), mais ne suppose pas, encore en 2017, une formation normalisée ou un profil de tâches bien identifié. Ce flou distingue l’orthopédagogie de métiers comme l’orthophonie, l’enseignement ou la psychologie, aux profils plus nets. Cela s’est révélé, pour les orthopédagogues, autant un tracas qu’une richesse. L’identité de l’orthopédagogie est d’abord une discussion sur la nature de l’aide à apporter aux enfants, un débat permanent forgé tant par la politique que par les contraintes et les opportunités de la pratique. Le personnage changeant qu’est l’orthopédagogue ouvre ainsi la meilleure des fenêtres sur l’histoire de la difficulté scolaire, dont elle vit tous les revirements depuis la Révolution tranquille. Ajoutons que le mot orthopédagogue est propre au Québec: il véhicule l’expérience québécoise d’une histoire partagée avec les métiers européens ou étasuniens de la «pédagogie corrective», de l’action «médico-pédagogique», de la «logo-pédie», de la «special education», de la «compensatory education» ou du «remedial teaching». Bref, alors que des groupes comme les enseignantes ou les psychologues ont pu jeter sur la difficulté scolaire des points de vue bien situés, les orthopédagogues en ont embrassé et vécu au plus près les incertitudes. L’histoire des orthopédagogues est ainsi le meilleur guide pour penser la difficulté scolaire.
Pour en tirer le meilleur parti, il faut l’explorer au prisme de deux littératures croisées: la sociologie des professions et l’histoire de la médicalisation de la difficulté scolaire.

1.2 /L’orthopédagogie et la sociologie des professions

La sociologie des professions peut nous aider à mieux comprendre l’histoire de l’orthopédagogie, mais le contraire est aussi vrai. Les orthopédagogues, en 2017, ne sont pas membres d’un ordre professionnel. À divers moments de l’histoire, toutefois, et aujourd’hui plus que jamais, l’idée est envisagée avec sérieux. Cette longue relation, faite de distance et de proximité, entre l’orthopédagogie et le système des ordres professionnels, traduit une ambivalence fondatrice de l’histoire des difficultés scolaires, en même temps qu’elle s’inscrit dans l’évolution récente de la littérature en sociologie des professions.
À ses débuts, cette sociologie s’imposait un cadre assez rigide7. Elle se limitait à l’étude d’un petit nombre de métiers, comme la médecine, à qui la maîtrise de savoirs peu répandus assure un statut social élevé et, surtout, des privilèges consentis par l’État: un monopole sur certaines tâches (seul un médecin peut prescrire divers médicaments) et le droit collectif de s’autoréguler et de définir le contenu de leur champ de compétence (par le biais d’un ordre professionnel, comme le Collège des médecins). Ces privilèges confèrent aux «professions» un avantage économique et une grande autonomie. Ils sont justifiés par le caractère exclusif des savoirs concernés: on présume que seuls des médecins sont aptes à évaluer leurs collègues. Le régime des privilèges et des ordres professionnels a pour but d’assurer la qualité des relations d’expertise de proximité, qui impliquent une inégalité de connaissance entre un expert et un particulier – lorsqu’un individu rencontre son médecin ou son avocate, par exemple.
De 1940 à 1970, la sociologie s’intéresse surtout aux professions «traditionnelles» comme la médecine ou le droit, constituées au XIXe siècle, masculines et bourgeoises. Au milieu du XXe siècle, cependant, de nouveaux corps de métier, issus des classes moyennes, revendiquent à leur tour des privilèges légaux, comme les comptables ou les hygiénistes dentaires. Les professions établies, elles, font l’objet de critiques qui mettent en doute leurs privilèges: des études, par exemple, rappellent les manœuvres brutales ayant permis aux médecins d’exclure des concurrents, comme les rebouteux ou les sages-femmes. On commence dès lors à voir la «profession» non comme un statut naturel, mais comme une conquête politique dont on doit raconter l’histoire. Ce glissement de l’analyse a pris diverses formes depuis 1970. Trois pistes se révèlent précieuses pour saisir l’histoire des orthopédagogues.
D’une part, les sociologues d’aujourd’hui veulent évaluer l’effet de la multiplication des groupes qui revendiquent un monopole d’expertise, que ce soit dans le domaine de la santé, de l’éducation, de la gestion ou de l’industrie. Au Québec, en 2016, les ordres professionnels reconnus regroupent pas moins de 385 000 personnes, soit 10% de la main-d’œuvre. Ces revendications d’expertise transforment la vie sociale, car le statut de professionnel se gagne en bâtissant des relations d’autorité auprès d’autres personnes: il implique qu’un corps de métier bâtisse des rapports d’autorité avec ses clients (qu’il faut prendre en charge), avec les administrations (de qui obtenir la latitude voulue) et avec des corps de métier concurrents (qu’il faut écarter ou diriger). Cette dynamique a divers effets sur l’histoire de l’orthopédagogie et de la difficulté d’apprentissage.
D’autre part, ces projets professionnels plus nombreux poussent les sociologues à assouplir leur approche pour étudier un plus large éventail de métiers, dotés ou non de privilèges légaux, mais ayant en commun de se présenter comme des «expert occupations», qui utilisent un savoir abstrait pour résoudre des problèmes concrets. Les sociologues s’intéressent alors moins aux monopoles légaux qu’aux relations de proximité qui se bâtissent autour de formes d’expertise parfois fluides. Même en l’absence de monopole légal on constate l’influence du modèle de la profession sur les politiques du travail expert, qu’il s’agisse des stratégies adoptées par les corps de métier ou des choix politiques des décideurs8. Cette double évolution, entre fluidité des expertises et influence du modèle professionnel, marque aussi l’histoire de l’orthopédagogie. L’interaction entre les conceptions divergentes de l’expertise que sécrètent les mondes de l’éducation et de la santé joue un rôle important dans ce livre9.
Enfin, l’histoire de l’orthopédagogie soulève la question, importante en sociologie des professions, de la place de l’expertise à l’intérieur des grandes organisations – ici, dans le réseau québécois de l’éd...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Page légale
  3. Table des matières
  4. Liste des abréviations
  5. Introduction
  6. Chapitre 1 / Les orthopédagogues, l’adaptation scolaire et les difficultés d’apprentissage au Québec, 1950-2017
  7. Chapitre 2 / L’enfant «inadapté» et la Révolution tranquille
  8. Chapitre 3 / La naissance de l’orthopédagogie, 1966-1978
  9. Chapitre 4 / Les orthopédagogues, un non-groupe?
  10. Chapitre 5 / Les professionnelles de la difficulté scolaire
  11. Conclusion
  12. Quatrième de couverture