PARTIE B
Potentialités pédagogiques et méthodologiques de l’enseignement à distance
CHAPITRE 6
Les enquêtes sur l’efficacité et l’appréciation de la visioconférence en enseignement supérieur
Résultats empiriques nord-américains et mondiaux
Vincent GRENON, François LAROSE et Guillaume BOLDUC
Lors d’une précédente contribution, nous avions fait état de l’accroissement considérable de l’offre de formations à distance dans les universités québécoises (Grenon et Larose, 2017). Loin de s’arrêter, les avancées technologiques permettent d’accroître les possibilités de soutien des formateurs dans ce type de formation. Mondialement, les pressions financières exercées sur les universités par les gouvernements amènent celles-ci à considérer la formation à distance attrayante « dans la mesure où elle pourrait réduire les coûts de formation tant pour les établissements que pour les étudiants » (Conseil supérieur de l’éducation [CSE], 2015, p. 15) et elle doit permettre le recrutement de nouvelles clientèles, haussant ainsi les revenus. Dans un contexte de démocratisation de l’éducation, différents projets de formation et d’accompagnement offerts par des universités nord-américaines ont permis d’offrir de la formation dans les pays émergents (Karsenti et al., 2013). Bien que les formations universitaires puissent permettre une plus grande accessibilité aux études universitaires et qu’elles permettent de constituer des groupes viables financièrement dans les universités de plus petite taille, il est justifié de se questionner sur la qualité des formations offertes en mode synchrone. Le tout, dans un contexte où de nombreux acteurs du monde éducatif émettent des doutes quant à la qualité des formations ayant recours à ce type de modalité (CSE, 2015). Ainsi, le questionnement quant aux effets, perceptions et à l’appréciation que peuvent faire les étudiants de ces formations à distance est légitime. Nous ciblons plus précisément dans ce chapitre le recours à la visioconférence en enseignement supérieur.
Dans un premier temps, à partir de la documentation scientifique disponible, nous présentons une recension des principaux textes qui abordent la question des effets de la visioconférence sur l’apprentissage des étudiants. Nous présentons ensuite des textes représentatifs qui abordent les perceptions de l’appréciation des formations ayant recours à la visioconférence en enseignement supérieur. Nous présentons enfin les principaux résultats de ces études et nous nous permettons de discuter des propriétés méthodologiques de ces études.
1. POUR QUELLE RAISON CIBLER LA VISIOCONFÉRENCE ?
D’entrée de jeu, il importe de définir ce que nous entendons par la visioconférence. Sol (2001, p. 60) la définissait en ces termes:
Le service de visioconférence est un service de téléconférence audiovisuel en mode dialogue assurant le transfert bidirectionnel, en temps réel, du son et de l’image animée en couleur entre des groupes d’usagers situés en deux ou plusieurs emplacements distincts. Il faut au moins que, dans les conditions normales, la qualité de l’image transmise soit suffisante pour bien reproduire les mouvements fluides de deux ou plusieurs personnes se trouvant dans une situation typique de réunion.
Parmi les caractéristiques de cette définition, nous retenons des éléments importants: transmission synchrone de la voix et de l’image, elle est bidirectionnelle (contrairement à une webdiffusion qui pourrait être unidirectionnelle) et elle se fait entre des groupes de personnes dans des lieux différents. Directement reliée à la capacité de transfert entre les différents sites de visioconférence, la fluidité des mouvements s’est grandement améliorée depuis le début des années 2000. Nous sommes du même avis que Poellhuber, Racette et Chirchi (2012, p. 65) qui énoncent qu’au « cours des dernières années, l’accroissement de la capacité de la bande passante a permis aux technologies de communication synchrones (échanges en temps réel) audio-vidéo et de visioconférence [...] de connaître de grands développements ». L’augmentation de la bande passante combinée à des investissements majeurs sur le plan des équipements soutenant les activités de visioconférence dans les universités ont contribué à faire augmenter le nombre de cours bénéficiant de ce mode de formation. De plus, l’augmentation de la qualité du son et des images projetées contribue à rendre les séances de visioconférence plus agréables aux utilisateurs. Nous remarquons que le nombre de salles dotées de tels équipements s’est considérablement accru dans les dernières années. Tout n’est pas parfait, loin de là, puisque la pression sur les salles de visioconférence est grandissante, ce qui diminue leur accessibilité et complexifie la gestion des horaires. Par ailleurs, une plus grande facilité d’utilisation des outils informatiques a mené certaines universités à offrir moins de soutien technique direct lors des activités de visioconférence. En fonction de nos expériences de formateurs universitaires, cela fait en sorte que les coupures de connexion ou les problèmes techniques prennent parfois plus de temps à être réglés, ce qui entraîne nécessairement des effets sur ces activités synchrones.
Dans le cadre d’une enquête par questionnaire menée dans trois universités québécoises, soit l’Université du Québec à Montréal, l’Université du Québec en Outaouais et la TÉLUQ, auprès de 172 répondants œuvrant dans le milieu universitaire, près de 77,2% des répondants affirment utiliser des technologies qui permettent des communications en temps réel (Lepage et al., 2015). Parmi les répondants, ce sont les professeurs qui utilisent le plus d’outils de communication en visioconférence, puisqu’ils sont utiles pour l’enseignement ou pour la recherche. Ces nouvelles possibilités techniques et cet engouement pour la visioconférence nous invitent à examiner de plus près les études portant sur l’efficacité au regard des apprentissages et sur l’appréciation que les étudiants en enseignement supérieur font des périodes de visioconférence.
2. LES ÉTUDES PORTANT SUR L’EFFICACITÉ POUR LES APPRENTISSAGES
Dans le but de décrire les effets de la visioconférence sur les étudiants universitaires, nous avons ciblé les études quantitatives portant spécifiquement sur ce sujet. Les mots-clés utilisés sont visioconférence, vidéoconférence, et leurs équivalents anglo-saxons. Nous avons consulté les banques de données Érudit et ERIC (EBSCOhost) entre 1990 et 2018.
L’une des principales méta-analyses effectuées pour distinguer l’efficacité des activités en ligne par rapport aux activités en présentiel est celle de Means et al. (2010). Cette recension systématique de la documentation scientifique effectuée entre 1996 et 2008 a permis d’identifier plus de 500 études empiriques sur l’apprentissage en ligne. Parmi ces études, seules celles qui comparaient les activités en ligne avec celles en présentiel, qui ont réellement mesuré l’effet sur les apprentissages, qui utilisaient des « designs » de recherche rigoureux (expérimentaux ou quasi expérimentaux) (Shadish, Cook et Campbell, 2002) et qui fournissaient suffisamment d’informations pour calculer la taille de l’effet, ont été conservées. Au final, 99 études ont été retenues pour l’analyse. Contrairement aux résultats antérieurs de la métaanalyse de Bernard et al. (2004), qui montraient un effet négatif (taille de –0,10) de l’enseignement synchrone en visioconférence multipoints, l’étude de Means et al. (2010) conclut que les classes enseignées exclusivement en ligne produisent des effets de taille moyens de 0,20 (p < 0,001) lorsqu’on considère le contraste avec 50 autres variables. À titre de rappel, Cohen (1992) a proposé des balises pour définir la taille de l’effet (faible = 0,2, médium = 0,5 et large = 0,8 et plus). En fonction de ces balises, nous pouvons qualifier la taille de l’effet, comme présentée dans les études sur l’enseignement synchrone, comme étant faiblement positive jusqu’à très faiblement négative pour les apprentissages. Il est à noter que la visioconférence multipoints (reliant deux campus ou plus généralement du même établissement), telle qu’étudiée par Bernard et al. (2004), correspond plus au début de la visioconférence, tan-dis que les résultats de Means et al. (2010) intègrent plus largement l’apprentissage en ligne, ce qui n’est pas sans conséquence pour les résultats.
Cette exploration de la documentation scientifique nous permet de constater que la tendance actuelle dans les études vise plutôt à considérer la visioconférence au sein du dispositif d’enseignement en ligne et à moins tenter de distinguer un effet particulier de celle-ci comparativement aux autres outils informatiques intégrés au dispositif. Cela explique la difficulté de retrouver des études effectuées spécifiquement pour distinguer l’effet de la visioconférence sur les apprentissages par rapport à un enseignement en présentiel. La popularité des formations de type blended learning (à distance et en présence en format hybride) contribue également à rendre plus difficile l’identification d’effets particuliers d’éléments intégrés au dispositif de formation à distance. Cela constitue un défi sur le plan des « designs » méthodologiques en recherche et rend difficile l’interprétation des résultats des chercheurs lorsqu’ils indiquent que ce type de formation a un effet sur les apprentissages, mais qu’il est impossible de déterminer quel élément du dispositif est prépondérant.
3. LES ÉTUDES PORTANT SUR LES PERCEPTIONS À L’ÉGARD DES FORMATIONS
Contrairement à ce que nous avions anticipé, le nombre d’études qui ont ciblé exclusivement l’appréciation de la visioconférence en contexte d’enseignement universitaire multicampus est assez limité.
3.1 L’appréciation de la visioconférence en contexte universitaire
Aux États-Unis, une étude de Doggett (2008) s’est penchée sur la question suivante : est-ce que les étudiants choisiraient la visioconférence multipoints au lieu de l’enseignement en présentiel ? Une enquête par questionnaire d’une vingtaine de questions avec des modalités de réponse de type Likert (5 points: « fortement en désaccord » à « fortement en accord ») a été menée auprès de 86 étudiants dans deux groupes randomisés (un en présence et l’autre à distance). Des statistiques inférentielles ont permis de confirmer qu’il n’y avait pas de différence significative de rendements dans les évaluations des participants. La préoccupation première des étudiants était la perception que la visioconférence était une barrière à l’interaction avec le formateur (57 % des répondants). La vaste majorité (80%) des répondants du groupe à distance a mentionné qu’elle aurait préféré être dans le groupe en présence. Un élément intéressant de cette étude est qu’elle s’est aussi déroulée dans le temps. Plus tard dans la session, une seconde collecte de données a permis de constater que cette perception négative de la visioconférence pour le groupe à distance s’était accentuée. Finalement, les étudiants ont été satisfaits du cours donné, mais des attitudes particulières du formateur étaient requises (capacité à conserver son calme malgré les problèmes techniques et avoir un bon sens de l’humour) pour réussir à faire développer une opinion positive de la visioconférence chez les apprenants.
Dans le cadre d’un design expérimental (deux groupes témoins et deux groupes expérimentaux), Fillion, Limayem et Bouchard (1999) ont étudié si la visioconférence en formation en ligne était plus appropriée que les lectures en présentiel pour des étudiants en informatique. Réalisée auprès de plus de 150 participants, l’étude a permis de mettre en lumière que les participants des groupes à distance étaient nettement moins satisfaits que ceux des groupes en présentiel. Ce sont les difficultés techniques qui ont contribué à ce moindre niveau de satisfaction, et plusieurs ne souhaitaient pas répéter l’expérience d’être dans le groupe à distance. Néanmoins, les participants des groupes à distance ont semblé développer une plus grande autonomie et de plus grandes aptitudes à la collaboration entre les apprenants que celles des groupes en présentiel.
L’étude de Stephenson, Brown et Griffin (2008), menée auprès de 58 participants, concluait que les étudiants avaient une préférence marquée pour les cours en présence, comparativement à d’autres moyens de diffusion de cours recourant à la vidéo. La collecte s’est effectuée par l’entremise d’un questionnaire de 13 questions avec des modalités de réponse de type Likert (5 points: « fortement en désaccord » à « fortement en accord »).
Sur le plan méthodologique, nous relevons que plusieurs études utilisent des questionnaires avec des modalités de réponse de type Likert à cinq modalités de réponse. Généralement, la description des données revient à présenter les statistiques descriptives (pourcentages pour les différentes modalités de réponse). Très peu d’informations sur la validation des questionnaires sont disponibles. Les conclusions sont émises sur la base des statistiques fréquentielles. D’autres statistiques telles que les mesures d’association ou les statistiques inférentielles sont rarement utilisées pour soutenir ces conclusions.
Dans un contexte de formation entièrement en ligne, l’importance pour les apprenants de conserver un lien avec le formateur universitaire est reprise par Barak (2012). Ce lien peut s’effectuer de différentes façons (courriel, clavardage, etc.) et non seulement en présentiel. En fait, plusieurs auteurs (Dessus et Marquet, 2003; Jacquinot, 1993; Jézégou, 2007; Moore, 1993) s’intéressent à la question de combler la distance dans les formations à distance. La prochaine section présente deux auteurs s’étant intéressés à cette question.
3.2 Combler la distance
Nous le savons, un intérêt principal de la visioconférence est de pouvoir combler la distance entre enseignants et apprenants. Cette question de la distance a été abordée par différents auteurs européens, dont Macedo-Rouet (2009, p. 66), qui écrit que « la distance dans l’enseignement ne se réduit pas à la dimension physique, comme l’ont déjà souligné plusieurs auteurs [...] C’est l’ensemble des relations entre enseignants et apprenants qui est affecté lorsqu’ils sont séparés dans l’espace et/ou dans le temps ». Une étude, menée en contexte québécois, reprend la question de la distance transactionnelle en contexte de visioconférence (Poellhuber et al., 2012). Cette étude abordait la question de la présence transactionnelle, de la perception de la valeur dans une étude de type « design based research » itérative. Elle a été menée auprès de 347 étudiants du Cégep à distance et de 122 étudiants universitaires (Université de Montréal et TÉLUQ). Les visioconférences ciblaient des activités de démarrage et des activités thématiques. L’enquête par questionnaire a révélé que près de la moitié des étudiants étaient « intéressés » ou « très intéressés » à participer aux rencontres de visioconférence. De son côté, l’utilité se situe à près de 40% des réponses des...