PARTIE 1
LES CONDITIONS ÉTUDIANTES
Cette partie aborde les facteurs d’adaptation et les difficultés rencontrées par les étudiants au cours de leurs études aux cycles supérieurs, particulièrement en ce qui concerne les difficiles passages d’un niveau d’enseignement à l’autre, soit du premier cycle à la maîtrise et de la maîtrise au doctorat. Ces difficultés de transition sont souvent une source d’étonnement pour les professeurs. Plusieurs s’attendent à ce qu’un étudiant qui arrive à la maîtrise ou au doctorat ait acquis tout ce qu’il faut pour entreprendre et réussir ses études. Pourtant, ce n’est pas parce qu’un étudiant a obtenu des notes très élevées au premier cycle qu’il démontrera nécessairement des habiletés en recherche à la hauteur de ses performances scolaires dans ses cours. Ce n’est pas non plus parce qu’il a su mener à terme très rapidement sa maîtrise que son processus de formation doctorale sera aussi facile. Ces conditions d’adaptation et les difficultés propres aux situations constituent une proportion significative des causes des problèmes rencontrés au cours de leur cheminement et une grande partie des suggestions et des interventions proposées pour encadrer les étudiants dans la partie 3 du livre trouvent leur raison d’être dans ces conditions.
Chapitre 1
Les exigences et les contraintes des études aux cycles supérieurs
J’ai décrit, dans l’introduction, les finalités que devrait viser chacun des diplômes de cycles supérieurs. Si l’on définit une finalité à atteindre pour les étudiants à la fin du programme, cela signifie que les étudiants ne sont pas réputés avoir fait ces apprentissages avant d’entreprendre ces études. On statue ainsi que les étudiants devront faire les apprentissages au cours de leur formation. Il faut garder en tête que l’étudiant qui s’inscrit à la maîtrise ou au doctorat y est pour développer de nouvelles compétences et qu’il est en apprentissage.
J’entends régulièrement des professeurs reprocher à leurs étudiants de ne pas être préparés adéquatement (et aux ordres d’enseignement antérieurs, de ne pas les avoir préparés) pour les études qu’ils entreprennent. Pourtant, il est tout à fait normal que l’étudiant ne possède pas pleinement certaines habiletés au moment d’entreprendre ses études de maîtrise ou de doctorat et qu’elles doivent servir à les lui faire acquérir. Même dans ce cas, des rapports récents font état d’un certain nombre de compétences qu’il faudrait aborder dans les programmes de cycles supérieurs, parce que les étudiants ne semblent pas les développer dans le contexte de leur formation.
Passer d’un niveau d’études à l’autre, que ce soit du primaire au secondaire, du secondaire au collégial ou du premier cycle à la maîtrise, représente un saut important du point de vue des exigences, des tâches, des conditions d’études et même parfois de la culture particulière qui caractérise ce nouveau contexte. En ce sens, les études de maîtrise et de doctorat se démarquent des autres types d’études par un processus d’apprentissage qui se fait autour de la réalisation d’une recherche et la production d’un document qui en fait foi, et par des modalités de cheminement et de suivi qui impliquent la relation « privilégiée » avec un professeur. Il en résulte un certain nombre de situations propices à faire émerger des faiblesses ou des lacunes qui n’avaient jamais été perçues auparavant, ni par l’étudiant lui-même ni par les professeurs qui ont pu lui enseigner.
Ce premier chapitre s’attarde aux difficultés d’adaptation inhérentes aux études de cycles supérieurs. Il m’apparaît important d’aborder ce sujet au début parce que, pour bien comprendre son rôle de directeur, celui-ci doit prendre conscience des défis que peuvent rencontrer ses étudiants. Les moyens d’intervenir pour les surmonter dans le cadre de son encadrement sont traités dans les autres chapitres.
1 L’apprentissage d’un savoir-faire précis
Le type d’apprentissage à faire aux cycles supérieurs n’est pas comparable à celui du premier cycle. Au premier cycle, l’accent est surtout mis sur l’acquisition des connaissances dans une discipline ou dans le développement de certaines compétences particulières. Aux cycles supérieurs, l’accent est mis sur le développement d’un savoir-faire associé à la réalisation d’une recherche et à la réflexion propre à son domaine d’études. En ce sens, ce ne sont plus les connaissances qui sont mises de l’avant, mais plutôt les compétences permettant de mener à terme la totalité d’une recherche et de pouvoir formaliser la démarche par la rédaction du mémoire ou de la thèse.
Il faut évidemment que l’étudiant acquière un certain nombre de connaissances nouvelles ou qu’il approfondisse celles qu’il possède déjà pour être en mesure de discuter de manière cohérente et exacte de son sujet, mais c’est à travers les tâches liées à la réalisation de sa recherche que se feront ces apprentissages.
Au premier cycle, les travaux sont produits en fonction de consignes relativement précises et sur des sujets assez bien définis qui s’inscrivent dans le contexte de cours qui délimitent la matière à être couverte. Les étudiants remettent leurs travaux et obtiennent ensuite une note. Aucune activité de retour visant la correction ou l’amélioration du travail n’est effectuée. L’étudiant a ainsi été entraîné toute sa vie à suivre des cours structurés, à faire des examens et des travaux qui démontraient qu’il avait acquis les savoirs qui lui étaient enseignés.
Par contre, aux cycles supérieurs, il se retrouve face à des tâches dont les paramètres sont habituellement plutôt vagues, déterminés par un contenu et des savoirs à aborder en fonction d’un sujet qu’il doit souvent lui-même définir, et chercher dans des ressources qu’il doit lui-même distinguer. S’il a été accepté à la maîtrise, c’est qu’il a su démontrer, par ses notes, un niveau de connaissance suffisant. Cela n’assure pas nécessairement qu’il saura développer les habiletés pour mener une recherche à terme et l’expérience réussie de la maîtrise n’est pas non plus garante de la réussite du doctorat.
Les situations d’adaptation que je décris dans les pages suivantes sont issues des nombreux échanges, rencontres et discussions que j’ai eus avec les étudiants à propos des apprentissages qu’ils ont eu à faire et des difficultés qu’ils ont rencontrées au cours de leur maîtrise et de leur doctorat. Ces situations d’adaptation sont la cause de nombreux problèmes chez les étudiants, mais ils sont aussi les raisons pour lesquelles l’encadrement d’un professeur s’avère nécessaire.
1.1 Le développement d’habiletés de lecture
Ce facteur est probablement le plus important en matière d’effets négatifs, quant à la capacité de l’étudiant à pouvoir répondre aux exigences de production de son mémoire ou de sa thèse. On s’attendrait à ce que les étudiants qui entreprennent des études de maîtrise ou de doctorat soient outillés pour effectuer convenablement les tâches de lecture étant donné le nombre d’années d’études qu’ils viennent de réussir. Cependant, la tâche de lecture impliquée dans l’étape de recension des écrits à la maîtrise et au doctorat demeure très éloignée de ce que les étudiants ont eu à accomplir dans leurs études antérieures.
Au premier cycle, la très grande majorité des activités de lecture d’un étudiant a servi à préparer des cours pour lesquels les enseignants reprenaient la matière couverte dans l’ouvrage. D’autres fois, la lecture servait de complément d’étude pour préparer un examen. D’autres fois encore, pour la rédaction de travaux, les besoins d’information nécessitaient une certaine recherche sur des sujets moins précis, mais les exigences demeuraient relativement limitées et circonscrites, soit en raison du nombre restreint de documents et leur détermination explicite, soit parce que la démarche s’inscrivait dans un travail dont les consignes et les contenus recherchés étaient bien définis, ou parce qu’ils servaient à répondre à des questions précises qui restreignaient l’ampleur des sources à traiter. Le travail de lecture consistait alors principalement à faire un assemblage de diverses informations dans le but de répondre à une demande relativement précise.
À la maîtrise et au doctorat, le travail autonome d’appropriation des connaissances sur son sujet qui passe par la recension des écrits est d’un tout autre niveau. Il nécessite un degré d’analyse plus précis pour savoir reconnaître les aspects pert...