ABC de l'argumentation, 2e édition

Pour les professionnels de la santé et toute autre personne qui souhaite convaincre

Marie-Josée Drolet, Mireille Lalancette, Marie-Ève Caty

• Éditeur: Presses de l'Université du Québec
• Année: 2019
• ISBN de l'eBook: 9782760550926
• Sujet: Médecine
• Sujet: Déontologie en médecine

Au quotidien, les professionnels de la santé ont à convaincre différentes personnes ou communautés – qu'il s'agisse de patients, de collègues, de supérieurs ou de partenaires – de la pertinence de leurs points de vue. Cet ouvrage explique à ces professionnels les principes de la rhétorique et diverses stratégies argumentatives, tout en soulignant les avantages de les utiliser dans le cadre de leur pratique. Parfois considérée comme l'art de persuader ou d'écrire avec style, la rhétorique est ici envisagée comme l'art d'argumenter pour convaincre par l'usage de la logique (logos), le recours aux émotions (pathos) et une réflexion éthique sur le rôle de l'orateur (ethos). Cette seconde édition de l'ABC de l'argumentation a été entièrement revue. Alors que les éléments théoriques de la première partie de l'ouvrage sont demeurés sensiblement les mêmes que ceux de la première édition, les éléments pratiques de la deuxième partie ont été, pour leur part, significativement bonifiés. Les auteures ont notamment développé de nouveaux exemples pour présenter certains arguments de la méthode I-DÉ-A-L-E. Trois nouveaux chapitres enrichissent également cette nouvelle édition, qui offre un plus grand nombre d'outils aux professionnels de la santé pour soutenir leurs revendications. Ceux-ci s'articulent autour du thème de l'advocacy et illustrent la manière dont les principes rhétoriques et les stratégies argumentatives peuvent être mis au service de la défense des droits, des besoins ou des intérêts des patients et des professionnels, de la promotion des emplois en santé ainsi que de l'amélioration des soins et des services dans ce milieu. Ce livre se veut un incontournable dans l'enseignement de l'argumentation en santé et dans d'autres domaines. Il entend aussi outiller toute personne qui souhaite convaincre, car les principes et stratégies qu'il propose s'appliquent à toute situation d'argumentation.

PARTIE

1

ÉLÉMENTS THÉORIQUES

CHAPITRE
1	RHÉTORIQUE ET ARGUMENTATION

Écouter quelqu’un, c’est se montrer disposé à admettre éventuellement son point de vue.

PERELMAN

Pour qu’il y ait dialogue, il faut au moins qu’il y ait volonté de dialogue, c’est-à-dire attention à l’autre et confiance dans les valeurs de l’argumentation, du raisonnement, de la persuasion.

FERENOZI

RÉFLEXIONS PRÉLIMINAIRES

Que représente, pour vous, la rhétorique?

Comment peut-elle vous être utile au quotidien?

Comment peut-elle être utile à votre pratique professionnelle?

En introduction, nous avons précisé que la rhétorique consiste en une discipline fondamentale plus que millénaire associée à l’ancien art oratoire de convaincre et qu’en ce sens, elle peut, d’une certaine manière, être considérée comme la «mère» de l’argumentation. Étant donné que des liens étroits unissent l’argumentation à la rhétorique, il importe de situer l’action de convaincre dans un contexte plus large, soit celui de sa genèse et de son histoire, pour comprendre la nature de l’argumentation et circonscrire cette activité communicationnelle inhérente à la vie quotidienne des êtres humains et, par extension, à la pratique des professionnels de la santé.

Ce court chapitre entièrement consacré à la rhétorique est divisé en cinq sections. La première traite de l’origine de l’argumentation, tandis que la deuxième précise ce qu’est la rhétorique. Alors que la troisième section rapporte des éléments relatifs à l’histoire de la rhétorique, la quatrième aborde les raisons qui expliquent la naissance de cet art ancien et la cinquième poursuit la définition de la rhétorique en précisant deux de ses caractéristiques essentielles.

1.1.L’ORIGINE DE L’ARGUMENTATION: LA RHÉTORIQUE

Quelle est l’origine de l’argumentation? Pourquoi celle-ci est-elle apparue? À quelles fins a-t-elle vu le jour? Dans quel contexte est-elle née? Des pistes de réponse à ces questions sont proposées dans cette première section, voire dans ce chapitre. Cela dit, pour parvenir à préciser ces éléments de réponse, il est nécessaire de traiter de la discipline appelée «rhétorique», de son histoire, du contexte sociopolitique qui a contribué à son émergence et de la manière dont celle-ci influence, encore aujourd’hui, les pratiques communicationnelles en général et les pratiques argumentatives en particulier, et ce, précisément parce que l’argumentation y plonge ses racines. En effet, une filiation étroite lie l’argumentation à la rhétorique.

Plus précisément, l’argumentation relève de la rhétorique, c’est-à-dire de l’ancien art oratoire permettant de convaincre, apparu au V^e siècle avant notre ère, à la naissance de la démocratie, en Grèce (Breton, 2001, p. 2). L’objectif de ce chapitre n’est pas de retracer la genèse et l’histoire exhaustives de la rhétorique ou des théories de l’argumentation qui ont marqué l’évolution des idées en Occident, mais bien de souligner et de faire ressortir quelques éléments centraux de l’histoire de l’argumentation, voire de celle de la rhétorique, qui permettent aux professionnels de la santé de mieux comprendre les enjeux actuels de la pratique argumentative. Ce retour aux sources de l’argumentation permet du même souffle de circonscrire avec plus d’acuité ce qu’est l’argumentation et ce qu’elle n’est pas, sujet d’intérêt du prochain chapitre. Mais qu’est-ce que la rhétorique? Quel est son lien avec l’argumentation?

1.2.LA RHÉTORIQUE: L’ART DE CONVAINCRE

Comme pour la majorité des mots que nous utilisons au quotidien, il existe plusieurs définitions du terme rhétorique. Pour comprendre ce qu’est la rhétorique, il peut être intéressant d’en explorer les racines étymologiques. Ce terme provient des mots grecs têcknê rhêtorikê (qui réfèrent à la tekhnê, c’est-à-dire à la technique) et rhêtor (c’est-à-dire l’orateur). La rhétorique renvoie donc aux différentes techniques qu’utilise un orateur.

Le dictionnaire Le Petit Robert propose trois définitions de la rhétorique: une ayant trait à la communication en général, une relative à l’art de convaincre et une autre renvoyant à l’éloquence. Ainsi, selon ce dictionnaire, la rhétorique correspond à l’«art de bien parler; [à la] technique de la mise en œuvre des moyens d’expression (par la composition, les figures)» (Robert, 2004, p. 2300). Plus encore, la rhétorique réside dans les moyens d’expression et de persuasion utilisés par un individu en vue de convaincre. Enfin, toujours selon ce dictionnaire, mais dans un sens péjoratif cette fois, la rhétorique réfère au style déclamatoire d’un orateur (Robert, 2004).

Pour sa part, le dictionnaire Antidote (Druide informatique, 2012) propose les définitions suivantes: la rhétorique, c’est l’«art du discours; l’ensemble des procédés et des techniques permettant de s’exprimer avec éloquence, de convaincre, de persuader» (Druide informatique, 2012; mot clé rhétorique). Les exemples d’expressions indiqués dans ce dictionnaire pour préciser le contexte d’utilisation de ce mot sont les suivants: figure de rhétorique, artifice de rhétorique, traité de rhétorique, enseigner la rhétorique (Druide informatique, 2012). La rhétorique y est également définie comme l’«ensemble des moyens de persuasion et des procédés stylistiques d’une personne, d’un groupe. [Par exemple, la] rhétorique guerrière d’un chef d’État. La rhétorique populiste d’un parti politique. Une rhétorique enflammée qui séduit. Sa rhétorique creuse ne convaincra pas grand monde» (Druide informatique, 2012). Ces deux dernières phrases montrent que la rhétorique consiste en l’usage de stratégies oratoires et que cet usage peut être plus ou moins bien effectué. Plus encore, toujours selon Antidote, la rhétorique peut avoir un sens péjoratif. Le cas échéant, elle réfère au «style pompeux et artificiel d’un orateur ou d’un écrivain» qui aurait développé «une prose truffée de clichés et enflée de rhétorique» (Druide informatique, 2012).

Ce dernier aspect montre la difficulté d’aborder la notion de rhétorique sans constater la méfiance, voire l’hostilité que ce terme provoque chez certains individus. C’est qu’à tort, on y associe toutes sortes de finalités plus ou moins nobles alors qu’en elle-même, la rhétorique, comme outil de persuasion, n’inclut pas les finalités de son usage. On peut en effet l’utiliser à bon escient, comme on peut en faire usage à des fins plus ou moins louables (manipulation, ruse, extorsion, mensonge, diffamation, flatterie et démagogie, par exemple). Ainsi, plutôt que d’attaquer les individus ou les groupes qui utilisent cet ancien art oratoire de la mauvaise façon, certains critiques de la rhétorique ont eu tendance à l’attaquer, elle. Ainsi, lorsqu’on traite de cette discipline ancienne qu’est la rhétorique, un des défis que l’on rencontre est de parvenir à redorer son image. Ce défi est d’ailleurs reconnu par plusieurs penseurs qui s’intéressent, de nos jours, à cet art de convaincre (Angenot, 2008; Robrieux, 2010; Meyer, 2011). Comme l’indique Angenot à ce sujet, «la rhétorique n’a pas été seulement, de l’Antiquité aux temps modernes, le “parent pauvre” de la philosophie. “Depuis toujours”, c’est-à-dire depuis Platon, la rhétorique a eu mauvaise presse» (Angenot, 2008, p. 56).

Dans un dialogue intitulé le Gorgias, Platon¹ affirme en effet – par l’entremise de son professeur et mentor, Socrate (470-399 avant notre ère) – que «la rhétorique n’a pas besoin de connaître la réalité des choses; il lui suffit d’un certain procédé de persuasion qu’elle a inventé, pour qu’elle paraisse devant les ignorants plus savante que les savants» (Platon, 1984, p. 81²). Dans ce dialogue, Platon réduit la rhétorique à la flatterie et à la tromperie qu’utilisent certains rhéteurs de son époque pour manipuler des auditoires en vue d’atteindre certaines fins politiques. Comme la plupart des critiques de la rhétorique, Platon confond ici la discipline rhétorique avec l’usage qu’en font certains individus à des fins plus ou moins louables.

Cette observation de la condamnation de cet art de convaincre qu’est la rhétorique est réalisée par d’autres auteurs contemporains comme Robrieux (2010) et Meyer (2011), par exemple. C’est dire que la rhétorique continue de susciter un sentiment de perplexité, voire de malaise chez certains individus, précisément parce qu’on lui reproche d’être utilisée tant par des personnes qui font la promotion d’idées vraies ou justes que par celles qui défendent des idées fausses ou iniques. Encore aujourd’hui, affirmer qu’un acteur politique a préparé un discours fort en rhétorique, c’est en quelque sorte l’accuser de manquer de substance et d’user de stratégies de communication condamnables comme la duperie, la flatterie ou la démagogie, pour ne donner que ces exemples. De fait, de nos jours, la notion de rhétorique oscille inlassablement entre un statut prestigieux, noble ou valable, d’une part, et un statut suspect, louche ou douteux, d’autre part. C’est la raison pour laquelle, comme l’observe par ailleurs Robrieux (2010), pour certains contemporains, le mot rhétorique est essentiellement péjoratif.

Pourquoi dès lors traiter de rhétorique dans cet ouvrage? Qui plus est, pourquoi en traiter dans le cadre d’un ouvrage consacré à l’argumentation et dédié à des professionnels de la santé? En quoi est-il pertinent de revenir à la rhétorique et de dépoussiérer le concept afin de lui redonner son lustre? Ne serait-il pas plus stratégique de camoufler ce passé peu reluisant, selon certains, de l’acte d’argumenter? Se poser ces questions, c’est d’une certaine manière s’interroger sur l’utilité de la rhétorique aujourd’hui ainsi que sur les conditions de légitimité de son utilisation. Suivant Robrieux (2010), nous estimons que deux préoccupations principales justifient l’intérêt pour cet art ancien oratoire. Dans un premier temps, le besoin d’expression partagé par les êtres humains fait en sorte que la rhétorique occupe une place importante dans nos sociétés contemporaines. Dans un second temps, il est nécessaire, dans le monde contemporain...

Table des matières

• COUVERTURE
• PAGE LÉGALE
• TABLE DES MATIÈRES
• PRÉFACE • LA RHÉTORIQUE, OU L’ART DE CONDUIRE À DES PRISES DE DÉCISIONS ÉCLAIRÉES
• AVANT-PROPOS
• LISTE DES ABRÉVIATIONS
• LISTE DES FIGURES ET DES TABLEAUX
• INTRODUCTION
• PARTIE 1 ÉLÉMENTS THÉORIQUES
• PARTIE 2 ÉLÉMENTS PRATIQUES
• CONCLUSION
• ANNEXES
• RÉFÉRENCES
• QUATRIÈME DE COUVERTURE