CHAPITRE
1
LES RELATIONS PUBLIQUES : DE QUOI PARLONS-NOUS AU JUSTE ?
Je suis un relationniste, soit un professionnel des relations publiques.
Peu d’occupations sont aussi mal comprises que les relations publiques, aussi bien dans la population en général que dans les organisations qui emploient les relationnistes. Dans la plupart des milieux de travail, la compréhension qu’ont les employés et les gestionnaires de ce que sont les relations publiques se résume à ceci : parler aux journalistes, rédiger des discours, organiser des événements. D’autres, un peu mieux renseignés, savent que les relationnistes parlent avec les « parties prenantes », ces groupes multiples aux intérêts variés à l’infini qui s’intéressent à leur organisation, souvent pour la critiquer et l’attaquer publiquement. Mais la nature exacte de la relation entretenue avec ces groupes par les relationnistes leur échappe. Enfin, depuis le tournant du siècle surtout, les relations publiques dansent avec le marketing un drôle de ballet où l’on ne sait plus trop qui fait quoi.
Trop peu de gestionnaires savent faire la distinction entre les relations publiques et les techniques de communication. Ils demandent généralement aux relationnistes des brochures, des sites Web et une gestion des médias sociaux, mais rarement des analyses et des stratégies. Ils les subordonnent au marketing, aveugles à la différence entre le soutien à la création de valeur et à la relation commerciale (le marketing) et la promotion des intérêts de l’organisation auprès des parties prenantes (les relations publiques), qui est aussi créatrice de valeur, mais d’une nature différente, plus sociétale que commerciale ou financière. Ils les intègrent peu ou pas du tout aux processus de planification et de gestion, mais se tournent systématiquement vers eux pour gérer les problèmes et les crises. Comme si la vertu résidait dans le communiqué de presse qu’on diffuse pour s’expliquer après le fait, plutôt que dans la pensée stratégique qui aurait pu contribuer à éviter le problème sur lequel nous devons maintenant nous expliquer. Cette réalité évolue, heureusement, mais beaucoup trop lentement.
Cette image à la fois très floue et multiforme de ce que sont les relations publiques nous nuit grandement. Elle nous empêche d’affirmer clairement l’utilité de notre rôle dans la société. Il faut réagir! Cela pose toute la question de savoir QUI nous sommes.
Comment nous définissons-nous nous-mêmes ? Sommes-nous des faiseurs d’images ? Des avocats auprès de l’opinion publique ? Des fournisseurs de services de communication ? Un complément au marketing ? Toutes ces réponses sont valables, mais aucune n’est complète ; même en les additionnant, nous n’obtenons pas encore la vraie réponse, car nous nous contentons d’empiler les pièces du casse-tête au lieu de les assembler de manière à donner un nouveau sens à l’ensemble.
Pour la majorité de la population, les relations publiques demeurent un univers mystérieux auquel on attribue tantôt des vertus magiques, tantôt tous les défauts, un peu comme on l’a fait avec la publicité durant les années 1950-1960.
La réalité est plus prosaïque. Les professionnels en relations publiques n’assument pas plus un rôle « magique » ou tout-puissant que les avocats, les ingénieurs ou les autres professionnels à l’emploi des organisations ; de fait, ils exercent souvent un pouvoir nettement moindre que ces derniers en raison de leur faible reconnaissance comme groupe professionnel et de la difficulté qu’ont les dirigeants des organisations à saisir leurs capacités et compétences réelles.
Il n’en demeure pas moins que leur rôle est devenu graduellement, au fil des décennies, aussi important que celui de ces autres professionnels et qu’il est de plus en plus reconnu comme tel, même si la reconnaissance de la discipline comme profession est en retard sur la réalité.
Les relations publiques constituent un domaine professionnel beaucoup plus jeune que le droit, le génie ou l’administration. Ainsi, les pratiques modernes ne sont codifiées et théorisées que depuis quelques décennies. Les programmes d’enseignement en relations publiques, au Québec, sont récents ; ils étaient embryonnaires à l’époque où j’ai terminé mes études universitaires en journalisme, à la fin des années 1970, et c’est largement « sur le tas », comme le veut l’expression populaire, ou en situation de pratique, que j’ai parfait mon apprentissage, transposant progressivement dans le contexte de ma pratique les principes généraux de la communication que j’avais acquis sur les bancs de l’université et qui me furent d’ailleurs fort utiles.
Ce n’est que beaucoup plus tard, après un quart de siècle de pratique, que j’ai ressenti le besoin d’asseoir plus solidement mes connaissances théoriques, dans le cadre de la démarche d’agrément en relations publiques (ARP), encadrée par la Société canadienne des relations publiques (SCRP). Je ne l’ai jamais regretté. Bien au contraire, cet exercice exigeant m’a remis au monde dans ma pratique, me permettant de constater qu’il existe de solides fondements théoriques sur lesquels baser mes intuitions de communicateur. On entend parfois que la communication et ses diverses déclinaisons, incluant les relations publiques, relèvent autant du domaine de l’art que de la science. C’est faux. Ou, plus exactement, ce n’est ni plus ni moins vrai que pour tout autre domaine professionnel. L’avocat, le médecin et l’ingénieur font chacun l’apprentissage patient de leur « art » et s’ils vivent parfois des moments de grâce où la solution à un problème complexe leur apparaît dans un éclair de génie, ils doivent cette fulgurance aux innombrables heures consacrées à l’apprentissage rigoureux de leur science. Il en va de même avec les relations publiques.
1. MAIS DE QUOI PARLONS-NOUS AU JUSTE ?
Il est utile à ce moment-ci de définir ce que sont les relations publiques et de les situer par rapport à d’autres concepts avec lesquels elles sont souvent confondues, soit ceux d’information et de communication.
L’information est synonyme de diffusion. Dans les dictionnaires usuels, on définit ce terme comme une action ; on informe lorsqu’on transmet un savoir ou une donnée quelconque à une autre personne. Les médias d’information traditionnels font précisément cela : les journaux et magazines, les nouvelles à la radio et à la télévision, diffusent des informations. On définit aussi ce terme comme étant le contenu qui est transmis. Au sens strict du terme, l’information est un processus à sens unique. Le lecteur du bulletin de nouvelles n’a aucune idée de qui l’écoute ou non ; il lit son bulletin, tout simplement. Il informe. Le rôle de l’information dans nos sociétés est essentiel ; j’y reviendrai au chapitre 4, en explorant les complémentarités et les différences entre les relations publiques et le journalisme.
La communication est une information à double sens, un échange réciproque, une boucle où l’information transmise reçoit une réponse. Pour qu’il y ait communication, il doit obligatoirement y avoir un retour d’information, une rétroaction. On peut dire qu’il y a communication à partir du moment où la personne à l’origine d’une information reçoit en retour un signal de la personne ayant capté cette information. Ainsi, la communication ouvre la voie au dialogue, à l’influence qu’on peut exercer les uns sur les autres. La communication est essentielle aux relations publiques, mais elle n’en est pas synonyme. C’est un outil compliqué et subtil qu’il faut étudier longtemps avant d’en comprendre tous les aspects, qui peut être utilisé à diverses fins : convaincre, vendre, intimider, séduire.
Les relations publiques sont préoccupées par les échanges entre les organisations. Elles utilisent les outils de la communication dans une optique bien précise : gérer les relations d’une organisation avec son environnement. En voici quelques définitions :
Selon le Manuel d’agrément de la SCRP (2018, p. 30),
[u]ne démarche de relations publiques vise essentiellement à influencer les opinions, les attitudes et les comportements d’un public dans un cadre de gestion des relations entre une organisation et son environnement. Les relations publiques permettent de créer et de maintenir un lien de confiance avec les publics internes et externes, et d’aider ainsi l’organisation à réaliser sa mission et ses objectifs.
James Grunig (1992, p. 389), théoricien bien connu des relations publiques, définit ainsi l’objectif fondamental des relations publiques : « Le rôle fondamental des relations publiques est d’évaluer l’environnement de l’organisation pour identifier les menaces et les opportunités qui se posent à cette organisation1. »
Cutlip, Center et Broom (2000, p. 340) vont un peu plus loin en assignant aux relations publiques une fonction non seulement de mise en rapport de l’organisation avec son environnement, mais aussi de résolution des problèmes de cette organisation : « Dans leur forme la plus avancée, les relations publiques sont une partie scientifiquement gérée des processus de résolution de problèmes et de changement d’une organisation2. »
Coombs et Holladay (2007, p. 26), pour leur part, proposent la définition suivante : « la gestion de relations d’influence mutuelle au sein d’un réseau de relations entre parties prenantes et organisations ». Ces auteurs précisent que le terme « gestion » est justifié, car « les relations n’existent pas simplement par elles-mêmes. Tout comme les relations interpersonnelles exigent une attention délibérée et des compétences en communication pour être maintenues, intensifiées ou dissoutes, les relations entre les organisations et les parties prenantes doivent être gérées3 ».
Enfin, dans une tout autre voie, les auteurs Seib et Fitzpatrick (1995, p. 1) définissent ainsi la raison d’être des relations publiques dans leur ouvrage consacré à l’éthique de cette profession :
Chaque profession poursuit un but moral. Pour la médecine, c’est la santé. Pour le droit, c’est la justice. Pour les relations publiques, c’est l’harmonie – l’harmonie en société […] les professionnels des relations publiques favorisent la compréhension mutuelle et la coexistence pacifique entre les individus et les institutions4.
Ces définitions nous permettent de cerner les principaux aspects de ce que sont les relations publiques. Retenons surtout qu’il y est principalement question de gestion des relations entre organisations, et non de communications. Les relations publiques sont trop souvent perçues uniquement à travers les moyens qu’elles utilisent – relations de presse, publications, médias sociaux, etc. – alors que l’essentiel de leur contribution réside dans l’analyse et la stratégie qui ont précédé le recours à ces outils et qui ont défini le contenu de la communication.
En somme, les relations publiques servent, comme leur nom l’indique, à mettre en relation des personnes et des organisations. Elles visent à influencer les attitudes et les comportements, en établissant un climat de confiance entre les parties. Elles mettent en jeu des moyens d’analyse de l’environnement, d’identification des parties prenantes et d’élaboration de stratégies tenant compte des menaces et des occasions favorables propres à l’organisation. Elles aident les organisations à régler des problèmes concrets et contribuent à les faire évoluer. Enfin, elles contribuent à la poursuite d’un idéal d’harmonie en société.
Certains termes utilisés ici sembleront naïfs : « établir la confiance », « poursuivre un idéal d’harmonie », notamment. Dans l’imaginaire populaire, on associe plutôt les relations publiques aux situations conflictuelles où la confiance, justement, est loin de régner. Cette perception montre une certaine confusion entre « confiance » et « bonne entente ». En fait, la véritable confiance repose pas sur le fait de s’entendre ou non avec l’autre partie ; elle repose sur la certitude que nous avons que l’autre partie fera ce qu’elle dit et dira ce qu’elle fait. Il est moins important en relations publiques d’être populaire que de donner l’heure juste. Les parties peuvent ne pas s’entendre, mais elles doivent, pour dialoguer ou négocier, avoir confiance que le message qu’elles reçoivent correspond fidèlement à la position de l’autre partie. Le rôle du relationniste est de projeter une image conforme à la réalité et non d’embellir cette réalité ; c’est ainsi qu’il construit la confiance.
Pour ce qui est de l’idéal d’harmonie, il est précisément cela : un idéal, une qualité aussi difficile à saisir que le sont la santé ou la justice. Les avocats travaillent surtout aux marges de la justice, les médecins aux marges de la santé et les relationnistes aux marges des conflits. Tous travaillent au nom d’un idéal dans des situations où cet idéal fait défaut ; ils n’en sont pas moins convaincus de son importance. Cet idéal constitue un repère, une balise, une valeur fondamentale dont nous verrons toute l’importance dans le chapitre consacré à l’éthique.
2. LES TROIS NIVEAUX DE PRATIQUE DES RELATIONS PUBLIQUES
Typiquement, une démarche de relations publiques comporte les étapes suivantes : étude et compréhension de l’organisation pour laquelle on agit ; étude et compréhension de la situation générale de cette organisation dans son environnement ; identification des parties prenantes et de leurs enjeux ; définition d’une stratégie mettant en jeu divers moyens de communication ; mise en œuvre des moyens prévus par la stratégie ; enfin, évaluation des résultats obtenus.
Cela dit, la pratique des relations publiques revêt une grande variété de formes. Elle relève tantôt du métier, tantôt de la profession et on la définit souvent comme une « fonction de gestion ». De fait, comme dans toutes les sphères d’activités professionnelles, tout dépend du contexte dans lequel l’activité est réalisée et du niveau de responsabilité confié à la personne qui en est chargée. D’une manière générale, il est possible de distinguer trois principales formes de pratique. Chacune comporte ses exigences au chapitre de la formation et ses responsabilités propres.
2.1. LES RELATIONS PUBLIQUES COMME MÉTIER
Le premier niveau de pratique est celui des activités : relations de presse, organisation d’événements, rédaction. À ce niveau, le relationniste exécute un plan conçu par d’autres ; il n’est pas responsable d’élaborer les objectifs ou la stratégie. Toutefois, son travail sera meilleur s’il en comprend le sens général, ainsi que l’objectif lié à sa participation.
Les emplois où les activités de métier sont dominantes représentent la voie d’entrée la plus naturelle et la plus facile vers une carrière en relations publiques. Les jeunes y sont donc surreprésentés. Il existe plusieurs raisons à cela. En premier lieu, ils sont suffisamment proches de l’action pour observer les réalités du milieu et parfaire leurs connaissances, sans pour autant avoir à assumer des responsabilités trop lourdes pour des praticiens inexpérimentés. Ensuite, la plupart des jeunes ont un penchant naturel pour l’action et de l’énergie à revendre, ce qui est souvent précieux dans la conduite des opérations, surtout en situation de crise. Les jeunes présentent également une facilité naturelle dans l’utilisation des nouveaux moyens de communication et peuvent être d’un grand secours aux responsables de la planification en attirant leur attention sur les possibilités offertes par ces moyens.
Ce serait une erreur toutefois que de minimiser l’importance des activités de métier ou de considérer qu’elles sont indignes des praticiens d’expérience. Les meilleures stratégies réussissent ou échouent souvent sur le plan de leur exécution ; ce maillon de la chaîne doit être aussi solide que les autres. Comme dans toute autre occupation, l’expérience acquise avec les années permet d’obtenir de meilleurs résultats tout en rationalisant les efforts et les ressources, et les améliorations possibles sont infinies. Bon nombre de praticiens choisissent de faire carrière en se consacrant entièrement à l’un ou l’autre des métiers de la communication, par exemple les relations de presse, l’organisation d’événements, la rédaction professionnelle ou la gestion des médias sociaux. Ils deviennent souvent des experts dont le savoir-faire inspire les stratèges et leur devient indispensable.
La pratique des relations publiques comme métier demande, idéalement, une connaissance générale de la théorie des relations publiques, qui facilitera la compréhension du contexte général de travail. En effet, le responsable d’une activité doit être en mesure de comprendre le sens général de la stratégie à laquelle il participe ; ses produits n’en seront que plus pertinents. Il doit aussi maîtriser les fondements techniques essentiels à la préparation des produits ou des activités dont il a la charge. Ici, la maîtrise technique au sens restreint de ce terme ne suffit pas. On n’insistera jamais trop sur l’importance de la maîtrise de la langue parlée et écrite, à la fois outil d’expres...