Le savoir autochtone dans tous ses états
eBook - ePub

Le savoir autochtone dans tous ses états

Regards sur la pratique singulière des intervenants sociaux innus d'Uashat mak Mani-Utenam

  1. 170 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub

Le savoir autochtone dans tous ses états

Regards sur la pratique singulière des intervenants sociaux innus d'Uashat mak Mani-Utenam

À propos de ce livre

Le présent ouvrage propose une réflexion sur les formes contemporaines d'intervention sociale par des Autochtones dans un milieu autochtone. Grâce à l'exploration de sept récits de pratique recueillis auprès d'inter­­venants sociaux innus de la communauté d'Uashat mak Mani-Utenam, sur la Côte-Nord, l'auteure jette un éclairage singulier sur le sens, la nature et la portée des modes d'intervention des intervenants sociaux de la nation innue.Loin d'être le simple reflet de la pratique du travail social conven­tion­nel et sans pour autant être enfermée dans la tradition, la pratique des intervenants innus est plutôt le résultat de choix réflexifs et pragmatiques basés principalement sur des connaissances tacites et des valeurs innues. Ainsi, les intervenants innus aménagent au quotidien des modes d'intervention compatibles avec leur désir de perpétuer et de promouvoir la langue, la culture et la fierté d'être innu.

Foire aux questions

Oui, vous pouvez résilier à tout moment à partir de l'onglet Abonnement dans les paramètres de votre compte sur le site Web de Perlego. Votre abonnement restera actif jusqu'à la fin de votre période de facturation actuelle. Découvrez comment résilier votre abonnement.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptés aux mobiles peuvent être téléchargés via l'application. La plupart de nos PDF sont également disponibles en téléchargement et les autres seront téléchargeables très prochainement. Découvrez-en plus ici.
Perlego propose deux forfaits: Essentiel et Intégral
  • Essentiel est idéal pour les apprenants et professionnels qui aiment explorer un large éventail de sujets. Accédez à la Bibliothèque Essentielle avec plus de 800 000 titres fiables et best-sellers en business, développement personnel et sciences humaines. Comprend un temps de lecture illimité et une voix standard pour la fonction Écouter.
  • Intégral: Parfait pour les apprenants avancés et les chercheurs qui ont besoin d’un accès complet et sans restriction. Débloquez plus de 1,4 million de livres dans des centaines de sujets, y compris des titres académiques et spécialisés. Le forfait Intégral inclut également des fonctionnalités avancées comme la fonctionnalité Écouter Premium et Research Assistant.
Les deux forfaits sont disponibles avec des cycles de facturation mensuelle, de 4 mois ou annuelle.
Nous sommes un service d'abonnement à des ouvrages universitaires en ligne, où vous pouvez accéder à toute une bibliothèque pour un prix inférieur à celui d'un seul livre par mois. Avec plus d'un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu'il vous faut ! Découvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l'écouter. L'outil Écouter lit le texte à haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l'accélérer ou le ralentir. Découvrez-en plus ici.
Oui ! Vous pouvez utiliser l’application Perlego sur appareils iOS et Android pour lire à tout moment, n’importe où — même hors ligne. Parfait pour les trajets ou quand vous êtes en déplacement.
Veuillez noter que nous ne pouvons pas prendre en charge les appareils fonctionnant sous iOS 13 ou Android 7 ou versions antérieures. En savoir plus sur l’utilisation de l’application.
Oui, vous pouvez accéder à Le savoir autochtone dans tous ses états par Christiane Guay en format PDF et/ou ePUB ainsi qu'à d'autres livres populaires dans Sciences sociales et Études amérindiennes. Nous disposons de plus d'un million d'ouvrages à découvrir dans notre catalogue.
CHAPITRE 1

Situer le savoir

Les différentes stratégies d’institutionnalisation du savoir autochtone en travail social s’inscrivent dans un contexte historique et intellectuel particulier. En travail social, la plupart des discours sur les Autochtones, qu’ils soient tenus par des Autochtones ou non, sont fondés sur les relations qu’ont entretenues historiquement les colonisateurs, puis l’État canadien, avec les peuples autochtones. Il est donc difficile de comprendre l’état actuel de la situation sans faire référence au passé. Cela est d’autant plus vrai que les problèmes sociaux auxquels font face actuellement les sociétés autochtones découlent de politiques assimilationnistes (notamment celle des pensionnats) et de l’application subséquente de régimes provinciaux de protection de la jeunesse (qui donnera lieu à ce qu’on nomme communément le sixties’ scoop, dont il sera question plus loin). C’est pourquoi le présent chapitre tentera de faire un bref survol de ces politiques. Cela dit, il sera également question du rôle qu’a joué le travail social contemporain au regard de l’oppression des Autochtones du Canada. Ces sombres constats nous mèneront à explorer certaines pistes mises de l’avant par certains auteurs pour permettre au travail social de mieux répondre aux besoins des Autochtones. L’une de ces pistes repose sur l’application de méthodes et de stratégies répondant aux défis soulevés par la diversité culturelle. Cependant, on notera dès à présent que la plupart des auteurs qui proposent une plus grande reconnaissance du savoir autochtone se fondent sur une critique de cette littérature. Une autre piste consiste plutôt à reconnaître, à des degrés divers, l’autonomie des peuples autochtones en ce qui concerne la gestion des services sociaux qui leur sont destinés. Or, au terme du présent chapitre, on constatera que ces deux pistes posent la question de la reconnaissance du savoir autochtone et de son interaction avec le savoir occidental. Nous verrons dans le chapitre suivant comment certains auteurs s’intéressent à cette interaction.

1.1. Le travail social et les Autochtones au Canada

Le travail social est une profession en mouvement, tributaire des transformations sociales, politiques, économiques, juridiques et organisationnelles de la société dans laquelle elle s’inscrit (Mayer et Goyette, 2000). Ainsi, au cours des dernières décennies, la pratique du travail social a connu de profonds bouleversements et de nombreuses remises en question sur le plan de ses fondements, de sa fonction et de son objet d’intervention. On se retrouve donc aujourd’hui avec une pratique de plus en plus diversifiée dans un monde qui se veut pluriel. Il existe plusieurs conceptions et visions du travail social, ce qui rend impossible de le définir de façon globale et univoque. Malgré tout, les auteurs s’entendent généralement pour dire que la pratique du travail social est caractérisée par deux grandes dimensions qui se chevauchent constamment. Le travail social est, d’une part, une pratique axée sur la relation d’aide (auprès des individus, des groupes ou des collectivités) et, d’autre part, une pratique qui vise le changement social. Ainsi, pour Heinonen et Spearman, « The foundation of professional practice is built on humanitarian and egalitarian ideals, the right to social justice, and the elimination of oppression and exploitation in society » (2006, p. 1) ; c’est-à-dire que le travail social repose sur le désir d’aider les gens qui vivent en marge de la société et sur la volonté d’améliorer et de changer les conditions qui sous-tendent les inégalités sociales (Lecompte, 2000).
Or, en ce qui concerne la relation entre le travail social et les Autochtones, l’histoire nous enseigne une tout autre réalité. En effet, les Autochtones du Québec et du Canada ont fait l’objet des pratiques ethnocentriques de travailleurs sociaux – cette situation s’est aussi produite ailleurs en Amérique, en Australie (Bennett et Zubrzycki, 2003) et en Nouvelle-Zélande. Des auteurs, tels Blackstock (2009) ou Hardy et Mawhiney (1999), parlent de pratiques discriminatoires qui ont contribué à opprimer et à aliéner les Autochtones. Ces pratiques ne sont pas étrangères à l’idéologie qui imprégnait, à une certaine époque, les politiques gouvernementales à l’égard des Autochtones. En effet, nous l’avons déjà dit, l’assimilation a longtemps été le leitmotiv du gouvernement canadien en ce qui concerne l’intégration des collectivités autochtones à la société canadienne et leur développement économique et social. Or, nous constaterons dans les lignes qui suivent que, d’une part, les communautés autochtones ressentent toujours les séquelles laissées par les pensionnats et le sixties’ scoop et que, d’autre part, l’idéologie assimilatrice conserve encore une influence manifeste, notamment au sein des systèmes de protection de la jeunesse.

1.1.1. Les séquelles de la politique des pensionnats et du sixties’ scoop

Pierre angulaire de la stratégie assimilatrice, le programme des pensionnats6, aussi nommés « écoles résidentielles », a été, de loin, l’initiative la plus ambitieuse de l’histoire des relations entre les peuples autochtones et la société canadienne, mais aussi la plus tragique. Instaurés officiellement en 1892, les pensionnats ont été mis en place à la suite d’ententes conclues entre le gouvernement du Canada et les Églises catholique, anglicane, méthodiste et presbytérienne. Le programme des pensionnats visait à soustraire les enfants autochtones aux influences parentales jugées néfastes, à les évangéliser et à les transformer en individus « civilisé[s], prêt[s] à accepter [leurs] privilèges et responsabilités de citoyen[s] » (Commission royale sur les peuples autochtones [CRPA], 1996a, p. 365). La politique des pensionnats comportait trois importants volets. Le premier consistait à séparer les enfants de leur famille. En effet, au cœur de ce projet de scolarisation des jeunes autochtones résidait l’idée selon laquelle ces derniers ne pouvaient développer leur plein potentiel qu’à l’extérieur de leur milieu naturel, c’est-à-dire isolés et coupés des liens qui les unissaient au mode de vie de leurs parents. On était persuadé que seuls les enfants avaient la capacité de se plier à la transformation radicale qu’exigeait le passage de leur société, jugée primitive, à la modernité (CRPA, 1996a ; CVR, 2015). Le deuxième volet prévoyait la resocialisation des enfants par l’inculcation des valeurs, croyances et habitudes de la société coloniale. Cette resocialisation exigeait nécessairement le bannissement des langues autochtones au sein des établissements scolaires. Enfin, « on prévoyait également de les intégrer à la fin de leurs études dans le monde non autochtone » (Brant Castellano, 2006, p. 8). On estime à environ 139 le nombre de ces pensionnats à avoir vu le jour au Canada. La Gordon Residential School (en Saskatchewan) fut la dernière à fermer ses portes, en 1996. Au Québec, des 10 écoles mises en place, le pensionnat de La Tuque fut le dernier à fermer ses portes, en 1980 (Brant Castellano, 2006 ; CVR, 2015).
D’aucuns reconnaissent que le système des pensionnats a été un échec, en ce sens qu’il n’a pas réussi à atteindre les objectifs que le gouvernement lui avait fixés. Le sous-financement, les problèmes d’administration et l’impossibilité même d’effectuer un changement culturel forcé de cette ampleur ont fait en sorte que ces écoles se sont transformées en institutions d’oppression, au sein desquelles les pratiques culturelles et les langues autochtones étaient réprimées, y compris par l’usage de la violence (CVR, 2012, 2015). Comme le souligne la CRPA, « [n]on seulement le système n’est pas parvenu, comme il le prévoyait, à assimiler les enfants autochtones […], ni même […] à leur donner un niveau d’éducation approprié, mais encore il n’a pas su les traiter avec affection » (1996a, p. 382). Les conditions de vie étaient si lamentables dans ces écoles qu’un bon nombre de pensionnaires y sont morts. De plus, on a récemment découvert que les pensionnats avaient été le théâtre d’abus sexuels systématiques de la part d’enseignants ou de membres du personnel. Bref, l’expérience des pensionnats a été traumatisante pour tous les enfants, même dans les cas « où le personnel du pensionnat faisait preuve de bienveillance à leur égard et où les résultats sur le plan des études ont été appréciés » (Brant Castellano, 2006, p. 8). En 2006, le gouvernement fédéral et les Églises ont conclu une entente de règlement qui prévoyait le versement de compensations monétaires aux survivants des pensionnats et la mise sur pied d’une commission de vérité et de réconciliation portant sur cette expérience. Cette commission a récemment soumis son rapport final, dans lequel elle n’hésite pas à qualifier la politique des pensionnats de génocide culturel (CVR, 2015).
Il apparaît aujourd’hui difficile de surestimer les répercussions négatives des pensionnats sur les peuples autochtones. Chose certaine, il est impossible d’étudier la question du travail social et des Autochtones en faisant abstraction du lourd héritage des pensionnats, lequel pèse toujours sur la réalité des membres des Premières Nations. Cela est d’autant plus vrai que les travailleurs sociaux n’ont pas été des acteurs neutres dans l’histoire de l’oppression des Autochtones. En effet, même si les travailleurs sociaux n’ont pas été directement impliqués dans la mise en œuvre de la politique des pensionnats, on sait aujourd’hui que l’Association canadienne des travailleurs sociaux (ACTS) était, à l’époque, au courant des différents sévices subis par les enfants au sein des pensionnats et qu’elle n’a entrepris aucune démarche pour y remédier (Blackstock, 2009). Au contraire, elle a figuré parmi les plus grands défenseurs de cette politique. Comme le précisent Blackstock, Brown et Bennett (2007), les pensionnats représentaient, pour les travailleurs sociaux de l’époque, un lieu privilégié où placer les enfants autochtones qui avaient besoin de protection. Cela explique pourquoi, en 1948, l’ACTS s’est jointe aux Églises pour s’opposer à la fermeture des pensionnats (Blackstock, Brown et Bennett, 2007). L’Association a également plaidé, à la même époque, pour que les services sociaux offerts par les provinces, y compris les services de protection de la jeunesse, soient étendus aux Autochtones habitant sur les réserves (Bracken et Hart, 2016). Enfin, l’expérience des pensionnats n’a pas seulement affecté ceux qui les ont fréquentés. Les survivants des pensionnats, privés de modèles parentaux adéquats, ont souvent eu des comportements inadéquats à l’égard de leurs propres enfants. Ce sont donc des communautés entières qui ont été mises en péril, sur plusieurs générations.
Le régime des pensionnats a été maintenu jusqu’au tournant des années 1970, mais la politique assimilatrice s’est poursuivie sous d’autres formes. Les travailleurs sociaux ont alors été des acteurs de premier plan lors de l’adoption massive d’Autochtones, aussi nommée sixties’ scoop (la « rafle des années 1960 »). En effet, à la suite de la fermeture graduelle des pensionnats, les autorités provinciales de protection de la jeunesse se sont vu confier la responsabilité de la protection des enfants autochtones. C’est ainsi que, pendant près de 20 ans (soit de 1960 à 1980), des milliers d’enfants autochtones ont été ou bien placés de façon permanente, ou bien adoptés par des familles non autochtones (Blackstock, Trocmé et Bennett, 2004 ; Hart, 2001). Blackstock, Trocmé et Bennett soutiennent que, dans certains cas, « buses were hired to remove large numbers of children from reserves, often placing them with distant non-Aboriginal families7 » (2004, p. 903). Plusieurs ont déploré les répercussions dévastatrices de telles pratiques, et certains parlent même d’un génocide culturel (Blackstock, Trocmé et Bennett, 2004). Chose certaine, cette situation a contribué à perpétuer une rupture des liens entre les enfants autochtones et leurs parents et communauté d’origine. Non seulement la rafle des années 1960 a privé toute une génération d’enfants autochtones de leurs racines culturelles et a induit des problèmes identitaires (Sinclair, 2009), mais elle a aussi privé les communautés de leurs forces vitales et a engendré des conséquences semblables à celles des pensionnats autochtones.

1.1.2. L’histoire se répéterait-elle ?

Encore aujourd’hui, les enfants autochtones sont surreprésentés dans les systèmes provinciaux de protection de la jeunesse, y compris au Québec. Cette surreprésentation est connue depuis au moins le début des années 1980 (Johnson, 1983). Blackstock, Trocmé et Bennett (2004) notent qu’il y a actuellement trois fois plus de jeunes autochtones sous la supervision des autorités de la protection de la jeunesse que d’élèves dans les pensionnats au plus fort de leur fonctionnement, dans les années 1940. Les conclusions de l’Étude canadienne sur l’incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants (ÉCI) de 2008 révèlent qu’un enfant autochtone a 4,2 fois plus de chances qu’un enfant allochtone de faire l’objet d’un signalement retenu par la protection de la jeunesse (Sinha et al., 2011). Par ailleurs, le taux de placement des enfants autochtones est également préoccupant. En 1996, la CRPA (1996a) faisait état d’un taux de placement qui pouvait être jusqu’à six fois plus élevé chez les Autochtones que chez les non-Autochtones. En 2004, Trocmé, Knoke et Blackstock estimaient, quant à eux, qu’environ 40 % des enfants placés en famille d’accueil au Canada étaient des Autochtones, alors que les enfants autochtones représentaient environ 5 % de tous les enfants canadiens. L’enquête sur les ménages de 2011 révèle quant à elle qu’à ce moment, près de 48 % des enfants de 14 ans et moins placés en famille d’accueil étaient des Autochtones (Statistique Canada, 2011).
Les études récentes suggèrent que le taux de placement en famille d’accueil serait maintenant 12 fois plus élevé chez les Autochtones que dans le reste de la population (Sinha et al., 2011). Au Québec, l’étude de Breton, Dufour et Lavergne (2012) arrive à des résultats comparables. Cependant, les résultats de ces derniers semblent indiquer que le simple fait d’être autochtone doublerait le risque de placement.
Des recherches de plus en plus nombreuses mettent au jour les conséquences néfastes de l’application indifférenciée des systèmes de protection de la jeunesse aux communautés autochtones (Blackstock, 2009). À cet égard, Lafrance et Bastien font remarquer que « [m]any are concerned that the child welfare experience may inadvertently parallel the colonial experience of residential schools and may have similar long-term negative ramifications for Aboriginal communities » (2007, p. 115). La CVR conclut à ce propos que « les services de protection de l’enfance du Canada ne font que poursuivre le processus d’assimilation entamé sous le régime des pensionnats indiens » (2015, p. 141).
Parmi les effets les plus préjudiciables de ce système, le placement à l’extérieur des communautés et les adoptions par des Allochtones sont sans aucun doute ceux qui préoccupent le plus les Autochtones. En effet, comme le précisent Carrière et Sinclair (2015), plusieurs études ont révélé que les placements à long terme et les adoptions transraciales d’enfants autochtones entraînaient des conséquences plus graves que lorsque ces situations concernaient des non-Autochtones (voir aussi Sinclair, 2009). Dans ces cas, l’enfant autochtone est privé de sa famille élargie, qui joue souvent un rôle crucial dans son éducation. Il est retiré de sa communauté d’origine pour être emmené dans un environnement inconnu, souvent dans une ville, et surtout dans un contexte culturel qui lui est étranger (Palmer et Cooke, 1996). Ces brisures s’ajoutent, pour l’enfant autochtone, au déchirement qui découle de la séparation d’avec sa famille d’origine (CRPA, 1996b).
Si le phénomène de la surreprésentation des enfants autochtones au sein des régimes de protection ainsi que ses effets sont assez bien connus et documentés, ses causes sont plus difficiles à cerner (Guay, Jacques et Grammond, 2014). La réaction initiale de plusieurs auteurs fut d’incriminer les biais culturels présents au sein des régimes non autochtones de protection de la jeunesse (Kline, 1992, 1993). Par exemple, certains auteurs soutiennent que les travailleurs sociaux non autochtones auraient tendance à juger plus sévèrement les parents autochtones ou à associer la négligence à la pauvreté apparente d’un tel ménage. Chez les Autochtones, confier un enfant à un membre de la famille élargie est une manière acceptable d’en prendre soin ; or, un non-Autochtone peut interpréter ce geste comme un abandon (Blackstock, 2009).
L’ÉCI de 2008 est sans aucun doute la première étude canadienne à lever le voile sur les raisons pour lesquelles les enfants autochtones sont si surreprésentés dans le système canadien d’aide à l’enfance. L’analyse secondaire des données montre que, dans l’ensemble, les enfants autochtones sont légèrement moins susceptibles que les enfants non autochtones de faire l’objet d’un signalement aux services sociaux en raison de violence ou d’abus sexuel. Cependant, les premiers sont deux fois plus susceptibles d’être signalés en raison de négligence (Blackstock, Trocmé et Bennett, 2004 ; Wien et al., 2007 ; Sinha et al., 2011). À cet égard, l’étude suggère que la pauvreté, la mauvaise condition des logements et les problèmes de toxicomanie contribueraient à expliquer, en partie, l’incidence plus élevée des signalements de négligence.
Au delà de possibles biais culturels – qui sont difficiles à prouver statistiquement – et des caractéristiques associées à la pauvreté, des facteurs structurels peuvent aussi expliquer la surreprésentation des enfants autochtones. Selon de nombreux auteurs, certains facteurs institutionnels expliqueraient le sort réservé aux jeunes autochtones. En effet, l’accès aux services de soutien préventifs est moins facile dans les réserves qu’en milieu non autochtone (Breton, Dufour et Lavergne, 2012 ; Wien et al., 2007). Comme le soulignent Wien et ses collègues (2007), la formule de financement du gouvernement fédéral, qui n’a pas été indexée depuis plus de 15 ans, permet uniquement de couvrir les coûts engendrés par les placements d’enfants et ne pré...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Crédits
  4. Avant-propos
  5. Liste des abréviations
  6. Introduction
  7. Chapitre 1 – Situer le savoir
  8. Chapitre 2 – La rencontre des savoirs
  9. Chapitre 3 – Comprendre le savoir
  10. Conclusion
  11. Annexe – La méthodologie de recherche
  12. Bibliographie
  13. Notes