II | Intervention technoclinique: accompagnement du processus de déploiement |
Cette deuxième partie du livre porte davantage sur l’aspect pratique et contient quatre chapitres permettant d’accompagner les différents acteurs des organisations dans le déploiement de l’intervention technoclinique dans leurs milieux.
La première partie proposait des cadres conceptuels et théoriques relatifs à l’intervention technoclinique et démontrait les différentes formes qu’elle peut prendre dans le secteur des services sociaux.
Cette deuxième partie du livre porte davantage sur l’aspect pratique et contient quatre chapitres permettant d’accompagner les différents acteurs des organisations dans le déploiement de l’intervention technoclinique dans leurs milieux. Ainsi, les prochains chapitres seront axés sur des enjeux concrets et visent à offrir des recommandations précises afin de faciliter l’utilisation d’outils dans les pratiques cliniques. Dans un premier temps, le chapitre 4 décrit le Modèle d’accompagnement Produit-Public-Structure (MAP2S) qui est actuellement utilisé dans certains programmes spécialisés dans le secteur des services sociaux pour accompagner le déploiement d’outils technocliniques. Par la suite, les chapitres 5, 6 et 7 apportent des précisions sur les trois grandes dimensions de ce modèle, soit les dimensions de gestion, clinique et technologique.
4 | Le déploiement de l’intervention technoclinique selon le modèle MAP2S |
| Par Valérie Godin-Tremblay et Dany Lussier-Desrochers |
OBJECTIFS
›Différencier les composantes de l’approche MAP2S;
›Connaître les éléments clés qui permettront de déterminer le conseiller technoclinique qui accompagnera l’organisation dans le déploiement, les acteurs clés qui prendront part au processus et les étapes de déploiement de l’intervention technoclinique dans une organisation;
›Déterminer la vision associée au déploiement technoclinique;
›Cibler les enjeux et défis associés au déploiement de l’intervention technoclinique dans l’organisation.
Le présent chapitre décrit les composantes du modèle MAP2S qui mise notamment sur l’identification d’une personne pivot dans l’organisation et la mise en place d’un comité technoclinique.
Au cours des dernières années, plusieurs organisations du réseau des services sociaux ont amorcé le processus de déploiement des outils technocliniques. Au Québec, les programmes spécialisés en déficience intellectuelle et trouble du spectre de l’autisme des Centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) et des Centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS) ont réalisé ce virage au moyen d’un maillage étroit avec une équipe de recherche comprenant des spécialistes issus de plusieurs secteurs (psychoéducation, informatique, gestion). La recherche-action réalisée a notamment permis de documenter le processus de déploiement suivi par ces organisations et de reconnaître leurs enjeux. Associés aux données de recherche sur l’innovation et la gestion du changement, les connaissances jusqu’ici disponibles ont permis de développer un modèle d’accompagnement des organisations, soit le Modèle d’accompagnement Produit-Public-Structure (MAP2S). Tout comme une carte routière (map en anglais), ce modèle présente une série de jalons précisant les directions à prendre pour assurer un virage technoclinique réussi.
Le présent chapitre décrit les composantes du modèle MAP2S qui mise notamment sur l’identification d’une personne pivot dans l’organisation et la mise en place d’un comité technoclinique. Ces derniers auront essentiellement pour mandat de planifier le déploiement technoclinique, de soutenir la réalisation des projets associés et d’évaluer et diffuser les succès. Le chapitre se conclut par la présentation de recommandations générales afin d’optimiser la mise en place de cette approche dans les organisations du réseau des services sociaux.
4.1LE MAP2S – PRÉSENTATION DU MODÈLE
Le modèle MAP2S s’appuie sur les écrits dans le secteur de la sociologie des organisations (Foudriat, 2011), la sociologie de la traduction (Callon et Latour, 1981), la gestion du changement (Dessler, 2009; McShane et Benabou, 2008) et de la psychoéducation (Gendreau et al., 2001, Ordre des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec – OPPQ, 2014). Il est principalement axé sur la mise en commun d’expertises distinctes, mais complémentaires. Ce modèle s’appuie également sur un principe de leadership partagé (Dessler, 2009; Luc, 2004; McShane et Benabou, 2008) et de collaboration intersectorielle (Barr et al., 2008; St-Pierre et Gauvin, 2010). En somme, le modèle propose une série d’étapes soutenant la mise en place d’une structure de travail collaborative afin de favoriser un déploiement optimal de l’innovation technoclinique. Cette structure permet de prendre en compte les besoins et les attentes de l’ensemble des parties prenantes associées au projet.
Le modèle MAP2S et la structure d’intervention qu’il propose (figure 4.1) s’appuient sur le principe qu’un déploiement technoclinique réussi nécessite la prise en compte simultanée de trois dimensions essentielles (clinique, gestion et technologique) (Lussier-Desrochers, Caouette et Hamel, 2013). Ces dimensions interreliées produisent également des secteurs de confluence précisant trois nouvelles sous-dimensions (principe éthique, achat de technologie, vigie technologique). Au centre se retrouve la mise en place d’un mécanisme de coordination (comité technoclinique et conseiller technoclinique).
Les prochaines sous-sections décrivent les différentes dimensions et sous-dimensions du modèle.
4.1.1Dimensions clinique, technologique et de gestion
La première dimension du modèle est la dimension clinique. Cette dernière implique nécessairement une reconnaissance précise des besoins cliniques avant d’amorcer le virage technoclinique. Elle assure également que l’ajout d’une option technologique à l’intervention clinique s’appuie sur des besoins réels d’usagers du réseau ou qu’elle répond à un besoin clinique précis (plus-value à la pratique actuelle, intervention sur de nouveaux paramètres n’ayant pas encore fait l’objet d’une attention clinique, amélioration dans la prestation de services, réponse à la mission de l’organisation, etc.) et ne constitue pas uniquement une réponse à des campagnes publicitaires incitatives. Dans le cadre d’un projet technoclinique, la visée ultime du déploiement des technologies devrait toujours être l’adaptation psychosociale des usagers recevant des services dans le secteur des services sociaux.
Cette réflexion clinique permet ensuite d’aborder les enjeux dans la dimension technologique. Ainsi, dans un deuxième temps, les acteurs feront l’adéquation entre les besoins cliniques ciblés et les technologies disponibles. En parallèle, ils s’assurent de la compatibilité du matériel avec les équipements techniques et l’infrastructure disponibles dans l’organisation. Ils veillent ensuite à mettre en place ou ajuster l’infrastructure technologique afin d’assurer une utilisation optimale des technologies dans le quotidien (p. ex. soutien technique, réseau sans fil).
Enfin, des enjeux de gestion apparaîtront simultanément, dont l’allocation des budgets pour l’achat initial du matériel et sa mise à jour, les coûts associés à la mise en place de l’infrastructure technique et le choix des ressources humaines qui assurent un soutien technique et clinique pour la réalisation du projet. Les gestionnaires doivent également prévoir des activités de formation adaptées aux besoins et compétences du personnel impliqué dans le projet, de même qu’un temps d’appropriation des technologies.
4.1.2Éthique, achat de matériel et vigie technoclinique
Dans l’approche MAP2S, la prise en compte des enjeux éthiques constitue un incontournable. Ainsi, l’intervention technoclinique doit respecter un certain nombre de principes bioéthiques (non-malveillance, bienveillance, autonomie, justice) et s’arrimer à certaines pratiques reconnues (Beauchamp et Childress, 2001; Caouette, Lussier-Desrochers et Pépin-Beauchesne, 2013; Peterson et Murray, 2006). Comme illustré dans le modèle (figure 4.1), cette réflexion de nature éthique implique essentiellement les acteurs dans les domaines cliniques et de la gestion. D’ailleurs, cette dimension sera abordée plus en détail au chapitre 8.
L’achat du matériel constitue également une dimension importante qui demande une réflexion plus approfondie de la part des acteurs dans les secteurs technologiques et de la gestion. Ainsi, le soutien des équipes cliniques exige du gestionnaire qu’il planifie l’achat de matériel en fonction des ressources financières disponibles et des caractéristiques techniques de l’infrastructure technologique présentes dans l’organisation. Le choix des technologies nécessite alors des connaissances techniques que le gestionnaire ne possède pas nécessairement. La collaboration avec les spécialistes du secteur de l’informatique favorise alors la prise de décisions éclairées et minimise les risques associés à l’incompatibilité du matériel avec l’infrastructure ou le parc informatique disponible.
Enfin, le domaine de l’informatique évolue constamment et rapidement. La mise en place d’une vigie technoclinique constitue donc un atout important permettant notamment aux cliniciens d’être informés de la mise en marché de nouvelles solutions technologiques et de maintenir leur niveau d’expertise à l’occasion de leurs interventions auprès des utilisateurs. Pour les gestionnaires et les spécialistes du secteur informatique, ce suivi régulier leur permettra de réaliser une meilleure planification du développement du parc informatique (coûts, ressources techniques, formations, soutien). Le développement d’une telle vigie s’appuie sur une collaboration entre les spécialistes cliniques qui cibleront les besoins en intervention et les experts du secteur de l’informatique qui pourront réaliser une adéquation entre les besoins et les solutions disponibles ou à venir.
4.1.3Comité technoclinique au cœur de la démarche du MAP2S
Un élément central du modèle MAP2S est la mise en place d’un comité qui a pour mandat de coordonner le déploiement du projet technoclinique dans l’organisation. Ce comité en est principalement un de consultation et de coordination (Préfontaine et Gagnon, 2007) qui devrait idéalement se réunir de cinq à huit fois par année. Il doit constituer une instance flexible dont la composition et le mandat seront appelés à se redéfinir continuellement. La flexibilité du comité est essentielle et le choix judicieux des acteurs qui le composeront est primordial.
En ce qui a trait à sa composition, le comité technoclinique regroupe des acteurs dans les trois dimensions du MAP2S (clinique, technologique et de gestion). La sélection et la mobilisation d’acteurs motivés faisant preuve de flexibilité et d’initiative constituent les éléments clés qui assureront le succès d’une telle initiative (Corriveau et Larose, 2007; Préfontaine et Gagnon, 2007; Dessler, 2009). L’encadré 4.1 présente les différents acteurs pouvant apporter une contribution aux activités du comité. Toutefois, afin d’assurer le bon fonctionnement de ce dernier, ce ne sont pas tous ces acteurs qui doivent être régulièrement impliqués. La présence stable de six à dix personnes est souhaitable et la complémentarité des expertises devrait constituer le critère central guidant la sélection des gens qui y siégeront. De plus, dans le comité, il est essentiel d’assurer une présence continue d’au moins un gestionnaire qui détient un certain pouvoir décisionnel. Ce dernier maintiendra le lien entre les membres du comité et la haute direction (Préfontaine et Gagnon, 2007). La présence périodique d’une personne du service des communications de l’organisation est également recommandée (Collerette, Schneider et Legris, 2003). En effet, cette ...