Résumé
La théorie des genres (theory of genre) invite l’archivistique et la diplomatique à revisiter la qualification des nouveaux objets à archiver à l’ère numérique. Dans une première section, l’auteure de ce chapitre passe en revue les notions utilisées jusqu’à présent – la forme diplomatique, la typologie des documents et des dossiers d’archives et les catégories des documents d’activité (records) – et leur difficile adaptation au monde numérique. Dans une seconde section, elle recense plusieurs définitions et caractéristiques de genre documentaire pour les confronter au besoin de catégorisation archivistique.
théorie des genres appliquée à l’information se développe face à la diversification des formes numériques d’expression, notamment sous la plume de chercheurs anglo-saxons. C’est pourquoi la définition de référence pour cette analyse sera la suivante : «
A distinctive type of communicative action, characterized by a socialy recognized communicative purpose and common aspects of form » (Orlikowski et Yates, 1994, p. 543). En tant que discipline rattachée aux sciences de l’information, l’archivage managérial (
records management) doit se laisser interroger par cette réflexion pour voir si et comment la théorie des genres peut nourrir ses principes ou si et comment il peut contribuer au débat.
La norme ISO 15489, fondatrice de la pratique internationale de records management (ISO 15489-1 : 2001), définit cette démarche comme la « fonction chargée du contrôle rigoureux et systématique de la production, réception, conservation, utilisation et sort final des documents engageants, ainsi que des processus de capture et de maintenance des traces probantes et documentées de l’activité d’une entreprise ou d’un organisme ». Il s’agit de piloter la gestion, voire la production des documents, ou plus largement des informations enregistrées sur un support, résultant de l’activité des personnes physiques et morales et constituant une trace qui met en jeu leur responsabilité vis-à-vis de l’autorité, vis-à-vis de tiers (clients, fournisseurs, partenaires, collaborateurs) ou encore vis-à-vis de la collectivité (dans un monde civilisé, toute personne a des comptes à rendre à la collectivité dont elle relève : familiale, locale, nationale) dès lors que ses actions ont une influence financière ou morale, immédiate ou différée, sur les membres de cette collectivité. Les archives sont là d’abord pour cela.
L’expression records management remonte à quelques décennies ; l’expression archivage managérial par laquelle le Club français des responsables de politiques et projets d’archivage (CR2PA) désigne cette même démarche de responsabilité n’a que quelques années en France ; mais la pratique de l’archivage, c’est-à-dire du contrôle des documents qui engagent comme émetteur ou destinataire, de leur mise en sécurité et de leur gestion jusqu’à la fin de leur cycle de vie, parfois très long, remonte à l’existence même d’écrits décisionnels, contractuels ou de gestion, donc à l’Antiquité, même si la diplomatique et l’archivistique, disciplines universitaires sur lesquelles se fonde le records management, ne sont nées, respectivement, qu’aux xviie et xixe siècles.
Force est de constater que le concept de genre a fait son apparition assez récemment dans la littérature sur la gestion des documents et des archives, sous l’impulsion des disciplines connexes. Cet article se propose de retracer les notions habituellement utilisées pour caractériser les ensembles de documents ou d’objets archivés, puis de voir dans quelle mesure l’offre du « genre » répond aux besoins du records management.
1. Le records management avant le genre
Pour gérer efficacement les documents archivés au nom de l’entreprise ou de l’organisme qui doit défendre ses droits et documenter ses activités, le records management s’appuie sur les méthodes de classification et de description propres aux documents d’archives, la première d’entre elles étant l’analyse diplomatique.
1.1. La forme diplomatique
Au début était la diplomatique, une discipline élaborée pour analyser de l’extérieur, a posteriori, les caractéristiques des documents d’archives, par opposition aux textes littéraires et philosophiques dont l’analyse relève d’autres disciplines : la codicologie, l’herméneutique… La diplomatique propose une classification des actes (les actes médiévaux, puis tous les écrits unilatéraux ou bilatéraux produits comme trace d’une action dans le cadre d’une activité).
Quels critères la diplomatique utilise-t-elle pour classer les objets qu’elle gère ? Voyons deux définitions du mot.
L’Encyclopedia Universalis, sous la plume de Robert-Henri Bautier (s. d.), définit la diplomatique comme « la science qui étudie la tradition, la forme et la genèse des actes écrits en vue de faire leur critique, de juger de leur sincérité, de déterminer la qualité de leur texte, d’apprécier leur valeur exacte ». La définition en ligne de Wikipédia (2013), plus récente, affirme que la diplomatique est « l’étude de la structure des documents officiels. Elle s’intéresse à leur classification, leur valeur, leur âge et leur authenticité ».
Dans la première définition, classique, c’est le mot forme qui synthétise la description physique et intellectuelle des documents. Si l’on veut aller plus loin, on peut lire dans le Dictionnaire des archives de l’École nationale des chartes et de l’Association française de normalisation (ENC et AFNOR, 1991) la définition suivante de la forme d’un acte : « Ensemble des éléments externes et internes d’un acte qui lui donnent l’aspect qui répond à sa nature diplomatique et juridique, c’est-à-dire à sa fonction, selon les règles et les usages de l’institution qui l’établit » (p. 107). Il faut entendre par là à la fois l’aspect visuel du document (dimensions, supports, couleurs, etc.), l’agencement des différentes parties du discours et les signes de validation du document. La diplomatique ne catégorise pas les contenus en tant que tels, mais, dans l’univers organisé des chancelleries, un type de contenu correspond à une forme particulière, de sorte qu’on peut dire que la diplomatique classe les contenus par leur forme prédéfinie.
La seconde définition que fournit Wikipédia (2013) est plus moderne. Le mot forme en est curieusement absent ; il a été modernisé en structure, mot dont l’acception est toutefois plus restreinte. Cette définition met en revanche en avant la classification que permettent l’analyse et la critique diplomatique, et souligne aussi le rôle de l’authenticité, une notion très en vue avec l’archivage électronique.
Il faut reconnaître que la forme des documents, même la forme diplomatique, est un concept qui reste flou ou trop large. Il en existe plusieurs définitions archivistiques ou plusieurs emplois qui ne coïncident pas ou restent abscons.
Selon la définition légale française des archives, établie par la loi du 3 janvier 1979 et reprise, légèrement remaniée, par la loi du 15 juillet 2008, « les archives sont l’ensemble des documents, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l’exercice de leur activité » (France, 1979). On peut, en un mot, énoncer la date, le lieu, le support d’un document. Mais la forme… Il y a beaucoup d’éléments à mettre là derrière si l’on creuse un peu ; s’agit-il dans l’esprit du législateur de la présentation « plastique », de la plus ou moins grande « mise en forme » entre brouillon, original et copie, du caractère, solennel ou non, de la nature du discours ? Sans doute tout cela à la fois, mais justement le terme manque de précision.
Le mot formulaire, ext...