PARTIE I /
LES DISPOSITIFS FONDÉS SUR LA COLLECTE ET L’ANALYSE DE DONNÉES DES APPRENANTS COMME SOUTIEN À L’APPRENTISSAGE AUTORÉGULÉ
CHAPITRE 1 /
Le soutien à l’apprentissage autorégulé
Prise en compte du point de vue des élèves dans la situation d’apprentissage par la lecture1
Sylvie C. Cartier, Julie Arseneault et Thaïs Guertin-Baril
1/Le contexte
La personne qui réussit à l’école, et ultérieurement dans sa formation continue, est celle qui apprend de manière autorégulée dans divers contextes (Zimmerman, 1990). Vouloir soutenir cet apprentissage chez une personne suppose de bien comprendre cette relation individu–contexte (Cartier et Butler, 2016). L’apprentissage autorégulé se définit comme étant un processus complexe et dynamique de pensées, de sentiments et d’actions mobilisé par un individu ayant une histoire particulière d’apprentissage, par exemple des connaissances et des défis. Ce processus est par ailleurs situé dans un contexte social, historique, culturel et scolaire donné comprenant des normes sociales, des caractéristiques culturelles, etc. Tout individu apprend ainsi à travers un processus dynamique et complexe qui repose sur son histoire d’apprentissage, et ce, en interaction avec un contexte donné.
Dans le cadre scolaire, afin d’atteindre les buts ciblés dans les programmes de formation, les élèves ont à réaliser diverses situations d’apprentissage complexes qui nécessitent le recours à l’apprentissage autorégulé. L’apprentissage par la lecture (APL) est l’une de ces situations. Chaque situation complexe nécessite que le processus d’apprentissage autorégulé soit ancré dans ses particularités, d’où l’appellation de processus d’APL dans cet exemple. L’APL est important à l’école et tout au long de la vie d’une personne. Il repose, d’une part, sur la consultation et le traitement d’information contenue dans des documents portant sur divers sujets par le biais de textes et d’images, sous format papier et en ligne (Lebrun, Lacelle et Boutin, 2012). D’autre part, l’APL nécessite la réalisation de tâches variées orientées vers l’atteinte d’un but.
Il est important de permettre aux élèves de s’initier à cette situation dès le primaire (Vacca et Vacca, 2002). Dans le contexte québécois, par exemple, le Programme de formation de l’école québécoise dans le domaine du français, langue d’enseignement, stipule que, dès la fin du 3e cycle du primaire (12 ans), l’élève doit lire «efficacement des textes courants et littéraires liés aux différentes disciplines» (Ministère de l’Éducation du Québec, 2001, p. 75). L’accent est mis ainsi de manière implicite sur l’APL. Or, cette situation est difficile à réussir pour les élèves dont plusieurs peinent à apprendre en lisant. En 2011, une étude a montré que les élèves québécois de 4e année (10 et 11 ans) performaient plus faiblement en lecture de textes informatifs qu’en lecture de textes littéraires (Conseil des ministres de l’Éducation, 2012), nécessaires pour apprendre en lisant. Aux États-Unis, aussi en 4e année du primaire, seuls 29% des élèves d’une étude répondaient avec succès à une question qui exigeait de relever plusieurs détails se trouvant dans différentes parties du texte et de les regrouper de façon cohérente (Guthrie, Schafer et Huang, 2001), ce qui correspond à l’un des critères de l’APL. Cette situation est aussi peu soutenue par les enseignants. Une étude récente au Québec révèle que les situations d’APL et le soutien aux élèves proposés par les enseignants du primaire portaient principalement sur le questionnement de textes narratifs dans un but de compréhension en lecture et non d’un réel apprentissage par la lecture (Martel et Lévesque, 2010).
Lors d’activités de développement professionnel sur l’APL, quelques études ont montré que les enseignants s’approprient diverses pratiques de manière progressive et personnelle (Cartier, Contant et Janosz, 2012; Martel, Cartier et Butler, 2014) et sur une longue période de temps (Cartier, Butler et Bouchard, 2010). Par exemple, un projet, portant sur le soutien à l’APL fondé sur la prise en compte du point de vue des élèves et de leur processus dans des situations variées, a été réalisé sur une période huit ans en collaboration avec des enseignants d’une école primaire (Cartier, Butler et Bouchard, 2010). Les résultats ont permis de constater que ces enseignants ont apporté des réponses collectives et individuelles aux besoins identifiés chez leurs élèves en s’appropriant progressivement les critères de qualité des activités d’APL de même que certaines pratiques de soutien. Ces résultats témoignent de l’importance de proposer des modalités de développement professionnel reposant sur la résolution de problèmes de situations vécues dans les classes, avec mesures d’accompagnement des enseignants (Bélanger, Bowen, Cartier, Desbiens, Montésinos-Gelet et Turcotte, 2012).
Dans cette perspective, une recherche-action collaborative a été réalisée de 2006 à 2015 avec des commissions scolaires du Québec, principaux mandataires de la formation des enseignants dans les écoles, pour développer l’expertise pédagogique régionale sur l’APL2 La finalité était de mieux comprendre et soutenir l’APL des élèves en classe. Dans ce contexte, les deux premières étapes ont visé l’appropriation par les participants d’un modèle explicatif de l’APL de l’élève et des critères de qualité de situations d’APL. Les troisième et quatrième étapes ont ciblé l’appropriation par les participants de pratiques visant à soutenir le processus d’APL dans une situation donnée.
2/ L’objectif de l’étude présentée
La présente étude se situe à la 4e étape de ce projet de recherche-action collaborative avec des commissions scolaires. Le but était de mieux comprendre l’usage que des groupes d’enseignants ont fait des réponses de leurs élèves, obtenues à un questionnaire sur leur processus d’APL dans une activité donnée, pour planifier le soutien à leur apporter. L’objectif est de décrire l’usage qu’a fait l’un des groupes d’enseignants provenant d’une école dite «alternative». Dans ce type d’école, l’approche d’enseignement privilégiée est l’apprentissage par projets. «Le travail en projet requiert une méthodologie, qui, agissant simultanément sur des contenus, des démarches et des attitudes, amène l’élève à fonctionner de manière créatrice et réfléchie, dans un contexte où il y a interaction et régulation» (Francœur Bellavance, 1997, p. 36). Dans le cas présent, les projets complexes requéraient de la part des élèves qu’ils lisent des textes comme sources d’information et réalisent des tâches variées orientées vers l’atteinte d’un but, ce qui en fait un contexte tout désigné pour étudier l’APL. Cette étude est importante, car des recherches qui visaient l’évaluation formative du processus d’apprentissage pour planifier l’enseignement ont démontré que cette façon de planifier produit des gains significatifs et souvent substantiels dans les apprentissages des élèves, mais que cette pratique n’est pas bien acquise par les enseignants (Leahey et Wiliam, 2012).
3/ Le cadre théorique
Afin de bien comprendre comment les enseignants peuvent soutenir les élèves dans la situation d’APL, le cadre théorique traite de l’importance de la prise en compte du point de vue de l’élève sur son processus d’APL pour le soutenir adéquatement dans cette activité. Mais auparavant, la relation qu’entretiennent la situation d’APL, le processus d’APL de l’élève et le soutien de l’enseignant est présentée.
3.1/La relation entre la situation d’APL, le processus d’APL et le soutien de l’enseignant
L’enseignant a à assumer divers rôles au regard de l’APL à l’école dont les actions doivent être coordonnées, par exemple planifier des situations d’APL de qualité et soutenir le processus d’APL de l’élève dans cette situation. Intégrée à un contexte social, historique, communautaire, culturel et scolaire donné, la situation complexe d’APL joue un rôle important sur le processus d’APL des élèves (Cartier et Butler, 2016). Dans une telle situation complexe d’APL, l’élève doit lire, comprendre l’information dans les textes, acquérir les connaissances visées, gérer la réalisation de l’activité et de l’apprentissage, tout en restant assez motivé pour le faire (Cartier, 2007).
La situation d’APL de qualité répond à divers critères identifiés dans les recherches (Cartier, 2007). Par exemple, il est important que l’activité proposée à l’élève lui demande réellement de lire (par exemple, ne pas se fier au résumé de l’enseignant), de le faire seul et avec d’autres, d’apprendre de manière signifiante (par exemple, non seulement survoler le texte), d’avoir un potentiel motivant pour eux et d’être suffisamment complexe pour favoriser leur autonomie (par exemple, résoudre un problème d’actualité). Les occasions d’apprendre à travers la lecture de textes doivent être fréquentes, selon le nombre de pages à lire, le temps dévolu à la lecture, etc. Les types d’écrits sont préférablement multiples, de modalités diverses et sur des plateformes variées. Enfin, les visées d’acquisition de connaissances et de développement de compétences à travers la lecture de textes doivent être ancrées dans le programme de formation pour soutenir la réussite scolaire.
Dans une telle situation d’APL, seul et avec d’autres, l’élève utilise son bagage de connaissances et d’expériences antérieures, de même que ses intérêts et ses forces (son histoire personnelle d’apprentissage), de manière plus ou moins conscientisée, pour réaliser les lectures, les apprentissages et les tâches proposées. Dans l’action, le processus d’APL de l’élève dans une activité proposée se réalise ainsi: au début de l’activité, il en interprète les exigences et identifie les critères de performance; il se fixe des objectifs personnels et il planifie les stratégies à mettre en œuvre. Ces stratégies sont celles du traitement du texte (lire le titre, les sous-titres, etc.), de l’information qu’on y trouve (sélectionner, répéter, élaborer, organiser) et des ressources matérielles et humaines. Tout au long de la réalisation de l’activité, il contrôle l’avancement de sa lecture, de son apprentissage et de son travail et ajuste ses stratégies au besoin. À la fin de l’activité, il évalue le travail réalisé selon la performance obtenue. Ce processus d’APL repose sur la motivation et les émotions de l’élève qu’il peut avoir à gérer tout au long de l’activité.
C’est en se connaissant mieux comme apprenant, en comprenant bien les situations d’APL proposées et en se sentant en confiance qu’il pourra bien apprendre en lisant. Il est donc important de bien connaître le point de vue de l’élève sur son processus d’APL afin de le soutenir de manière appropriée avec les caractéristiques et les exigences des situations proposées. Des recherches (Cartier, 2007) ont mis en évidence que le soutien de l’enseignant peut se faire à travers le recours à diverses pratiques, telles que l’étayage, la discussion et l’explication. Des méthodes d’enseignement peuvent aussi soutenir le processus d’APL dans certaines conditions, par exemple, la modélisation et l’enseignement réciproque. Enfin, l’ajout de certaines tâches (par exemple des questions sur l’interprétation des exigences de l’activité) et de certains outils (par exemple des facilitateurs procéduraux) peuvent aussi agir comme soutiens. Comment ce soutien à l’APL peut-il être offert par les enseignants à l’école?
3.2/La démarche d’enseignement sur l’APL prenant en compte le point de vue de l’élève
Cette étude repose sur une approche de développement professionnel du personnel scolaire qui prend en compte les trois principaux aspects suivants identifiés dans l...