Évaluation psychosociale auprès de familles vulnérables

George M. Tarabulsy, Marc A. Provost

• Éditeur: Presses de l'Université du Québec
• Année: 2012
• ISBN de l'eBook: 9782760535756
• Sujet: Psychology
• Sujet: History & Theory in Psychology

Avec une portée décidément pratique, portant sur la description de phénomènes sociaux, psychologiques et familiaux, cet ouvrage se veut un guide utile et actuel solidement fondé sur les connaissances fondamentales, mais touchant des préoccupations quotidiennes, adaptées au contexte québécois de l'intervention sociale. L'objectif général est d'aborder l'évaluation psychosociale de la famille pour aider le travail des intervenants sociaux dans un contexte de risque social.

L’approche bioécologique du développement humain

SYLVIE DRAPEAU, Ph. D.

École de psychologie, Université Laval

Quels aspects de l’environnement des enfants ont un impact sur leur développement ? Quels facteurs influencent la façon dont les parents interagissent avec leurs enfants ? Comment expliquer que tous les enfants ne réagissent pas de la même manière à des environnements en apparence identiques ? Voilà quelques-unes des grandes questions posées par l’approche bioécologique du développement humain. Cette approche, qui puise ses sources dans diverses disciplines telles l’écologie, la théorie générale des systèmes, les théories des organisations, consiste en l’étude de l’interaction entre les êtres vivants et leur milieu ou environnement. Le présent chapitre expose tout d’abord les grands principes et concepts de l’approche bioécologique1, telle qu’elle a été développée par Urie Bronfenbrenner et ses collègues. Par la suite, les implications de cette approche sur le plan de l’intervention seront approfondies.

QUELQUES PRINCIPES DE BASE

L’approche bioécologique est basée sur le postulat que le comportement humain résulte d’une adaptation progressive et mutuelle entre la personne et son environnement. Le développement humain y est défini globalement comme étant « le phénomène de la continuité et du changement dans les caractéristiques biopsychologiques des êtres humains, en tant qu’individus et en tant que groupes » (Bronfenbrenner et Morris, 2006, p. 793, traduction libre).

Plus précisément, le développement humain concerne « le processus par lequel la personne acquiert une conception plus étendue, mieux différenciée et plus valide de l’environnement écologique et devient motivée et apte à initier des activités qui font connaître, supportent ou restructurent cet environnement » (Bronfenbrenner, 1979, p. 27, traduction libre).

Le nouveau-né, bien qu’ayant peu d’autonomie et de moyens de communiquer, perçoit et influence les comportements et les attitudes de sa mère. L’enfant d’âge scolaire interagit avec un plus grand nombre d’adultes et d’enfants, et ce, dans différents milieux. Pour sa part, l’adolescent comprend de mieux en mieux les diverses forces agissant dans son environnement et possède un rayon d’action beaucoup plus vaste. En retour, l’environnement doit s’adapter à la personne en développement. Par exemple, le parent laisse progressivement plus d’autonomie et de pouvoir décisionnel à son enfant au fur et à mesure que ce dernier acquiert des habiletés motrices, cognitives, émotionnelles et sociales.

Pour rendre compte adéquatement de la réalité d’un individu ou d’un groupe, il faut donc non seulement considérer ses caractéristiques propres, mais il faut également tenir compte de l’environnement dans lequel il est appelé à évoluer. L’individu et son environnement sont des systèmes qui s’influencent mutuellement, changeant avec le temps et s’adaptant réciproquement aux transformations qu’ils connaissent. Chaque personne réagit aux pressions de son environnement selon ses ressources, son niveau de développement et ses attributs ; des personnes différentes n’ont pas les mêmes réactions à un environnement identique. De la même façon, des environnements différents peuvent réagir de façon différenciée à une même personne (Garbarino, 1992).

Une contribution importante de l’approche bioécologique est de considérer à la fois l’environnement immédiat et l’environnement éloigné d’une personne dans l’étude du comportement. En effet, l’environnement y fait référence non seulement à la famille ou à l’entourage immédiat, mais aussi aux conditions de vie, aux normes, aux institutions, aux valeurs et aux croyances d’une société donnée. En ce sens, cette approche est à la fois sociale, communautaire, familiale et individuelle. Elle prétend aussi conjuguer le point de vue phénoménologique (comment se présente l’environnement pour chacun des acteurs) à celui de l’analyse plus objective.

Afin de mieux appréhender les diverses forces d’interaction qui ont une influence sur le parcours des enfants et des familles, l’approche écologique décompose l’environnement en quatre sous-systèmes plus ou moins proximaux à la personne. Ce sont le microsystème, le mésosystème, l’exosystème et le macrosystème. On retrouve au sein de chacun des sous-systèmes des risques et des occasions pour le développement et l’adaptation (Bronfenbrenner, 1979 ; Garbarino, 1992). Dans cette perspective, une occasion consiste en une interaction personne-environnement à l’intérieur de laquelle la personne en développement se voit offrir les conditions matérielles, émotives et sociales compatibles avec ses besoins et ses capacités à un moment donné, alors qu’un risque constitue une menace directe au développement ou une absence d’occasion. Ces risques et occasions peuvent être d’ordre biologique, comme le poids à la naissance, l’alimentation adéquate ou inadéquate, ou psychologique, comme la stimulation en provenance du parent ou la violence psychologique.

La figure 1.1 brosse le portrait des multiples liens qui unissent la famille et son environnement. Elle permet d’être sensible aux différents contextes de vie des personnes et d’élargir ainsi les démarches d’intervention au-delà du microsystème familial pour tenter d’inclure les influences environnementales positives, mais aussi négatives, qui s’exercent sur les familles.

Les influences environnementales ne sont cependant pas universelles, équivalentes pour chacun dans tous les environnements fréquentés (Bronfenbrenner, 1996). La personne, en l’occurrence ici l’enfant placé au centre de la figure, influence la forme, la force et la direction des processus interactifs qui sont mis en branle. Pour cette raison, on dira que les risques, comme les occasions, ne sont ni absolus, ni statiques.

Dans la perspective bioécologique, l’adaptation est fonction de l’adéquation entre les caractéristiques de la personne et celles de la niche environnementale dans laquelle elle s’insère. Par exemple, un enfant très turbulent peut bien s’adapter dans certains environnements, alors que dans un autre environnement il pourra devenir un bouc émissaire. Des tenants de cette approche affirment, en ce sens, que les termes inadaptation ou dysfonctionnement ne conviennent pas vraiment (Miley, O’Melia et DuBois, 2001). Les comportements étant des efforts d’adaptation aux demandes internes et externes, ils ne peuvent pas, au sens strict, être considérés comme inadaptés. Ainsi l’adoption de comportements violents dans un environnement qui valorise la violence est tout à fait compréhensible, bien que ces comportements soient inacceptables. Tous les comportements ont un sens dans leur contexte. Cette compréhension du sens du comportement dans son contexte offre un levier d’intervention intéressant, puisqu’elle accentue les forces adaptatives de la personne, forces qui peuvent être mises à profit dans un processus de changement.

Cette compréhension évite également de stigmatiser la personne, puisqu’elle se centre aussi sur les influences environnementales qui s’exercent sur cette dernière. En effet, la personne s’adapte à son environnement, et réciproquement, ce dernier doit s’adapter à la personne en développement. L’adéquation s’exprime donc également sur le plan de l’équilibre entre les capacités d’adaptation de la personne et celles de son environnement. Ainsi, bien qu’un enfant puisse posséder de très grandes forces, il ne pourra pas se développer harmonieusement dans un environnement comportant de très grands risques ou offrant peu d’occasions.

LE CONTEXTE

Afin de décrire et comprendre le rôle du contexte dans le développement, Bronfenbrenner (1979) propose quatre sous-systèmes qui sont imbriqués les uns dans les autres, à l’image d’une poupée russe. Ce sont, comme nous l’avons vu, le microsystème, le mésosystème, l’exosystème et le macrosystème.

LE MICROSYSTÈME

Les microsystèmes sont les milieux de vie immédiats dans lesquels l’individu joue un rôle actif. Ces milieux se caractérisent par un patron d’activités, de rôles et de relations interpersonnelles et possèdent des caractéristiques physiques et matérielles particulières. La maison, l’école et la garderie en sont des exemples.

Dans ces microsystèmes, l’enfant est en contact direct avec d’autres personnes en développement. Ces contacts personne à personne constituent un élément clé du développement. Ils impliquent la mutualité des sentiments positifs, la réciprocité, le partage du pouvoir. Lorsqu’un membre de la dyade se développe, l’autre se développe aussi. Selon Bronfenbrenner, pour que ces interactions interpersonnelles soient efficaces, elles doivent survenir avec régularité, sur une longue période. Ces interactions constantes et durables ayant lieu dans un environnement immédiat sont appelées processus proximaux. À noter, ces processus proximaux ne sont pas limités aux interactions entre les personnes, mais ils peuvent aussi impliquer des interactions avec des objets ou des symboles. Pour qu’il y ait alors réciprocité, il faut que ces objets ou symboles invitent à l’action, l’exploration, la manipulation et l’élaboration (Bronfenbrenner et Morris, 2006). Réconforter un bébé, jouer seul ou avec un ami, lire, s’occuper des autres et résoudre des problèmes complexes sont des exemples de processus proximaux. Ces processus ont été désignés comme étant les premiers moteurs du développement.

Les risques et les occasions relatifs au microsystème et qui affectent ces processus proximaux sont de plusieurs ordres. Ils peuvent être liés au nombre de personnes le composant, à l’ouverture ou à la fermeture à l’égard de l’extérieur, aux ressources matérielles disponibles, à la qualité des relations interpersonnelles entre les membr...

Table des matières

• Couverture
• Copyright
• Remerciements
• Introduction - La pertinence de jumeler expérience pratique et recherche dans l’évaluation psychosociale auprès de familles vulnérables - George M. Tarabulsy, Marc A. Provost, Sylvie Drapeau et Émilie Rochette
• Chapitre 1 - L’approche bioécologique du développement humain - Sylvie Drapeau
• Chapitre 2 - Soutien social et familles vulnérables : conceptualisation, intervention et évaluation - Stéphane Duchesne
• Chapitre 3 - Les caractéristiques familiales et personnelles du parent dont l’enfant demeure en besoin de protection - Louise S. Éthier et Carl Lacharité
• Chapitre 4 - Le comportement parental - Daniel Paquette
• Chapitre 5 - L’observation de la sensibilité parentale et la sécurité d’attachement lors de visites à domicile - George M. Tarabulsy, Marc A. Provost, Jean-Pascal Lemelin, Ellen Moss, Greg Moran, Annie Bernier, Marie Larose, Eve-Line Bussière et Julie Dubé
• Chapitre 6 - Le développement cognitif chez les enfants : conceptualisation et évaluation - Annie Stipanicic, Marc A. Provost et Chantal Pilote
• Chapitre 7 - Mieux évaluer ; mieux intervenir - George M. Tarabulsy, Marc A. Provost, Sylvie Drapeau et Émilie Rochette
• Références
• Index des sujets
• Index des auteurs
• Collection sous la direction de Réjean Tessier et George M. Tarabulsy
• Quatrième de couverture