RETOUR VERS LE FUTUR
Isabelle Senécal
Le 27 avril, le ministre de l’Éducation présentait son plan de réouverture des écoles. Encore ébranlés par le sinistre à notre école primaire, nous apprenions que les élèves du secondaire ne retourneraient pas en classe avant l’automne.
Cette décision m’a déçue, m’a peinée même. Je constatais en effet que cette fermeture prolongée faisait du tort aux jeunes. Je pense que les adolescents ont souffert davantage du confinement que les enfants, à cause de l’importance de la socialisation à cet âge-là et de leurs émotions à fleur de peau, également.
L’école est bien plus qu’un endroit où l’on acquiert des connaissances. Elle offre aux jeunes la possibilité d’apprendre à se connaître à travers les relations humaines. Elle leur donne l’occasion de découvrir une gamme d’activités qui leur permettent de se réaliser autrement que dans leur parcours scolaire. N’oublions pas que l’école représente aussi un filet de sécurité, sans lequel les élèves les plus vulnérables pourraient se retrouver dans des situations difficiles.
Même les jeunes qui ont reçu un enseignement à distance de qualité ne voyaient pas leurs besoins comblés. De nombreux adolescents ont trouvé le temps très long. À la maison, j’ai vu mon fils de 14 ans devenir morose au fil des jours. Ses amis lui manquaient beaucoup et ne plus pouvoir s’adonner à ses activités préférées n’avait pour lui rien de réjouissant.
Qui aurait pu prédire que des millions d’adolescents dans le monde s’ennuieraient autant de leur école et réclameraient de la réintégrer au plus vite? Ce fut pourtant le cas. À l’annonce du ministre, ces jeunes se sont sentis délaissés. Pensons aussi à ceux qui suivent une formation professionnelle, qui fréquentent des écoles de métiers, pour qui l’enseignement à distance n’est pas une option.
J’aurais souhaité le retour en classe des élèves du secondaire, au moins à temps partiel. En Allemagne et en Afrique du Sud, les élèves les plus âgés sont retournés en classe en premier. Au Danemark, les élèves du primaire et des deux dernières années de secondaire ont repris leurs cours avant les autres12. Le Danemark a été le premier pays européen à rouvrir ses écoles. Comme le fait remarquer un psychologue danois, ce pays valorise l’idée selon laquelle les enfants ne sont pas élevés seulement par leurs parents, mais par la société au complet: les enseignants, les camarades de classe, les grands-parents13.
Les écoles primaires du Québec ont eu le feu vert pour rouvrir le 11 mai. Pour le Grand Montréal (où se situent nos trois établissements), ainsi que pour la région de Joliette, ce serait une semaine plus tard. Nos élèves du primaire avaient perdu leur école, mais nous pouvions heureusement les accueillir dans les locaux de nos deux établissements (secondaire et collégial) à Lachine. Les enfants retrouveraient ainsi un environnement familier, aux couleurs de Sainte-Anne.
Nous nous sommes immédiatement mis au travail pour organiser ce retour en classe bien particulier. Les équipes enseignantes ont déterminé ensemble qui enseignerait en classe et qui assurerait le suivi à distance. Des collègues du secondaire les ont épaulées dans ce défi logistique.
Finalement, les écoles primaires du Grand Montréal n’ont pas reçu l’autorisation de rouvrir leurs portes. Comme les élèves du secondaire, ceux du primaire ont donc terminé leur année scolaire à la maison, en enseignement à distance.
Ailleurs au Québec, le retour en classe des élèves du primaire, sur une base volontaire, s’est bien déroulé. Un peu plus de la moitié des enfants de 4 à 12 ans ont repris le chemin de l’école pour être scolarisés au sein de groupes réduits, distanciation physique oblige.
À ce stade de la pandémie, les paramètres dans lesquels l’éducation s’inscrivait généraient une étrange impression de «retour vers le futur». Nous voyions coexister des technologies novatrices, comme la visioconférence, ainsi que des salles de classe tirées du passé, avec des pupitres espacés et disposés en rangs d’oignons. Un contexte peu propice au travail en équipe que nous ne devons pas abandonner, même en situation extraordinaire.
La distanciation a évidemment un gros impact sur la taille des groupes et la gestion des ressources humaines. Elle oblige à utiliser davantage d’espace et dicte l’aménagement des locaux, faisant malheureusement passer la «classe flexible» à la trappe. Depuis plusieurs années, nous avons adopté le concept de «classe flexible» (flexible seating). Nos espaces d’apprentissage sont pourvus de chaises, de tabourets oscillants, de bean bags et de tapis. Les élèves ont le loisir d’étudier dans la position qui leur convient. Les tables de travail, sur roulettes, sont conçues pour être déplacées, favorisant ainsi l’apprentissage collaboratif.
Début mai, nous avons commencé à planifier la rentrée 2020 avant même de connaître les directives du ministère. Malgré l’incertitude, il n’était pas question d’attendre. Nous voulions utiliser tout le temps disponible pour préparer les différents scénarios avec créativité, plutôt que de devoir bricoler des solutions dans l’urgence.
Nous avons entrepris de repenser l’organisation des espaces et des temps scolaires, ainsi que les façons de mobiliser les ressources humaines. Nous nous trouvions devant un beau casse-tête, surtout au secondaire, où la structure de travail en silos, par discipline et selon des horaires stricts, réduisait la marge de manœuvre.
Afin d’avoir suffisamment de locaux pour accueillir des groupes plus petits, nous devions trouver des solutions de rechange, telles que transformer en classes les grands espaces intérieurs comme le gymnase et la bibliothèque. Il fallait également évaluer la possibilité d’occuper les espaces extérieurs, quitte à louer des chapiteaux.
Je me disais que les écoles ne devraient pas hésiter à s’adresser à leur mairie pour obtenir la permission d’utiliser les salles municipales et autres lieux appartenant à la ville (arénas, bibliothèques, etc.). L’Université de Sherbrooke, par exemple, n’a pas hésité à réquisitionner un couvent et trois églises pour donner une plus grande proportion des cours en présence dès la rentrée. Et pourquoi ne pas demander l’aide des entreprises situées à proximité des écoles, qui ont des locaux vides, compte tenu des nouvelles habitudes de télétravail? L’éducation est l’affaire de tout le monde. La communauté doit se mettre au service de l’école.
Si les jeunes du secondaire devaient poursuivre leur éducation à distance à la rentrée, me disais-je, il serait important de leur offrir des apprentissages encore plus engageants que ceux auxquels ils avaient eu droit au printemps.
Dans le cas où les élèves reviendraient à l’école, mais qu’une distance entre eux devrait être maintenue, nous devions imaginer comment enseigner simultanément aux élèves présents en classe et à ceux qui se trouveraient dans d’autres locaux ou chez eux, en prévoyant une alternance. Au primaire, les titulaires pourraient enseigner à une partie des élèves un jour sur deux, pendant que le reste de la classe serait pris en charge par les éducatrices du service de garde et les enseignants spécialistes (éducation physique, musique, arts).
Il faudrait aussi enseigner à distance aux élèves qui resteraient à la maison pour des raisons de santé. La fermeture d’une classe en cas d’éclosion du virus de la COVID-19, ou même de l’école au complet advenant une deuxième vague de contagion, ne pouvait pas non plus être écartée. Nous devions nous assurer de pouvoir migrer en tout temps vers l’enseignement exclusivement à distance.
La plupart des écoles primaires et secondaires devraient opter pour une formule bimodale (ou comodale) si elles souhaitaient offrir un enseignement à temps plein à tous leurs élèves, dans le respect des consignes recommandées par les autorités de santé publique.
Pendant plusieurs semaines, les enseignantes et enseignants avaient amélioré leur pratique de l’enseignement tout à distance. L’enseignement bimodal, qu’il leur faudrait apprivoiser pour la rentrée 2020, ajoutait un niveau de complexité. L’enseignement bimodal comprend, de façon...