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QUI SONT-ILS?
La vie, comme le mouvement, se prouve en marchant. Si bien que lâimportant est dâavancer â coĂ»te que coĂ»te â dans la rĂ©solution, la responsabilitĂ© et lâobstination.
Albert Camus
Au dĂ©but des annĂ©es 2000, les premiers reprĂ©sentants de la gĂ©nĂ©ration Z sortaient Ă peine de lâenfance. Rien encore ne permettait vraiment, si ce nâest pour quelques spĂ©cialistes en marketing publicitaire, de saisir les particularitĂ©s culturelles de cette gĂ©nĂ©ration. Tentons dâen apprĂ©hender les contours et dâesquisser ses perspectives dâavenir.
Les Z amorcent maintenant leur entrĂ©e dans le marchĂ© du travail et influenceront Ă leur tour â et Ă leur maniĂšre â les destinĂ©es de ce monde.
NĂ©s entre les annĂ©es 1995 et 2010, les Z (appellation donnĂ©e pour faire suite Ă celles des deux gĂ©nĂ©rations prĂ©cĂ©dentes) sont issus, pour une grande majoritĂ© dâentre eux, de parents de la gĂ©nĂ©ration X. La lettre Z fait aussi rĂ©fĂ©rence au mot «zapping». Cette gĂ©nĂ©ration sâexpose Ă lâaccĂ©lĂ©ration des besoins, des attentes et des demandes tout au long de sa vie. Lâanthropologue et Ă©cologiste des mĂ©dias amĂ©ricains Michael Lee Wesch les appelle les «emos» (diminutif du mot Ă©motion), alors que William Strauss et Neil Howe les nomment «nouvelle gĂ©nĂ©ration silencieuse» ou «echo-boomers» (en «écho» pour certains Z Ă leurs parents baby- boomers). Ces deux sociologues amĂ©ricains soutiennent que, parce quâelle Ă©volue dans un monde marquĂ© par les attentats du 11 septembre 2001 qui ont Ă©tĂ© suivis dâune crise Ă©conomique mondiale Ă la fin de cette dĂ©cennie, la gĂ©nĂ©ration Z a de nombreux points communs avec la gĂ©nĂ©ration silencieuse qui a grandi avec une grande luciditĂ© Ă lâĂ©poque de la crise Ă©conomique des annĂ©es 1930. Attention, ces jeunes sont cependant loin dâĂȘtre silencieux comme leurs aĂźnĂ©s!
Certains sociologues dĂ©signent les Z comme la gĂ©nĂ©ration C. La lettre C prĂ©cise dâailleurs ses intentions: Connecter, Communiquer, CrĂ©er, Collaborer. Les C se concentrent plus particuliĂšrement sur les connexions, les rĂ©seaux et les innovations technologiques.
Selon toute probabilitĂ©, la gĂ©nĂ©ration emos suivra les traces de la gĂ©nĂ©ration Y qui lâa prĂ©cĂ©dĂ©e, dâautant plus quâelle dispose comme elle dâune multitude dâobjets pour sâexprimer. Les Z sont de vrais digital natives (ou natifs numĂ©riques), bercĂ©s par le Web 2.0 depuis leur naissance. BranchĂ©s Ă des rĂ©seaux de communication, les reprĂ©sentants de cette gĂ©nĂ©ration clament sans compromis: chacun son rythme, chacun ses goĂ»ts! Telle est la façon de penser de cette nouvelle gĂ©nĂ©ration silencieuse qui organise le monde selon ses prĂ©fĂ©rences.
On a longtemps cru Ă une approche multitĂąche chez les Z. En fait, celle-ci est plutĂŽt segmentĂ©e. Les Z ne font pas plusieurs choses en mĂȘme temps, mais ils procĂšdent plutĂŽt par sĂ©quences de plus en plus brĂšves. Sous lâinfluence des technologies, lâattention quâils portent Ă une image, Ă un texte, Ă un discours, est de plus en plus limitĂ©e dans le temps. Comme ils le font avec leur tĂ©lĂ©phone intelligent et leur portable, les Z ouvrent et ferment des fenĂȘtres dans leur tĂȘte. Ils zappent, ils surfent, ils reviennent en arriĂšre. LâĂ©conomie dâattention, câest-Ă -dire le temps consacrĂ© Ă faire une chose en particulier, est le plus grand dĂ©fi du temps prĂ©sent, et les Z nây Ă©chappent pas. Cela a des rĂ©percussions importantes dans toutes les sphĂšres de leur vie. Cette rapiditĂ© Ă laquelle les Z consentent Ă vivre tous les jours suscite un flot dâĂ©motions, et, parfois, du stress et de lâanxiĂ©tĂ©, dĂ©sormais si prĂ©sents dans la vie de nombre dâentre eux.
Le branchement doit ĂȘtre permanent pour les Z: pas question de couper la connexion â la pire chose qui pourrait survenir â avec les amis lorsquâon est au cinĂ©ma ou mĂȘme en classe â oĂč ils sâennuient trĂšs souvent parce quâils ne sây amusent pas. TĂ©lĂ©charger une chanson (de maniĂšre illĂ©gale ou non, car les Z adorent flirter avec lâinterdit), envoyer un commentaire sur un microblogue, Ă©couter de la musique avec Apple Music, Google Play ou Spotify, visionner une vidĂ©o sur YouTube, discuter avec des amis sur les rĂ©seaux sociaux Facebook ou Live Messenger ou texter leur est naturel en simultanĂ© et ils ne sauraient sâen priver. La gĂ©nĂ©ration Z ne peut concevoir le monde sans partage, sans affinitĂ©s, sans ce regard venant de lâautre. Sur la toile, son Ćil se mondialise dans lâespoir dâune Ă©motion Ă venir. Il nây a pas de culture Z comme il y a une culture Y (interdit dâinterdire), mais un mode de pensĂ©e Z oĂč coexistent une multiplicitĂ© de possibles et une seule langue commune: le numĂ©rique.
Las de parler Ă des parents trop occupĂ©s, pressĂ©s ou absents, ces jeunes se mobilisent Ă travers la carte virtuelle et crĂ©ent des liens avec un monde Ă©tranger en chattant, en Ă©changeant des objets et en faisant lâachat de produits inĂ©dits en consommateurs avertis quâils sont dĂ©jĂ . Ils ont dâailleurs une opinion sur tout â Ă lâexemple des Y ou millĂ©nariaux â et ne se gĂȘnent en rien pour la faire connaĂźtre. Tout cela en prenant soin de gĂ©rer leur image presque comme une marque, pour mieux se dĂ©marquer, rĂ©putation oblige, sur les rĂ©seaux sociaux. Car, encore davantage peut-ĂȘtre que la gĂ©nĂ©ration prĂ©cĂ©dente, les Z aiment se distinguer de la masse et crĂ©er leur propre style. Câest pour cette raison notamment quâils adorent la pub et les marques. Par rapport aux gĂ©nĂ©rations prĂ©cĂ©dentes, et plus encore que les Y, les Z sont parfaitement dĂ©complexĂ©s.
Un autre aspect important distingue la gĂ©nĂ©ration Z de la prĂ©cĂ©dente: elle prĂ©fĂšre les influenceurs aux vedettes. Blogueurs respectĂ©s ou membres hyperactifs de Facebook, YouTube, Instagram ou Twitter Ă lâaffĂ»t des derniĂšres tendances et testant mille et un produits, les influenceurs sont suivis par une communautĂ© importante. Leurs propos sont souvent drĂŽles, lĂ©gers, mais parfois tranchants et dĂ©vastateurs. Les Z adorent! Les grandes marques lâont bien compris, et plusieurs dâentre elles sâassocient maintenant Ă des influenceurs. Leurs icĂŽnes? Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook, Travis Kalanick, fondateur de la sociĂ©tĂ© de partage de fichiers Red Swoosh et dâUber, Gloria Bella, Alicia Moffet et PewDiePie, cĂ©lĂšbres youtubeurs. Sans oublier les micro-influenceurs â une tendance Ă la hausse en cette fin de dĂ©cennie â, quâun nombre croissant de Z estiment plus authentiques et plus proches de leurs champs dâintĂ©rĂȘt.
Si la culture de lâentertainment pousse aux plaisirs faciles et au narcissisme, elle nâempĂȘche nullement les jeunes de vouloir comprendre leur monde, dâinventer, dâinnover et de progresser â des caractĂ©ristiques propres Ă la gĂ©nĂ©ration Z. Tandis que monte le rĂšgne du consommacteur, paradoxalement, le prĂ©sent voit se multiplier les dĂ©sirs de crĂ©ation, dâexpression et de participation en tout genre. Fabriquer ses personnages est tout lâintĂ©rĂȘt du jeune sujet Z. Adolescent, il publie ses vidĂ©os sur YouTube. Jeune adulte, il invente, seul ou en groupe, une nouvelle application ou un nouveau jeu vidĂ©o. Tous les registres lâintĂ©ressent. Le Z aime se transformer en hĂ©ros dâun jour, le temps dâun Ă©crit, se mĂ©tamorphoser pour Ă©mouvoir, faire rire, faire pleurer ou ĂȘtre complimentĂ©, en ĂȘtre hypersensible quâil est, chose que beaucoup dâenseignants ont pu remarquer. Tout dĂ©guisement le sĂ©duit pourvu quâil lui permette une nouvelle incarnation susceptible de lâĂ©clairer sur lui-mĂȘme. Proposez un jeu de rĂŽle en classe, et vous verrez lâeffet mobilisateur immĂ©diat que cela produira sur les Ă©lĂšves.
La gĂ©nĂ©ration Z sâabandonne et vit ses rĂȘves. Elle a une façon bien Ă elle de quitter la maison dĂšs 10 ans pour un camp de vacances Ă lâĂ©tranger sans se soucier de ses parents. On ressent dĂ©jĂ chez les jeunes de 12 ans leur volontĂ© de sâemparer de la vie, de sâĂ©loigner du quartier, de lancer un projet, de prendre le large et de saisir toutes les occasions. Il en est de mĂȘme chez les jeunes de 20 ans qui cherchent activement Ă jumeler leur parcours scolaire Ă un travail Ă temps partiel, ainsi que les Ă©tudes Ă des voyages internationaux.
Je nây vois que du bonheur. Apprendre tĂŽt dans sa vie Ă aller Ă la rencontre de lâautre, expĂ©rimenter de mille et une façons la possibilitĂ© de dĂ©velopper de nouvelles habiletĂ©s, partager des idĂ©es, prendre des risques, apprivoiser lâinconnu et renforcer, par la mĂȘme occasion, son estime de soi, voilĂ la vie Ă son meilleur. Les retombĂ©es inĂ©dites de ces expĂ©riences permettront de mieux composer avec lâadolescence, les dĂ©buts de lâĂąge adulte et les situations surprenantes de la vie, tant sur le plan personnel que sur le plan professionnel.
Ă ce sujet, on est stupĂ©fiĂ© par lâexploit sans prĂ©cĂ©dent dâune enfant de 9 ans, Amira Willighagen, gagnante de la finale de Hollandâs Got Talent 2013, qui sâest dĂ©couvert un talent innĂ© de chanteuse dâopĂ©ra, et a remportĂ© le concours en interprĂ©tant lâĂ©mouvant O mio babbino caro de Puccini⊠(plus de 38 millions de vues sur YouTube au moment dâĂ©crire ces lignes en juin 2019). Aujourdâhui ĂągĂ©e de 15 ans, vedette internationale, cette jeune fille nous donne de lâespoir, elle incarne la fraĂźcheur de vivre, une jeunesse agile, talentueuse et courageuse.
Ă force de crĂ©er, de produire et dâĂ©changer sur les rĂ©seaux sociaux, certains Z ambitionnent de devenir entrepreneurs, une tendance observĂ©e aux Ătats-Unis et au Canada. Câest ce qui ressort de lâenquĂȘte «La Grande InvaZion», menĂ©e en 2015, qui rĂ©vĂšle que plus de 50% dâentre eux souhaitent crĂ©er leur entreprise. Pour rĂ©ussir, ils croient au «rĂ©seau» plutĂŽt quâaux diplĂŽmes et veulent une organisation horizontale (lâindividu dâabord, principe de discussion, Ă©thique du bien-ĂȘtre, mobilitĂ©, flexibilitĂ©, coopĂ©ration) plutĂŽt que hiĂ©rarchique (structure, objectifs, attentes, stabilitĂ©, principe des acquis, satisfaction du groupe). Et ils nâattendent pas lâĂąge adulte pour rĂ©aliser leurs rĂȘves. Comme cette jeune PDG amĂ©ricaine de 14 ans, Alina Morse, qui a ouvert une entreprise fabriquant des bonbons qui ne causent pas de carie⊠Aujourdâhui, elle emploie sept personnes, dont son pĂšre qui lâempĂȘchait de manger⊠des bonbons quand elle Ă©tait petite, par crainte de la voir souffrir de caries.
Si tous les Z ne ressemblent pas Ă cette jeune entrepreneure, Ă tout le moins, ils espĂšrent trouver lâemploi de leur rĂȘve oĂč le stress et les conflits â dont leurs parents, majoritairement des X issus de la gĂ©nĂ©ration du No Future, se plaignent sans cesse â sont bannis. Et tout indique que les circonstances leur procureront un haut niveau dâemployabilitĂ©, le faible taux de natalitĂ© et le vieillissement de la population se combinant pour crĂ©er une demande de main-dâĆuvre sans prĂ©cĂ©dent au Canada et dans la majoritĂ© des pays industrialisĂ©s dans les prochaines dĂ©cennies.
LâespĂšce humaine rĂ©gule actuellement ses effectifs et son rapport Ă la nature, la transition dĂ©mographique posant les questions du dĂ©clin, avec lâaugmentation du nombre de personnes ĂągĂ©es, et de la nouvelle donne Ă©conomique. Les prĂ©visions, il y a 10 ans, montraient une stabilisation de la population mondiale qui devait atteindre 10 milliards dâhabitants en 2100 (selon les Nations Unies). Le mĂȘme calcul aboutit aujourdâhui Ă une crĂȘte estimĂ©e Ă 8,5 milliards dâhabitants avec un phĂ©nomĂšne trĂšs rare dâinversion de la pyramide des Ăąges en Occident et au Japon. En 2030-2040, la tranche dâĂąge des 60-65 ans sera plus nombreuse que celle des 0-50 ans. Les enfants des baby-boomers, les Y, auront probablement une vieillesse moins confortable que celle de leurs parents et grands-parents, car les problĂšmes financiers des caisses de retraite ne seront pas rĂ©solus. Il en sera de mĂȘme pour les X.
Quâest-ce qui attend alors les Z en Occident? Probable-ment, lâarrivĂ©e massive de gens venus des pays en voie de dĂ©veloppement ou Ă©mergents, comme lâInde ou les Ătats du continent africain, en plus des autres pays dĂ©veloppĂ©s qui viendront gonfler les rangs des travailleurs. Actuellement, plus des deux tiers de la population indienne, Ă©valuĂ©e Ă 1,2 milliard dâhabitants, ont moins de 35 ans, et prĂšs de 600 millions de personnes ont moins de 25 ans. Une population qui dĂ©passera largement celle de la Chine, estimĂ©e Ă 1,5 milliard dâhabitants, au cours des prochaines annĂ©es. Le xxie siĂšcle sera africain non seulement en raison de lâaugmentation de sa population, mais aussi du fait de son essor Ă©conomique. DâaprĂšs les derniĂšres prĂ©visions du Fonds monĂ©taire international, câest la rĂ©gion du monde oĂč le taux de croissance Ă©conomique devrait connaĂźtre la plus forte accĂ©lĂ©ration. Plus de la moitiĂ© de la croissance dĂ©mographique dans le monde dâici Ă 2050 se produira en Afrique, un continent dont la population augmentera dâenviron 1,3 milliard dâhabitants au cours de la pĂ©riode, selon les prĂ©visions les plus rĂ©centes des Nations Unies.
Sans une forte immigration, il deviendra vite impossible de financer les retraites et de maintenir un niveau de vie confortable pour les Z et les générations subséquentes.
En attendant, les Z sâauto-initient au design, Ă la photo, Ă la vidĂ©o. Ils sont curieux et futĂ©s! Sensibles Ă la pauvretĂ© et Ă lâinj...